LONLAY-L'ABBAYE (61) - JACQUES LE FRÈRE, COMTE DE MAISONS, FONDATEUR DE LA VILLE DE NOGAÏSK, EN CRIMÉE (1761-1837)
JACQUES LE FRÈRE DE MAISONS
(né à Fredebise en Lonlay)
FONDATEUR DE LA VILLE DE NOGAÏSK, EN CRIMÉE
Jacques Le Frère de Maisons (le chevalier), fils puîné de Jacques de Maisons, né au château de Fredebise (ou Froidebise), paroisse de Lonlay-l'Abbaye, le 3 septembre 1761. Conseiller maître de la Cour des Comptes de Normandie, il émigra en 1789, servit un temps dans l'armée des Princes, puis s'associant à la fortune du duc de Richelieu, il se rendait auprès de l'impératrice de Russie.
Catherine II offrit aux proscrits des habitations en Crimée.
Le prince Anatole Demidoff, dans son ouvrage sur la Crimée, caractérise ainsi l'oeuvre accomplie par notre intrépide compatriote :
"Vers la fin du siècle dernier, à l'époque où la grande impératrice songea à peupler ses vastes et nouveaux États du Midi, une horde nombreuse de Tatars, purs descendants, disait-on, de la race que Tchinghis-Khan avait traînée après lui, vivait encore sur les steppes d'Astrakan.
Le Gouvernement les attira, par des concessions utiles, vers les terrains qu'ils occupent aujourd'hui, et ils s'y trouvèrent bientôt établis au nombre de plus de trente mille. Mais l'instinct vagabond revenait toujours, et les voisins en étaient souvent inquiets. Un Français émigré entreprit de civiliser ces hommes et de les former tout-à-fait à la vie agricole. Le comte de Maisons, tel est le nom de ce digne gentilhomme, apporta à cette oeuvre une telle persévérance qu'il parvint à réunir en colonies disciplinées ces vagabonds du steppe.
Il leur enseigna à cultiver cette terre qui n'attend que des bras ; la terre cultivée ne fut pas ingrate. Alors naquit le commerce, et avec le commerce une industrie qui s'accordait parfaitement avec les goûts voyageurs des Nogaïs. De longues caravanes partent chaque année, après la récolte, et conduisent jusqu'à Kaffa et à Kerch les produits de ces plaines fécondes.
La ville de Nogaïsk, capitale de cette peuplade, est devenue tout simplement une grande hôtellerie à l'usage des commerçants Arméniens ou Karaïms, ces intrépides marchands qu'on retrouve partout. Le fondateur, le respectable comte de Maisons, avait cessé de vivre peu de temps avant notre passage : nous vîmes le toit qu'il habitait et les petits jardins qu'il a plantés, sans trouver beaucoup d'imitateurs.
Quoi qu'il en soit, les bienfaits qu'il a légué à ce peuple porteront leurs fruits dans l'avenir. Les Nogaïs se montrent actifs, intelligents, passionnés pour la vie nomade : ils ne démentent point la race envahissante qui parcourut pendant plusieurs siècles toute l'Europe orientale, renversant toute chose sur son passage. Le bien-être, l'obéissance et les progrès de cette tribu civilisée, quel beau problème à résoudre ! et il a été résolu."
Un autre écrivain russe, d'origine française, M. de Gouroff, conseiller d'État, ancien recteur de l'Université de St-Pétersbourg, parle à son tour, dans les termes les plus flatteurs, de l'oeuvre de M. de Maisons et de son caractère élevé :
"Un ami que j'avais en Crimée, le comte Le Frère de Maisons, prudent et heureux civilisateur des Tatars Nogaïs, m'invitait à venir m'y fixer ... Je partais pour me rendre en Crimée, lorsque j'appris que mon ami avait cessé de vivre. Il m'écrivait le 18 mai 1837, sans doute dans le pressentiment de sa fin prochaine : "Vous serez bien reçu avec votre famille à Hadjibiké, soit par moi, ma femme ou mon fils ; heureux ceux qui seront vivants pour vous recevoir !"
Et huit jours après, cet ami n'était plus ! La Crimée n'avait plus de charmes pour moi, et j'ai pris la route d'Odessa.
Ces lignes m'ont éloigné de mon sujet, mais j'ai dû les écrire en mémoire d'un Français qui a honoré son nom et sa patrie et dont la famille apprendra peut-être par là qu'il est descendu au tombeau emportant l'estime publique acquise par des services rendus à la Russie, avec un noble désintéressement."
Le comte de Maisons ne revit jamais la France : il mourut, dans un âge avancé, le 25 mai 1837, à sa terre d'Hadjibiké, district de Symphéropol, où il avait fixé depuis longtemps sa résidence principale, et qu'habitaient encore son fils et sa veuve, Madame Anisia-Afanasiewna Parchikow.
Son fils unique, M. le comte Alexandre de Maisons, avait pris à tâche de continuer l'oeuvre de son père.
De nombreuses et puissantes machines importées par lui de France et d'Angleterre, et un atelier de construction établi sur sa terre d'Hadjibiké, l'avait mis à même d'imprimer un élan salutaire à l'agriculture et à l'industrie de son pays d'adoption.
Ainsi c'est à un habitant de ce pays, de Fredebise en Lonlay, le chevalier de Maisons, qui fit une importante situation en Russie, qu'est due la fondation mémorable de la ville de Nogaïsk, en Crimée.
Extraits :
Histoire de Lonlay-l'Abbaye ... par H. Le Faverais - 1892
Sévigni, ou Une paroisse rurale en Normandie - par M. Victor des Diguères - 1865