THOUARCÉ - MONTILLIERS (49) - UN LIEUTENANT DE STOFFLET : JEAN CHÂLON (1768-1803)
UN LIEUTENANT DE STOFFLET
JEAN CHÂLON
Jean Châlon naquit, le 17 mars 1768, au village du Ménil, de Thouarcé ; il était fils de Jean Chalon et d'Angélique Bazantay.
Les parents de Châlon possédaient au Ménil une métairie qu'ils faisaient valoir eux-mêmes. Jean était l'aîné de trois frères : Louis, René et Joseph, qui était beaucoup plus jeune ; il avait aussi trois soeurs.
Il reçut une assez bonne instruction, si on en juge d'après l'orthographe et l'écriture des rares écrits qui restent de lui ; puis il aida ses parents dans l'exploitation de leurs terres.
D'après le signalement de plusieurs de ses passeports, il était de haute taille : cinq pieds, cinq pouces.
Les opinions religieuses et politiques de sa famille, qui étaient les siennes, se résumaient en deux mots : Dieu et le Roi !
La révolution de 1789 ne fut pas vue d'abord d'un mauvais oeil par les habitants de la Vendée militaire ; mais bientôt l'Assemblée Constituante décréta la Constitution civile du clergé et exigea des prêtres le serment d'obéissance à cette Constitution, en déclarant, le 27 novembre 1790, que les ecclésiastiques qui n'auraient pas fait le serment sous huit jours seraient considérés comme démissionnaires.
Le curé de Thouarcé, Pierre Godard, et son vicaire Daviau refusèrent de prêter ce serment ; ils furent remplacés, dans le moi de mai 1791, par un intrus, le cordelier Pierre Couronne.
Le 26 août 1792, un nouveau décret condamnait à la déportation les ecclésiastiques non sexagénaires qui avaient refusé le serment : M. Pierre Godard et son vicaire furent déportés en Espagne.
Enfin, le 22 septembre 1792, la Convention Nationale proclamait la déchéance de la royauté et l'avènement de la République, et le 21 janvier 1793, elle mettait le couronnement à son oeuvre en faisant tomber la tête du roi.
"La mort de Louis XVI, l'exil et la proscription des prêtres catholiques avaient semé dans la population toute religieuse de la Vendée une irritation profonde." (De Quatrebarbes)
Le 24 février 1793 fut promulgué le décret de la Convention appelant sous les armes tous les hommes non mariés de dix-huit à quarante ans.
Par son âge (vingt-cinq ans), JEAN CHÂLON se trouvait compris dans ce qu'on appelait alors le tirage de la réquisition. Il ne répugnait pas au métier des armes, la suite des évènements le prouvera, mais il ne voulait pas soutenir un gouvernement qui proscrivait ses prêtres et avait assassiné son roi.
Comme tous les jeunes gens de cette époque, il était un ardent chasseur : "quand on chassait le loup, le sanglier, le cerf, le curé avertissait les paysans au prône : chacun prenait un fusil et se rendait au lieu indiqué." (Mém. de Mme la marquise de la Rochejaquelein). Dans ces rendez-vous les gardes-chasse comme Stofflet apprenaient à connaître et à estimer les plus intelligents et les plus adroits de leurs compagnons. C'est ainsi, sans doute, que débuta l'amitié qui exista entre Stofflet et JEAN CHÂLON. Aussi celui-ci dut être du nombre des jeunes gens qui, le 13 mars 1793, allèrent chercher le garde-chasse pour le mettre à leur tête ; en tout cas, tous les historiens de la Vendée sont d'accord à reconnaître que CHÂLON fut des premiers à se soulever contre la Révolution.
Dès lors, il s'attacha à Stofflet qu'il ne devait plus quitter.
D'Elbée, Cathelineau et Stofflet s'étaient partagé le commandement du Haut-Anjou. "Chemillé et Chanzeaux en faisaient partie", on appelait leurs habitants les grenadiers de la Grande Armée". (de Quatrebarbes). CHÂLON était au nombre de ces grenadiers qu'il devait commander plus tard. Débuta-t-il dans le métier des armes comme simple soldat ou en qualité de chef de paroisse ? "Lorsque le combat commençait, les paysans suivaient d'eux-mêmes les plus intelligents et les plus braves. C'est à ce double titre ..." que JEAN CHÂLON fut regardé comme officier dès le début de la guerre.
Il assista à presque tous les combats de la Grand'Guerre ; malheureusement on ne sait à peu près rien sur son histoire à cette époque, sinon qu'il acquit une réputation de bravoure qui ne se démentit jamais.
Quand Berruyer, chargé du commandement des forces républicaines, avait divisé ses troupes en trois corps d'armée, avec ordre pour chacun d'eux de se diriger par des chemins différents sur Cholet, lui-même s'était mis à la tête de l'une de ces colonnes et s'était avancé vers Chemillé. Dix mille Vendéens, conduits par d'Elbée et Cathelineau, se portèrent de ce côté pour s'opposer à sa marche. CHÂLON, commandant l'avant-garde, avait pris les devants. Avec sa petite troupe, il débouche en avant de Saint-Pierre de Chemillé et aperçoit les Bleus ; trop faible pour les arrêter avant l'arrivée de l'armée vendéenne, il imagine une ruse de guerre qui lui réussit. Il se trouve au pied d'une colline surmontée d'un moulin ; il fait grimper ses hommes sur la colline, les en fait redescendre par un autre sentier, les fait remonter, puis redescendre encore, toujours en tournant. Les Bleus, qui ne voient qu'un défilé ininterrompu de troupes, croient avoir affaire à une force imposante qu'ils n'osent attaquer. Pendant ce temps, l'armée vendéenne est arrivée et s'est fortifiée dans le bourg de Saint-Pierre. La bataille eut lieu ce jour-là (11 avril 1793) ; ce fut la première bataille rangée de la Grand'Guerre, et les paysans la désignèrent sous le nom de Grand Choc de Chemillé.
JEAN CHÂLON prit part, le 29 juin suivant, à l'attaque de Nantes, où son frère Louis fut tué à ses côtés, aux approches de la place Viarmes (et non fusillé à Savenay, comme le dit l'abbé Deniau qui le confond avec Louis Châton, de Savenay).
Quand Bonchamps, Talmont et la majorité des chefs vendéens eurent décidé de passer la Loire pour tendre la main aux Chouans de Bretagne, Stofflet et La Rochejaquelein arrivèrent à Saint-Florent trop tard pour empêcher cet exode. Ils essaient du moins de mettre un peu d'ordre dans cette cohue : JEAN CHÂLON est plus spécialement chargé de veiller aux embarquements ; cet officier, esclave du devoir, reste pendant plus de vingt-quatre heures sur la grève, les vêtements trempés, dans l'eau jusqu'à la ceinture, et ne prend place que dans la dernière barque, aux côtés de Stofflet et de La Rochejaquelein.
Toujours suivant Stofflet, JEAN CHÂLON fait toute la campagne d'outre-Loire.
Il fait partie de cette troupe d'élite, composée de "combattants auxquels il ne manquait du soldat que l'habit" (Beaupuy) toujours prêts à marcher de l'avant et à se porter là où le danger était le plus grand.
Au dire de Beauchamp, la bravoure de CHÂLON est telle qu'il sait se faire distinguer au milieu de tant de héros, ce qui lui valut plus tard d'être choisi par Stofflet pour un de ses divisionnaires.
Après la déroute du Mans, Stofflet et La Rochejaquelein, parvenus à Ancenis avec les débris de leurs troupes, essaient de traverser la Loire. Ils y arrivent à grand'peine ; cinq cents hommes passent avec eux, mais beaucoup sont tués ou noyés par le tir des barques canonnières.
Parvenus enfin sur la rive gauche, officiers et soldats se dispersent ; ils sont trop faibles pour attaquer les républicains qui occupent tout le Haut-Anjou.
CHÂLON a dû suivre Stofflet qui se cache dans la forêt de Vezins.
Mais ce général ne peut rester plus longtemps dans l'inaction. Dès les premiers jours de janvier 1794, il se met en campagne à la tête de quelques centaines d'hommes que rien n'a pu décourager : "Vive le Roi quand même !" tel est leur cri de guerre.
Ce n'est plus qu'une guerre d'escarmouche : "la petite guerre", comme on l'a appelée. "Si elle est moins importante, en effet, par la masse des combattants, l'énergie des dévouements et la beauté des faits d'armes n'en sont que plus surprenants." (Ed. Stofflet)
Stofflet, après avoir pris Cholet, est battu à Beaupréau. Il se dirige de Clisson vers Cerisais. De Cerisais, il marche, le 24 février, sur Bressuire dont il bat et met en fuite la garnison, et où il séjourne quarante-huit heures. Le 26 février, il arrive à Argenton-Château. "Cette ville a une petite muraille ancienne qui l'entoure avec deux portes de ville et un petit château". Les Bleus, au nombre de deux mille quatre cents, "sortirent de la ville et se mirent en bataille le long des murs, leur droite touchait la porte de ville de la route de Bressuire, un autre corps était sur notre droite, au bas de la porte de ville de la route de Thouars, de sorte qu'ils ne craignaient pas qu'on entrât par l'une ou l'autre porte. Ils ne se crurent pas en sûreté dans la ville, ni même dans le château, où ils ne pouvaient avoir aucune facilité de se bien défendre.
Le général disposa l'armée au combat : notre aile gauche devait attaquer leur droite, et notre droite leur gauche. Le centre fut commandé par le général. J'étais alors à ses côtés, il voulut me faire rester avec lui au centre, puisque ma division en faisait partie. Ce fut le brave CHÂLON qui commanda la gauche, et Richard, de Cerizay, la droite. L'ordre était que le centre devait attaquer le premier. Il vint sur nous, au grand galop, un escadron de cavalerie, qui fut bientôt obligé de s'en retourner avec perte, la plaine était nouvellement labourée, si bien que les chevaux entraient jusqu'au jarret dans la terre. C'en fut assez de ce signal. Nos soldats, après avoir essuyé un feu bien nourri de la part des Bleus, commencèrent à tirer, et bientôt les bleus furent enfoncés et rentrèrent dans la ville ; leur droite fut également enfoncée. Les uns rentrèrent dans la ville, les autres se sauvèrent sur la route de Thouars, de sorte que pas un ne se sauva dans la ville. Tous furent passés au fil de l'épée : on ne se servit pas de cartouches, mais seulement de la baïonnette et du sabre. On trouva l'église remplie de grains. Tous les habitants des environs d'Argenton, qui avaient perdu leurs grains, vinrent avec des charrettes pour les ramener chez eux. Il fallut deux jours pour la vider. On démolit les murs du château, on le brûla même. (Mémoires sur la Guerre de la Vendée, par Louis Monnier).
L'armée vendéenne regagna la forêt de Vezins et battit Lusignan à plusieurs reprises. Turreau fut obligé d'évacuer Cholet, que Stofflet fit incendier.
Turreau, dans son rapport à la Convention, en date du 25 mars 1794, ne peut s'empêcher de rendre hommage aux brigands. "Ils se battent, dit-il, sur les ruines de leurs chaumières, comme d'autres ne se battraient pas pour préserver les leurs, si elles étaient debout. Il y a quelque chose de surnaturel dans cette opiniâtreté, dont jamais aucun peuple n'avait donné l'exemple."
Dans les premiers jours d'avril, JEAN CHÂLON eut une algarade avec la fameuse Renée Bordereau, dite Langevin ; celle-ci rapporte cette scène tragi-comique dans ses Mémoires.
"Les soldats vendéens avaient poussé une reconnaissance jusqu'à Martigné, où ils s'étaient emparés de deux cents bêtes à cornes, dont ils avaient confié la garde à JEAN CHALON. Mais les républicains les poursuivent. Dans le désordre qui en résulte, quatre vaches s'échappent. Renée Bordereau parvient à les reprendre. Quand les bleus se furent enfin retirés, Chalon vint réclamer à Langevin les vaches qui lui manquaient. Celle-ci le reçut de la belle manière. "J'allais à lui, dit-elle, avec mon sabre et mes deux pistolets, je lui dis que les vaches étaient à moi, puisque je les avais prises à l'ennemi, et que s'il voulait les ravoir, il fallait les gagner tout de suite en se battant contre moi : aussitôt il me les a abandonnées."
Les débris de la Grande Armée, qui étaient parvenus à passer la Loire, les nouveaux soldats que le bruit des nombreux succès remportés par Stofflet avait fait se lever dans le Bocage, finirent par former une troupe assez nombreuse pour que ce général s'occupât de l'organiser militairement.
Après la mort de la Rochejaquelein, il s'était fait reconnaître comme seul général en chef de l'armée de l'Anjou et du Haut-Poitou. Il nomme son état-major et partage le pays conquis en huit divisions : quatre appartenant à l'Anjou : Cholet, Beaupréau, Chemillé et Montfaucon ou Saint-Macaire ; trois au Poitou : les Aubiers ou Châtillon, Argenton et Cerizay ; une au pays nantais : le Loroux-Bottereau.
A la tête de chaque division il place un officier supérieur qui porte le nom de Divisionnaire : les paysans les appelèrent leurs généraux ; mais plus tard, à la Restauration, lors de la révision des grades, ils furent assimilés aux Colonels. "Il choisit ses commandants divisionnaires parmi les plus vaillants officiers, parmi les Vendéens qui s'étaient jetés les premiers dans la guerre et persévéraient dans leur dévouement avec autant d'intrépidité que d'abnégation."
Chaque division eut, son numéro d'ordre :
La première division : Montfaucon, eut pour chef Monnier.
La deuxième division : Cerisay, eut pour chef Richard.
La troisième division : Le Loroux, eut pour chef Prud'homme.
La quatrième division : Argenton, eut pour chef Guichard.
La cinquième division : Cholet, eut pour chef Nicolas.
La sixième division : Les Aubiers, eut pour chef Renou.
La septième division : Beaupréau, eut pour chef Lhuillier.
La huitième division : Chemillé, eut pour chef CHÂLON.
Chacune de ces divisions représentait un nombre variable de combattants :
Monnier avait sous ses ordres environ 2.000 hommes.
Richard avait sous ses ordres environ 5.000 hommes.
Prud'homme avait sous ses ordres environ 5.000 hommes.
Guichard avait sous ses ordres environ 1.000 hommes
Nicolas avait sous ses ordres environ 3.200 hommes.
Renou avait sous ses ordres environ 1.500 hommes.
Lhuillier avait sous ses ordres environ 3.800 hommes.
CHALON avait sous ses ordres environ 4.500 hommes.
Soit en tout environ 26.000 hommes "dont les deux tiers armés de fusils de divers calibres ; mais ce chiffre était une pure fiction : à cette époque de la guerre les rassemblements ne dépassaient pas six à huit mille hommes, les jours où toutes les troupes étaient convoquées pour d'importantes expéditions".
D'après l'état de l'organisation des troupes catholiques et royales dressé par le prince de la Trémouille en 1815, la division de Chemillé comprenait, en outre de son chef-lieu, le territoire de quatorze paroisses : Chanzeaux, Gonnord, Melay, Vihiers, Chaudefonds, Neuvy, Sainte-Christine, Saint-Pierre de Chemillé, Joué, Cossé, Saint-Georges-du-Puy-de-la-Garde, la Salle près Vihiers, Trémentines, La Tour-Landry.
Les renseignements fournis plus tard par un traître aux généraux ennemis nous apprennent que la division de Chemillé, commandée par CHÂLON, était forte de quatre mille cinq cents hommes ; un tiers armé de fusils de munition, un tiers de fusils de chasse, le surplus de piques et de bâtons ; plus douze dragons, trente cavaliers, cinquante chasseurs à pied. "Le chef divisionnaire avait son état-major particulier, composé d'un commandant, d'un lieutenant, d'un major avec son aide, de deux chirurgiens, d'un aumônier, d'un secrétaire, d'un trésorier et d'un commissaire chargé du recensement des hommes, des munitions et des armes."
CHÂLON choisit pour ses lieutenants Lecomte qui figure comme major de la division de Chemillé en 1815, et l'intrépide Legeay (de Chanzeaux).
Le commandant de division était à cheval ; il n'avait pas de costume spécial : comme signe distinctif il portait sous l'habit ou veste une ceinture blanche attachée d'un noeud blanc ; il avait son drapeau qui portait le nom et le numéro de la division.
Quand le général voulait réunir ses troupes, il en prévenait ses chefs de division par un billet dit "billet de convocation" : voici la copie de l'un d'eux envoyé par Stofflet à CHÂLON :
"Stofflet à M. Chalon, chef de division, à Chanzeaux. Vive le Roi ! Aussitôt la présente reçue, Monsieur, vous ferez votre rassemblement en l'ordonnant pour le bourg de Névy. Je ne doute nullement qu'avec votre zèle et votre célérité vous ne remportiez une victoire complète sur les ennemis de votre religion et de votre roi. J suis, en attendant de vous la plus grande diligence, Monsieur, votre affectionné serviteur.
STOFFLET."
Dans les temps où Stofflet organisait son armée, "tous les chefs de l'Anjou et du Poitou (même ceux de division, au dire de Beauchamp), encore à la tête de quarante mille hommes, sentant la nécessité de s'entendre pour résister à la République, se réunirent à Jallais et se promirent d'agir de concert pour délivrer le pays de la présence des Bleus. Un engagement solennel, signé de Stofflet, Charette, Marigny et Sapinaud, établissait la peine de mort contre celui d'entre eux qui manquerait à sa parole."
"On voulut qu'un serment solennel vint cimenter la foi que l'on s'était engagé les uns aux autres. C'est au milieu des ruines incendiées de la chapelle du château de la Boulaye que ce serment se fit, plusieurs de nous tirant le sabre haut comme pour prendre à témoin le reste des voûtes de ce lieu sacré." (Mémoires de P. Beauvais, p. 287)
Or, quelques jours après, Marigny ayant abandonné ses alliés, le conseil militaire le condamna à mort et Stofflet se chargea de mettre la sentence à exécution.
JEAN CHALON qui trouve ce jugement empreint d'une extrême rigueur, qui se souvient des hauts faits de Marigny et des services qu'il a rendus à la bonne cause, se joint à deux autres amis communs de Stofflet, MM. Soyer et Martin-Baudinière, pour lui représenter que Marigny n'est condamné que par contumace et le supplier de surseoir au châtiment. Stofflet le leur promet. Mais, deux mois après, Marigny, surpris par Stofflet à la Girardière, fut exécuté le jour même par ses chasseurs.
Il y eut à cette époque interruption dans les opérations militaires.
Stofflet se tient à Maulévrier ; de concert avec ses conseils, il continue d'administrer le pays qu'il occupe. Le 23 août, il fait une proclamation sur les secours à accorder aux veuves et aux orphelins des soldats de l'armée catholique et royale morts dans les combats ou qui ont passé la Loire, aux blessés hors d'état de gagner leur vie, ainsi qu'aux femmes et enfants qui se trouvent sans ressources pendant que leurs pères et maris sont à l'armée. Cette proclamation est signée de treize officiers parmi lesquels JEAN CHÂLON.
Dans les mêmes temps, Stofflet fait quelques démonstrations militaires entre Thouars et Concourson, du côté de Thouarcé et contre Passavent.
Au mois d'octobre, il crée son papier monnaie.
Charette regarde ces expéditions et cette émission de billets comme contraires aux clauses du traité de Jallais, où les chefs s'étaient engagés à ne rien entreprendre sans entente préalable et sans le concours des armées réunies. Le chef du Bas-Poitou réunit son conseil à Beaurepaire et lui fait signer un arrêté : "prononçant l'annulation des arrêtés de Jallais, l'abrogation du serment prêté à cette occasion, la suppression de tout papier monnaie et des qualités indues prises par Stofflet."
Stofflet reçoit copie de cette délibération, en même temps que chacun de ses divisionnaires ; le Conseil réuni à Beaurepaire prescrivait en effet, "le remplacement de chaque commandant de division par M. un tel, avec ordre, pour chacun, de se retirer hors des armées royales de la Vendée". (Mém. de Monnier)
Le 7 décembre, Stofflet proteste de Jallais contre ces étranges prétentions, et le lendemain tout son conseil joint ses protestations aux siennes.
Charette en voulait surtout à Stofflet de ne pas s'être rendu à Beaurepaire où il l'avait convoqué pour lui demander des explications sur sa conduite : Stofflet se préparait à s'y rendre quand ses courriers vinrent lui annoncer que "les républicains en foule étaient prêts à passer le Layon" ; il dut rester pour organiser la défense de cette frontière.
La Convention avait décrété, le 2 décembre, que "toutes les personnes connues dans l'ouest sous le nom de rebelles qui déposeraient les armes dans le délai d'un mois ne seraient ni inquiétées, ni recherchées pour le fait de révolte".
Les rebelles se tinrent bravement sous les armes.
Pendant cette trêve "l'ennemi ne passe pas le Layon, il se contente d'y laisser un poste qui y est resté tout l'hiver, malgré la rigueur extrême dont il fut cette année. Cette mesure oblige Stofflet d'y laisser des postes nombreux pour empêcher l'ennemi de passer sur la glace". Les républicains souffraient beaucoup du froid, tandis que les Vendéens ne manquaient de rien, et ceux-ci "faisaient passer aux autres du pain, du vin pour des cartouches".
La trêve d'un mois était expirée et "cette tranquillité continuait toujours. Le chef de la division de Chemillé voulut en profiter pour prendre le camp ennemi par derrière : le 6 janvier 1795, il se met en marche pendant la nuit avec un gros détachement et pénètre par les derrières assez avant de l'autre côté de la rivière et s'approche de Beaulieu ; mais sa marche ne put être si secrète que les Républicains n'en eussent eu vent. Après un très léger succès, ils lui tombèrent sur le corps, lui tuèrent environ deux cents hommes et il eut bien de la peine à s'échapper. Ce fut la dernière opération de la guerre ..." (Précis historique de Gibert)
La République, mettant d'autre part à profit la désunion et la rivalité des chefs vendéens, leur fait des propositions de paix.
Stofflet les repousse énergiquement et, dans une proclamation datée du 28 janvier, il donne les motifs de son refus : "Français égarés, dit-il, vous annoncez des paroles de paix ! ce voeu est celui de nos coeurs. Mais de quel droit nous offrez-vous un pardon qu'il n'appartient qu'à vous de demander ? Teints du sang de nos rois, souillés par le massacre d'un million de victimes, par l'incendie et la dévastation de nos propriétés, quels sont vos titres pour inspirer la confiance et la sécurité ! ...
Si, néanmoins, vos voeux étaient sincères, si vos coeurs tendaient vers la paix, nous vous dirions : Rendez à l'héritier de nos rois son sceptre et sa couronne, à la religion son culte et ses ministres, à la noblesse ses biens et son éclat, au royaume entier son antique et respectable constitution ... Alors oubliant vos torts, nous volerions dans vos bras ... Mais sans ces conditions préalables acceptées, nous mépriserons une amitié que le crime ne doit jamais offrir à la vertu ...
Aidés de nos fidèles et généreux soldats, nous combattrons jusqu'à la mort et vous ne règnerez que sur la tombe du dernier d'entre nous.
(Maulévrier, le 28 janvier 1795, l'an IIIe du règne de Louis XVII.)
Stofflet, général en chef, Bérard, Trottouin, Guichard, Nicolas, Renou, Lhuillier, Chalon, Martin, Cadi, Gibert, secrétaire général."
Cependant des conférences sont ouvertes à la Jaunaye entre les généraux républicains et les chefs vendéens. Le 17 février, Charette signe la paix sans attendre Stofflet. Celui-ci arrive sur les entrefaites : ses officiers, comme lui-même, irrités par la conduite de Charette, indignés de voir qu'on renonce à la lutte avant d'avoir épuisé jusqu'aux dernières ressources, ne veulent à aucun prix reconnaître un gouvernement qu'ils abhorrent et dans lequel ils n'ont aucune confiance ; ils s'en retournent avec leur général, aux cris mille fois répétés : Le roi ou la mort ! Pourtant, tous ne lui furent pas fidèles, plusieurs avaient déjà signé le traité de paix, en particulier Prodhomme et les deux frères Gogué. Quelques jours plus tard, le 26 février, Trottouin, major général, de la Ville-Baugé, les trois frères Martin, Gibert, secrétaire général du 9e conseil, Renou donnèrent également leur signature, bien que plusieurs d'entre eux eussent approuvé la proclamation que Stofflet avait lancée de Maulévrier.
Le 22 février, Trottouin avait écrit à Stofflet pour l'engager à accepter les avances des Bleus ; il lui montrait les bienfaits que la République répandait sur ceux qui la reconnaissent ; qu'importe, disait-il, la source d'où vient tant de biens ? Quels sont vos moyens pour résister ?
Stofflet réunit son conseil militaire le 24 février (CHÂLON absent y est remplacé par son lieutenant Lecomte) et fait voter l'impression et l'affichage d'une proclamation dont voici les conclusions : "On vous offre la paix ! à quelles conditions ? On vous demande d'arracher de vos coeurs l'amour du roi ! Quel déshonneur ! On rétablit la liberté du culte, mais à vos frais et en interdisant toute manifestation extérieure : quelle impiété ?"
Malgré toutes les avances de la République, les officiers restés fidèles, au nombre de cinquante-trois, loin de se laisser séduire, se réunissent à Jallais autour de leur général et, le 2 mars 1795, l'an III du règne de Louis XVII, prennent au nom du Roi un arrêté qui qualifie la conduite de Charette et des chefs du Centre de lâche abandon, de réunion aux ennemis de l'État, et décrètent des peines contre les transfuges.
Le divisionnaire du Loroux, Julien Prod'homme, qui avait donné l'exemple de la désobéissance et aggravé sa faute en entraînant sa troupe pour la placer sous un autre commandement, fut traduit devant le conseil de guerre et condamné à mort.
Voici la copie de l'arrêté :
Au nom du Roi.
Jugement du conseil militaire des armées catholiques et royales qui condamne le nommé Julien Prod'homme, ci-devant chef de la division du Loroux, à la résidence du fief Sauvin, a être fusillé jusqu'à ce que la mort s'en suive, pour crime de trahison.
Le conseil militaire des armées catholiques et royales de la Vendée, sur les conclusions de M. Barbot, faisant fonctions de major général, a condamné le nommé Julien Prod'homme, ci-devant chef de la division du Loroux, à la résidence du fief Sauvin, à être fusillé jusqu'à ce que la mort s'ensuive, étant atteint et convaincu d'avoir semé la dissension dans les trois armées, d'avoir dilapidé les finances, changé des bons royaux en assignats républicains, d'avoir discrédité les mêmes bons, de n'avoir soldé que deux mois et demi ses soldats, d'avoir refusé le service militaire et de faire marcher ses soldats aux postes du Layon, d'avoir cherché à débaucher ses officiers et ses soldats pour passer au service de la République ; enfin d'avoir abandonné le parti royaliste pour passer dans celui de la dite République ; MM. de Céris, Richard, de Beauvais, Forestier, Launais, Vallois et de Jousselin, n'ayant prononcé que sur ce dernier chef, déclarant ne pouvoir connaître des autres ; et a arrêté que le présent jugement sera lu, publié et affiché partout où besoin sera.
Fait en conseil militaire, à Maulévrier, le 12 mars 1795, l'an IIIe du règne de Louis XVII."
La minute est signée : Stofflet, de Rostaing, de Jousselin, Forestier, Dubouet, le chevalier de Céris, J. Chalon, Vannier, Launay, Pahierne, Bondu, Valois, Nicolas, Cesbron, Richard, de Beauvais, Barbot et Barré, secrétaire général ...
Comme on le voit, JEAN CHÂLON, qui s'était interposé pour empêcher l'exécution de Marigny, est un des signataires de la sentence qui condamne Prod'homme et il ne fait rien, cette fois, pour soustraire le coupable au châtiment. Marigny, général en chef, était jusqu'à un certain point maître de ses actes et, en tout cas, n'était pas passé avec armes et bagages à la République ; Prod'homme au contraire, simple divisionnaire, trahissait à la fois tous ses serments.
Les soldats chargés de l'exécution du coupable le massacrèrent à coups de sabres.
Après la mort de Prod'homme, le conseil militaire de nouveau réuni à Maulévrier et auquel prend encore part JEAN CHÂLON, signe une proclamation pour rappeler "les soldats et habitants du Loroux au champ d'honneur" sous la conduite du successeur du traître qui venait de subir la peine méritée par son crime.
Les troupes républicaines, qui ne sont plus distraites par les armées de Sapinaud et de Charette, se concentrent autour de Stofflet, qui est seul à leur résister.
Une colonne ennemie passe de Layon à Chalonnes et campe sur la hauteur proche de Saint-Laurent. Le 18 mars, les divisions de Chemillé et de Beaupréau sont prêtes à leur livrer bataille ; malheureusement en l'absence de Stofflet, resté en observation à Coron également menacé par les Bleus, quelques chefs hésitent sous prétexte que les cartouches manquent.
JEAN CHÂLON s'écrie qu'il faut quand même marcher de l'avant, que seule sa division de Chemillé est suffisante pour vaincre : "il avait, comme on le voit, l'honneur de commander à des gens braves, étant lui-même un des plus valeureux de l'armée.
Ceux qui avaient fait leur soumission à la République tenaient un autre langage, assurant qu'ils ne pourraient mener au feu leurs soldats avec aussi peu de coups à tirer.
Devant cette hésitation, CHÂLON se met en mouvement avec son monde, tous les officiers bien intentionnés le suivent, ainsi que les plus braves des divisions ... mais nos forces étaient au moins diminuées d'un quart par l'absention de ceux qui ne marchèrent pas.
N'ayant aucun ensemble, la tête de l'armée arrive à l'ennemi sans ordre, et la colonne, coupée par intervalles, tenait plus de trois quarts de lieue lorsque la charge commença. Si nos soldats n'étaient pas nombreux, ils allaient au combat avec énergie, de sorte que les républicains furent attaqués avec une vigueur qu'il serait difficile d'exprimer ; aussi ils ne tinrent pas longtemps et furent battus de tous côtés." (Mém. de Poirier de Beauvais)
Le 9 avril est signalé par l'héroïque défense de Chanzeaux, le 21 par une attaque victorieuse de Chalonnes par Cadi.
La Convention, impressionnée par ces glorieux faits d'armes, offre encore la paix.
Bérard, commandant en second, de Rostaing, chef de cavalerie, Legeay, capitaine, Désormeaux, médecin, abandonnent à leur tour leur général en chef.
Ces défections découragent les paysans. Pour comble de malheur, le commandant Mathelin découvre dans la forêt de Vezins et détruit l'arsenal, les magasins et l'hôpital de l'armée du Haut-Anjou. "A la nouvelle du désastre, Stofflet courba la tête sous le poids de la douleur et de l'impérieuse nécessité, il conclut un armistice avec le général Humbert." (Ed. Stofflet)
Le 2 mai, accompagné des divisions de Montfaucon, de Beaupréau, du Fief-Sauvin et de Champtoceaux, en tout huit mille hommes, le général se rend à Saint-Florent pour traiter avec les représentants de la République. "A l'issue de la conférence, les officiers de Stofflet et les représentants passèrent la Loire et allèrent ensemble dîner à Varades." C'est là que fut signé le traité de paix. JEAN CHÂLON ne figure pas au nombre des dix-neuf signataires de la convention ; il était sans doute retenu à la tête de sa division qui n'avait pas été convoquée à Saint-Florent par le général en chef. Mais il arrive à temps pour adhérer à la déclaration des chefs de l'armée de l'Anjou et du Haut-Poitou expliquant les motifs qui les ont décidés à souscrire à la pacification :
"Nous, général en chef et officiers de l'armée royale de l'Anjou et du Haut-Poitou, déclarons qu'animés du désir de la paix, nous n'en avons retardé la conclusion jusqu'à ce jour que pour consulter les voeux du peuple dont les intérêts nous étaient confiés, et celui des chefs de l'armée catholique et royale de Bretagne. Aujourd'hui que ce voeu est prononcé ... nous adhérons aux mesures prises par les représentants pour la pacification des départements insurgés, en nous soumettant aux lois de la République française une et indivisible, et promettant de ne jamais porter les armes contre elle et de remettre dans le plus court délai notre artillerie.
Puisse cette démarche de notre part éteindre le flambeau des discordes civiles, et montrer aux nations étrangères que la France n'offre plus qu'un peuple de frères, comme nous désirons qu'elles ne forment bientôt avec elles qu'une société d'amis ! Nous invitons les représentants du peuple, qui ont concouru à la pacification, à se transporter à la Convention Nationale, pour y exprimer la sincérité de nos voeux et détruire les soupçons qu'éleveront les malveillants sur la loyauté de nos intentions.
Signé : Stofflet, de Beauvais, Launais, Cesbron, Michelin, Marné, J. Chalon, Barré, secrétaire général, pour adhésion, Bernier."
Ce ne fut pas de gaîté de coeur que CHÂLON dut signer une telle proclamation.
"C'est en enrageant, dit M. de Beauvais, que chacun de nous se vit forcé de souscrire à cette détermination (de faire la paix), mais aussi pas un qui ne dit : je le fais forcément, mais je respecterai ma signature aussi longtemps que la République respectera ses promesses."
Les républicains devaient manquer les premiers à leurs engagements ; aussi Stofflet, Sapinaud et Scépeaux décidèrent, dans les derniers jours du mois de juin, que Scépeaux, muni d'un passe-port des représentants, se rendrait à Paris accompagné d'Amédée de Béjarry et remettrait au Comité de salut public une pétition signée à la Morousière, le 21 juin, par les membres du conseil de l'armée : Bernier, Barré, Scépeaux, Fleuriot, Sapinaud, Béjarry, Brix, Bossard aîné (Alphonse), Stofflet, Jean Chalon, Lhuillier, Nicolas, Cady, Cesbron.
Voici les principaux griefs relevés par les signataires, et les réponses aux accusations portées contre eux :
"On n'a réalisé aucune des promesses faites à l'époque de la pacification ; - on a dissipé les rassemblements ; - les Vendéens n'ont conservé que quelques cavaliers ; - les assassinats ont été commis à la suite de rixes et non pas par des soldats vendéens ; - les Vendéens ont sans cesse trouvé des obstacles dans leurs relations avec les républicains ; - les autorités constituées sont composées de terroristes ; - on n'a pas fait évacuer le pays par les troupes républicaines selon les promesses faites ; on a enlevé aux Vendéens leurs subsistances sans les payer ; - on a arrêté quelques Vendéens, en particulier Allard."
Le 14 août, le Comité de Salut public répondit qu'il était prêt à accorder aux réclamants les satisfactions qu'ils demandaient.
C'est en vain que le 4 mai précédent le Conseil de l'armée de l'Anjou et du Haut-Poitou, dans une proclamation rédigée à Neuvy et signée de Stofflet, de J. CHÂLON et vingt-deux autres officiers, avait annoncé que grâce à la paix, la Vendée avait enfin reconquis sa liberté de conscience, qu'on devait avoir confiance dans l'avenir et oublier les haines passées.
Comme on le voit par les plaintes émises moins de deux mois plus tard, la pacification n'était qu'apparente ; une hostilité sourde n'avait cessé de régner entre royalistes et républicains. Aussi, sous prétexte de manquement réciproque aux promesses échangées, les hostilités ne tardèrent pas à renaître.
D'ailleurs, les Vendéens, au dire de Canclaux, n'aimaient pas plus la République qu'avant la paix ; d'un autre côté les excitations de l'agence royale, le désir des émigrés, les voeux du comte d'Artois les incitèrent à reprendre les armes.
Malheureusement la division n'allait pas tarder à se mettre entre les chefs et les soldats de l'armée de Stofflet : "une paix d'une année avait détruit l'esprit guerrier dans l'Anjou. Le paysan voulait le repos, et les officiers, presque tous mécontents de Stofflet, paraissant peu disposés à le seconder avec zèle, le chef ombrageux semblait donner alors la préférence aux émigrés." (Beauchamp)
"Le luxe et la morgue des seigneurs, qui non seulement paraissaient aux fêtes de la Morousière et au Lavoir, mais encore prenaient part aux délibérations du conseil militaire de l'armée de l'Anjou et du Haut-Poitou, causèrent le plus vif mécontentement parmi les chefs des paysans attachés à Stofflet : Cady, Nicolas, Chalon, Chetou, Soyer, Fougeray, Forestier et autres." (Chassin, t. II, p. 149)
C'est alors que Charles adresse à Stofflet la lettre suivante :
"Général,
On n'appelle plus au Conseil aujourd'hui que des émigrés, des gens qui n'ont jamais fait le coup de fusil en Vendée et on ne fait aucune part de ce qui s'y traite aux chefs de division et aux braves et intrépides officiers qui ont cent fois fait le coup de feu contre les patriotes ...
A la tête de ce nouveau Conseil, on ne voit plus que des émigrés, des hommes qui, à la vérité, peuvent avoir du mérite, on ne le conteste pas ; mais pourquoi affecte-t-on de placer à la fin de ces prétendus signataires les Cady, les Nicolas, les Chalon, Forestier, Cetreton, Soyer, Fougeray ? Où sont les grades ? Sont-ce les officiers qui signent aujourd'hui au nom du Conseil qui ont défait les Bleus à Châtillon, à Coron, à Vihiers, à Dol, à Pontorson, à Gesté, à Chaudron, à Saint-Pierre de Chemillé ?
... Votre très soumis,
CHARLES.
10 décembre 1795."
Qui était ce Charles ? on n'en sait rien. Chassin, dans une note, dit que Charles n'était probablement autre que CHÂLON ; nous ne savons sur quoi se base cette hypothèse.
Cette jalousie des chefs, légitime jusqu'à un certain point, suffit bien à expliquer leur irritation. Beauchamp en trouve un autre motif : "Le mécontentement, la jalousie des anciens chefs, dit-il, tenaient à leur avarice et à leur cupidité. La plupart, qui percevaient les revenus ecclésiastiques et ceux des émigrés, ne voyaient revenir ces derniers qu'avec inquiétude ; ils craignaient aussi d'être remplacés dans le commandement de leur division (Beauchamp, III, p. 536)
Sur quoi Beauchamp s'appuie-t-il pour accuser sans preuve les chefs vendéens d'une pareille turpitude ? Il se contente d'affirmer, sans fournir aucun document à l'appui de ce qu'il avance. Il aurait bien fait de nous donner les noms des chefs de division qui, en dehors de ceux qui s'étaient vendus à la République pour une somme d'argent, se sont trouvés à la paix plus riches qu'au moment où ils avaient pris les armes ! Il n'eût pu à coup sûr nous citer JEAN CHÂLON ! Que celui-ci soit l'auteur de la lettre signée Charles et qu'il ait eu la crainte justifiée de se voir remplacé dans son commandement par quelques noble dont le seul mérite fût d'être gentilhomme, la chose est fort possible, mais de là à l'accuser d'avarice et de cupidité il y a loin ; nous verrons plus tard que la guerre, au lieu d'être pour lui une source de richesse, fut au contraire une cause de ruine.
Malgré les griefs qu'il avait contre les Bleus et les incitations qui lui venaient de toutes parts, Stofflet, reconcilié enfin avec Charette, demeurait fidèle à la parole donnée et refusait de reprendre les armes, mais il faisait dire au comte d'Artois que fidèle à ses sympathies royalistes et à son devoir de soldat, il ferait acte d'obéissance si le lieutenant général du royaume lui donnait l'ordre formel de courir aux armes.
Vers la fin de janvier 1796, un messager royal, le chevalier de Colbert, frère du seigneur de Maulévrier, arriva de Londres, apportant à Stofflet la croix de Saint-Louis, le brevet de lieutenant général et l'ordre formel de se placer à la tête de ses troupes et d'attaquer l'ennemi. Stofflet, qui reçut cet ordre à la Morousière, s'inclina et dut obéir. Il dit à ses officiers : "Mes amis, nous marchons à l'échafaud, mais vive le roi quand même !"
L'abbé Bernier est d'avis de marcher de l'avant sans plus tarder : "Je vous observerai, écrit-il à Stofflet, qu'en gardant la défensive, nous fatiguerons nos gardes, nous montrerons de la faiblesse et qu'on croira que nous ne pouvons faire des rassemblements. Observez en outre que les ruisseaux grossis séparent de nous plusieurs paroisses très bonnes ; je crois que vous pourriez, ces ruisseaux étant actuellement diminués, mander, en faisant signer les convocations par M. Cady, les paroisses de Chaudefonds, Saint-Aubin, Saint-Lambert, Saint-Laurent et Chalonnes par Cocu, celle de la Pommeraie et le reste par M. CHÂLON."
CHÂLON reçut de Stofflet l'ordre de convoquer son rassemblement pour Neuvy. Il emportait, en outre, des lettres de convocation en gros caractères, cette proclamation signée de Stofflet et de lui-même :
"Au nom du roi !
Le général Stofflet à ses compagnons d'armes :
Braves amis,
Le moment est venu de nous montrer. Dieu, le roi, le cri de la conscience, celui de l'honneur et la voix de vos chefs vous appellent au combat.
Plus de paix ni de trève avec la République. Elle a conspiré la ruine entière du pays que vous habitez. Vous enchaîner sous ses lois barbares, vous asservir à ses crimes, arracher de vos mains le fruit de vos travaux ..., tels sont ses projets. Vous abandonner quelques jours pour écraser par la masse entière de ses forces vos compagnons d'armes et venir subjuguer, vexer, affamer, désarmer vos contrées, tel est son but.
Mais le souffrirez-vous ? Non. Les braves soldats, que pendant deux ans j'ai conduits au combat, ne deviendront jamais républicains. Jamais le déshonneur ne flétrira les lauriers qu'ils ont moissonnés.
Ressaisissez donc avec l'énergie dont vous êtes capables ces armes que vous ne déposâtes qu'en frémissant ; volez au combat, je vous y précéderai ; vous m'y distinguerez aux couleurs qui décoraient Henri IV à Ivry. Puissent-elles être pour nous, comme pour lui, le signal de la victoire".
JEAN CHÂLON commença à distribuer à Chanzeaux ses billets de convocation, en y joignant des exemplaires de cet appel enflammé. Il répandait en même temps une chanson sur l'air de la Marseillaise, intitulée le Réveil de la Vendée, et comprenant sept couplets dont voici le premier :
Fiers habitants de la Vendée,
Si redoutables dans les combats,
La paix qui vous fut accordée
Aurait-elle enchaîné vos bras ?
Ah ! si vous sentez dans votre âme
Renaître l'amour de vos rois,
Contre vos tyrans et leurs lois
Qu'un noble courroux vous enflamme !
Aux armes, Vendéens !
Formez vos bataillons !
Marchez ! Marchez !
Vengez l'autel, le trône et les Bourbons !
Mais les paysans étaient las de la guerre, et puis ils avaient accepté la paix à condition que la religion fût libre, que les prêtres fussent paisibles, les armes conservées et la sûreté des personnes assurée dans leurs foyers. (Monnier)
Tout cela leur étant accordé, ils ne comprennent pas qu'on les engage à reprendre les armes ; aussi ne répondirent-ils pas à l'appel de Stofflet. Celui-ci ne put rassembler que ses fidèles chasseurs et ses officiers, soit deux à trois cents hommes. Il sentit que désormais la lutte était impossible. Réunissant ses officiers au bourg de Saint-Quentin, il leur exposa la situation et on vota le licenciement des troupes jusqu'à nouvel ordre.
Après quelques essais infructueux de combat, tout le monde se dispersa.
Stofflet se réfugia dans la forêt de Vezins : plusieurs de ses derniers fidèles pénétraient auprès de lui et le suppliaient d'écrire à Hoche et de lui offrir sa soumission. (Ed. Stofflet)
Les chefs, traqués dans leurs repaires, échappent avec peine aux poursuites des Bleus : Guichard est fusillé à Somloire, Nicolas est massacré à la Brardrie.
Le 24 février 1796, Stofflet lui-même est surpris au village de la Saugrenière et conduit à Angers où il est fusillé le lendemain.
Des huit divisionnaires de Stofflet, quatre l'avaient abandonné, deux furent tués par l'ennemi. Seul, avec Lhuillier, de ceux qui restèrent fidèles jusqu'au bout, CHÂLON put échapper aux recherches des Bleus.
Stofflet mort, tout semble fini et pourtant Ch. d'Autichamp lui succède. Ce nouveau chef, par un dernier effort, essaie de ranimer dans l'âme des anciens soldats de Stofflet l'élan et l'enthousiasme de jadis : il échoue misérablement. Une poignée d'hommes répond seule à son appel. Jean Châlon est au nombre de ces braves qui ne reculent devant rien quand le devoir l'exige. D'Autichamp aurait pu leur dire, avec plus de raison encore que Stofflet : "Mes amis nous marchons à l'échafaud", tous eussent répondu avec le même ensemble : Vive le roi quand même !
Hoche, craignant que la tentative de d'Autichamp n'entravât son oeuvre de pacification, fit rechercher, arrêter et exécuter les nobles émigrés qui étaient rentrés en Anjou pour faire la guerre : l'abbé Bernier, pris de peur, demanda à Hoche un passe-port pour se réfugier en Suisse.
D'Autichamp, abandonné de tous, fait sa soumission le 9 juin.
"Tous les postes étaient occupés, les communes désarmées, les communications interceptées et les rassemblements devenus impossibles : il fallait donc se soumettre ou périr ; on se soumit aux conditions que dicta le vainqueur. Les émigrés retournèrent en Angleterre ; d'Autichamp et ses officiers, après le désarmement, se placèrent sous la surveillance des autorités républicaines".
JEAN CHÂLON, qui avait fait sa résidence à Chanzeaux, une des paroisses constituant son ancienne division, fut placé sous la surveillance de Mitry, commandant la troisième subdivision de l'armée des côtes de l'Océan, division du Sud, et qui avait fixé son quartier à Cholet. Ce général lui délivra un passe-port l'autorisant à vaquer à ses affaires "dans l'arrondissement du département de Maine-et-Loire et pays circonvoisins." CHÂLON fit successivement viser son passe-port par les autorités de Chanzeaux et de Gonnord, mais il demeura en butte aux persécutions des républicains comme tous les anciens chefs vendéens : "le général d'Autichamp, dit Coulon, nous fit rentrer dans nos foyers, mais loin d'y être tranquille, j'y fus continuellement tourmenté".
"M. d'Autichamp, qui était soupçonné de vouloir soulever de nouveau le pays, fut arrêté avec M. de Bernasse. Ils furent mis dans une chambre à Angers, et gardés par un poste de quinze hommes. C'était le général républicain Baillet qui avait pris cette mesure, et, pour s'assurer de tous les autres chefs divisionnaires, il nous écrivit de nous rendre à Angers. J'allai trouver Lhuillier qui se décida à y aller. Nous nous rendîmes donc à Angers et avant d'aller nous présenter à Baillet, nous tâchâmes de voir le général d'Autichamp qui fut surpris de nous voir, et qui ne savait que dire de cette mesure. Il nous dit : "Vous allez avoir la ville pour prison". Nous nous présentons chez Baillet, qui était à dîner. C'était un ivrogne achevé, un homme grossier. Sa réception ne fut pas très satisfaisante. "Vous allez aller au château vous constituer prisonniers, nous dit-il, c'est l'ordre que j'en ai du gouvernement". Je lui dis : "Si j'avais su que c'était pour cela, j'aurais apporté des vêtements et de l'argent pour vivre. - Eh bien, fit-il, vous aurez la ration comme les autres prisonniers. - Nous ne sommes pas des criminels pour être ainsi traités. - Eh bien, promettez-vous de revenir ? ... Allez et vous apporterez tout ce qu'il faut." Nous retournâmes voir M. d'Autichamp qui nous dit : "Vous êtes très heureux d'avoir cette permission, mais ne revenez pas, je vous y engage. Pour moi, je ne sais comment cela va aller". (Monnier)
Monnier, dans ses Mémoires, ne parle pas ici de CHÂLON; pourtant ce chef se rendit aussi lui à Angers entre le 9 et le 15 août, muni du passe-port que lui avait délivré le général Mitry : il alla trouver le général Baillet qui ordonna à la municipalité de cette ville de lui remettre un nouveau passe-port "pour aller à Joué et communes circonvoisines et venir à Angers".
Dans ce passe-port, CHÂLON est qualifié de "marchand" ... Bien entendu, tout comme Monnier et Lhuillier, il se garda bien de revenir se livrer au général Baillet ; il s'empressa de regagner Joué, où il se présenta aux autorités le 20 août. Combien de temps demeura-t-il dans cette paroisse, on l'ignore, et il dut souvent changer de résidence pour fuir la persécution.
Le 24 février, il est à Thouarcé, où il est venu pour s'occuper de son mariage avec Marie Poitou, (née le 17 octobre 1771) du Tronchay. Il est affiché à Thouarcé du 16 au 19 juin, comparaît devant le notaire de ce bourg le 17, assisté de son père, de ses parents et de ses voisins, pour lui faire dresser un acte destiné à remplacer son extrait de naissance, les registres de Thouarcé ayant été brûlés pendant la guerre.
Le 21 juin suivant (1797 - 3 messidor an V), le mariage fut célébré [à Martigné].
Après le coup d'état du 18 fructidor (14 septembre 1797), les vexations envers les chefs vendéens ne firent que redoubler : "Mon attachement à la cause de l'autel et du trône, écrit Coulon, et les différents grades que j'avais occupés dans l'armée me firent de nouveau proscrire."
Pour les mêmes causes, JEAN CHÂLON fut en butte à toutes sortes de persécutions de la part des patauds de Martigné et de Thouarcé "qui lui gardaient une haine implacable à raison des dommages qu'il leur avait causés par ses excursions, le poursuivirent tellement de leurs injures et de leurs calomnies qu'il fut obligé, pour vivre en paix, de vendre sa propriété". (Abbé Deniau, V, p. 696)
Dès le 6 mai 1798, il avait écrit son testament, et dans les mois d'avril, mai et juin, avait vendu une partie des biens de sa femme. Il ne possédait pas à cette époque le Ménil habité par son père, qui vivait encore et était alors âgé de 70 ans.
Le 24 juillet (6 thermidor an VI), pendant qu'il était encore au Tronchay, il lui naquit un fils qui reçut les prénoms de Jean-Henry ["devenu diacre à Angers ; il est entré dans l'état ecclésiastique grâce à la généreuse bienveillance de Mgr l'évêque qui a bien voulu subvenir aux frais de son éducation"].
Enfin au commencement de l'année suivante, il put quitter cette terre inhospitalière et se réfugier en plein pays chouan, au Petit-Seneil de Montilliers, où il venait de faire l'acquisition d'une métairie.
Le 17 août suivant (1799 - 30 thermidor an VII) a lieu la naissance de sa fille Marie-Louise.
Il va pouvoir enfin jouir d'un repos qu'il a si bien gagné.
Mais d'Autichamp, qui a toujours officiellement conservé le titre de général en chef des armées de l'Anjou et du Haut-Poitou, reçut de Louis XVIII l'ordre de prendre les armes. "Il écrivit à tous les chefs de division, en date du 23 octobre 1799, une lettre de convocation ainsi conçue :
"Je vous annonce, Monsieur, qu'il est arrêté que la guerre contre la République commencera la semaine prochaine. Procurez-vous un lieu pour faire votre rassemblement avec succès. Vous convoquerez la division qui est à vos ordres, en secret et avec célérité, dans le lieu le plus convenable, mardi 29 octobre. Sitôt votre rassemblement fait, vous vous porterez à Beaupréau, où vos troupes se joindront aux autres divisions. Si vous connaissez quelques capitaines dont les dispositions sont équivoques, vous ferez remettre les billets aux prêtres des lieux, en les priant de les donner à des hommes dévoués qui se feront un devoir et un honneur de faire la convocation. Je vous fais passer avec la présente des billets portant mon nom : vous y joindrez le vôtre et manderez aux soldats d'avoir à se munir de pain pour trois jours. Je suis, avec mon sincère attachement, tout à vous.
D'AUTICHAMP, général en chef."
JEAN CHÂLON, toujours fidèle au devoir, n'a aucune hésitation, et il quitte sa jeune femme et ses deux jeunes enfants : il était de ces braves "qui n'avaient jamais cru à la sincérité des promesses des républicains et n'avaient déposé les armes qu'à regret ..." "mais le reste de la population, qui était lasse de la guerre, et qui ne prévoyait pour elle que de nouveaux malheurs, ne répondit que faiblement à l'appel qui lui fut fait". (Deniau)
D'Autichamp, après avoir chargé JEAN CHÂLON de garder la ligne du Layon, marcha sur Cholet, mais, après plusieurs escarmouches, il se faisait battre aux Aubiers.
Pendant ce temps JEAN CHÂLON "avait fait plusieurs excursions sur les paroisses du Champ, de Faveraye et de Thouarcé ; il avait dans deux rencontres donné la charge aux patriotes qui se trouvaient en armes dans ces lieux ; mais une troisième fois, comptant sur une razzia heureuse, il venait de dépasser les Trottières, lorsque les patriotes embusqués dans la cour de ce manoir font feu sur son détachement et tuent un certain nombre de pères de famille. CHÂLON eut un regret mortel d'avoir occasionné la mort de ces braves gens sans aucun profit réel pour la cause royaliste. Cette affaire fut le dernier coup de feu qui eut lieu en Anjou. (Deniau, V, p. 696)
Les hostilités avaient duré un mois.
La lutte était désormais impossible, et on s'occupa des préliminaires d'une paix définitive.
Le conseil de guerre de l'armée de l'Anjou et du Haut-Poitou fut convoqué pour le 28 janvier 1800.
"Bernier, de concert avec d'Autichamp, prit les mesures nécessaires pour la prompte convocation de ce conseil. Il fut bientôt réuni à Montfaucon. La séance faillit devenir un champ de bataille et ce fut au bruit des propos les plus exaltés, de quelques tables renversées, que fut signée par une grande majorité la paix, qui était, en effet, le voeu général et le salut des habitants." (Rapport de Barré)
"Le traité de paix, dit M. Thenaisie, a été signé à Montfaucon dans la maison où je suis né. En cette circonstance toutes les plaques en fonte des foyers du rez-de-chaussée furent brisées par des furieux, dont la colère se manifestait en lançant de toute leur force des bûches dans les cheminées, où attendu la saison, on avait allumé de grands feux."
JEAN CHÂLON rentre enfin dans ses foyers qu'il ne doit plus quitter ; il se livre tout entier à la culture de ses terres, travaille avec acharnement pour élever sa petite famille et arriver à acquitter ses dettes.
Beauchamp a cru pouvoir accuser les chefs de division de s'être enrichis par la gestion, qui leur était confiée, des biens des émigrés et des ecclésiastiques déportés : c'est ici le moment de voir quel profit CHÂLON avait retiré de ses quatre ans de grade.
La vérité est que le brave divisionnaire a perdu tous ses meubles et effets, détruits dans les incendies ; il en est de même de ceux de sa femme ; il estime à la somme de dix mille francs, énorme pour l'époque, ses pertes personnelles, et à douze mille francs celles de Marie Poitou. Les quelques terres qu'il a pu vendre à vil prix lui procurent trop peu d'argent pour acheter sa métairie du Petit-Seneil, et il est obligé, pour désintéresser son vendeur, de contracter des emprunts envers plusieurs membres de sa famille.
Voilà pour le profit matériel.
Fut-il du moins dédommagé par une récompense honorifique quelconque ?
Stofflet dut attendre jusqu'en 1796 pour recevoir la croix de Saint-Louis.
Dans cette même année, les républicains trouvèrent dans un des quartiers généraux des vendéens une note sur les grâces à accorder à l'armée catholique et royale ; en voici quelques extraits :
"... Parmi les récompenses militaires, celles qui sont les plus saillantes, celles qui demeurent à jamais l'enseigne de la vertu et du courage, ne doivent pas être prodiguées ... Je crois de la plus grande importance que Monsieur ait la bonté d'annoncer, dans les lettres que son Altesse écrira aux généraux, que son intention est de demander au Roi la noblesse transmissible pour les officiers de l'armée royale qui auront mérité la croix pendant cette guerre."
Suit la liste des officiers qui sont susceptibles de la grâce du Roi :
Stofflet ;
D'Autichamp ;
Soyer, major général ;
Forestier, commandant de la cavalerie ;
Sebron, colonel de la cavalerie ;
Stoup (pour Chetou) ;
Enfin CHÂLON, avec cette note : "A fait toute la guerre avec courage et intelligence. - Est susceptible de la croix et du grade que Monsieur accordera aux chefs de division."
Or, au mois de mars 1796, Monsieur envoyait à M. de Scépeaux la croix de Saint-Louis pour lui-même, pour ses chefs de division et pour quinze autres officiers qu'il croirait avoir mérité cette récompense. M. d'Autichamp reçut lui aussi de Monsieur "la faculté de récompenser ses officiers en leur accordant des grades et des croix de Saint-Louis". "Des raisons politiques (?) l'ont empêché de faire usage de ce pouvoir, et son armée n'a eu aucune part aux bontés du Roi". (Note mise en tête du tableau des officiers de l'armée de l'Anjou et du Haut-Poitou, dressé en 1815). Pourtant un certain nombre d'officiers de d'Autichamp : Cébron de Bernetz, Piet de Beaurepaire, de la Béraudière, Chêtou reçurent la croix en 1796 ; quelles raisons politiques (?) empêchèrent de décorer Châlon et les autres ?
JEAN CHÂLON eut un second fils le 17 décembre 1801 (26 frimaire an X), il l'appela François-Aimé-Marie [enfant infirme].
Toujours traité en suspect, subissant mille tracasseries de la part des patauds, il en est réduit à enterrer ses papiers pour les soustraire aux perquisitions.
Enfin vaincu, découragé, usé avant l'âge par les fatigues de la guerre, couvert de cicatrices mal fermées de ses nombreuses blessures, il meurt à 35 ans, dans sa maison du Petit-Seneil, laissant sa jeune femme seule pour élever ses trois enfants dont l'aîné avait cinq ans à peine, le 8 septembre 1803. (21 fructidor an XI)
JEAN CHÂLON, du moins, tant qu'il vécut, eut une consolation, car il devait en effet se dire : "Si le Roi revient sur le trône, il dédommagera ses fidèles de toutes les épreuves qu'ils ont supportées par amour pour lui."
Quelle eût été son amertume s'il avait pu prévoir que ce même Roi refuserait un jour à sa veuve non seulement la modeste pension à laquelle elle avait droit, mais encore un simple sabre d'honneur ! (*)
JEAN CHÂLON fut inhumé à Montilliers, dans le petit cimetière, à côté de l'église.
DOCTEUR BÉCIGNEUL.
[Cette étude est l'oeuvre de M. le Dr Bécigneul, descendant du brave lieutenant de Stofflet]
La Vendée Historique et Traditionniste - n° 4 - avril 1909 / n° 5 - Mai 1909 / n° 6 - Juin 1909 / n° 7 - Juillet 1909 / n° 8 - Août 1909
(*) Tout fut tenté pour que Marie Poitou, veuve de Jean Châlon, obtienne un soutien, mais rien n'y a fait, semble-t-il ...
Le 14 septembre 1824, le fils aîné de Jean Châlon, devenu vicaire de la Paroisse de La Trinité d'Angers, écrit à M. de Chantreau, sous-préfet de Beaupréau :
"L'article communiqué de Beaupréau, en datte du 5 septembre 1824, inséré dans le Journal de Maine-et-Loire, sous la datte du 10 du même mois, relatif à la distribution des Armes d'honneur accordées par sa Majesté aux Vendéens de l'Armée d'Anjou, dans lequel je trouve ces paroles : L'attendrissement est devenu général quand on a vu la veuve et l'orphelin représenter un père, un époux qu'ils pleurent encore, et venir recevoir l'héritage de l'honneur.
Tout cela, dis-je, me porte à croire que je puis au nom de ma mère, veuve de M. Jean Châlon, ancien Chef de division de l'Armée Vendéenne, réclamer, s'il m'est temps encore, une de ces marques de la Bienveillance et de la Munificence Royale.
Ce que je demande ici, n'est pas pour moi. Sans doute, le caractère de prêtre dont j'ai l'honneur d'être revêtu fait que je ne connais point d'autres armes que la prière et la parole de Dieu : Mais ce serait pour nous et notre famille entière un dépôt sacré que nous [nous] plairions à considérer et qui nous redirait sans cesse et les vertus et le courage de celui que nous regrettons ; et il appartiendrait à nos arrières-neveux que tout Français doit être essentiellement et Chrétien et Royaliste.
Si la requête que j'ai l'honneur de vous adresser vous paraît, Monsieur, mériter quelque considération, veuillez en faire part à MM. Lhuillier et Soyer, ils savent et ce qu'était et ce qu'a fait mon père.
Recevez, Monsieur, l'assurance de mon respect et des sentiments avec lesquels j'ai l'honneur d'être,
Votre très humble et très obéissant serviteur,
J. Châlon, vicaire de la paroisse de La Trinité d'Angers.
Angers, le 14 septembre 1824.
Une autre lettre de Jean Châlon fils, datée du 15 septembre 1829 :
"A Son Altesse Royale Madame Duchesse d'Angoulême
Madame,
Vous connaissez mieux que personne les sentiments généreux de l'auguste Monarque qui nous gouverne avec tant de sagesse et de bonté ; vous savez que ses intentions ne furent jamais d'oublier et de laisser sans récompense les services que s'efforcèrent de lui rendre dans des temps à jamais malheureux, son serviteur le plus dévoué et le plus fidèle ; vous portez le plus vif intérêt à cette terre essentiellement française (la Vendée) que vous avez daigné visiter, et à ses habitants sur qui vous vous êtes plue à jetter des regards de complaisance et de protection.
Ce sont tous ces motifs qui m'engagent à supplier votre Altesse Royale de vouloir bien prendre en considération la situation de ma mère, je veux dire de la veuve de M. Jean Châlon, ancien Vendéen, qui en mars 1793 quitta sa famille et son pays (Thouarcé, Maine-et-Loire) pour se rendre dans la Vendée sous les ordres de Monsieur le Général d'Elbée jusqu'au passage de la Loire, qu'il effectua avec toute l'armée. A son retour d'outre-Loire, en mai 1794, le Général Stofflet lui confia la division de Chemillé, et il en conserva le commandement jusqu'à la pacification. En 1806 (?), par suite des fatigues qu'il avait eues dans toutes les campagnes où il s'était trouvé, il mourut, laissant ma mère chargée de trois enfants encore en bas-âge. Pour nous élever et contribuer à notre éducation, elle s'est forcée, à différentes époques, de vendre une partie de sa petite fortune. Maintenant encore, elle se trouve obérée et hors d'état de procurer à ma soeur un établissement convenable. En 1814, elle fut comprise dans le travail de M. d'Autichamp et recommandée par lui à la bienveillance de Sa Majesté quoique toutes ces démarches soient demeurées sans effet ; j'ose cependant, madame, recourir aux bontés de Votre Altesse Royale pour obtenir le secours que je sollicite.
J'ai l'honneur d'être avec le plus profond respect de Votre Altesse Royale,
Madame,
Le très humble et très obéissant serviteur.
Angers, le 15 septembre 1829
J. Châlon, vicaire de la Trinité d'Angers.
AD49 - Dossiers des Vendéens - 1 M 9 / 299 - Poitou, Marie - 2