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La Maraîchine Normande
14 mars 2016

LAVAL (53) - 1832 - PROCESSION DE LA FÊTE-DIEU

LAVAL 9

LAVAL
PROCESSION DE LA FÊTE-DIEU
Laval, 24 juin 1832


L'état de siège a-t-il imprimé dans les contrées de l'Ouest la crainte salutaire qu'on en attendait ?

La permanence des Conseils de guerre, qui ont déjà prononcé des peines terribles contre plusieurs rebelles pris les armes à la main, a-t-elle imposé plus de retenue à des gens que la longanimité du gouvernement a protégés jusqu'à ce jour contre les réactions qu'ils semblent prendre plaisir à exciter par leurs imprudences ?
Telles sont les questions que l'on est forcé de se faire en voyant les scènes scandaleuses qui ont troublé la procession de la Fête-Dieu de Laval.

De hautes considérations politiques avaient engagé les autorités supérieures du département à promettre de se rendre à l'invitation faite par le clergé d'assister à la fête du jour. L'administration savait que cette condescendance de sa part, appuyée par la garde nationale toute entière, serait envisagée par la population comme un témoignage de respect pour les croyances religieuses du pays, et que serait aux yeux les plus prévenus une preuve non équivoque que si le pouvoir savait enfin réprimer avec force de coupables entreprises, il était tout disposé en même temps à protéger par sa présence même le libre exercice des cultes.
Depuis quelque temps M. le préfet de la Mayenne, joyeux comme magistrat et comme bon citoyen d'avoir vu se terminer la guerre sacrilège qui ensanglantait nos campagnes, avait demandé à M. l'évêque du Mans la célébration solennelle d'un Te Deum pour remercier Dieu, au nom des populations croyantes du département, d'avoir mis un terme rapide aux maux qui menaçaient de nous dévorer. Cette demande du magistrat devait être écoutée, et l'espérance, pour ne pas dire la certitude d'y réussir, acheva de déterminer M. de Jussieu à promettre sa présence à la Fête-Dieu.

Le matin, même de la célébration de la fête, arrive la réponse de l'évêque.

Croira-t-on qu'elle annonçait un refus motivé sur ce qu'une adhésion de sa part tendrait à donner gain de cause à un parti sur l'autre. Trompé dans sa généreuse attente, M. le préfet a cru devoir s'abstenir de paraître à la fête : mais les autorités judiciaires et la garde nationale, qui n'avaient pas été prévenues à temps de cette ingratitude de l'évêque envers le gouvernement de juillet, s'étaient rendues au cortège. Une harmonie parfaite semblait établie entre tous les corps, et la marche de la procession répondait par sa beauté et son ensemble à toutes les exigences que les vieux croyans pouvaient exprimer. Déjà les musiques de la garde nationale et de la ligne avaient ajouté à la solennité de la fête.

Un tiers à-peu-près de la marche s'était accompli à la satisfaction de tous, lorsqu'en revenant de l'église de Notre-Dame la musique de la garde citoyenne, cédant aux voeux manifestés par le corps auquel elle appartient, fit entendre cette marche triomphale pour les Français, qui contribua si puissamment à leurs succès, et aux accens de laquelle ont été terrassés les ennemis de la révolution de 89, comme ceux plus insensés encore de la révolution de juillet.

A peine la Marseillaise se fit-elle entendre, que les dispositions hostiles du clergé se révèlent à tous les assistans. La procession continuait cependant, lorsqu'arrivée au carrefour des Toiles le corps entier du clergé, dirigé par l'abbé A...., ordonnateur de la fête, prend une autre rue conduisant à l'église principale, et laisse les magistrats, la garde nationale et le corps municipal stupéfaits de cette audace, et indignés des outrages dont on les abreuvait si gratuitement. Un long murmure parcourut tous les rangs, chaque citoyen se sent blessé par cette scandaleuse protestation contre un chant national qui, quelques jours avant, exaltait son courage et lui faisait affronter les balles des rebelles. La garde nationale reconduit les magistrats au Palais, et chacun se sépare avec la conviction qu'une telle offense ne resterait pas impunie.

M. Briollet, procureur du Roi, se rend aussitôt avec M. Guérin, juge d'instruction, auprès du lieutenant-général commandant les arrondissemens en état de siège. Celui-ci convient de ne pas envisager comme purement politique, et par cela même soumis uniquement à la compétence des Conseils de guerre, cette manifestation trop certaine de haine à l'ordre de choses actuel. On ne pouvait en effet qualifier cette action que d'offense envers des corps constitués, et dans l'exercice de leurs fonctions. C'est en raison de cette prévention que quatre mandats de comparution sont immédiatement décernés contre les trois curés de la ville et contre l'abbé A....., auquel on attribuait une grande part dans cette déplorable équipée ; qui brisait si violemment les sympathies que l'autorité s'était efforcée de réveiller entre toutes les classes de citoyens.

Pendant ce temps, le clergé qui se croyait poursuivi au moins par les infidèles se précipite pèle-mêle dans la sacristie ; là retranché dans ce sanctuaire on se hâte de rédiger une apologie de sa conduite, et deux lettres pareilles sont envoyées à M. le préfet et à M. le maire. Le clergé par l'organe de son premier pasteur fait sans doute pour sa justification valoir de graves griefs, la crainte d'un mouvement hostile contre lui, l'espérance de ne point entendre de chants odieux ? Non. Pour qu'aucune excuse ne pût au moins atténuer ses torts dans cette affaire, il se borne à exprimer l'impossibilité pour ses membres d'assister à une fête auprès de gens qui rappellent par un simple air ces paroles si bien appliquées aux ennemis de la patrie : "Qu'un sang impur abreuve nos sillons."

Eh quoi ! Messieurs du clergé, sommes-nous donc loin de ces temps où la garde nationale était tenue d'assister l'arme au bras à ces expiations réactionnaires dans lesquelles étaient désavoués la gloire de nos devanciers et les exploits qui avaient rendu à chaque citoyen le libre exercice de leurs droits, et surtout le sentiment de sa qualité d'homme si long-temps méconnue ? Votre mémoire ne vous rappelle-t-elle plus cette burlesque parodie de nos grands airs nationaux ? Dans ces fêtes, dites religieuses, et dont l'esprit de haine et de parti faisait seul tous le fond, ne figurait-elle pas cette Marseillaise aux puissans souvenirs ? N'entendait-on pas ce chant du départ qui avait conduit nos bataillons civiques à la frontière ? Des cantiques au style barbare faisaient valoir ces énergiques modulations, que vous vous trouviez heureux d'emprunter alors pour conduire les populations à l'esprit de servitude.

Le vertige s'était emparé pendant ce même temps d'autres têtes auxquelles leur position commandait cependant plus de prudence. Les nombreux détenus politiques qui attendent leur traduction aux Conseils de guerre, rassemblés aux fenêtres grillées du vieux château, d'où ils pouvaient voir la procession interrompue, crient en choeur à la multitude qui les regardait et aux divers détachemens qui circulaient : Vive les Bourbons ! délivrance ! aux armes ! Ces cris plus qu'imprudens dans la situation des prévenus, indignent et ne persuadent pas. On s'étonne au contraire d'une audace que l'imminence d'une peine terrible n'a pu fléchir. Un des substituts se rend aussitôt au château, révoque la permission donnée aux prévenus de sortir de leurs appartemens, et les y consigne jusqu'après l'information sur ce nouvel incident. La faculté de communiquer au-dehors est également retirée jusqu'à nouvel ordre.

M. le préfet de la Mayenne, dont la prudence avait en vain cherché à conjurer ces affligeans désordres, a fait afficher aussitôt une proclamation aux habitans.

Cette adresse énergique promet une prompte et juste répression. Le magistrat termine en disant, que si sa mission est de protéger la liberté des cultes, il saura distinguer le prêtre catholique fidèle à ses devoirs, du prêtre politique qui pousse les sociétés vers l'abîme.


La Gazette des Tribunaux - Mercredi 27 juin 1832 - septième année - n° 2144

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