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La Maraîchine Normande
21 juin 2016

ARÇAIS (79) - SAINTE-SOULLE (17) - UNE LETTRE DE L'ABBÉ JEAN-DE-LA-CROIX THOMAS SUR SON EXIL EN ESPAGNE

Arçais église

JEAN-DE-LA-CROIX THOMAS, fils de Pierre Thomas et de Marie-Anne ... (illisible), est né à Saintes, paroisse Saint-Eutrope, le 3 août 1765 et baptisé le lendemain.

THOMAS Abbé acte naissance

L'abbé Thomas vint à Arçais au début de l'année 1790 et y exerça le ministère sacré jusqu'à la mi-juin 1791, date à laquelle on voit lui succéder le capucin Le Tenneur qui fait suivre sa signature de la mention : curé d'Arçais (curé constitutionnel), en attendant qu'il se déclare plus simplement : officier public (3 janvier 1793).

THOMAS Abbé signature

L'abbé Thomas refusa de prêter le serment exigé par la Constitution civile du clergé. Obligé d'abandonner sa paroisse et de pourvoir à sa propre sécurité, il fut bientôt contraint de s'exiler en Espagne. Ses tribulations durant cette période agitée, sont rapportées dans la lettre qui suit, écrite en 1816 à un de ses anciens paroissiens d'Arçais.

Au Concordat, l'abbé Thomas fut revendiqué par l'évêque de Saintes, diocèse auquel la paroisse d'Arçais était rattachée avant la Révolution. Nommé curé de Sainte-Soulle, il y exerça son saint ministère jusqu'à sa mort qui le surprit le 6 juin 1824, âgé de 59 ans.

Arçais - THOMAS JEAN DE LA CROIX acte décès

Sainte Soulle, 13 février 1816.

Mon cher ami,

Vous m'avez donc cru sous la tombe ! ... Sans doute parce que vous pensiez que l'horrible tempête, cette cruelle tempête de la Révolution qui a fait périr tant de prêtres, ne m'avait pas épargné. Vous l'avez pensé, je dirai mieux, vous l'avez craint, tant votre amitié pour moi était grande et sincère. Ah ! je le vois bien par toutes les expressions de votre aimable épître : les sentiments de votre coeur, mais de tous les coeurs des habitants d'Arçay. Avec quel plaisir, j'écris ce mot : Arçay ! qui est gravé dans mon coeur et ne s'effacera jamais.

Vous voudrez savoir, je pense bien, mon cher ami, vous voudrez savoir comment j'ai pû faire pour échapper à tant de dangers. Je vais vous le dire en raccourci : j'ai mis ma confiance en Dieu et tous les dangers ont disparu, parce que sa divine bonté m'a sauvé de tous. Il semble qu'étant privé de ma pension, le monde dût penser que j'allais mourir de misère et de faim, mais Dieu a suscité des âmes fidèles qui m'ont soulagé.

D'abord, je me suis retiré dans une bonne maison, à deux lieues d'Arçay, dont j'étais l'instituteur ; la force armée m'en ayant fait sortir je me suis retiré dans une autre chez M. Decugnac (sic). Mais des propos séditieux et tendant à la Révolte sont parvenus jusqu'à mes oreilles tellement que l'on disait : ils l'ont chassé de chez M. Deneuchaise, est-ce que nous ne le chasserions pas de chez M. Decugnac ? Mais moi, sans donner le tems aux malintentionnés de commettre un crime sur ma personne, je me retirai à Saintes. Là quoique chez mes père et mère, je n'étais point tranquille. Je pris la résolution de m'ôter de leur présence, parce qu'on leur faisait un crime d'avoir un fils prêtre. La divine Providence qui veillait toujours sur moi et qui me tenait comme par la main, m'en donna l'idée.

Je me retirai aussitôt pour aller aumônier dans une sainte maison. Il n'y avait pas trois mois que j'y étais, lorsque au moins quatre-vingts personnes vinrent armées de fourches, de bâtons et d'autres instruments meurtriers, pour me faire sortir de cet asyle on ne peut plus paisible. L'orage passé, je prends le parti de me retirer encore une fois auprès de mes parens mais pour peu de tems, car de suite j'écrivis à M. Derazais, curé de Saint-Hilaire la Pallu, mon bon ami et qui était à Poitiers, pour qu'il me cherchât une retraite.

Elle fut bientôt trouvée : C'était à 4 lieues de Poitiers chez une marquise où je fus reçu comme instituteur et second aumônier. Là j'étais on ne peut mieux, parce que j'y étais comme l'enfant de la maison et que je ne pouvais pas y être plus tranquille. Mais ne voilà-t-il pas que pour troubler cette tranquillité si précieuse un décret de la Convention Nationale fut lancé pour faire rendre tous les prêtres dans leur chef-lieu de département ? Il n'y avait que sept mois que je jouissais du repos lorsqu'il me fallut obéir à ce décret et me rendre à Saintes ; mais ce ne fut pas pour longtems. Les décrets ne nous donnaient pas le tems de respirer ; ils se succédaient avec la rapidité de l'éclair, et comme la foudre, un fut bientôt lancé pour nous déporter : Nous n'avions tout au plus que quinze jours pour sortir du royaume.

Je m'embarquai à Saintes pour l'Espagne. Pour cela j'emportai un peu d'argent et autant qu'il m'en aurait fallu pour payer une année de pension, mais la crainte qu'on me le prit parce que l'on fouillait à Charente, je renvoyai mon argent à mon père et ne me gardai que 18 francs.

Je continuai donc ma route sur mer, mais non pas sans beaucoup d'inquiétude. On ne parlait rien moins que de couler le vaisseau au fond de la mer ; l'inquiétude dure jusqu'à ce que le vaisseau fut bien loin de la rade de l'isle d'Aix et assez loin pour n'être plus à portée du coup de canon. Le tems était superbe, le vent des plus favorables ; en 36 heures j'arrivai en Espagne à Saint-Sébastien qui est un de ses jolis ports ; mais que pour y arriver, j'ai été malade ! mal de mer, oppression de poitrine, vômissements continuels. Voilà quelle a été ma position pendant ces trente-six heures.

Arrivé à Saint-Sébastien je me portais mieux, mais je n'avais que mes 18 francs et 52 lieues à faire pour aller jusqu'à la ville qui m'était destinée et ces 52 lieues en valaient bien plus de 62 de France. Je les fis à pié à petites journées.

Enfin j'arrivai à Palencia, ville épiscopale de la vieille Castille, le 4 octobre 1792 et j'y ai resté à la charité des Espagnols, car dès mon entrée on me mit, à l'évêché, sur la liste des plus pauvres et comme tel je fus continuellement assisté et même par le moyen de mes amis je fus en état de secourir plusieurs de mes confrères.

J'y restai donc depuis le 4 octobre 1792 jusqu'au trois novembre de l'année 1801. Dans ce tems là, on jouissait d'un peu de tranquillité en France. On nous laissait entrer peu à peu. Je profitai donc de ce peu de calme pour entrer moi aussi. Mais ce ne fût pas sans prendre beaucoup de précautions, au point qu'il me fallut encore me déguiser et entrer de nuit à Bayonne. Sous l'habit laïque je ne reçus pas la moindre insulte dans tout le voyage de Bayonne jusqu'à Bordeaux. Je passai un mois dans cette belle ville, parce que le diocèse de Saintes n'était pas encore organisé. Je me retirai dans une jolie maison de campagne où je fus comme aumônier, mais chéri comme l'enfant de la maison.

Au bout de six mois, je reçus une lettre de Saintes qui m'invitait à m'y rendre. Je le fis à l'instant mais le diocèse n'était pas encore organisé. Rien n'étant prêt, je me retirai une seconde fois dans la maison de cette marquise à 4 lieues de Poitiers. Je ne puis pas vous exprimer comment j'y fus reçu. Il me suffira de vous dire que j'y fus reçu comme un enfant qu'on croit mort et qui, au bout de 10 ans, reparaît. Les mères d'Arçay qui ont été dans ce temps de Révolution neuf à dix ans sans savoir de nouvelles de leurs enfans, peuvent avoir éprouvé ce sentiment de joie, lorsqu'elles ont vu reparaître l'objet de leurs pleurs. Eh bien ! c'est une seconde mère qui me revoyait. Jugez de sa joie et de celle de toute la maison, ou plutôt jugez de la mienne après bien des traverses et des agitations. Je fus dans cette maison de retraite encore six mois au bout desquels M. le Grand Vicaire de Saintes, m'écrivit et me fit une obligation de rentrer dans mon diocèse.

Je n'attendais que cet ordre pour obéir et à l'instant je me rendis à Saintes pour prendre mes pouvoirs et m'en aller travailler à la vigne du Seigneur dans l'isle d'Oléron, dans la paroisse de Saint-Georges comme Vicaire.

Là, j'étais avec un ami dès l'enfance, vicaire avec lui et qui au bout de cinq ans est devenu mon Curé ; nous vivions en commun et quoique mon curé, cela ne lui a pas empêché de continuer cette communauté. Elle n'a fini qu'au bout de 10 ans onze mois, tems auquel il m'a fallu vendre quelques uns de mes effets partager les autres avec cet ami et faire ensuite une douloureuse séparation pour venir occuper la cure de Sainte-Soulle, près de la Rochelle en qualité de desservant. Je suis chargé aussi d'une annexe qui était autrefois une paroisse qui se nomme Vérines. C'est donc comme si j'avais deux paroisses à conduire.

Le fardeau est pesant : j'ai besoin du secours et des graces de Dieu ; et pour les obtenir j'ai besoin des prières des fidèles. Ceux d'Arçay ne me les refuseront pas. Demandez leur de ma part et dites leur que tous les dimanches et fêtes, à l'heure où vous vous assemblez dans l'église, tous les habitants d'Arçay auront une place dans un de mes memento au Sacrifice de la messe. Je demanderai surtout à Dieu qu'il vous accorde un bon prêtre et que jusqu'à ce que vous en ayiez un, vous ayez recours à celui que l'on m'a dit être au Vanneau. Une personne qui connaît Arçay m'a dit que c'était M. Audebert. Si je ne me trompe, M. Tardy mon ancien curé avait un beau-frère de ce nom. Son fils avait-il pris l'état ecclésiastique ?

Si cela est, vous me ferez plaisir de me le dire et de lui en témoigner ma joie, car ce doit être un bon prêtre, un saint prêtre à en juger seulement par l'éducation qu'il a dû recevoir de sa mère qui était une Sainte femme, de son père qui était un bon chrétien et de sa tante Catherine, qui était une Sainte fille.

Enfin si c'est ce même M. Audebert qui est curé du Vanneau, je désire et s'il m'est permis de le dire j'exhorte tous les habitans d'Arçay de solliciter auprès de lui les secours de notre Sainte Religion non pas seulement à la mort, mais en pleine santé.

Le chemin n'est pas long et quand il serait long, si vous y allez avec la même ardeur que le cerf altéré court au bord d'une claire fontaine pour étancher sa soif, vous ressentirez un bienfait infiniment plus grand en puisant dans les eaux salutaires de la pénitence.

Mais s'il n'y a pas de curé au Vanneau, allez, mon cher Baudry, vous et toute votre famille ; exhortez de ma part tous les habitans de votre Commune et allez tous au curé le plus près de vous.

Voilà un Saint tems qui approche, le tems du Carême. Mettons le à profit en purgeant notre Conscience de tout ce qu'il pourrait y avoir de vicieux et Dieu qui est infiniment miséricordieux oubliera tous les égarements auxquels on a pu se laisser aller, il pardonnera tout, et l'âme jouira pour lors de la paix, de cette paix qui surpasse tout sentiment, d'une paix qui est infiniment plus précieuse que cette paix que nous ont procuré les puissances alliées, toute précieuse qu'elle est et dont nous ressentons tous les jours les précieux avantages.

Sensible au souvenir de votre femme, de vos enfants et de votre frère, dites leur de ma part les choses les plus honnêtes. Ne m'oubliez pas aussi auprès de votre bon Maire M. Baussay dont je me rappelle bien, pour être venu chanter au pupître tout le tems que j'ai été vicaire d'Arçay.

Je ne finirais pas, si je nommais toutes les personnes dont je me rappelle. D'ailleurs, je suis à la fin de mon papier. Dites donc je vous prie à tous les habitans d'Arçay qu'ils n'ont point eu, et qu'ils n'auront point, j'espère, de plus fidèle ami que celui qui est et sera constamment le vôtre.

Signé :
Thomas, curé desservant de Sainte Soulle, près de La Rochelle, canton de la Jarrie, Département de la Charente-Inférieure.


Bulletin Historique et Scientifique des Deux-Sèvres - Tome VII - vingt-septième année - 1938

AD17 - Registres paroissiaux et d'état-civil de Saintes et de Sainte-Soulle

 

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