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La Maraîchine Normande
28 août 2016

LES LANDES-GÉNUSSON/SAINT-MARTIN-DES-TILLEULS (85) - LA LÉGENDE DE CHASSELOUP

LES LANDES-GÉNUSSON
LA LÉGENDE DE CHASSELOUP


La Crûme est bien, je crois, la plus capricieuse de nos petites rivières vendéennes. C'est vers Chambretaud qu'elle prend sa source, et elle vient se jeter dans la Sèvre-Nantaise à Tiffauges, derrière les ruines du château de Gilles de Retz, le seigneur à la barbe bleue. Elle fait mille détours en chemin, tantôt coulant de large et molle façon au milieu de grasses prairies qu'elle enserre ou sillonne en tous sens, tantôt se glissant, étroite et timide, entre deux côteaux abrupts, couverts de ronces, de fougères et de rares pousses de genêts aux fleurs d'or. De grands chênes, de hauts peupliers, des "vergnes" la bordent et ombragent ses eaux. L'été elle offre de nombreux gués, et, en deux pas, est franchie aisément. Dans sa marche, irrégulière et lente, de Chambretaud vers Tiffauges, la Crûme s'approche des Landes-Genusson.

Les Landes-Génusson Chasseloup

A deux kilomètres de ce bourg, ou un peu plus, elle passe au pied d'un côteau escarpé sur le flanc duquel est une pierre énorme dont une partie - les deux tiers environ - repose sur un rocher plat, à demi recouvert d'une mince couche de terre et de mousse, et dont l'autre partie menaçante, surplombe la vallée. Des bords de la rivière qu'elle domine, cette pierre effraye le regard, et une peur vous saisit qu'elle ne roule dans l'abîme.

En s'accrochant aux tiges des genêts, si l'on grimpe jusqu'à elle, on voit l'immense roche, immobile, et semblant défier tout effort humain. Le dessus, presque plat, porte comme l'empreinte d'une croix, et, dans son milieu, une petite tache rouge qui n'a jamais pu être enlevée. Le plan s'incline brusquement, et de telle sorte qu'un homme, étendu sur la pierre, glisserait dans le vide à la plus légère poussée. Or voici la légende de cette pierre de Chasseloup, telle qu'un ami me l'a dite, adossé contre la roche, et telle que les vieux paysans landais la content aux petits enfants, dans les fermes alentours.

Il y a longtemps, bien longtemps. Dans la Gaule païenne étaient arrivés les saints de Provence : Lazare, Marthe et Madeleine. Pierre avait envoyé Martial à Limoges. Nos ancêtres quittaient leurs dieux mortels pour aller vers le Christ immortel. Hilaire de Poitiers et Martin de Tours prêchaient dans le Poitou la religion nouvelle. Et cependant dans un coin ignoré de Vendée, dans les Landes, auprès de Chasseloup, vivait un dernier prêtre du culte antique, le dernier druide de Teutatès. Une caverne, recouverte maintenant par des éboulements successifs, lui servait d'habitation ; une population à demi sauvage venait lui demander ses enseignements.

A chaque lune nouvelle, le druide réunissait les adorateurs de Teutatès autour de la pierre de Chasseloup et offrait un sacrifice humain à sa divinité. La victime était immolée sur la pierre, autel du dieu, puis les eaux de la Crûme emportait le cadavre. Parmi les disciples du dieu gaulois, les plus fervents tenaient à honneur d'être égorgés par le couteau du sacrificateur, et de jeunes garçons et des jeunes filles se présentaient souvent en holocauste volontaire.

Mais le christianisme envahissait même la terre des Landes. Déjà les porteurs de la bonne nouvelle étaient apparus et les barbares, touchés de Dieu, croyaient à leur parole. Bientôt le druide fut abandonné, et bientôt les victimes manquèrent pour les sacrifices à Teutatès. Des loups pris au piège, puis des oiseaux de proie, et de tout petits oiseaux, victimes indignes, furent immolés. Le druide vieilli se lamentait ; il implorait son dieu, et son dieu, sourd et impuissant n'entendait et n'exauçait point ses prières. Quelques années passèrent, et, autour de l'autel, le désert complet s'était fait ; les animaux sauvages, eux-mêmes, traqués de toute façon, avaient fui.

Un soir enfin, au milieu de l'hiver, alors qu'un blanc tapis de neige couvrait la vallée de la Crûme, le druide perçut le faible son d'une cloche dans la direction des Landes. C'était Noël ! un disciple de Pierre appelait ainsi les pauvres habitants du pays pour célébrer devant eux la première messe des Landes. Le prêtre de Teutatès comprit ce signal ; il voulut y répondre. Par trois fois, il lança son cri dans la nuit, et par trois fois les échos lui renvoyèrent son cri seul. Affaibli, sans espoir, il revêtit sa grande robe de lin, immaculée comme la neige des côteaux, ceignit son front d'un vert rameau de gui et monta sur son autel, la pierre de Chasseloup.

Au loin, la cloche joyeusement tintait ...

Debout sur la roche, le druide fit à son dieu cette prière : "O divin Teutatès, seul de tous tes disciples je te suis demeuré fidèle. Je n'ai plus de victimes à t'offrir ... Je te donne mon sang !" Et stoïque, il enfonça dans sa poitrine son large couteau de sacrifice.

Le ciel était bleu, et cependant soudain la foudre éclata.

Tout près, un chêne fut frappé et l'on montrait encore l'arbre à demi brûlé que les vieux paysans ont toujours vu ainsi, le tronc largement ouvert. Un souffle passa, et le corps du druide roula dans l'abîme. Il ne restait plus rien du dernier représentant d'un culte disparu. Une goutte de sang, seule, avait jailli. Tombée sur la pierre, elle s'y était comme attachée, la tache avait pénétré le granit et des siècles ont passé sans l'effacer jamais.

Et dans le "pagus" des Landes, la cloche tintait toujours. Et les nouveaux chrétiens accouraient adorer le Dieu-Enfant, l'Emmanuel divin ...

Depuis cette époque, tous les ans, quand la cloche appelle les fidèles à la messe de minuit, la pierre de Chasseloup descend dans la Crûme pour laver sa tache de sang. Mais le souvenir du dernier druide de Vendée ne doit pas disparaître. Aussi toujours les eaux s'écartent et laissent intacte la marque sanglante.

Voilà ce que content les vieilles grand'mères à leurs petits-enfants, aux longues veillées d'hiver, dans les fermes voisines de Chasseloup, pendant que sur la Crûme le vent, frappant les chênes, se glisse sifflant entre les fines découpures de leur feuillage et qu'à son souffle doucement bruissent les feuilles plus larges des peupliers.


COLON.
AD85 - L'Étoile de la Vendée - n° 1136 - Dimanche 19 septembre 1897

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