Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La Maraîchine Normande
29 août 2017

THEULEY (70) - 1881 - UN JÉSUITE ÉLU MAIRE, LOUIS-JOSEPH DURAND

UN JÉSUITE ÉLU MAIRE


Nous extrayons de la livraison d'août des Études Religieuses, le passage suivant :

Theuley église z

C'était en l'année 1881, j'habitais depuis quelques mois la Franche-Comté, où les supérieurs m'avaient permis d'aller chercher un asile, en attendant des temps meilleurs. Or, la veille même des élections du 3 janvier, j'apprends, à mon retour d'une excursion apostolique, qu'on était venu s'informer, en mon absence, si je pouvais être conseiller municipal, et si, nommé, j'en accepterais le mandat. L'idée me parut originale et me fit rire de bon coeur ; mais j'étais loin de la prendre au sérieux, mon nom ne figurant pas même sur les listes électorales, que je n'y pensais déjà plus le lendemain, quand dans la soirée une visite très inattendue m'est annoncée. C'était un groupe d'électeurs qui, à peine le dépouillement du scrutin terminé, venaient m'en apporter le résultat et me notifier triomphalement mon élection de conseiller municipal à la presque unanimité des voix.

Cependant les membres du bureau dressaient le procès-verbal de l'opération pour l'expédier au préfet, qui se voyait forcé de l'approuver, sinon peut-être sans mauvaise humeur, au moins sans réclamations. Un affreux jésuite se trouvait ainsi également élu premier conseiller municipal de sa commune, fonction que, par une exception rare, il exercera au-delà même de la durée du mandat ordinaire, c'est-à-dire jusqu'en mai 1884.

Le plus étonné de tous en ceci ce fut assurément moi, comme aussi le plus contrarié, dit-on, fut M. le préfet de la Haute-Saône. Songez donc un peu quel désagrément pour lui ! Comment ! un fils de Loyola, un seul en France nommé conseiller municipal, et juste dans son département ! C'était déjà peu gai, et pourtant le suffrage universel lui préparait d'autres déboires ; il restait encore au fond de l'urne électorale une goutte de fiel plus amère au goût que la première, et mes nouveaux collègues ne devaient pas tarder à la lui faire impitoyablement avaler.

En effet, quelques jours plus tard, le vaillant Courrier de la Haute-Saône, organe des conservateurs, non content d'annoncer l'élection d'un jésuite comme conseiller municipal, osait encore ajouter, avec une joie mal contenue, ces mots prophétiques : "Sera nommé maire !" Qui avait pu fournir d'avance au journal des renseignements si sûrs et si précis ? Je ne l'ai su que plus tard, et du reste, la chose importe assez peu. Ce qui est certain, c'est qu'il avait prédit vrai. Le 23 janvier, le Conseil s'étant réuni pour procéder à l'élection, au premier tour de scrutin, mon nom sortait de l'urne, et notre doyen d'âge proclamait le R.P. Louis D..., prêtre, élu maire de la commune de Theuley, et nous invitait à signer, conformément à la loi.

En ouvrant le procès-verbal de la séance, M. le préfet, sur son rond de cuir, dut être renversé et supposer les membres du Conseil à peu près devenus fous.

Dès le lendemain, je m'empressai de remplir un premier devoir, celui d'informer moi-même de mon élection Sa Grandeur Mgr Paulinier, alors archevêque de Besançon, dans le diocèse duquel se trouve la commune de Theuley. La réponse ne se fit pas attendre ; et en la lisant, nul de ceux qui ont eu, comme moi, le bonheur de connaître Mgr Paulinier, n'en sera surpris. La voici textuellement, car elle mérite d'occuper la première place dans ce récit :

Paulinier Mgr z

ARCHEVÊCHÉ DE BESANÇON
Le 27 janvier 1881.
Cher et Révérend Père,
Je connaissais déjà votre nomination de conseiller municipal de Theuley. Votre lettre du 24 m'apporte la nouvelle du choix que l'on a fait de vous pour l'administration de la mairie, et je m'en réjouis de tout mon coeur. C'est une magnifique réponse aux attaques et aux persécutions indignes dont la Compagnie de Jésus a été l'objet. Gardez-vous bien de refuser l'honneur que ces braves gens de Theuley vous décernent ; ceignez courageusement l'écharpe, puisque M....., votre adjoint, consent volontiers à se charger des corvées peu compatibles avec la profession religieuse. Je ferai tout ce qui dépendra de moi, à l'occasion de ma tournée pastorale, pour aller féliciter vos administrés et me faire recevoir par un maire non plus seulement clérical, mais jésuite.
Bien à vous affectueusement,
JUST., arch. de Besançon.

A partir de mon entrée en charge, Theuley offrit un spectacle unique en son genre et bien fait pour étonner. Le vénérable curé de la paroisse, assez avancé en âge, se déchargeait volontiers sur moi du soin de chanter la grand'messe et d'évangéliser son peuple ; en sorte qu'on pouvait voir, le dimanche, le curé de la paroisse au lutrin, et le maire de la commune à l'autel et en chaire. Ce qui faisait dire à une bonne vieille femme des environs à qui on racontait la chose : "Ne l'avais-je pas annoncé que ça finirait mal avec leur République ? Puisque le maire de Theuley commence, le nôtre, qui est un grand bavard, ne va pas manquer de vouloir en faire autant, et ça ne sait rien de rien, et n'a pas un brin de religion. Conseillez-donc à ce Monsieur-là de rester dans sa mairie et de laisser le prône à son curé".

Joignez à cela que les honneurs pleuvaient alors sur moi. C'est ainsi qu'à mes fonctions de maire, je dus joindre encore celles de membre de la commission scolaire dont je fis partie jusqu'au 31 décembre 1884. N'était-ce pas chose assez piquante de voir un jésuite, à qui les décrets défendent d'enseigner, officiellement chargé d'exercer une sorte de surveillance sur l'enseignement donné par l'État ? On alla plus loin encore pour contenter mon insatiable ambition ; on imagina de me créer une nouvelle charge dans une commune du voisinage. Voici comment la chose eut lieu :

Le maire de cette commune, cédant à la démangeaison de faire une petite niche au sous-préfet, eut la singulière idée de m'inscrire parmi ses commissaires répartiteurs. C'était son droit, paraît-il. Seulement, pour mieux souligner son intention, il avait eu soin d'ajouter à mon nom ma qualité de jésuite. Or, le choix de personnes devant avoir l'approbation du sous-préfet, je laisse à penser si la pièce fut lestement retournée à l'expéditeur et si j'étais rayé du nombre des élus. C'était de bonne guerre, et mon voisin ne l'avait pas volé. Mais, où je trouve que la plaisanterie fut peut-être poussée un peu loin, c'est qu'au lieu de battre en retraite et de s'en tenir là, le cher collègue eut le front de revenir à la charge, en renvoyant cette fois mon nom tout sec. M. le sous-préfet n'y prit-il pas garde, ou plutôt, me sachant un frère conseiller d'arrondissement dans le pays, pensa-t-il qu'il s'agissait de lui ; la vérité est que je passai à la douane, et que je fus ainsi bombardé commissaire répartiteur.

J'allais, dès le début, me heurter à une difficulté qui ne se rencontre guère, et faire un dur apprentissage du métier.

En effet, presque au lendemain de mon installation, mon secrétaire de mairie me déclarait qu'il se voyait obligé, bien qu'à regret, de donner à la fois sa démission de secrétaire et de clerc-chantre, fonctions qu'il remplissait à Theuley depuis fort longtemps. Quand le lecteur saura que c'était aussi notre instituteur, il devinera sans peine d'où l'ordre était venu et ce qui l'avait inspiré. Nous nous trouvions ainsi frappés au religieux et au civil en même temps : on avait fait coup double. Cela tournait à l'aigu, comme on le voit, et ma situation se compliquait. N'ayant en effet personne sous la main à qui confier ce service, il me fallut bien m'en charger moi-même, au moins provisoirement. Or, ai-je besoin de le dire, mes antécédents ne m'avaient guère préparé à ces nouvelles fonctions, notre institut n'ayant naturellement pas prévu ce cas bizarre. Il n'y avait donc qu'un seul parti à prendre : s'ingénier et s'en tirer seul.

Plein de cette idée, je cours à Vesoul me procurer le précieux "Guide du conseiller municipal et du secrétaire de mairie". Avec lui, j'étais sauvé ; je me sentais en mesure de faire front à l'ennemi et de tenir indéfiniment la campagne.

Theuley mairie z

Mon charitable "guide" s'offrait vraiment au moment psychologique. J'allais l'étrenner, presque au débotté. On m'apprend au retour que deux charmants jumeaux étaient venus solliciter la faveur de vivre sous mon administration. Ils me valaient ainsi, sans s'en douter, quatre actes de naissance à rédiger : deux pour chacun, d'après la loi. L'enfantement fut, comme je m'y attendais, laborieux et long. Ah ! c'est que j'avais conscience de ma responsabilité. Je savais que le procureur de la République est non seulement chargé de vérifier l'état des registres, mais encore de poursuivre les contraventions ou délits commis par l'officier civil, et de requérir contre lui la condamnation ou l'amende. Impossible, ici, de rejeter la faute sur autrui ; le secrétaire et moi ne faisions qu'un : il n'y avait donc pas à plaisanter.

Aussi, quand autour de moi tout était rentré dans le silence, on aurait pu me voir grave, recueilli, soucieux, péniblement courbé sur mon registre, à en avoir la sueur au front, tremblant à chaque instant ou de mal écrire un nom propre, ou d'oublier un prénom, d'omettre l'âge, la profession, le domicile du déclarant et des témoins ; me gardant, comme d'un crime de la moindre rature, de tout renvoi marginal ; moulant chacune de mes lettres comme un écolier ; en un mot, ne négligeant rien pour échapper aux reproches de M. le procureur de la République, et mériter, même de lui, une mention honorable, s'il se pouvait. Mais je n'ose me flatter d'y avoir réussi.

Durand maire z

Mais tandis que mon écharpe brillait d'un si vif éclat, et faisait peut-être autour de moi des envieux, j'allais, hélas ! devenir un exemple frappant de la fragilité des grandeurs humaines, et apprendre à mes dépens que la roche Tarpéienne est bien près du Capitole.

Plus d'un signe m'avait fait soupçonner déjà, depuis quelque temps, qu'un noir complot se tramait contre nous dans l'ombre, et je n'étais certes pas sans inquiétude sur mon avenir et sur celui de mes administrés. On ne saurait croire, en effet, quels bruits sinistres se plaisaient à répandre dans la commune des agents secrets, dans le but évident d'effrayer la population et de lui faire regretter sa belle conduite au moment des élections.

Parmi ces bruits, la plupart étaient faux ; cependant plusieurs, je le savais de source certaine, se trouvaient malheureusement fondés, celui, entre autres, du danger que courait pour sa position un honnête fonctionnaire, justement apprécié des habitants. Craignant à bon droit qu'il ne fût remplacé par un de ces hommes du jour, dont on ne connaît que trop les sentiments et les tendances, je crus le moment venu de tenir l'engagement, spontanément pris, de me retirer, si jamais ma présence à la mairie devenait pour ma chère commune un sujet de tracasseries et d'ennuis. En conséquence, le 7 février 1881, j'envoyais, sans hésiter, ma démission de maire à M. le préfet de la Haute-Saône, en le priant de me répondre aussitôt qu'elle était acceptée.

Flaira-t-on un piège perfidement tendu, l'intention, par exemple, de me faire réélire par mes collègues indignés, ce qui n'eût pas été facile, et voulut-on parer ce nouveau coup plus sensible que le premier ? Ce qui permet de le supposer, c'est qu'après avoir vainement attendu pendant près de quinze jours le résultat de ma démarche, voici qu'à ma grande surprise, il m'arrive, en guise de réponse, un avis du secrétaire général, m'informant que mon élection aux fonctions de maire ayant été déférée d'office, par le préfet de la Haute-Saône, au conseil de préfecture, j'étais invité à présenter moi-même ma défense ou à me constituer un avocat, si je le préférais.

Tout s'éclaircissait ainsi : ma démission n'avait pas été acceptée, parce qu'on tenait mon élection pour illégale, et qu'on se proposait de l'annuler.

Pouvait-on tomber plus glorieusement ? Mes juges, en me frappant ainsi, me faisaient une auréole. Je me trouvais par là deux fois expulsé : de mon couvent comme religieux, comme prêtre de ma mairie.

Louis-Joseph DURAND

AD85 - L'Étoile de la Vendée - Jeudi 28 août 1890 - n° 399.

 

Louis-Joseph Durand, fut maire de Theuley du 31 janvier 1881 au 5 mars 1881 ; il avait remplacé Léopold Estienney qui reprit son emploi de maire après le 5 mars jusqu'au 5 août 1884, où il fut remplacé peu de temps par Ramondot Pierre.

 

Publicité
Commentaires
La Maraîchine Normande
  • EN MÉMOIRE DU ROI LOUIS XVI, DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE ET DE LA FAMILLE ROYALE ; EN MÉMOIRE DES BRIGANDS ET DES CHOUANS ; EN MÉMOIRE DES HOMMES, FEMMES, VIEILLARDS, ENFANTS ASSASSINÉS, NOYÉS, GUILLOTINÉS, DÉPORTÉS ET MASSACRÉS ... PAR LA RIPOUBLIFRIC
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Newsletter
Archives
Derniers commentaires
Publicité