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La Maraîchine Normande
6 mars 2016

JEAN-LOUIS GIRAUD-SOULAVIE (1751-1813) - LE TYRAN DE GENÈVE

SOULAVIE JL

S......., mince vicaire de Saint-Sulpice de Paris, ancien balayeur des dortoirs des prétendus savants, homme d'un caractère bas et souple suivant les circonstances, mais hargneux comme le chien de cour, et ombrageux en même temps ; S...... qui, par l'inspiration révolutionnaire, avait abjuré le sacerdoce et apostasié, faisant tout au monde pour se faire reconnaître prêtre fourbe et menteur, avait épousé la fille d'un domestique, réduit qu'il était au torchon, et ne pouvant trouver mieux tant il était dégoûtant.

GENÈVE

Il fut choisi pour être le résident de France à Genève, et y fut envoyé. Il fallait être dans une grande pénurie d'hommes pour en employer un de cette espèce. Au surplus, pour porter le désordre on ne se sert que de scélérats. Ce fut donc par cet être crapuleux et abject que l'on fit représenter le peuple français auprès du peuple de Genève. Cet homme, qui se croyait célèbre pour avoir écrit quelques compilations et usurpé le nom d'auteur, fut un des instruments de Robespierre.

Cet ancien dévot, ce nouvel époux, cet apostat, cet être amphibie, fut à Genève l'auteur d'autant de maux que pourrait en faire le crocodile jeté dans une assemblée publique. Fidèle observateur de Marat, il sema à Genève les germes de l'anarchie, y alluma les torches de la discorde, et arbora l'étendard de la révolte. Ce fut alors que par lui l'on vit les clubs de Genève changer de position, s'armer, s'insurger et renverser, au nom du peuple, le gouvernement populaire ; ce fut alors que par lui les clubistes et la propagande jacobine, arrivée là tous exprès, dirigèrent les armes du peuple contre le peuple lui-même et contre les magistrats du peuple ; ce fut alors qu'au milieu de la fureur, du trouble et de l'anarchie, furent fusillés sur la place publique six magistrats de Genève, dont la mémoire inspirera d'éternels regrets ; ils furent massacrés par les gens égarés et enivrés du fanatisme révolutionnaire. Alors le désorganisateur S...... triomphait de ses crimes, croyait dans ce désordre faire réunir Genève à la France et escroquer une nomination pour représenter le peuple genevois comme député à la Convention nationale, ou obtenir du dictateur Robespierre une délégation qui eût satisfait son orgueil et ses passions.

Déjà le scélérat était connu, désigné sous le nom de tyran de Genève. Dans ses discours incendiaires et par ses manoeuvres secrètes, il avait proposé deux plans, l'un de la réunion de Genève à la protection de la France, l'autre d'un gouvernement républicain, sous la France, et dirigé par un régulateur, place qu'il convoitait. Il n'était pas encore satisfait de ses désordres, il voulait mettre un sceau à sa grandeur : il marchait comme les gens que l'on qualifiait d'éminence ; il souriait quand on l'appelait monseigneur, et vous gratifiait d'un regard de demi-attention quand on lui disait Votre Grandeur ; il prenait l'air grave, et fermait les yeux à demi au nom de Votre Excellence.

Souvent il allait en Suisse pour y sonder les opinions.

L'exemple du résultat des troubles de Genève détruisit ses projets, mais il se donna comme un tyran le doux plaisir d'ordonner des supplices, pour maintenir à son égard le respect et la subordination qu'il croyait avoir mérités.

Un malheureux Genevois se trouva sous sa main dans un instant où il avait de l'humeur ; S...... s'irrita et agit en souverain injuste, mêlant à ses expressions de l'ironie, des duretés, et vomissant même quelques ordures : le Genevois fut assez vif pour exprimer son mécontentement. S...... redoubla, menaça, sortit de lui-même. L'infortuné crut que le résident, dans sa fureur, allait se jeter sur lui et fit un mouvement de bras, comme pour le repousser ; le furieux S...... sentit la force du poignet sur lequel il s'était lancé, et craignant que ce bras ne fût trop expressif, il appela ses gens. Ce qui n'était qu'un mouvement innocent devint un crime ; Sa Grandeur se plaignit ; Son Excellence soupira ; Son Éminence souffrait ; Monseigneur était suffoqué d'orgueil et de colère. Quel remède appliquer ? Comment l'apaiser ? Son remède fut le sang du Genevois. Lecteur, vous frémissez ! hé bien ! cet homme déjà molesté par le tyran S......., fut sacrifié ; il fut pendu. Sa mort apaisa-t-elle l'apostat ?

Les torts, les excès, les vues perfides, machiavéliques et désorganisatrice de S......, furent connues, et il reçut enfin sa récompense. Les plaintes des Genevois sur les crimes du résident, leurs craintes sur les suites de ses manoeuvres furent entendues, et la chute de Robespierre entraîna aussi celle de son disciple S...... qui fut conduit pieds et mains liés au milieu d'imprécations, et de marques d'opprobre, comme une fête féroce, et rejeté sur les frontières de France.

S......, quoique résident de France, n'était même pas abordable pour ses concitoyens, et lorsque son ministère leur était nécessaire, il les fatiguait autant que s'il eût été un souverain inaccessible ou inviolable : tantôt abstrait, tantôt ordurier, tantôt brutal, inexplicable dans ses expressions, S...... mettait en tout des entraves qui ont affligé le commerce de la France, et ont été préjudiciables à ceux dont il se croyait le représentant.

Il ne faut pas perdre de vue que le petit tyran affectait toutes les singeries du tyran Robespierre : il se disait poursuivi par des assassins, et ne voyait autour de lui que des poignards. S....... maratisait aussi, et craignait qu'une nouvelle libératrice, comme une autre Corday, ne purgeât le sol de cette république ; il s'effaroucha d'une femme de Lyon réfugiée dans Genève. Sa beauté, son caractère, son langage lui représentèrent une nouvelle Corday. Quel tyran avait-on à craindre à Genève ? S...... Qui excitait tous les troubles de l'anarchie ? S...... Qui prêchait les doctrines de Marat ? S....... Par qui le sang innocent avait-il coulé ? Par S...... Quel tyran avait-on jamais vu à Genève faire égorger les magistrats du peuple ? S...... Quel despote avait-on jamais vu à Genève punir de mort, sous le nom de crime de lèse-majesté, le mouvement légal, répressif d'une injure, ou la légitime défense ? S....... Il fallait les cris, les plaintes de S......, sa cruauté pour exiger cette injustice ! Peut-on douter que cet évènement ne serait pas arrivé, s'il n'eût égaré les Genevois, et s'il ne les eût menacés de l'invasion des sans-culottes français ? Oui, c'est un acte de pure tyrannie et de despotisme ! S......, non par remords, car il n'en fut pas susceptible, par la crainte qui suit le crime, le scélérat S...... voyait dans cette femme une nouvelle Corday, et il en demanda l'expulsion : mais comment l'opérer dans une république démocratique et sans aucun motif ? Il employa la médiation du dictateur Robespierre, et l'on détermina cette femme à quitter Genève. Monseigneur ne dormait plus, Sa Grandeur était troublée, Son Éminence était affectée, Son Excellence était alarmée, Son Altesse était inquiète, le tyran était effarouché. S......, malgré l'absence de la belle Lyonnaise, ne paraît pas avoir longtemps goûté le repos ; son extérieur l'annonçait et ses propos l'attestaient : il est encore semblable au scélérat que les poètes nous peignent au regard farouche, au cri rauque pour tout langage ; ses yeux indiquent son embarras. Il n'ignore pas à son égard mon opinion, car un jour, à l'instant qu'il vomissait des injures contre le peuple de Genève devant moi, je lui reprochais ses crimes maratistes et sa conduite de tyran. La discussion qui s'ensuivit ne put laisser de doute que celui qui traçait ce portrait de S...... était au comité de sûreté générale.

Dans les renseignements relatifs aux observations sur les pays voisins, une singulière remarque sur S......., c'est qu'à l'imitation de saint Antoine qui vivait avec un cochon, il vit, lui, dans sa prison avec un chat. Que si les adoptions caractérisent, il suffit de définir le chat. Ah ! monseigneur, votre chat est méchant, Votre Altesse a un chat à griffes ; il fait patte de velours et égratigne au même instant ; Votre Excellence a un chat, c'est le symbole de la trahison. Votre Grandeur n'a-t-elle d'autres amusements que les griffes et les dents de son chat ? quittez monseigneur, quittez le miaulement du chat qui fait souvent allusion à votre langue et ne paraissez plus au travers des grilles, avec votre chat ; car vous entendrez souvent répéter : L'un mange les rats, et l'autre a détruit les hommes.

Il est assez curieux d'entendre S....... se plaindre d'être avec des hommes de sang, comme si l'on pouvait être plus cruel que lui ; mais il est encore plus plaisant de le voir dans ses crises d'amour, ou de jalousie. Non content d'injurier sa femme et de la mal recevoir lorsqu'elle venait humblement auprès de lui, au parloir, il s'en allait dire, à qui voulait entendre, que sa femme était la cause de sa détention ; que des députés, jouissant des faveurs de sa femme, avaient intérêt à le tenir sous les verrous. Il fallait l'entendre surtout dans ses propositions d'amour.

S....... était logé dans le quartier de l'infirmerie au Plessis ; et les femmes étaient dans le quartier de la petite Force ; mais on communiquait dans la cour. Parmi les femmes détenues, il en était une, belle, brune, que l'on nommait Nanette ; elle s'était assise sur un banc de la cour près de la pompe ; S....... vint s'asseoir à côté d'elle : au-dessus était une croisée d'une salle basse du quartier du bâtiment neuf, d'où l'on entendait la conversation. Nanette, belle Nanette ; disait-il, en lui prenant la main et la lui baisant, je vous aime de tout coeur, recevez mon amour. Allons donc, Monsieur, lui disait Nanette, vous êtes marié, et je le suis aussi. Hélas oui ! ajoutait-il, je suis las de ma femme et je veux de vous, je veux de vous. Cela ne se peut, continuait-elle, je suis mariée, vous dis-je. Vous ne m'aimez pas, reprenait S......, parce que je ne suis pas joli ; mais je suis sensible. Que je suis électrisé en vous touchant ! Je ne suis pas d'une bonne santé ; mais j'aime à badiner : je vous donnerai de belles robes, de belles choses, vous serez ma chapelle ; quittez votre mari, je vous entretiendrai ; nous vivrons tous deux, jusqu'à ce que je puisse vous épouser ; vous serez contente de moi. Nanette éclara de rire ; les auditeurs éclatèrent aussi.

Ainsi se termina la scène des amours de S...... et telle est la moralité de monseigneur

Extrait : Mémoires sur les Comités de Salut Public de Sûreté Générale et sur les prisons (1793-1794) - Mémoires de Sénart sur les Comités de la Convention - par M. de Lescure - 1878

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