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La Maraîchine Normande
7 avril 2016

MONTPELLIER (34) - JEAN-ANTOINE ROUCHER, POÈTE (1745-1794)

ROUCHER J

À ma femme, à mes amis, à mes enfans :
« Ne vous étonnez pas, objets sacrés et doux,
   Si quelqu’air de tristesse obscurcit mon visage.
   Quand un savant crayon dessinait cette image
   J’attendais l’échaffaut et je pensais à vous. »

JEAN-ANTOINE ROUCHER


Jean-Antoine Roucher naquit à Montpellier, paroisse Notre-Dame-des-Tables [dans un milieu modeste de la petite rue Arc-d'Arène]  le 22 février 1745 et baptisé le lendemain.

ROUCHER J

L'origine sarrasine de sa famille se retrouve dans le teint bronzé de son visage ; de même que certains traits de son caractère, en lui assurant une physionomie toute spéciale, accusent nettement la persistance de l'hérédité étrangère. Enfin, la vivacité et la promptitude brillantes d'impressions qui caractérisent les races du Midi sont plus accentuées encore que d'habitude dans l'âme de Roucher.

Le père de Roucher était maître tailleur ; le fils eut le bon goût de ne jamais en rougir, mais, au contraire, de s'en vanter plutôt, montrant par là tout ce qu'il devait à son mérite personnel, sans oublier non plus sa reconnaissance pour les leçons paternelles.

L'honorabilité de Jacques Roucher était d'ailleurs si bien reconnue par tous ses compatriotes, le soin avec lequel il élevait ses enfants lui assurait à tel point l'estime et la sympathie publiques, que les familles les plus élevées du pays voulurent s'unir à lui par des liens de parenté.

L'enfant perdit sa mère de bonne heure ; il lui a consacré quelques vers émus dans le XIIe chant du poème du Mois ; mais sa destinée ne fut pas celle des orphelins, car son père s'étant bientôt remarié, Jean-Antoine trouva dans la seconde femme une mère qui l'adopta et le traita avec la même sollicitude que ses propres enfants.

Il fit ses études chez les Jésuites, qui s'attachèrent à développer ses précoces dispositions, et faillirent le voir entrer dans leur ordre, qui avait déjà recueilli tant d'illustres écrivains ; cependant il se contenta de se faire ecclésiastique, prêcha avec succès quelques sermons, entre autres un sur la Grace, à l'âge de dix-huit ans.

A vingt, il se rendit à Paris pour étudier en Sorbonne ; mais le goût des lettres s'empara si puissamment de son âme, qu'il quitta la soutane avant d'être entré dans les ordres, sacrifia une place avantageuse qui lui était offerte, et se livra en entier à ce bel art de la poésie, qui a tant de charmes pour la jeunesse, et qui nous offre tant de consolations dans les nombreuses adversités qui traversent la vie.

Il publia alors plusieurs poésies pleines de grâce et de fraîcheur dans les Almanachs des Muses ; et ayant composé le poème des Mois, il en fit complaisamment la lecture dans plusieurs salons ; ce qui attira une grande réputation à l'ouvrage.

Un jour qu'il venait d'en débiter un chant (car il était doué d'une prodigieuse mémoire), Mlle de l'Espinasse lui dit : C'est un boisseau de diamants que vous venez de nous jeter à la tête.

Quand le prince Léopold de Brouswich périt dans les eaux de l'Oder le 27 avril 1785, victime de son dévouement et de son courage, Roucher célébra cette mémorable action par un poème que l'Académie ne couronna point, peut-être parce qu'elle en devina l'auteur.

D'autres productions du même genre (entre autres une ode sur l'Immortalité de l'Âme, consacré à la mémoire de M. Court de Gébelin et du comte de Mailly, de l'Académie royale des Sciences, ainsi que son chant funèbre sur le tombeau de M. Élie de Beaumont, célèbre avocat, sous le titre de Leçons de la Mort) et surtout la France et l'Autriche au temple de l'Hymen, poème pour le mariage de Louis XVI, lui auraient mérité et acquis une grande réputation, si le parti philosophique ne s'y était pas constamment et adroitement opposé ; ce qui n'est pas le seul exemple de ce genre.

Par des causes fortuites ou des inimitiés particulières, on a vu quelquefois le mérite littéraire ne pas jouir de toute la gloire qui lui était due, pendant que de médiocres rivaux parvenaient à s'élever une grande célébrité sur de fragiles fondements.

Tel est même quelquefois le caprice du public, que le vrai talent est méconnu, oublié par lui, tandis qu'il s'engoue des écrivains les plus frivoles et des styles les plus étranges.

Ce genre de proscription atteignit M. Roucher, et le découragea quelquefois.

Ce fut peut-être dans un de ces moments de tiédeur, j'ai presque dit de désespoir, qu'il traduisit l'ouvrage de Smith, de la Richesse des Nations. Il s'en ressent un peu ; mais Grimm dans sa Correspondance, qu'il écrivit souvent à l'aide de Diderot et de la trop philosophe Mme d'Épinay, le ravala beaucoup trop, et en parla avec trop d'amertume et d'injustice.

Enfin les jours mauvais arrivèrent ; Roucher n'y prit part que par des opinions sages et modérées, et par quelques beaux traits.

N'oublions pas celui-ci : De soldats révoltés, ayant dirigé le canon contre une foule désarmée, le brave et généreux Desilles, qui les commandait, fit ce qu'il put pour les empêcher de tirer ; mais, voyant que ses efforts étaient inutiles, il se mit à la bouche du canon, et s'écria : Vous tirerez sur moi plutôt que sur le peuple. Ils tirèrent, et il fut leur première victime. On était cependant venu inviter la section que Roucher présidait alors, à vouloir bien assister à une fête préparée pour ces soldats. Voici sa réponse : "J'accepte, mais à condition que le buste du généreux Desilles sera porté en triomphe par les soldats de Châteauvieux, afin que tout Paris étonné contemple l'assassiné porté par ses assassins." Quelle énergie ! aussi M. J.C. Rigaud, qui la rapporte, ajoute cette réflexion : "On peut compter parmi les faits extraordinaires qui se passèrent alors à Paris, que l'auteur de cette hardie et terrible réponse n'ait pas été massacré dans ce moment ; mais il fut placé au crayon rouge sur la liste mortuaire, et il l'avait bien mérité à une époque où tout ce qu'il y a ici-bas de grand et de noble était proscrit, "où le crime ne savait que frapper, et la vertu ne savait que mourir."

"Roucher, a dit M. de Lacretelle jeune, dans son "Précis Historique", à l'époque de l'assemblée législative, s'était attiré le ressentiment de Robespierre et de Collot-d'Herbois, par des écrits courageux : une imagination brillante, audacieuse, l'avait distingué parmi les hommes de lettres ; une âme sensible et forte le rendait cher à tous les gens de bien."

En vain, pour se faire oublier et développer les talents de sa fille chérie, il se livra à l'étude de l'histoire naturelle et à la modeste recherche des plantes ; ses herborisations ne le sauvèrent pas : il fut arrêté le 3 octobre 1793, et conduit à Sainte-Pélagie.

Roucher était accusé :
1° D'avoir fait un voyage à Rouen, un peu avant le 10 août, dans le but d'y organiser le parti royaliste en force dans ce pays ;
Et 2° de principes anticiviques, et notamment d'avoir écrit dans le Journal de Paris des articles contre-révolutionnaires."

En réalité, Roucher n'était en prison que parce qu'il avait défendu les principes d'ordre, d'honneur et de probité qui doivent être la base de tous les gouvernements.

"Habiter un espace de neuf pieds carrés, écrivait Roucher, le 20 vendémiaire à une de ses amies, avoir pour tout meuble un lit de sangle, un matelas, un traversin, des draps, une sale couverture de laine, une chaise et une table, être deux à deux sur un étroit espace, entendre à huit heures du soir les gros verrous se fermer sur vous, ne les entendre s'ouvrir que le lendemain matin après huit heures ; le reste du jour, n'avoir pour exercer ses jambes qu'un corridor de cent pieds de long sur quatre de large, n'y respirer que par une demi-fenêtre placée à l'une des extrémités et garnie de gros barreaux, s'y heurter, s'y croiser contre cinquante compagnons d'infortune de tous les âges, qui n'ont pas tous le même courage, ni peut-être aussi les mêmes raisons d'en avoir ; tel est en deux mots, madame, le sort des citoyens qui, comme moi, ont voulu un gouvernement libre et le règne seul de la loi ; mais n'allez pas croire que je sois malheureux. Oh ! il ne dépend pas ainsi des autres de tourmenter mon âme. Mon corps peut bien leur appartenir quand il leur plaît de s'en saisir ; mais mon âme leur échappe. Je l'ai sauvée de la persécution, en la plaçant dans la philosophie ; elle y vit retranchée contre le trouble, les craintes et la terreur ...
Je me suis arrangé de mon mieux de ma demi-portion de cellule ; j'y dors, j'y mange, j'y travaille, ni plus ni moins qu'à mon ordinaire. Je me trompe quand je vous dis qu'il n'y a rien ici pour moi de pénible. Oh ! oui, je me trompais. J'ai pour compagnon de chambre un homme qui n'a pas ma propreté, et ce mélange incompatible de deux excès contraires me fait un petit supplice de tous les moments ..."

 

PRISON SAINT LAZARE FAÇADE

Puis il est décidé que les prisonniers seraient conduits à Saint-Lazare. "De Saint-Lazare, corridor Germinal, n° 14, neuf heures du matin. Nous sommes arrivés à sept heures et demie ; les chambres ici sont nues" ; Roucher demande qu'on lui envoie un lit de sangle, deux matelas, couvertures, etc., une table, une chaise, un balai. "Nous sommes trois dans la même chambre, Moynat, Chabroud et moi".

Prison St-Lazare corridor Germinal

Voici le signalement du poète, tel qu'il a été relevé sur le registre des prisonniers de la maison d'arrêt dite Lazare :

An II de la République française une et indivisible, 12 pluviôse, n° 296 :

Jean-Antoine Roucher, homme de lettres, quarante-huit ans, natif de Montpellier, demeurant à Paris, rue des Noyers, 24. Cinq pieds quatre pouces ; cheveux et sourcils noirs ; front découvert ; nez moyen ; yeux brun (sic) ; bouche grande ; menton arrondi ; visage ovale. Transféré de Sainte-Pélagie.

Le 7 thermidor, Roucher, ainsi que vingt-cinq autres accusés, montait sur les gradins dans la salle de la Liberté pour l'ultime jugement. Dans tous les actes de ce procès, le nom du poète des Mois est toujours le premier ... et "comme chef de la conspiration tramée à la maison Lazare", aura l'honneur d'une mention spéciale et la triste gloire de périr le dernier.

Le 25 juillet 1794, deux jours avant le 9 thermidor, ce 9 thermidor qui délivra la France de Robespierre et d'une très-petite partie de ses complices, le trajet de la Conciergerie à la barrière de la Déchéance dura près d'une heure. Les charrettes contenaient les vingt-six condamnés du jour et onze autres qui n'avaient pas exécutés la veille.

Roucher, chef de la prétendue conspiration, allait mourir le dernier. Il y avait, dans cette attente de quarante-cinq minutes, comme un raffinement de cruauté qui devait justifier ce mot de Sainte-Beuve qu'une telle mort fait autant d'honneur que de honte à l'espèce humaine.

Parvenu sur la haute estrade, vestibule du tombeau, Rouger avait, au dire d'un témoin, conservé tout son courage ; ses yeux, errant sur la belle avenue d'arbres qui aboutit à Vincennes, dédaignaient de s'arrêter sur ceux qui l'entouraient.

Peut-être voyait-il déjà la délivrance prochaine et le triomphe de la liberté, quand la main du bourreau vint dissiper la consolante vision !

La veille, à onze heure du matin, Leroy, élève de Suvée, avait fait le portrait du poète et celui-ci avait écrit au-dessous pour sa femme, pour ses enfants et pour ses amis, ces quatre vers qui devaient expliquer à la postérité la mélancolie de ses traits :

Ne vous étonnez pas, objets sacrés et doux,
Si quelqu'air de tristesse obscurcit mon visage.
Quand un savant crayon dessinait cette image,
J'attendais l'échaffaut et je pensais à vous.

Roucher fut inhumé à Paris, cimetière de Picpus.

 

ROUCHER PLAQUE PICPUS

Le 23 février 1774, il avait épousé mademoiselle Marie-Agathe-Élisabeth Hachette, descendante de l'héroïne de ce nom, qui lui a survécu, toujours plongée dans les souvenirs et les regrets jusqu'au 7 janvier 1821.

Le 8 décembre 1774, naissait à Paris, sur la paroisse de Saint-Jacques-du-Haut-Pas, Marie-Eulalie-Charlotte-Élisabeth Roucher, dont le nom devait se trouver mêlé d'une façon si poétique au souvenir qu'a laissé son père. Elle avait pour parrain messire Charlemagne-Eulalie Grandin de Montauclos, écuyer, capitaine de cavalerie, chevalier de Saint-Louis, brigadier des gardes du corps du Roi, compagnie de Beauvau. La marraine était madame de Montauclos.

ROUCHER EULALIE

A cette enfant de treize ans qu'il appelle son petit secrétaire, il parle de la Henriade et des beautés d'Homère. Il lui apprend le latin, l'anglais, l'italien ; il surveille ses travaux de dessin et de musique ; chaque jour, il lui fait réciter quelques vers de Boileau, de La Fontaine ou de Racine ; - chaque jour, il corrige le style de l'enfant, et, en même temps qu'il forme l'esprit de sa fille, Roucher ne néglige ni son caractère ni son coeur :

Tous les matins, en te levant, il faut dire :
Je veux que ce jour ne passe point sans profit pour moi. Il faut que j'attaque tel défaut et l'attraper ainsi jusqu'à ce que tu le présentes corrigé tout à fait en toi. Un jour viendra et il n'est pas loin où il faudra que je mette un intervalle de paix et de repos entre la mort et la vie active ...

Un des frères de Roucher, médecin à Montpellier, lui a fait ériger, à sa campagne, un monument, que M. Rigaud a ainsi décrit : Dans un cabinet de cyprès est un tombeau à la romaine, surmonté du buste du poète Roucher. Sur ce tombeau, l'on voit un laboureur assis sous un saule pleureur, aux branches duquel sont appendus et sa lyre et son chalumeau. Ce laboureur, armé d'un poinçon, grave sur ce saule, cette épitaphe que Roucher avait faite pour lui-même :

Flatteurs, qu'au lieu d'encens, de fleurs et d'hécatombe,
La main d'un laboureur écrive sur ma tombe :
"Il aima la campagne et sut la faire aimer."

De chaque côté s'élèvent deux obélisques, dont l'un représente un cabinet de cyprès. On voit au-dessus le mont Parnasse et les Muses, au milieu desquelles est Apollon. Sur le socle de l'obélisque sont gravés ces vers de M. Castel (poème des Plantes) :

A toi, chantre des Mois, à ta muse hautaine,
Digne d'un autre rang et d'un destin meilleur,
D'un berceau de cyprès j'offrirai la douleur.

Sur l'autre obélisque sont représentées deux nymphes des lois, qui couronnent de lauriers et de roses le médaillon de Roucher, placé au milieu d'elles. Sur le socle on lit ces vers de M. de Marnesia (poème de la Nature champêtre) :

Et toi, Roucher, aussi, chantre pompeux des Mois,
Je te vois couronné par les nymphes des bois.
Les roses, les lauriers, les odorantes herbes
Sont le modeste prix de tes accents superbes !

Ce mausolée fut recueilli par M. Combres, arrière-petit-neveu du poète, et transporté dans sa propriété de Valflaunès.

La ville de Montpellier, qui s'honore avec raison d'avoir été son berceau, lui vota un autre prix le 7 janvier 1815 ; sur la demande de la Société des Sciences, belles-lettres et arts de cette ville, un arrêté de la mairie porte "que la rue où J.A. Roucher, auteur du brillant poème des Mois, a pris naissance, portera à l'avenir le nom de ce poète aimable, de ce philosophe hardi, de ce père tendre, de ce citoyen malheureux ; "et que copie de cet arrêté sera envoyée à son illustre fille, madame Guillois, et sera inscrite dans le journal du département de l'Hérault."

Sources :

Souvenirs et mélanges ... par M. L. de Rochefort - tome second - 1826

Pendant la Terreur, Le poète Roucher 1745-1794 - Antoine Guillois - 1890

 

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