Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La Maraîchine Normande
4 février 2016

BRÉTIGNOLLES-SUR-MER - LE BERNARD - NOIRMOUTIER (85) - CATHERINE-MODESTE FRUCHARD, SOEUR SAINT-AMBROISE (1748 - 1794 ?)

UNE MARTYRE BRETIGNOLLAISE
CATHERINE-MODESTE FRUCHARD, SOEUR SAINT-AMBROISE

Fille de Jean et de Jacquette Crochet, Catherine-Modeste Fruchard est née à Bretignolles-sur-Mer, le 28 novembre 1748.

acte naissance Catherine-Modeste Fruchard

A l'âge de 22 ans, Catherine entre au couvent des Ursulines de Luçon où elle est désormais appelée Soeur Saint-Ambroise.

Pendant la tourmente révolutionnaire, elle se retire chez son beau-frère, René Boisson, au village de Fontaine en la commune du Bernard ; c'est là qu'elle est arrêtée en octobre 1793 et détenue aux Sables le 16 de ce même mois.

Découvrons ci-dessous, documents à l'appui, le long et douloureux martyre de Catherine : 

Le Bernard cassini

Catherine-Modeste Fruchard eut à se pourvoir, auprès de sa municipalité, un certificat de résidence au Bernard, exigé d'elle par le conseil du district des Sables.

Cette pièce qui lui fut envoyée le 15 nivôse suivant, (4 janvier 1794), était ainsi conçue :

"Nous, officiers municipaux de la commune du Bernard, canton d'Angles, district des Sables, département de la Vendée, certifions que la citoyenne Catherine-Modeste Fruchard, ex-religieuse, a résidé sans discontinuation au village de Fontaine, domicile de René Boisson, officier municipal, commune du Bernard, depuis le 10 juillet jusqu'au 24 octobre dernier (vieux style), à l'exception d'un espace de temps de huit à dix jours qu'elle a passé à Luçon, sur le certificat de la même municipalité du Bernard ; en foi de quoi lui avons délivré le présent certificat pour lui valoir ce que de raison.
En la chambre commune du Bernard, le 13 nivôse, l'an second de Lère française.
(Signé) : RAFAIN pr de la commune, POTIER maire, BUOR l'aîné officier municipal, GENERA officier municipal, PINET, LE BON secrétaire."

Bien que répondant aux exigences du district des Sables, cette pièce ne parvint pas à obtenir la mise en liberté de la détenue. Réussit-elle à lui faire remettre les arrérages de sa pension d'ancienne religieuse ? Nous ne saurions le dire. C'était presque une année entière qui lui était due et elle s'en faisait un extrême besoin. Mais la Révolution n'avait pas le coeur sensible, et nous sommes portés à croire que la requête resta sans réponse.

Neuf jours après l'arrestation de Modeste Fruchard, une perquisition fut opérée au domicile de son beau-frère, en vue, évidemment, de découvrir quelques pièces, empreintes de fanatisme, permettant de la mettre en accusation. Dans la lettre qu'on vient de lire, adressée par elle, 20 jours après, aux administrateurs du district des Sables, elle ne paraît pas avoir eu connaissance de ce fait, ou du moins elle n'y fait aucune allusion. On le lui avait sans doute caché à dessein.

Voici ce qui s'était passé :

Le 2 novembre 1793, deuxième jour de la deuxième décade du second mois de la seconde année républicaine, le citoyen Pierre-François Mourain, membre du comité de surveillance, établi aux Sables par le représentant Fayau, s'était transporté en vertu d'une commission de ce comité, au domicile de Boisson, sur les 3 heures de l'après-midi, pour apposer les scellés sur ses meubles. Il perquisitionna partout, fouilla tous les meubles à l'usage de l'ancienne soeur Saint Ambroise, et ne trouva, ainsi qu'il le relate au procès-verbal, que des livres de dévotion. Cependant, dans une petite boîte renfermant des rubans, il découvrit une pièce, une seule, qu'il qualifia de contre-révolutionnaire. C'était une lettre adressée à la citoyenne Fruchard, le 25 janvier 1791, signée G...., prêtre, laquelle fut annexée au procès-verbal.

Cette lettre absolument sans portée, était d'un de ses neveux, l'abbé Guérineau, vicaire de Triaize ; et bien que, plus tard, elle fut reconnue moins contre-révolutionnaire que ne le disait le rapport du comité de surveillance, sa destinataire n'en fut pas moins gardée en détention comme fanatique et opposée au nouveau gouvernement.

Voici du reste, le texte de cette lettre mentionnée dans le procès-verbal ci-dessus.

"A Madame, Mme de Saint-Ambroise T.-D., religieuse au couvent des Ursulines de Luçon
De T.... 25 janvier 91
Ma très chère parente,
... A l'égard de la prestation du serment civique, vous pouvez et vous devez être, ma chère cousine, parfaitement tranquille. Non, certes je ne le ferai jamais ce serment odieux et abominable, tant que les choses resteront dans leur état actuel. C'est un parti que j'ai pris, non d'après aucune sollicitation particulière, pas même d'après l'exemple de nos illustres et vertueux prélats, mais bien d'après la connaissance des principes invariables que je me ferai toujours un devoir rigoureux de suivre, et auxquels je sacrifierai, s'il le faut, tout intérêt temporel dans le cas d'alternative. Il fut publié ici, dimanche dernier, ce trop fameux décret. Dimanche prochain, la municipalité, ainsi qu'il lui est strictement ordonné, va informer le procureur sindic du directoire de notre refus à mon curé et à moi. Nous en attendons tranquillement les suites, quelque fâcheuses qu'elles puissent être ; et nous sommes bien décidés à ne partir qu'à la dernière extrémité. Telles sont aussi les dispositions de nos curés voisins. J'ai appris avec douleur le départ des jeunes séminaristes, de Fruchard entre autres. - Nous sommes dans les mains de la Providence. Rien ne se fait sans ses ordres. Apprenons à nous résigner entièrement. C'est le seul moyen de conserver la paix et la tranquillité de l'âme, au milieu des contradictions et des persécutions ...
G...., prêtre."

Les causes de son arrestation sont ainsi indiquées dans des documents officiels :

"La Fruchard, ci-devant religieuse au Bernard, dans ce district ..., habitait un village de la commune du Bernard, le seul village d'icelle qui ait fourni des hommes aux brigands ; on attribue ce malheur aux prédications fanatiques de cette religieuse qui n'a pas abjuré ses principes."

Un autre document redit, en en donnant la date, les mêmes accusations :

"16 octobre 1793, arrêté pris par le comité de surveillance des Sables, de mettre Menanteau d'Angles en accusation. La même mesure a été adoptée contre La Fruchard, cy-devant religieuse, retirée dans un village de la commune du Bernard, laquelle n'a donné aucune preuve de civisme et qui a contre elle que le village qu'elle habite est le seul de la commune dont les habitants aient pris parti pour les brigands ; ce qui la fait suspecter, ainsi que sa conduite."

L'aveu, contenu en cette dernière ligne est bon à noter. C'est sur un simple soupçon, imaginé de toutes pièces par les membres du comité de surveillance, que cette sainte fille est arrêtée.

Son beau-frère Boisson, bien qu'officier municipal, devint suspect lui aussi plus tard. Le 22 messidor an II (10 juillet 1794), sur dénonciation de Benoist, de la Tranche, faite au comité de surveillance des Sables, Boisson, de Fontaine, commune du Bernard, fut inculpé "de faits et de propos peu civiques" et mandé pour rendre compte de sa conduite.

Citons encore un autre document ayant trait au même objet :

"La Fruchard, fille, de la commune du Bernard ..., détenue aux Sables, depuis le 16 octobre 1793, violemment suspectée d'avoir, par ses prédications fanatiques, engagé les hommes du village qu'elle habitait, à aller se joindre aux brigands.

Cette "suspection" est d'autant plus fondée que ce village est le seul qui leur ait fourni des hommes. (Elle a des) relations avec tous les "imbéciles" de son espèce.Cette fille, imbue "du fanatisme" le plus virulent est mue par l'esprit le plus contre-révolutionnaire."

Ce langage qui, lui du moins, mérite bien le nom de "fanatique", est, au fond, un bel éloge de la fermeté religieuse de la soeur Saint Ambroise qui, en dépit des évènements, était restée fidèle à sa vocation. Le rôle qui lui est prêté d'avoir recruté, autour d'elle, des soldats pour l'armée vendéenne, n'a pas besoin, croyons-nous, d'être démenti ; il n'existait que dans l'imagination exaltée des révolutionnaires. Ils avouent, du reste, que ce n'était là, chez eux, qu'une "suspection" autrement dit un simple soupçon. Quant à la date du 16 octobre, indiquée dans les deux pièces officielles qu'on vient de lire, il y a lieu de croire qu'elle est exacte. Dans sa lettre aux administrateurs du district, la pétitionnaire avait donné celle du 24 vendémiaire (16 octobre) ; mais nous pensons que les complications du calendrier républicain ont pu l'induire en erreur.

Quoi qu'il en soit de ce détail tout à fait secondaire, la vie de Catherine-Modeste Fruchard entrait alors dans une nouvelle phase. La voie où désormais elle allait marcher sera la voie douloureuse, le chemin de croix !

C'est à la prison Delange qu'on la croit avoir été internée.

Quatre semaines après, le 23 novembre, six religieuses bénédictines de l'ancien monastère des Sables, furent pareillement l'objet d'un mandat d'arrestation, à l'Île d'Olonne, où elles s'étaient retirées. Elles vinrent la rejoindre à la prison Delange et partager sa vie d'épreuves, de sacrifices. Leu présence dut être pour elle une consolation et un réconfort.

Le district des Sables, obligé de recevoir les prisonniers qui lui arrivaient de toutes parts, n'entendait pas se charger des dépenses nécessitées par leur subsistance. Il avait fait un règlement aux termes du quel les riches devaient répondre pour leurs codétenus réputés indigents. Catherine-Modeste Fruchard et les six religieuses bénédictines, à qui l'on avait tout enlevé, auraient dû régulièrement figurer dans la catégorie des détenus pauvres ; mais le comité de surveillance nous apprend, dans sa séance du 24 décembre 1793, qu'elles étaient condamnées à payer leurs dépenses personnelles. On devine, par suite, à quelles dures privations furent souvent réduites ces vertueuses épouses de Jésus-Christ.

Dans les prisons des Sables, organisées à la hâte, bien des choses manquaient, et l'hygiène y faisait entièrement défaut. Dans deux de ses délibérations, du 28 germinal et 9 floréal, an II (17 et 28 avril 1794), le comité de surveillance et révolutionnaire de la ville cite une déclaration des officiers de santé, disant que "les prisons étaient infectées d'air putride et mortifère". A cette occasion, il se crut obligé de les faire évacuer, en partie du moins, et dans ce but, il dressa deux listes de détenus à transporter à l'île de la Montagne (Noirmoutier). On voit dans quel milieu contaminé vivait l'infortunée Ursuline.

Telle était sa situation lorsque, le 10 floréal, an II (29 avril 1794), elle fut comprise dans l'envoi des prisonniers, projeté la veille par le comité de surveillance. Ce départ eut lieu à la date indiquée et, le jour même, le comité s'empressa d'en faire part au représentant du peuple, à Nantes. Il lui en donnait les raisons suivantes : L'encombrement des maisons d'arrêt, l'épidémie dont était menacée la population et la suppression de la commission militaire. L'indication de ce dernier motif nous révèle les "bonnes" intentions du comité qui, n'ayant plus personne sous la main pour juger les religieuses détenues, les faisait conduire à Noirmoutier où là, du moins, siégeait une commission avec pleins pouvoirs.

Dans ses Notes au jour le jour, André Collinet n'a pas oublié de mentionner ce départ ; il le fait dans les termes suivants où se montre son esprit antireligieux :

"Le 10 floréal (29 avril 1794), il est sorti de ce port trois bâtiments sous le convoi de l'aviso l'Enfant, dont deux chargés d'avoine et de vieux canons pour Nantes. Le troisième avait à bord 63 personnes de la ville et des environs qui étaient en arrestation depuis septembre dernier, reconnues suspectes, qu'il transporte à l'Île de la Montagne. Il y a eu, de la Chaume, François Derval qui avait pris le diaconat à Luçon, en 1792, et beaucoup de dévots et dévotes des Sables, qui ont pris le parti de leurs bons prêtres."

Sous ce nom étaient comprises Catherine-Modeste Fruchard et quelques religieuses bénédictines. Deux jours après, le même chroniqueur consignait, dans ses Mémoires, les circonstances de leur départ.

"Le départ des gens suspects connus pour aristocrates, a fait beaucoup de bruit en cette ville : quantité de familles y étant intéressées. Ils ont été conduits de la maison d'arrêt à bord du bâtiment par pelotons de 15 à 16 par 24 gendarmes, le sabre nu au poing et embarqués de suite, sans leur permettre de parler à personne pas même à leurs plus proches ; mais ces bonnes gens que le fanatisme aveugle encore, se félicitent de la conduite qu'on tient à leur égard et regardent la route de l'Île de la Montagne comme le chemin du ciel, parce que leurs bons prêtres le leur ont dit."

De ce langage cynique deux traits sont à relever : le premier nous montre les chers détenus "allant avec joie" à la souffrance et au martyre ; ibant gaudentes, comme les apôtres ; le second nous apprend que le "seul motif" donné de leur envoi à l'Île de la Montagne, était d'avoir "pris le parti de leurs bons prêtres", autrement dit d'être restés fidèles à la vraie foi.

Noirmoutier château

La traversée des Sables à Noirmoutier fut pénible pour les prisonniers. Placés dans un bateau trop étroit, ils arrivèrent à destination, dit un auteur (le Docteur Petiteau) "dans un état pitoyable."

C'est au château-fort, occupant le centre de la cité, que furent conduites nos religieuses. Plusieurs documents en font foi. Le régime y était des plus durs. Lors de l'arrivée du convoi sablais, le château comptait 300 détenus ; l'église en avait autant et la municipalité ne savait comment faire pour subvenir à leurs besoins. Pour les coucher, la paille manquait, ces malheureux s'étendaient sur la terre nue ; aussi en périssait-il tous les jours 4 à 5, "de la contagion, des poux et du mauvais air" ; le local était très malsain. Des lettres d'une Fille de la Charité des Sables, recluse au même lieu, disent que, dans les vastes et mortelles salles du vieux château, aux fenêtres dégarnies de carreaux, elles n'avaient, durant le rigoureux hiver de l'an III, ni draps, ni couvertures et très peu de feu. Leur pain "presque perdu de froid" était immangeable. Dans ces conditions misérables, leurs santés finirent bien vite par s'altérer et elles tombèrent malades. A la vue de leur triste état, les commissaires, dont le coeur n'était pourtant pas tendre, disaient, le 4 mai, 2 jours après l'arrivée des prisonniers des Sables : "Notre humanité souffre de ne pouvoir mieux les placer".

"J'ai vu là, écrivait d'autre part un ancien administrateur militaire (anonyme) des armées républicaines, j'ai vu de jeunes personnes dont les grâces touchantes auraient dû amollir les coeurs les plus durs. J'ai été ému de la plus vive sensibilité, dans le séjour du malheur : j'y ai pleuré avec ces victimes déjà préparées à leur sort, et j'ai eu de la peine à me retirer du milieu d'elles."

Cependant, si les corps s'affaissaient sous la violence de l'épreuve, les âmes restaient toujours vaillantes et fidèles. Évidemment, ces saintes filles se soutenaient et s'encourageaient les unes les autres, au milieu de si durs sacrifices.

Le mois de mai fut terrible pour elles, car elles avaient à lutter à la fois contre la maladie et contre la contagion. L'infection, qui s'exhalait dans leur geôle, était si pénétrante que le 19 prairial (7 juin), l'assemblée municipale dut prendre l'arrêté suivant.

"Arrête l'assemblée que, vu qu'il n'est pas possible, sans courir les risques d'infecter l'air, de continuer à enterrer tous ceux qui meurent journellement en cette ville, dans le cimetière, qu'à l'avenir on n'enterrera dans le cimetière que les habitants et les frères d'armes et que les détenus, qui mourront, seront enterrés dans un terrain choisi pour cela, près le courseau de Ribandon."

Noirmoutier Ribandon

Au milieu d'une telle peste, l'administration se vit obligée d'opérer un "dégorgement" momentané des prisons, en envoyant les détenus malades chez quelques particuliers.

Atteinte déjà du mal auquel elle succombera bientôt, Catherine-Modeste Fruchard fut, par suite de cette mesure confiée à la famille de Pierre Groussin. C'était à la date du 7 juin, époque où la contagion sévissait avec le plus d'intensité. Ce séjour au milieu de personnes dévouées, soulagea-t-il la pauvre infortunée ? Nous ne saurions le dire. Tout ce que nous savons c'est que ce repos chez Pierre Groussin fut pour elle de courte durée et encore fut-il contrarié par l'obligation qui lui incombait d'aller se présenter tous les jours au comité de surveillance de la commune afin d'y faire constater sa présence.

Le 5 juillet (17 messidor), elle était sûrement de retour au château, ainsi que les religieuses bénédictines, car une lettre de ce jour, adressée par la municipalité au représentant du peuple à Nantes, disait que l'on se préparait à renvoyer les prisonniers dans leurs foyers.

"Il continue d'en périr beaucoup, disait la missive ; il y a deux jours, on en comptait onze et aujourd'hui cinq sur les cadres. Cette évacuation faite, il ne resterait ici qu'un petit nombre de détenus, dans lesquels six nobles et quelques religieuses que nous demandons à être autorisés à renvoyer, sous escortes, dans leurs communes respectives."

D'après la teneur de cette lettre, le motif de renvoi n'était pas un sentiment d'humanité, mais la crainte de la contagion.

A noter que les derniers reclus proposés pour l'évacuation étaient la Soeur Fruchard et ses compagnes. On proclamait hautement leur innocence ; néanmoins on faisait d'elles une catégorie à part qui n'aurait droit qu'après les autres, à l'octroi de la liberté. Finalement elles restèrent en prison, et même leur situation se trouve aggravée par de nouvelles mesures qui éloignaient d'elles, plus que jamais, l'aurore de la délivrance.
Dix sept jours après, le 4 thermidor, an II (22 juillet 1794), Catherine-Modeste Fruchard comparaissait devant la Commission militaire et subissait l'interrogatoire suivant :

"Interrogatoire (4 thermidor, an II) de Modeste Frochard (sic), 47 ans, de Luçon, district de Fontenay, ex-religieuse ursuline de Luçon.
D. - Si elle a prêté le serment de fidélité à la République ?
R. - Que non et que, sur cet objet, elle s'est crue indépendante.
D. - Si elle connaît la loi rigoureuse sur la prestation de serment et si elle serait disposée de prêter serment d'égalité, de liberté, de fidélité à la République ?
R. - Qu'elle se conformera à toutes les lois émanées de la République ; mais, quant à cette prestation, elle demande à réfléchir pendant 24 heures, temps qu'elle consacrera à s'instruire sur les dispositions des lois."

Ce fut tout ! Le crime de cette vertueuse fille ne consistait, ni dans les trames ourdies contre la République, ni même en de simples voeux formés pour sa destruction, délits qui furent reprochés à d'autres religieuses ; il ne portait que sur un point : le refus du serment, dit de Liberté et d'Égalité. Ce refus supposait nécessairement celui de la Constitution civile du Clergé, lequel, d'après le décret du 27 novembre 1791, article 3, "dispensait de toute formalité nouvelle".

La seconde réponse de la prévenue, où son refus paraît conditionnel, n'était qu'une sorte d'échappatoire qui lui permettrait de préparer, pour plus tard, une défense motivée. Mais cette tactique aboutit à une conclusion à laquelle elle ne s'attendait pas. Comme elle avait demandé à réfléchir pour bien connaître la loi, les juges la croyant hésitante et prête à céder rendirent le jugement suivant :

"4 thermidor, l'an II.
Sur la question de savoir si ... Catherine-Modeste Fruchard, âgé de 47 ans, ex-religieuse ursuline de Luçon, et ... (suivent d'autres noms) sont coupables.
A l'égard de Catherine Fruchard, ex-religieuse, la Commission révolutionnaire ordonne que provisoirement elle restera dans la maison qu'elle habite et qu'elle sera tenue d'assister aux trois premières séances que tiendra la société populaire de cette commune pour y recevoir l'instruction civique dont elle a besoin et être ensuite jugée définitivement.
(Signé) H. Collinet, L. Joulain, Gouppil fils, Brutus Thierry, vice-président, Auffray, s.g."

A la suite et en vertu de ce jugement, Modeste Fruchard fut donc soumise à une rude épreuve. Mais c'est précisément dans l'épreuve que se relèvent les grandes âmes et la chère Ursuline sortit de ce creuset plus forte, plus ferme que jamais. Quatre jours après, voyant qu'avec elle, ils perdaient leur temps, les membres de la société populaire écrivirent à leurs collègues de la commission militaire :

"Liberté, Égalité, Fraternité.
A lile la Montagne, le 8e thermidor, l'an II de la République Française, une et indivisible.
La société populaire régénérée de lile de la Montagne.
Aux président et membres de la commission militaire.
Citoyens, la société, vivement flattée de l'accueil favorable que vous avez fait à ses différentes demandes, relatives à des ex-religieuses qui voudraient puiser les leçons de civisme dans son sein, me charge de vous témoigner sa reconnaissance, en vous apprenant qu'elle a fait tout ce qui a dépendu d'elle pour ramener l'ex-religieuse que vous lui avez adressée et la conduite dans la route de la liberté et de la raison.
La société me charge d'être son organe pour vous apprendre que, malgré les discours énergiques et les leçons de civisme qui ont été donnés à cette âme corrompue par le fanatisme, elle n'a pu le détromper sur ses faux sistèmes.
Salut et fraternité.
BOULÉ, secrétaire."

Dans cette lettre, où se trouve l'aveu d'une défaite humiliante, se trouve aussi un bel éloge de la fidélité de Modeste Fruchard aux principes de toute sa vie. Comme Sainte Catherine, dont elle portait le nom, elle avait confondu ses contradicteurs. Et pourtant quels assauts n'avait-elle pas dû subir ! Par quels sophismes sa foi n'avait-elle pas été prise à partie ! Mais rien n'y avait fait ...

Toutefois, elle n'allait pas tarder à payer cher cette "fanatique" obstination. En effet, six jours après, le 1er août 1794, elle paraissait de nouveau devant la commission militaire, et, cette fois, pour entendre un arrêt définitif.

"Séance du 14 thermidor, au soir, l'an II de la République française, démocratique et impérissable.
Sur les questions de savoir si M. M.... et Catherine-Modeste Fruchard sont coupables :

1° d'avoir eu des intelligences avec les brigands de la Vendée ;

2° d'avoir maintenu les rassemblements de ces scélérats, par leurs propos contre-révolutionnaires et fanatiques ;

3° d'avoir, à l'aide de ces propos, provoqué l'incendie, le pillage, l'emprisonnement et le massacre des patriotes ;

4° enfin d'avoir, par l'ensemble de tous ces faits, provoqué au rétablissement de la royauté, conspiré contre la sûreté, la souveraineté et l'indivisibilité de la République.

L'accusateur public entendu en ses conclusions :

Considérant qu'il est prouvé qu'elles ont constamment manifesté des sentiments contraires au bonheur et à la tranquillité publique ;

Considérant que la plupart d'entre elles sont de cette classe appelée "gens comme il faut", classe d'autant plus perfide qu'étant riche et instruite, elle n'a pas peu contribué à égarer cette partie vertueuse du peuple, employée à l'agriculture, pour la faire tomber dans le précipice qu'elle préparait, afin de la rendre nouvellement victime de l'esclavage le plus outrageant ;

Considérant que l'incendie, le massacre et le pillage des patriotes, consommés par ces brigands, n'ont été que l'effet de la conduite ou des propos fanatiques et contre-révolutionnaires tenus par de tels individus ;

Considérant enfin que, en manifestant des principes aussi dangereux, elles se sont rendues indignes d'habiter le sol de la liberté qu'elles souilleraient par leur présence ;

Et, en exécution de la loi du 7 juin 1793 portant :

La convention nationale décrète qu'elle rend communes à tous les tribunaux criminels de la République, les dispositions de l'article 3 du titre II de la loi du 10 mars dernier, relative à l'établissement d'un tribunal militaire, conçue en ces termes :

Ceux qui auraient été convaincus de crime ou délits qui n'auraient pas été prévus par le code pénal et les lois postérieures ou dont la punition ne serait pas déterminée par les lois, et dont l'incivisme et la résidence sur le territoire de la République auraient été un sujet de trouble et d'agitation seront condamnés à la déportation.

La convention décrète, en outre, que les juges des tribunaux criminels, en appliquant cette peine, pourront la prononcer temporaire ou à vie, suivant les circonstances et la nature des délits ;

Et encore, en exécution de la loi du 6 Frimaire, article 1er, portant :

A compter du jour de la publication du présent décret, la peine de déportation ne pourra être prononcée, soit par le tribunal révolutionnaire, soit par les tribunaux criminels ordinaires que pour la vie entière de celui qui y sera condamné, et il est dérogé, quant à ce, à la loi du 7 juin 1793 ;

Et aussi, en exécution de la loi du 17 septembre 1793 :

La commission extraordinaire et révolutionnaire condamne M. M... etc. et Modeste Fruchard, ex-religieuse de Luçon, à la déportation perpétuelle.

Et enfin, en exécution de la loy du 28 mars 1793, article 1er, portant :

Les émigrés sont bannis à perpétuité du territoire français ; ils sont morts civilement ; leurs biens sont acquis à la République ;

La commission révolutionnaire déclare les biens des onze dénommées acquis et confisqués au profit de la République.

Et sera le présent jugement imprimé et affiché.

Ainsi prononcé, d'après les opinions, par Marie Obrumier, président, Brutus Thierry, vice-président, Gabriel Gouppil, H. Collinet, Louis Goullain, tous membres de la commission militaire, établie, près l'armée de l'Ouest, par les représentants du peuple et le comité de salut public.

L'isle de la Montagne, le 14 thermidor, l'an II de la République, démocratique et impérissable.
(Suivent les signatures des cinq juges ci-dessus nommés)."


Quand on lit et relit les considérants du jugement qui précède, pour y découvrir les vrais motifs de la condamnation de Catherine-Modeste Fruchard, on ne peut en trouver aucun. Pour quiconque n'est pas de parti-pris, il est certain qu'elle n'a pris part à aucun complot contre la République, ni excité personne au pillage, à l'incendie et au massacre. Le seul véritable motif, caché sous ce verbiage ridicule, n'est autre que son refus de soumission aux lois antichrétiennes de la Révolution.

Par cette condamnation qui la frappait injustement, l'humble religieuse avait un nouveau trait de ressemblance avec son divin Époux. Elle courba la tête sous le coup qui l'atteignait, émue sans doute, mais pleine de confiance en la Providence dont les voies semblaient s'assombrir et lui réserver un avenir rempli d'épreuves.

Il était facile au tribunal de condamner à la déportation ; l'exécution de cette peine était loin d'être aussi aisée, car les Anglais tenaient la mer par leurs croisières incessantes. Aussi la prévenue fut-elle reconduite en sa prison où elle allait désormais languir jusqu'à la mort. Une pièce officielle mentionne cette réintégration.

"Reçu du citoyen Lambourg, de la part des membres composant la Commission militaire extraordinaire établie par la dite armée, les dénommées ... Catherine-Modeste Fruchard, de Luçon, district de Fontenay, ex-religieuse ...
Le dit ordre de ce jourd'huy 14 thermidor, 2e de la république démocratique, impérissable ... etc.
(Signé) Digeon S. L., 6e Compagnie, 3e Bataillon, commandant le poste."

Depuis le 9 thermidor, jour de la chute de Robespierre, il s'était produit, un peu partout, une détente dont la conséquence avait été un adoucissement sensible au régime des prisonniers. En beaucoup d'endroits, on les rendait à la liberté. Mais nos religieuses, recluses au château de Noirmoutier, ne virent pas luire, de si tôt, le soleil de la délivrance. Il leur fallut attendre jusqu'au 19 pluviôse, an III (7 février 1795) pour que, grâce à une amnistie, s'ouvrirent enfin les portes de leur prison. Mais toutes n'étaient pas là pour jouir de ce bienfait ; la mort avait fait des vides parmi elles, et, au nombre de ces absentes, se trouvait justement Catherine-Modeste Fruchard.

Dans la geôle, où on les avait laissées, des privations de toutes natures, suivies de maladies de plus en plus dangereuses, n'avaient cessé de les faire souffrir physiquement et moralement. Elles manquaient de linge ; celui qu'elles avaient apporté leur avait été en partie enlevé ; elles le réclamaient en vain ; et cependant leurs besoins étaient pressants. Le puits du château n'avait pas d'eau ; elles demandaient à aller laver à un autre puits ce qui leur restait de linge. Leurs lettres étaient des plus touchantes et semblaient faites pour émouvoir les coeurs les plus durs.

Réussirent-elles à attendrir la municipalité ? C'est ce que nous ne savons pas, car les réponses officielles ne se trouvent nulle part.

Quand l'hiver commença à se faire sentir, elles firent auprès des officiers municipaux de nouvelles instances, afin d'avoir un peu de bois pour secourir les malades qui périssaient de froid et de misère. Cette dernière réclamation qui revient, en presque toutes leurs lettres, finit par être prise en considération. Ce n'était pas sans besoin car elles avaient "les mains et les pieds enflés". Par suite du manque de feu, elles se trouvaient dans l'impossibilité de travailler et de gagner quelques sous pour acheter de quoi manger le pain sec que leur offrait la municipalité. Tous les détails qui précèdent sont extraits de lettres écrites par les détenues, dont l'original se trouve aux archives municipales de Noirmoutier.

On le voit, rien de plus triste, de plus digne de pitié, que le sort de ces infortunées !

Catherine-Modeste Fruchard ne put tenir à un pareil régime ; elle tomba malade. Peut-être ne se remit-elle pas de la maladie pour laquelle, le 7 juin, on l'avait autorisée à se faire soigner chez des particuliers. Quoi qu'il en soit, son état finit par s'aggraver de telle sorte que la mort s'ensuivit. Nous n'avons malheureusement aucun détail sur les souffrances de ses derniers instants et la date de son décès.

Si la pièce suivante a été établie après sa mort, la malade aurait succombé avant le 16 octobre 1794. Mais cette conclusion ne nous paraît pas rigoureuse.

Voici néanmoins le document :

"Inventaire des effets, provenant des individus jugés à mort et à la déportation par la Commission militaire et révolutionnaire qui ont été déposés au bureau du Comité de Surveillance de l'Île de la Montagne ...

De Modeste Fruch

ard : Deux brassières, cinq mouchoirs de poche, une jupe de coton, un tablier dito, quatre coiffes, une serviette.
25 vendémiaire, an III." (16 octobre 1794).

Ces vêtements doivent-ils être considérés comme la dépouille d'une défunte ou simplement comme le dépôt, au bureau du Comité, d'effets appartenant à une prisonnière vivante ? C'est entre ces deux solutions que la question se pose.

La difficulté se complique par ailleurs de ce fait qu'aucun acte de décès n'a été dressé sur les registres officiels. Les détenus condamnés étaient hors la loi, même après leur mort ; c'est pourquoi généralement, on ne prenait pas la peine de remplir à leur égard ces formalités. Du reste, tel était le nombre des mourants - il en mourait parfois 5, 6, 8 et 10 par jour - qu'il était difficile aux scribes municipaux de les inscrire tous sur leurs registres.

Mais à défaut de ce registre officiel, nous avons l'acte rédigé par les Religieuses Ursulines, lorsque, reprenant possession de leur maison de Luçon, en 1801, elles établirent le nécrologe de leur congrégation.

Nous citons :

"Notre chère Soeur Catherine-Modeste Fruchard, ditte de Saint-Ambroise, a fait profession le 10 de mars 1771, âgée de 22 ans, 3 mois et 10 jours. Elle est décédée à Noirmoutier, maison d'arrestation, ne sachant pas le mois, ni quantième, âgée de 47 ans, de profession 23 ans".

Cette incertitude au sujet de la date, trouve son explication dans cette circonstance que la soeur Saint-Ambroise était seule de son ordre, en détention à Noirmoutier. Dans les autres prisons, où leurs soeurs étaient décédées, elles avaient auprès d'elles des Ursulines comme compagnes de captivité ; et par les survivantes, elles avaient pu se procurer des renseignements complets.

Une preuve, indirecte il est vrai, de la mort de Modeste Fruchard, dans la geôle de Noirmoutier, se rencontre aussi dans la liste des détenus, mis définitivement en liberté le 7 février 1795, par application de la loi du 29 nivôse précédent. Il y avait alors, à l'île de la Montagne, 29 prisonniers. La liste officielle donne tous leurs noms, parmi lesquels ceux des quelques religieuses qui avaient pu résister à une si terrible épreuve. Celui de notre chère Ursuline ne s'y rencontre pas et pour cause.

Catherine-Modeste Fruchard, dite Saint-Ambroise, est la onzième martyre de la congrégation des Ursulines cloîtrées de Luçon. Comme ses autres compagnes, c'est uniquement pour refus de serment qu'elle a souffert persécution et que, finalement, elle a succombé, dans une maison d'arrestation, sous la garde de geôliers agissant d'après les ordres d'un gouvernement impie et persécuteur.

lys et croix

(D'après M. le Chanoine P. Boutin)
AD85 - Bulletins paroissiaux - Brétignolles-sur-Mer - 1930 - 1931

Publicité
Commentaires
La Maraîchine Normande
  • EN MÉMOIRE DU ROI LOUIS XVI, DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE ET DE LA FAMILLE ROYALE ; EN MÉMOIRE DES BRIGANDS ET DES CHOUANS ; EN MÉMOIRE DES HOMMES, FEMMES, VIEILLARDS, ENFANTS ASSASSINÉS, NOYÉS, GUILLOTINÉS, DÉPORTÉS ET MASSACRÉS ... PAR LA RIPOUBLIFRIC
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Newsletter
Archives
Derniers commentaires
Publicité