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La Maraîchine Normande
21 mai 2017

SAUMUR (49) - LES HORREURS DE LA TOUR GRENETIÈRE

LES HORREURS DE LA TOUR GRENETIÈRE

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Le simple profane ou le visiteur qui déambule à travers les rues de notre ville demeure toujours fortement impressionné par l'imposante majesté, la solitude étrange et l'aspect terrifiant de la Tour Grenetière, encastrée dans les dépendances de la Gendarmerie.

A première vue certes, on ne sait que penser de ce donjon isolé, aux proportions gigantesques dont les murs épais sont à peine percés de fenêtres, mais bien plutôt de lucarnes étroites solidement bardées de fer.

Cet ouvrage militaire faisait partie de la ligne puissante des fortifications du vieux Saumur, avec une ressemblance étrange à la Tour Cailleteau, de dimensions identiques, à proximité du Théâtre, mais dont les ruines sont aujourd'hui enchâssées dans les habitations, alors que jadis elle défendait le "port de la Billange". Soulignons que l'enceinte de la ville fut remaniée en 1498 ...

Par sa disposition et son emplacement, cette Tour, sans aucune appellation de l'époque, occupait l'angle extrême sud de la défense et gardait ainsi la route du Poitou, puis la partie sud-ouest. Elle devait jouer, dans l'histoire locale, un rôle et prendre un nom que bien des Saumurois ignorent certainement. On est encore loin de la gabelle et du grenier à sel dont je veux vous entretenir précisément.

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Le mot GRENETIÈRE provient de ce que, au commencement du XVIIe siècle, la Municipalité de Saumur utilisait la Tour pour y entasser, pendant les années d'abondance, les céréales panifiables à distribuer aux pauvres, aux heures de disette : oeuvre charitable par excellence et ainsi cette Tour, transformée en "grenier", ne pouvait être plus judicieusement appelée.

De corne d'abondance cependant la Tour allait se métamorphoser en une géhenne, un lieu d'horreurs et de souffrances et de froides gémonies où des condamnés suaient leur agonie et languissaient après la mort.

Mais avant d'entr'ouvrir les portes de ces cachots affreux où chaque dalle semble rendre de longs gémissements, voyons quelles furent, dans la suite, la destination de ce "grenier" que l'on devrait appeler la "Tour des Suppliciés".


Loin de moi toute idée de remonter aux origines des tragiques épopées des "faux-sauniers", me contentant de fixer approximativement la date à laquelle la Tour Grenetière de Saumur devait servir de refuge provisoire à ces sinistres trafiquants, condamnés aux galères.

On peut la situer vers 1694, car le document le plus ancien que j'aie trouvé, où il soit question de la Tour de Saumur, remonte au 4 février 1695 et émane d'une ordonnance de l'Intendant de Miromesnil au sujet de la nourriture et du traitement des prisonniers ; après quoi celui-ci ajoute :

"... Comme aussi enjoignons audit Pointeau (adjudicataire général des gabelles) ou ses commis, de faire incessamment convertir les fers que les condamnés en la Tour de Saumur ont aux pieds par couple, pour les attacher par le cou, ainsi qu'il est usité à la Tournelle de Paris ..."

En bref, voilà déjà un coin du voile levé sur les tortures des faux-sauniers.

Ces malheureux, pour encourir les condamnations aux galères, devaient être en état de récidive ou faire partie d'une bande de dix contrebandiers en armes. Ceux insolvables, condamnés à une amende, voyaient leurs peines transférées en années de galères.

Dans l'expectative de cette terrible sanction des prisons furent créées où, provenant de plusieurs généralités, ils attendaient dans ces cachots, le passage de la chaîne. Telle serait la destination de la Tour Grenetière : elle demeurera dans l'histoire la plus mortelle des prisons jusqu'à l'abolition de la "gabelle".

A la fin du XVIIIe siècle, en Anjou, on comptait seize "greniers à sel".

Celui de Saumur était de vente volontaire pour la ville et ses faubourgs seulement : il était d'impôt pour les autres paroisses. Chaque paroisse du ressort du grenier d'impôt était obligée de faire enlever la quantité "pour le pot et la salière" à laquelle elle avait été taxée d'après sa population. Cet impôt donnait lieu à une contrebande active réprimée avec vigueur. On comptait de 98 à 100 paroisses environ du ressort du grenier à sel de Saumur.

La contrebande était considérée comme un crime odieux ; il n'y avait aucune pitié pour les faux-sauniers prisonniers ; on les fuyait comme des pestiférés et les objets leur appartenant était eux aussi frappés d'anathème et de l'épithète infamante de "ignobles". Mêle les montures ayant porté du faux-sel, subissaient la vindicte publique ; on écartelait ces pauvres chevaux et leurs membres étaient dispersés aux quatre vents, dans les campagne, pour éviter toute infection.

Extraits des prisons, les contrebandiers étaient, la plupart du temps, dirigés en chaîne sur Marseille, afin de devenir rameurs sur les galères du roi. Mais revenons aux cachots saumurois d'où ils sortaient pour une grande part.

La Tour Grenetière, la plus haute des cinq tours principales défendant l'enceinte de la ville, est semblable d'ailleurs au fameux donjon de Coucy, construit entre 1225 et 1230. Elle a 11 mètres de diamètre minimum intérieurement et 35 mètres environ d'élévation : les murs mesurent quatre mètres d'épaisseur à la base et deux au sommet.

Elle est composée de trois étages, partagés par de solides planchers sur solives de chêne, le tout couronné d'une terrasse reposant sur une voûte. On accède à cette merveilleuse plateforme, au panorama ravissant, par un escalier, enfoui jusqu'au premier étage dans la muraille ; il se continue en ormeau massif.

Chaque étage est doté de latrines encastrées dans l'épaisseur du mur, fermées par des portes en chêne de six centimètres. Les diverses portes des pièces ou chambres sont garnies de verrous et de lourdes barres de fer ; ces deux modes de sûreté ferment à clef, ainsi que le guichet et le judas pourvu d'énormes serrures.

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Les croisées exiguës sont armées de barreaux de fer de trois centimètres de section, ce qui n'empêche pas certains d'avoir été sciés, comme on peut s'en rendre compte, preuves évidentes d'évasion.

La salle du rez-de-chaussée servait de logements au concierge et aux gardiens. Seules trois chambres hautes avaient été transformées en prison ; chacune aérée par une seule ouverture fort étroite, genre meurtrière. Dans celles-ci on voit encore sur les solives du plancher des traces de pieds de faux-sauniers enchaînés et condamnés à demeurer, au même endroit, pendant des semaines et des semaines.

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Tirons ces verrous rouillés ; la serrure énorme grince lugubrement ; la porte tourne sur ses gonds avec un bruit sourd. Reportons-nous, par exemple vers 1710, à cette époque où les faux-sauniers sont légion et où la contrebande bat son plein. Les prisons elles aussi regorgent et en particulier la Tour Grenetière.

Les salles sont presque sombres et un air de moisissure se dégage ; l'humidité pèse sur les épaules. Je ne sais quelle odeur de larmes sous les voûtes, quelle sueur des murs, coulant à larges gouttes, ne vous saisissent à la gorge. Des spectres apparaissent dans une pénombre ; ils semblent se mouvoir, s'agiter ; des bruits de fer retentissent, les chaînes bruissent sur les épais parquets.

Quelques-uns des prisonniers, libérés d'entraves aux pieds, mais attachés par le cou, semblent se pousser, se bousculer et même lutter pour tenter d'approcher des étroites ouvertures ; leurs silhouettes se détachent en clair de la muraille obscure. C'est à qui humera, aspirera l'air bienfaisant, arrivant du dehors plus frais, vivifiant à cette hauteur d'une vingtaine de mètres du sol. Les bouffées en étaient si rares cependant que l'atmosphère se renouvelait difficilement, tant la paille servant de litière était contaminée. D'ailleurs les gardiens la remplaçaient avec parcimonie, d'où une pollution constante par une vermine abondante.

Quoi d'étonnant à ce que les hôtes de la Tour Grenetière n'aient des aspects cadavériques et tombent comme des loques ; la plupart étaient squelettiques, la poitrine constamment haletante ou secouée par des spasmes, des sanglots ou des déchirements. Ils étaient malades ou atteints d'affections contagieuses, dont la plus bénigne n'était autre qu'une gale opiniâtre.

Dans les coins, quelques faux-sauniers gisaient lamentablement, portant des plaies infectées, parfois sanguinolentes, souvent purulentes ; c'étaient de fortes têtes qui, lors de leur entrée en prison, tentèrent de brûler la politesse aux gardiens ; ces derniers avaient tiré à balle sur eux ; ils traînaient leur châtiment.

Si les souffrances ne se comptaient plus dans les lugubres cachots, la mort, elle aussi, clairsemait souvent ces malheureux par trop entassés ; c'était d'ailleurs fatal à chaque recrudescence de faux-sauniers.

Lors d'une grande disette, vers 1709-1710, une contrebande active s'ensuivit et les faux-sauniers surgirent en masse : on dut alors doubler les brigades de gardes ; en conséquence la Tour ne manqua pas d'hôtes. Elle en reçut à un tel point que, le 27 avril 1709, Turgot, l'intendant de la Généralité de Tours, écrivit au Contrôleur général, à la suite de l'internement de 53 faux-sauniers, dans chacune des chambres de la Tour, de Saumur, que "la maladie se mettra dans cette prison si l'envoi de la chaîne est retardé". En effet 14 prisonniers décédèrent : l'année suivante, les trois chambres étant encore plus encombrées, 25 succombèrent.

Hélas, la famine frappait terriblement en l'année 1711 ; la contrebande grandissait au prorata de la carence de biens. Les sanctions s'abattirent sur les faux-sauniers ; les cachots saumurois regorgèrent de captifs ; on en comptait 50 à 60 par chambre. Alors ce fut déplorable ; jugez du spectacle de ces malheureux enfermés et entassés en ces milieux infects ; dans la paille pourrie grouillait une vermine néfaste : la dysenterie, la peste décimaient sans trêve ni merci.

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Quand parfois le geôlier les sortait, les uns ou les autres, sur la plate-forme, ils s'abattaient roides morts, terrassés par l'air vif.

Cependant, en ville, on eut vent des tortures infligées aux faux-sauniers ; l'opinion s'émut et l'autorité ecclésiastique en fut saisie. Alors l'abbé Le Brun, curé de Nantilly et son vicaire, l'abbé Godineau, adressèrent une plainte à Monseigneur Poncet de la Rivière, dont les points essentiels sont les suivants :

1° Ouvrir une autre fenêtre dans chaque chambre pour former un courant d'air ;
2° Ne pas entasser un si grand nombre de prisonniers dans le même local ;
3° Enjoindre au concierge de transporter les moribonds à l'Hôtel-Dieu ;
4° Donner un peu de vin aux malades ;
5° Mettre plus souvent de la paille fraîche.

L'évêque transmit ces doléances au Contrôleur Général des Finances Desmarets, en les appuyant. Les résultats de cette requête furent presque nuls. Les seuls ordres consistèrent pour le concierge de changer la paille et pour le gardien-chef d'attacher les détenus deux à deux par les pieds au lieu du cou.

Aussi pour ces malheureux, le passage de la chaîne était considéré comme une véritable délivrance et ils l'attendaient avec impatience, mais elle n'avait que deux ou trois fois par an.

A ce moment pathétique, quand l'argousin venait chercher les condamnés, on faisait sortir les plus valides, pour partir sans retard, en les marquant alors des lettres infamantes G.A.L., de façon à les reconnaître en cas de fuite ; puis on les ferrait à la chaîne.

Le sinistre cortège traversait la France : mais, sur le passage, les populations s'enfuyaient au lieu de s'apitoyer sur le sort de ces malheureux décavés, loqueteux, méconnaissables, qui souvent mouraient en route.

En 1710, il y eut une telle pléthore de galériens inoccupés qu'on en comptait 200 le 20 mai en notre ville ; on en expédia 150 dans l'île de Saint-Domingue et de ce fait 40 prisonniers furent extraits de la Tour Grenetière.

Au cours de l'année 1714, la chaîne passa quatre fois à Saumur ; quelques mois plus tôt, on eut pu libérer de nos geôles 245 faux-sauniers.

On en prélevait également un petit nombre pour servir dans l'armée ; une fois trois, une autre fois 14 pour en faire des soldats. Mais ces faux-sauniers étaient bientôt repris par leur louche métier et ils désertaient pour recommencer la contrebande et, pis encore, ils entraînaient souvent des camarades dans leurs escapades dangereuses.

Au XVIIIe siècle le faux-saunage fut d'autant plus actif que le prix du sel de gabelle augmentait considérablement ; l'attrait du bénéfice était déterminant.

Le roi Louis XV, après avis du Conseil d'État, décida le 3 juillet 1742, de créer un Tribunal d'exception à Saumur, près de la Tour Grenetière : d'où une commission avec compétence nettement délimitée. (Tels sont les termes du document officiel).

Le premier juge en fut Hériard, installé le 1er août 1743 : il avait les pleins pouvoirs, lui seul rendait les sentences, aucun recours pour en appeler de ses jugements. Aussi la prison préventive de la Tour ne fut jamais plus encombrée qu'au lendemain de cette institution de la Commission de Saumur, qui condamnait aux galères et à l'amende ou à l'amende seule.

L'installation eut pour conséquence d'incarcérer de nombreuses femmes, comme prisonnières préventives, en attendant le jugement ; on pense quelle promiscuité s'instaura alors avec les prévenus de toutes sortes. Il n'y eut, paraît-il, pas de spectacles plus choquants, plus affreux dans cette ambiance nauséabonde décrite plus haut, où les captifs vivaient ignominieusement.

Cependant, ces faux-saunières jouissaient à la Tour Grenetière de quelques faveurs ; en cas de maladie, elles étaient soignées par un médecin : ou bien alors on hâtait la sanction pour en décider sur leur sort. Si le praticien estimait que leur état n'imposait pas un transfert à l'Hôtel-Dieu, alors celles-ci étaient admises à sortir dans une petite cour pavée où elles prenaient l'air et la lumière indispensables à leur débilité.

Les peines afférentes à la conduite des faux-saunières furent : l'amende, le fouet ou le bannissement. C'était relativement bénin à côté des galères ou des années d'incarcération dont nous avons été ici le témoin. Les amendes étaient rarement soldées ; quant à être fustigées, ces femmes s'en moquaient, y étant quasiment endurcies, car les mauvais traitements ne manquaient pas à cette époque. Quant au bannissement ou à l'interdiction de séjour, elles n'en faisaient absolument aucun cas.

Le 21 mars 1790, la gabelle était enfin abolie ; le lendemain, la Tour Grenetière ouvrait toutes grandes ses portes, car il devenait désormais impossible de se livrer à ce rude gagne-pain ...

A regarder placidement l'imposante Tour Grenetière dominant l'agglomération saumuroise, qui songe encore à tant de drames, de souffrances et de morts ? Et pourtant cela exista jadis car ces immenses murs ont étouffé bien des sanglots.

En admirant la haute et massive silhouette, ayons, pour ces vieilles pierres, un peu de gratitude eu égard à la destination bienfaisante qui lui valut son nom, mais aussi beaucoup de pitié et de commisération pour ce "linceul dissimulé" de tant de vies humaines.


A. Girouard - Société des lettres, sciences et arts du Saumurois - 36e année - n° 94 - Juin 1945

 


 

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LES VENDÉENS EMPRISONNÉS A LA TOUR GRENETIÈRE

Il y eut à Saumur, pendant la Terreur, trois maisons de détention, sans compter l'église de Nantilly, qui servit à enfermer les prisonniers vendéens. C'étaient : la prison de la tour Grenetière, celle de Boisayrault et celle de Fay, deux maisons d'émigrés, aménagées dans ce but. On y incarcérait surtout des femmes.

L'ancienne prison, située sous le château, avait été évacuée au commencement de l'année 1791 et les prisonniers avaient été enfermés dans une grosse tour des remparts de la ville, voisine du Grenier à sel (delà son nom de tour Grenetière). La nouvelle prison pouvait contenir une centaine de détenus. Lorsqu'au mois de juillet 1793 la population des maisons d'arrêt augmenta subitement, elle se trouva trop petite. La ville dut louer une maison voisine de la Tour (la maison Bricet dont le propriétaire avait été tué à l'affaire de Vihiers), pour y établir un corps-de-garde. On mit aussi des prisonniers dans la petite tour (rue du Prêche), dans la chapelle, dans le préau que l'on fit couvrir, en un mot partout où il en put tenir.

Une galerie couverte reliait la prison au Tribunal établi dans l'ancien palais de la cour des Aides ; enfin la gendarmerie occupait une maison située entre la rue Paucordier et celle de la Petite-Douve.

Le citoyen Bouchard (1) était chargé du service de la prison de la Tour Il avait trois ou quatre aides. Un poste, commandé par un lieutenant, l'aidait à garder les détenus.

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Quel fut, à un moment donné, le nombre des personnes enfermées dans les trois maisons d'arrêt de Saumur ? Il est difficile de le préciser. Le premier recensement officiel est du 9 germinal an II (29 mars 1794). Il y avait, à cette date, dans la prison de la tour Grenetière, cent trente-trois hommes et cent neuf femmes ou enfants. Celle de Boisayrault contenait douze hommes et dix-neuf femmes ; celle de Fay, dix-sept femmes. Or la Commission militaire exerçait ses fonctions depuis le mois de juillet et avait déjà bien contribué à "dégorger les prisons". Le citoyen Cailleau rendant compte à la Commune d'une visite qu'il avait faite en frimaire, à la Tour, estimait à quatre cents le nombre des détenus de cette seule maison.

Le 12 thermidor, il y avait encore dans cette prison, sans compter les hommes au cachot, vingt et un brigands, quatre-vingt-sept femmes et quatre-vingt-trois militaires. Enfin en frimaire an III, c'est-à-dire cinq mois après la mort de Robespierre, le représentant du peuple Bézard fit mettre d'une seule fois en liberté soixante-seize détenus, dont cinquante-trois femmes.

Il est facile d'imaginer quel pouvait être le régime de ces maisons de détention. Tout simplement effroyable : une botte de paille de dix livres, que l'on changeait tous les quinze jours, pour se coucher ; seize onces de pain par jour et de l'eau pour se nourrir. Dans les chambres où ces malheureux couchaient entassés, ils se roulaient dans leurs ordures. Il n'y avait ni baquets, ni latrines. Ce fut seulement en frimaire, à la suite de la visite faite par Cailleau et David, que le citoyen Meignan, architecte de la ville, reçut l'ordre de faire faire vingt baquets et de faire creuser, dans la cour de la prison, deux trous couverts de madriers pour les vider. Aussi l'odeur qui régnait dans ces charniers était-elle si répugnante que le citoyen Gautier, substitut de l'Agent national, demanda à être dispensé des visites qu'il devait faire dans les prisons, ne pouvant y aller "sans avoir mal au coeur et la fièvre".

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C'est sur ce fumier que de misérables femmes accouchaient ; que des enfants de quatre ans, de deux ans, de quelques mois jouaient. Rongés de gale et de vermine, ils respiraient les miasmes mortels du typhus qui couchait sur leurs lits de paille jusqu'à quarante malades en un seul jour. Il n'était administré aucun remède à ces misérables ; ils n'avaient ni soupe ni bouillon, mais seulement du pain et de l'eau. Les officiers de santé chargés de les visiter ne pouvaient rien obtenir, et le médecin Ydrac, qui cependant n'était pas tendre et ne s'apitoyait pas facilement sur les sort des "brigandes", demandait que du moins les femmes en couche fussent transportées à l'hôpital. Il ne put l'obtenir.

Aussi la mortalité était-elle effrayante. Il y eut à la prison de la Tour jusqu'à onze décès par jour et du 3 juillet 1793 au premier janvier 1794, c'est-à-dire dans l'espace de six mois, on déclara 1.699 décès à la mairie. Les fossoyeurs ne pouvaient suffire ; on enlevait les morts dans des tombereaux et on les enterrait tout nus.

On ne peut accuser la municipalité de ce manque total d'humanité. Le Comité révolutionnaire avait été chargé, par les représentants, de la police des prisons, c'est lui le vrai coupable.

Lorsque la grande Terreur fut passée et que la Commission militaire eut été dissoute, le Conseil de la commune chercha à adoucir le sort des détenus. On donna quelques livres de viande pour faire du bouillon aux malades et on décida qu'ils seraient soignés dans l'hôpital établi dans l'ancien couvent des Ursulines. Les hommes furent placés dans la chapelle ; les femmes dans le réfectoire. Beaucoup de ces dernières nourrissaient ; par ordre de Berthelot, médecin en chef de l'hôpital, leurs enfants leur furent enlevés, le lait de ces malheureuses étant contaminé à la suite de leur séjour dans les prisons. Quant aux enfants plus âgés, le Comité de surveillance ayant reconnu "que la nation ne pouvait avoir d'animadversion pour des prisonniers de cet âge", cent cinquante-trois furent confiés aux soeurs de la Providence.

On fit aussi cesser le scandale de ces enfouissements qui révoltaient les Sans-Culottes eux-mêmes.

Avant la Révolution chaque église avait son cimetière particulier, qui déjà trop rempli à cette époque, fut en peu de temps tellement encombré de cadavres qu'il devint un foyer d'épidémie. La Société populaire adressa, à ce sujet, de vives représentations au Conseil de la commune. "Agissez vite et révolutionnairement, magistrats, lui disait-elle ; il s'agit de la conservation de l'espèce humaine et de l'existence de nos concitoyens". Elle demandait aussi, au nom de l'égalité que tous les morts eussent un cercueil.

L'agent national Mongazon, chargé de trouver un terrain convenable, proposa, pour "Champ du Repos", une pièce de terre située près de la Fuye. Mais, comme il aurait fallu détruire une partie de la redoute de Chaîntre, l'autorité militaire s'y opposa. Enfin une commission, composée du citoyen Cailleau et de deux autres membres, choisit un terrain situé à droite de la route de Doué. Ce terrain appartenait à Valois-Boisbérard. Comme il était émigré, la ville s'empara du champ sans autre formalité. On exigea aussi que le citoyen Thibaut, fossoyeur en chef, agit avec plus de décence. Il dut faire creuser à l'avance six fosses, d'au moins cinq pieds de profondeur et on lui défendit de dépouiller les cadavres de leur linceul et de les enterrer nus, selon son habitude. Enfin on lui enjoignit de se procurer une voiture couverte, peinte des trois couleurs, pour transporter les morts au "Champ du Repos".

La mort n'était pas l'unique moyen d'échapper à l'enfer des maisons d'arrêt ; quelques détenus parvenaient à s'échapper, dans ce cas les geôliers étaient incarcérés à leur place, la loi de brumaire les rendant responsables de leurs prisonniers. La veuve Bouchard, geôlière de la prison de la Tour, en sut quelque chose. A la suite d'une évasion, elle fut arrêtée avec ses trois aides Guitton, Grosbois et Coutard. Elle échappa à grand'peine à la mort, d'autant plus qu'on lui demandait compte de quarante détenus, inscrits sur son registre d'écrou, dont on ne put jamais connaître le sort.

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A la mort de Robespierre, il y eut dans la maison d'arrêt de Saumur, comme du reste dans toutes les prisons de France, une sorte de révolte. Les prisonniers demandaient à être jugés, menaçant de se procurer la liberté de vive force si on ne faisait pas droit à leur demande. Sur les instances de la municipalité, Mandard, officier de police de l'armée de l'Ouest, se transporta à Saumur, et après un interrogatoire sommaire, mit en liberté un grand nombre de détenus. Quelque temps après, la seconde Commission militaire siégea à Saumur, du 5 floréal an III (24 avril 1795) au 3 vendémiaire an IV (25 septembre 1795). Elle jugea 237 détenus. Il n'y eut pas une seule condamnation à mort.


(1) Bouchard mourut du typhus en janvier 1794. Sa femme lui succéda, avec Guitton, ancien huissier de Langeais, comme premier aide. Les concierges des maisons de Boisayrault et de Fay étaient les citoyens Charbonneau et Poitou. Bouchard avait un traitement fixe de 400 fr. par an. Il recevait en outre 2 fr. par jour.

Desmé de Chavigny - Revue Historique de l'Ouest - 1892 (A8)

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Commentaires
N
Très bien. <br /> <br /> Pour les Chouans c'est le souvenir de l'enfermement, de mars 1797 à septembre 1799, de l'extraordinaire Aimé Picquet du Bois Guy. Il s'évada de cette tour en sautant du quatrième étage; il se fracture la rotule du genou droit après une chute d'une quinzaine de mètres, ce qui ne l'empêche pas de rentrer à Fougères.
Répondre
R
Plusieurs Tessouallais y ont séjourné...
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La Maraîchine Normande
  • EN MÉMOIRE DU ROI LOUIS XVI, DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE ET DE LA FAMILLE ROYALE ; EN MÉMOIRE DES BRIGANDS ET DES CHOUANS ; EN MÉMOIRE DES HOMMES, FEMMES, VIEILLARDS, ENFANTS ASSASSINÉS, NOYÉS, GUILLOTINÉS, DÉPORTÉS ET MASSACRÉS ... PAR LA RIPOUBLIFRIC
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