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La Maraîchine Normande
24 décembre 2017

BEAUFOU (85) - LA CROIX DELAVIGNE OU CROIX DES ENFANTS

BEAUFOU
LA CROIX DES ENFANTS


Dans les premières années du XVIe siècle, un petit berger, appelé MARIE-JOSEPH LAVIGNE, né au village de la Bultière, paroisse de Beaufou, d'un père, journalier de son état, appelé Joseph Lavigne, et d'une vertueuse mère nommée Marie Fromentin, fut sans s'y attendre l'auteur de la pieuse dévotion très célèbre, autrefois connue sous le nom de : LA CROIX DES ENFANTS.

Pâtre z

Cet enfant, le plus jeune de huit, ans, avait été placé en service chez un propriétaire du bourg qui l'envoyait aux champs garder les moutons. Il avait dix ans ; il n'avait point encore fait sa première communion. N'allant point à l'école, il ne savait ni lire, ni écrire, mais il était pieux, très pieux et M. le curé de la paroisse le comptait au nombre des plus férus du catéchisme.

Chaque jour, son unique ouvrage était de suivre un beau troupeau de moutons et de les empêcher d'aller en dommage. Seul, tout seul habituellement, n'ayant à parler qu'à son chien et à ses brebis, à chacune desquelles il avait donné un nom, il égayait sa vie uniforme et monotone, par le chant d'un cantique dont il ne savait que le premier couplet ; Je mets ma confiance, Vierge, en votre secours ... Il le chantait cent fois le jour et à tue-tête, et souvent à la façon des oiseaux perchés au sommet d'un arbre.

Sa vertueuse mère lui avait appris encore une autre sainte coutume : la répétition de ses prières. Tous les matins, avant de sortir de la maison, il disait tout haut, comme les autres enfants de son âge, sa prière à deux genoux ; le soir, avant de se coucher, on lui faisait faire la même chose. De plus, il répétait encore tout haut toute sa prière à toutes les fois qu'il mettait ses moutons dans un champ ou qu'il les changeait de pâtis. C'était sa coutume. C'était son affaire. Et il s'en acquittait sans souci de personne, avec toute la simplicité d'un candide enfant. Les gens se plaisaient à l'entendre répéter ses prières et son perpétuel cantique. On l'aimait.

Un jour qu'il gardait ses moutons dans un champ, près du bourg, il lui vint une pensée. Je veux, se dit-il, tout haut, faire une croix comme M. le curé. Il avait vu souvent le bon homme curé à genoux devant la croix placée à la porte du cimetière. Aussitôt pensé et dit, aussitôt mis à exécution.

Il eut bien vite amoncelé un petit tas de pierres, en fit une petite butte, sur laquelle il plante une petite croix de bois, haute d'une quarantaine de pouces, sur laquelle il attache une image de la Sainte-Vierge Notre-Dame des Douleurs, qu'il avait gagnée au catéchisme. Le soir venu, quand il eut renfermé ses moutons dans leur toit, il s'en va tout droit à l'église, prend dans le fond d'une bouteille cassée de l'eau du bénitier et cours plutôt qu'il ne marche à son petit monument. Que va-t-il faire ? Il n'en sait trop rien, mais, il a une idée. Un moment, il hésite, il regarde de côtés et d'autres pour voir s'il y a du monde. Puis, le voilà à genoux, répétant à haute voix sa prière, chantant à tue-tête son cher cantique. Puis il se relève et se redressant sur ses pieds de toute la hauteur de sa petite taille, il fait encore un grand signe de croix : O ma croix, s'écrie-t-il alors, je te bénis ; puis, il l'arrose tout entière avec son eau bénite. La cérémonie était finie, et il rentre tout joyeux au logis. Mais, il avait vu son maître qui se trouvait par là avait tout remarqué, et le soir, il le raconta à sa famille.

Ce petit pâtre aimait bien sa croix, sa chère croix et toutes les fois qu'il passait auprès, il levait son bonnet et faisait son signe de croix, et quand il gardait ses moutons aux environs, c'était là qu'il chantait son cantique et répétant ses prières. Si bien que dans la paroisse, on donne à cette croix le nom de son auteur, on l'appela : LA CROIX DELAVIGNE

Cette petite croix avait été faite tout juste le jour anniversaire de l'invention de la Vraie Croix, le trois du mois de mai, circonstance remarquable mais que le petit berger ne connaissait certainement pas.

L'été se passa comme les autres étés, sans incident. L'hiver arriva avec ses pluies, ses gelées, ses tempêtes.
Une nuit le vent renversa le petit monument et le brisa. Grande fut la douleur du petit berger, si grande même que son maître pour le consoler, lui promit qu'il en ferait une autre bien plus belle et plus solide. En effet, dénouant les cordons de sa bourse de cuir, il en tira trois pistoles qu'il donna à un tailleur de pierre. Le 3 mai suivant, une jolie croix toute de pierre, ornée d'une petite statue de la Sainte Vierge, dressée en place de la première fut solennellement bénite, mais cette fois par M. le curé. La cérémonie fut édifiante. On chanta, on pria.

Un an après, le petit berger qui avait fait sa première communion fut gagé dans une autre paroisse. La croix fut abandonnée. On se contenta de la regarder en passant et à la saluer ; mais personne ne s'agenouilla plus devant pour y prier ; jusqu'à ce qu'un petit évènement, sans importance aucune, vint inspirer aux habitants de la paroisse, une dévotion extraordinaire pour cette croix du petit berger.

Un jour, tous les petits enfants du bourg encore dans la robe et pouvant marcher seuls s'acheminèrent en procession jusqu'à la Croix Delavigne. La plus grande fille d'environ dix ans allait en tête portant au bout d'un bâton un morceau de papier en guise de bannière. Un garçon de même âge la suivait portant un bâton fendu au bout avec une buchette dans la fente en guise de croix. Les autres tenaient à la main des bâtons en guise de cierges. Toute cette petite troupe, une vingtaine, dit-on, alignée sur un seul rang se dirige vers la croix en chantant des mots incompris et incompréhensibles. Des ah ! ah ! ah ! ... des la la la ... Arrivée à la croix, la petite procession se met à genoux. Chacun fait des signes de croix, marmonne quelques mots en signe de prières ... Jésus ... à Jésus ... Marie ... Jésus ... à Marie ... la Bonne Vierge ... Ainsi soit-il. Puis la procession revient comme elle était partie, sur un seul rang et en chantant ... ah ! ah ! ah ! ...

Le lendemain et les jours suivants, mêmes cérémonies. On finit par y faire attention. On en parla au bonhomme curé qui voulut voir. Quelques femmes versèrent des larmes. On voulut savoir qu'elle était la personne qui avait inspiré cette dévotion à ces petits innocents. On les fit parler, on leur fit des caresses, on leur prodigua des dragées. Mes petits enfants, qui vous a dit de faire cela ? Est-ce un tel ? Est-ce une telle ? Parle, mon chéri. Dis-moi ça, ma petite ... La réponse invariable des enfants fut toujours : Sais pas ... Qu'est-ce qui a commencé ? C'est-y toi ? Non. C'est-y un tel ? Non. Qu'est-ce qui en a parlé aux autres ? Sais pas. Ce silence des petits enfants jeta quelqu'émotion dans les esprits. C'est le Bon Dieu qui fait cela, dirent quelques personnes. Voyez-vous pas, dit une vieille bonne femme, que c'est la Bonne Vierge Marie. Je me rappelle dans ma jeunesse en avoir fait autant, que c'était le Bon Dieu, ou la Bonne Vierge, dit alors le bonhomme curé, toujours est-il que ces petits enfants-là vous donnent une bonne leçon. A quoi bon élever des croix si on n'y va pas prier ? A dater de ce moment, bon nombre de personnes suivirent le conseil du curé et l'exemple des petits enfants et se prirent de dévotion pour aller prier à la Croix Delavigne.

Une maladie épidémique qui sur ces entrefaites vint attaquer les enfants donna à cette dévotion un élan irrésistible. C'était la coqueluche accompagnée du croup. Deux enfants du bourg, l'un de six ans, fils du grand marguillier, l'autre de trois ans, fille unique d'un journalier étant à toute extrémité, il vint la pensée de faire prier tous les enfants pour leur guérison. Cette fois, M. le curé organisa lui-même la petite procession. Il donna une vraie petite bannière, une vraie petite croix, de vrais cierges. Puis, il les envoya chanter leurs chants et leurs petites prières au pied de la petite croix et demander au bon Jésus, à la bonne Vierge Marie la guérison de leurs camarades. Le ciel eut-il égard aux prières enfantines de ces petits innocents ; ou tout au moins eut-il pour agréables les dispositions de leurs petits coeurs ? Toujours est-il que le lendemain matin, les deux petits mourants étaient hors de danger et que l'épidémie s'éloigna rapidement du pays.

Toutes les mères, d'un commun accord, concluent de là, que c'était bien le Bon Dieu qui avait appris à leurs enfants à aller prier à la croix et qu'il fallait continuer à y aller prier. A dater de ce moment, la Croix Delavigne changea de nom et on l'appela : la Croix des Enfants.

Cette croix était plantée à cinq cents pas environ du bourg, près le grand chemin allant dans la haute paroisse, à l'entrée d'un chemin de service, juste à l'angle du premier champ de la borderie de la cure.

En peu de temps, la dévotion à la Croix des Enfants devint générale dans la paroisse ; les mères, dans l'année de leur baptême, portaient elles-mêmes leurs enfants au pied de la croix et les conserveraient aux Sacrés Coeurs de Jésus et de Marie. Pas une mère n'eut voulu manquer à ce pieux voyage. Dans les maladies, on réunissait une neuvaine d'enfants au pied de la croix ; on mettait dans leurs mains un bout de cire jaune ; on leur faisait répéter des prières pour leurs camarades qui étaient malades. Tous les ans, dans la semaine sainte, tous les enfants, jusqu'à l'âge de la première communion, étaient envoyés, ou bien on les apportait faire un voyage à la croix.

C'est, sans doute, de cette antique coutume que découle l'usage d'emmener, le jeudi Saint, les petits enfants à l'église. Il fut un temps où on les faisait agenouiller devant une petite croix placée devant le très-Saint Sacrement.

Cette dévotion à la croix des enfants s'est perpétuée dans la paroisse plus de cent cinquante ans.

Une tempête ayant renversé, brisé la croix, la piété des mères, d'abord alarmées, commença par se refroidir.

Le curé qui gouvernait alors la paroisse s'occupa de la relever ; mais la mort le prévint, et la croix ne fut point rétablie.

Un riche propriétaire eut la bonne idée de la rebâtir, mais obligé de faire un long voyage, il oublia la croix. Des femmes relevèrent, un soir, de dessous les herbes, le croisillon de la croix, et le replacèrent sur le piédestal. Ce n'était point beau, on en murmura, puis on finit par s'y habituer. Plusieurs, des plus intéressés et qui avaient peur qu'on ne leur demandât de l'argent, disaient que que les prières étaient aussi bonnes faites ailleurs.

Une fois, une femme de la haute paroisse et dont la fille était malade, vint, la nuit, en cachette, prendre le croisillon et l'emporter chez elle. Cette femme avait une bonne idée ; mais elle faisait un vol sacrilège. Tous le monde en fut dans l'émoi, et on fit des recherches. Épouvantée de sa faute, cette femme en fit encore une plus grande. De peur d'être surprise, elle s'en alla jeter le croisillon dans la rivière.

Plus tard, un propriétaire du bourg fit ramasser les pierres du piédestal de la croix et la partie basse de la colonne, les fit apporter plus près du bourg, à l'entrée du même chemin, au milieu même du chemin, il éleva un tertre et plaça dessus le piédestal, fit allonger la colonne et ajouta un autre croisillon de pierre neuve. C'est cette croix qui a donné son nom au village de la Croix.

Cette nouvelle croix, renversée pendant la grande guerre, fut relevée en 1804. Elle a été dérangée pour faire la route en 1853 et placée tout auprès ; sous de grands arbres dans un buisson. Presque inaperçue maintenant, cette croix si vénérable par son antiquité, attend en silence les respects des passants.

Dans la place où s'élevait jadis la Croix des Enfants, il n'est demeuré aucun vestige. Il n'est certainement personne dans la paroisse qui en ait conservé même un léger souvenir. C'est ainsi que s'en vont et disparaissent par l'insouciance des hommes, même les choses les plus utiles et les pratiques les plus précieuses.

Longtemps, bien longtemps après, une nuit du Jeudi-Saint, à genoux devant le Très-Saint-Sacrement, un autre curé de la paroisse était en prières. A ses côtés chantaient les enfants de choeur. Il lui vint une pensée. Sans doute que cette pensée sortait du Coeur adorable du Divin Sauveur ; Si je relevais la Croix des Enfants, se dit-il ? Quelques jours après, il faisait à grands frais l'acquisition d'une grande croix en fonte, avec un beau Christ. Mais il lui fallut des années et des peines pour mener à fin sa pieuse entreprise. Les mères chrétiennes de ce temps-là n'ayant pas apparemment d'enfants malades, ne lui vinrent point en aide. Laissons les mamans, s'écria un jour le pauvre curé, puisque les mamans ne veulent pas venir ; appelons les pères. Les pères entendirent la voix de leur curé ; ils vinrent ; les uns avec des pelles, des pioches, d'autres avec des brouettes, des tombereaux. Des centaines de charrettes de pierres, de terre, furent amoncelées.

On vit s'élever rapidement une petite montagne sur l'emplacement même de la Croix des Enfants. Une magnifique colonne quadrangulaire de beau granit montra au loin la croix avec son Christ. Plantées sur de belles colonnes, six statues artistement travaillées entourent le nouveau calvaire encadré dans une élégante balustrade. Les statues représentent en première ligne, deux anges portant les instruments de la Passion ; sur le second plan à droite, la Sainte Vierge Marie, mère de douleurs ; à gauche, l'apôtre Saint-Jean ... L'arrière plan montre Sainte-Marthe et Sainte Marie-Magdeleine.

La Croix Delavigne z

Ce nouveau calvaire fut solennellement béni, en présence de la paroisse réunie le jour de la première communion en 1867 ...

Le prédicateur, après avoir rappelé tout ce qui se passa de sublime et de touchant entre Jésus, Marie et Saint-Jean sur la montagne du Calvaire, consacra à Jésus et à Marie tous les enfants groupés autour de la nouvelle croix. Il les verra pour jamais à leur service et appela sur eux pour toute leur vie, les bénédictions et la protection du ciel.

Ce jour-là fut un beau jour. On vit couler des larmes de joie et d'attendrissement. Beaucoup regrettaient de n'avoir pas connu l'antique Croix des Enfants. Beaucoup se promirent de revenir souvent prier au pied de la croix nouvelle.

Mais, le temps qui marche toujours et qui en marchant voit dans sa course rapide tant de choses, a bien vu les jours succédant aux jours, les années allant se multipliant passer successivement devant la croix, il n'y a point aperçu de mères de famille à genoux appelant par leurs supplications la protection divine sur leurs jeunes enfants. La croix est restée délaissée, abandonnée. Les gens qui traversent le chemin, lui jettent par distraction un regard de curiosité. Bien peu la saluent, personne n'y prie, plus d'enfants à genoux ...

 

Histoires et légendes pieuses ; Beaufou sous la Révolution, Cahier, 191 p. - AD85 1 Num 396/3 - vues 49 à 53

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