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La Maraîchine Normande
5 février 2016

1791 - PROJET DE CANAL DU LOIR A L'EURE

PROJET DE CANAL DU LOIR A L'EURE

En 1791, on s'occupa de la question du canal qui rejoindrait le Loir à l'Eure. Le Directoire du district d'Angers demanda à la Société des Amis de la Constitution de cette ville de vouloir bien lui donner "des éclaircissements sur les moyens d'opérer cette jonction, et de la rendre plus universellement utile". Jamais sujet plus important n'avait été soumis à la discussion de la Société Populaire.

Un membre fut chargé de faire un Mémoire sur cette entreprise et le Journal du Département de Maine-et-Loire le publia dans son numéro du 17 mai 1791.

 

Eure carte

 

Nous le reproduisons in-extenso.

La rivière d'Eure prend sa source du côté de Mortagne et de l'Abbaye de la Trappe. Du Perche elle passe à Chartres et va tomber dans la Seine du côté de Rouen.

En 1684, le gouvernement s'occupa des moyens de conduire ses eaux à Versailles.Cette entreprise, faite uniquement pour remplir les réservoirs et les bassins du despote, qui y sacrifia plus de 22 millions et 40.000 hommes, fut abandonnée parce qu'enfin on reconnut qu'elle avait été un sujet trop frivole, et l'on aima mieux perdre la dépense déjà faite que de la tripler pour la conduire à sa fin.

Cette rivière n'est navigable que depuis Maintenon. Elle servait au transport des blés, vins, sels, fers, bois, écorces ; mais elle exigeait des portes marinières, des réparations ; et quand on les négligeait, le flottage des bois et divers autres sources de dégradations la rendaient impraticable. On parla en 1751 de l'abandonner, pour en éviter la dépense ; on prit une autre route pour le transport des sels, mais cette route coûtait 10.000 francs de plus à la Compagnie qui, d'ailleurs, avait traité avec les propriétaires riverains pour l'entretien de la rivière d'Eure. Mais depuis, elle est restée impraticable, et elle n'est d'aucun usage pour la navigation, si l'on en excepte un flottage assez mal suivi.

En 1739, M. Joubert de Villemarest proposa de rendre le Loir navigable, et de le joindre à l'Eure. Les pays qu'arrose le Loir, sont très beaux et très fertiles en blés, en vins et en bois ; il traverse une partie de la Beauce Chartraine, les ci-devant provinces du Grand-Perche et du Perche-Gouet, celles du Dunois et du Vendômois, le beau pays du Vau-du-Loir, le Maine, la Touraine et l'Anjou. Il va tomber dans la Sarthe au-dessus d'Angers.

Le Loir peut être rendu facilement navigable en remontant jusqu'à Vendôme. Sa jonction avec l'Eure peut se faire par un canal en pleine Beauce de 8 milles, ou par un ravin situé dans la plaine Saint-Germain, qui présente un canal presque tout formé par la nature ; il aurait environ 12 milles. Ce bassin reçoit les eaux et les fontes des neiges de la plaine, et va se décharger dans l'Eure, près du village de Thivars. Ces deux rivières, sans se faire tort, sont suffisantes pour fournir à un canal abondamment et en tout temps.

La jonction de l'Eure et du Loir complèterait une navigation de 250 milles au milieu du royaume, dans un pays qui, malgré sa fertilité, souffre par le défaut de débouchés et de consommations. Les ports de la Bretagne et de la Normandie, la Picardie et l'Oise, le Pont-de-l'Arche, et par conséquent Paris, et environ vingt villes assez considérables que le Loir et l'Eure arrosent, qui toutes ont leur commerce, leurs richesses et leurs manufactures, forment des objets importants pour cette navigation.

La ville de Chartres, située sur la rivière d'Eure, recevrait des matériaux nécessaires pour être solidement bâtie, et pourrait le disputer aux plus grandes villes par son commerce et par ses édifices ; elle profiterait de son heureuse situation pour être le centre du commerce du Loir et de l'Eure. Un territoire abondant en blé fait son seul trésor, et il aurait des débouchés de toutes parts.

La dépense de la navigation du Loir fut évaluée en 1739 à 1.100.000 livres. Je pense qu'elle irait plus loin. Il n'y a pas que les 8 derniers milles où cette rivière soit parfaitement navigable ; les écluses sont en mauvais état, et de jour en jour elles tombent faute d'entretien. Cette navigation continuée par la rivière d'Eure, pourrait procurer à la ville de Paris un commerce plus sûr et plus réglé en toutes saisons avec la Bretagne ; peut-être les canaux d'Orléans et de Briare y perdraient quelque chose, mais cet inconvénient n'est rien en comparaison des grands avantages qui doivent résulter de l'entreprise projetée.

On pourrait encore profiter des eaux de l'Eure pour en vivifier le département de Seine-et-Oise et le porter jusqu'à Versailles, non pour y arroser des bosquets, mais pour procurer une extraction plus facile et moins dispendieuse aux productions et aux denrées de tout ce pays. Peut-être qu'il ne serait pas impossible d'employer à cet effet l'aqueduc de Maintenon, destiné à conduire les eaux à la grotte de Versailles. On voit cet immense aqueduc dans un vallon près de Maintenon, sur laquelle la rivière devait passer.

Cet aqueduc a environ 450 toises de long et 45 pieds de largeur. Le premier étage a 42 arches et 60 pieds de hauteur. Il devait être surmonté de deux autres, et le dernier étage aurait soutenu la rivière à 220 pieds de haut sur 2.560 toises de long, pour joindre les deux collines. Les piles ont 24 pieds, et les ouvertures 40 ; chaque pile est formée par quatre montants de pierres de taille ou de grès, l'entre-deux est de moellons, les voûtes sont de briques, à l'exception des bords ou vives-arêtes. Il y a encore une épaisseur de quatre pieds de briques au-dessus des voûtes. Le tout était surmonté par des dalles avec une gouttière au milieu. Il y avait au-devant de chaque pile des éperons ou contre-piliers de six pieds ; on les a arrachés pour avoir les matériaux ; depuis vingt ans on commence à abattre les arches de cet immense aqueduc, pour employer les briques à bâtir. Les tuyaux de fer qu'on avait préparés, ont été reportés aux forges de Dampierre, vers Chevreuse, à 17 milles de Maintenon.

On aperçoit encore des puits et des voûtes souterraines sur les hauteurs qui sont aux deux bouts de l'aqueduc, jusqu'à Néville et à Berchères, qui est à cinq milles de Maintenon. Celle qu'on appelle la Grande Voûte ou le Gouffre, est à trois quarts de lieue près le grand chemin de Chartres.

Louvois, en 1684, fit faire les nivellements de cet aqueduc par La Hire, qui trouva qu'à dix lieues au-delà de Chartres, la rivière d'Eure était de 81 pieds plus haute que le réservoir de la grotte de Versailles. J'observerai ici que le célèbre académicien fit plusieurs nivellements pour construire de grands et utiles canaux. Fontenelle remarque qu'on a l'obligation au Jardin de Versailles d'avoir occasionné les progrès de l'hydraulique et de la science du nivellement en France ; mais il y aurait eu des moyens moins dispendieux, plus sûrs et plus utiles.

On pourrait faire communiquer la rivière de la Sarthe au Loir et à l'Eure, par le moyen de l'Huisne, qui tombe dans la Sarthe près du Mans. Cette rivière avait été rendue flottable en 1750 pour les bois que la forêt de Bonnétable fournissait au Maine. Les dix portes marinières qu'on y établit alors, serviraient à ménager des eaux pour la Sarthe, dans les temps où l'on en manquerait.

Les eaux qui sont vives rempliraient promptement les réservoirs. Mais c'est à nous de commencer le travail par la Sarthe ; elle va depuis Alençon jusqu'au bec du Loir avec lequel elle confond ses eaux ; elle commence à être navigable jusqu'à Malicorne ; elle pourrait l'être jusqu'à l'Huisne et au Mans. On y voit plusieurs portes marinières qui indiquent une ancienne navigation que le défaut d'entretien a fait interrompre, et que la ville du Mans redemande depuis deux siècles.

Une Compagnie se présenta, en 1741, pour travailler à rétablir cette navigation. En 1744, M. Lucé, intendant de Tours, en fit faire les plans. En 1751, on s'en occupa de nouveau ; enfin, en 1752, la nécessité de faire remonter les bateaux de blé pour le Mans donna du courage à cette ville ; on y fit une dépense considérable, et on parvint à y faire remonter les bateaux de blé depuis Malicorne qui est plus bas, et où la Sarthe était déjà navigable. On profita, il est vrai, des grandes eaux ; mais cela fait sentir la possibilité et l'utilité du projet. Aussi n'a-t-on cessé de faire des Mémoires à ce sujet.

Il y a 24.387 toises, et 45 pieds 7 pouces de pente, entre le port de l'hôpital du Mans et celui de la Vertière, où les bateaux mouillent en tout temps ; 1.808 toises au-dessus de Malicorne. Dans cette longueur, il y a des atterrissements qu'il faudrait détruire, et l'on y aurait facilement cinq pieds d'eau, en élevant un peu les chaussées et en faisant plusieurs portes marinières. M. Voglie estimait la totalité de ce travail à 202.000 livres, en 1768.

Les ci-devant provinces d'Anjou, des deux Perches et de la partie de Normandie qui avoisine le Maine y ont le même intérêt. Si la Sarthe était navigable jusqu'à Alençon et au-delà, on pourrait joindre à la rivière d'Orne, en faisant un canal entre Alençon et Argentan, qui ne sont éloignés que de 20 milles.

Le Loir et la Sarthe confondant leurs eaux dans la Mayenne, nous avons le plus grand intérêt de nous occuper de cette rivière, et nous ne doutons pas qu'elle ne fixe particulièrement l'attention des corps administratifs ; par cette rivière nous communiquerons à la Vilaine. Les ci-devants Etats de Bretagne avaient conçu le projet de cette jonction, qui nous serait d'une grande utilité pour le débouché de nos vins et de nos ardoises. Le cardinal Mazarin avait senti qu'il serait possible d'en tirer un grand parti : il l'avait mise en état de porter bateau, en faisant construire 22 portes marinières depuis Château-Gontier jusqu'à Laval. - La partie supérieure de cette rivière traverse un canton de la ci-devant province du Maine, qui a beaucoup de productions pour servir au commerce ; mais le défaut de communications le rend inutile : il y a une infinité de terres en friche qu'on ne daigne pas cultiver par la même raison. Les habitants sont persuadés que les avances de l'Etat, pour seconder cette province par la navigation, lui rentreraient par la seule augmentation des produits de la culture.

Le 17 septembre 1802, le citoyen Montaudt, préfet de Maine-et-Loire, mandait au Ministère de l'Intérieur : "Il y a déjà longtemps que l'on songe à joindre le Loir à l'Eure en profitant du canal de Maintenon. La Loire, à ce moyen, pourrait communiquer en tout temps avec la Seine, et on obvierait par là aux inconvénients qu'éprouve le commerce, par l'impossibilité de naviguer sur la Loire pendant tout l'été. On sent au premier coup d'oeil combien serait précieux à ce département un canal qui faciliterait le transport de ses denrées et marchandises jusqu'à Paris. Au commencement de la Révolution, une Compagnie fit niveler ces deux rivières dont elle se proposait de faire la jonction ; ce sont sans doute les malheurs des temps qui ont empêché l'exécution de cet utile projet. Le gouvernement paraît enfin vouloir le réaliser, et le conseiller d'Etat chargé de cette partie en a tous les plans sous les yeux. L'administration des ponts-et-chaussées a fait rejeter, il y a quelques mois, la proposition faite par une Compagnie de joindre la Loire à l'Eure qui aurait son ouverture à Tours. Elle a donné la préférence au projet d'établir cette jonction, en parcourant le Loir dans tout son cours. Nous aurons le plus vif intérêt à solliciter, à presser l'effet de cette détermination".

La question, hélas ! n'a pas avancé depuis cette époque, et nous en sommes toujours à désirer un canal de jonction du Loir à l'Eure et par suite de la Seine à la Loire.


F. UZUREAU
Directeur de l'Anjou Historique
Annales fléchoises et la vallée du Loir - Neuvième année - Tome XII - Janvier-Décembre 1911

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