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La Maraîchine Normande
17 janvier 2016

LYON - SAINT-JUST-D'AVRAY (69) - FRANÇOISE BERRUYER, VEUVE GAGNIÈRE (1760-1793) ET SES FILLES

 

Lyon - Saint-Nizier

 

 

SOPHIE GAGNIÈRE vint au monde le 27 juillet 1780. Son père, Alexis Gagnière, riche négociant de la place Saint-Nizier, à Lyon, fut enlevé à l'âge de 39 ans, en 1789, par une attaque d'apoplexie foudroyante.


UNE MÈRE HÉROÏQUE


(Née à Lyon, paroisse Saint-Nizier, le 8 mai 1760, baptisée le 10) Madame Gagnière, née Françoise Berruyer, restait veuve à 28 ans. Ce coup terrible lui montra la vanité du monde. Déjà fidèle chrétienne, elle se livra dès lors avec une ardeur nouvelle à la pratique des bonnes oeuvres et à l'éducation de ses trois filles, l'aînée Sophie notre héroïne, Jacqueline et Fanny.

acte naissance Françoise Berruyer Garnière

Pendant les mauvais jours de la Révolution, la vaillante chrétienne reçut et cacha un grand nombre de prêtres dans sa maison de la place Saint-Nizier, entre autres M. Linsolas, vicaire général de Mgr de Marbeuf.

Dénoncée par quelques personnes auxquelles elle avait fait du bien, Madame Gagnière fut arrêtée le 4 novembre 1793. Ses filles essayèrent en vain d'obtenir sa grâce. "Retirez-vous, leur dit le farouche président du tribunal, vous êtes heureuses de n'être pas plus âgées, vous y passeriez comme votre mère."

La ville de Lyon, insurgée contre la tyrannie de la Convention, avait soutenu un siège de plus de deux mois. Madame Gagnière fut condamnée à mort sous prétexte d'avoir payé l'impôt forcé prélevé par les insurgés pour soutenir le siège. En réalité, elle fut choisie comme victime de représailles parce qu'elle était connue comme chrétienne. Après six semaines de détention, elle fut condamnée à mort le 18 décembre 1793, vers midi. Une heure après elle montait sur l'échafaud. (1)

 

Françoise Gagnière

 

Ses filles étaient là demandant à mourir à la place de leur mère. Durement repoussée, elles restaient encore agenouillées, sur les degrés de l'échafaud, quand Madame Gagnière les gravit d'un pied ferme. Elle avait obtenu du bourreau, à prix d'argent, qu'il lui laisserait le second des deux fichus qu'elle portait. Exquise délicatesse de pudeur chrétienne qui rappelle celle de Sainte Perpétue dans son martyre ! Quand le couperet de la sinistre guillotine tomba, Sophie s'évanouit.


UNE FILLE VAILLANTE


L'année précédente, Sophie avait fait en cachette sa première communion, le 15 août 1792, après une retraite de huit jours. Quoique bien jeune encore, l'orpheline, formée par de telles leçons et de si beaux exemples, précocément mûrie par l'adversité, était une chrétienne accomplie et ses soeurs l'écoutaient comme une mère.

Après trois ans passés à Lyon, sous la tutelle un peu dure d'une ancienne femme de chambre, les jeunes filles avaient trouvé un foyer maternel chez une amie de la famille, Madame Dupré. Craignant une recrudescence de la persécution sous le Directoire, celle-ci les fit quitter Lyon pour habiter une petite maison qu'elle avait au hameau de Saint-Maurice, au pied du bourg de Saint-Just-d'Avray.

 

Saint-Just-d'Avray - Saint-Maurice

 

Là elles assistaient aux messes clandestine d'un prêtre non assermenté, qui, comme tant d'autres, exerçait le ministère sacré au péril de sa vie. Quelles courses il fallait faire, la nuit, par tous les temps, à travers bois, pour aller recevoir la sainte communion, tantôt dans une grange, tantôt dans un grenier, cachés comme les chrétiens des premiers siècles aux Catacombes ! N'étaient-elles pas filles d'une martyre ?

On ne tarda pas dans la région à connaître le dévouement et la vertu des "Dames de Saint-Maurice". Presque chaque dimanche on se réunissait dans leur demeure où elles faisaient le catéchisme et des lectures pieuses à la place des Vêpres. Dans une chambre supérieure, on conservait les saintes espèces, que le prêtre venait renouveler dans une messe nocturne. Pendant longtemps le secret de ces réunions fut si bien gardé que la police n'inquiéta pas les fidèles.


LE SAINT SACREMENT EN DANGER


Mais un dimanche matin quatre gendarmes à cheval, qui montaient à Saint-Just-d'Avray, remarquèrent qu'un grand nombre de personnes sortaient du hameau de Saint-Maurice. Tournant bride, ils accoururent à la porte des "Dames de Saint-Maurice". Les uns font le guet, les autres fouillent la maison. Une odeur d'encens les conduit à l'étage supérieur, à la chambre qui servait de chapelle. La porte était solidement fermée.

- Ouvrez, immédiatement, au nom de la loi ! ...

- Attendez, que je cherche la clef ...

La clef, par hasard, était égarée. Elle se retrouva quand les forcenés se mirent en mesure d'enfoncer la porte ... La salle est vide ... mais cette lampe, dont la mèche fume encore, ne serait-elle pas la lampe du Saint-Sacrement ?

Les gendarmes cherchent. Enfin ils découvrent, au fond d'une bourse à calice, une petite custode d'argent, qu'ils n'osent d'abord toucher. L'un d'eux, pour surmonter ce mouvement instinctif de crainte révérentielle et de remords, pousse ce cri sauvage : "Satan, aide-moi !" Il ouvre le vase sacré, y compte trois hosties, dresse procès-verbal, et, remettant le corps du délit dans la bourse, l'enferme dans une valise qu'il attache à la selle de son cheval. Puis les quatre gendarmes, proférant des menaces de mort, s'en vont au galop, laissant les demoiselles Gagnière impuissantes et désolées.

Sophie pleure, se fait des reproches : "Mon Dieu, j'aurais dû consommer les saintes Hosties, pour les soustraire à la profanation ! Hélas ! c'est trop tard !" Mais, bien vite, dans un sursaut d'énergie, elle sèche ses larmes, et se met à la poursuite des gendarmes en disant à ses soeurs :


IL FAUT DÉLIVRER LE BON DIEU


Les gendarmes se sont arrêtés à l'auberge du bourg voisin. Ils mettent leurs chevaux à l'écurie et s'attablent au cabaret pour boire et manger.

Sophie court à la maison. Elle enlève sa coiffe de demoiselle, prend un bonnet, un tablier, des vêtements de travailleuse des champs. "Mettez-vous en prière" dit-elle à ses soeurs. Une jeune paysanne zélée, qui connaît la famille de l'aubergiste, de braves gens, l'accompagne.

Sur la porte se tient la fille de l'aubergiste.

- "Où sont les chevaux ?

- Dans l'écurie.

- Dis à ton père de faire boire les gendarmes."

 

Sophie Gagnière

 

Les deux jeunes filles cherchent le trésor sacré. Mais où est-il ? Les chevaux sont chargés de divers bagages, solidement amarrés. Il faut monter sur les étriers, couper les courroies, ouvrir les valises. Sur les deux premiers chevaux, elles n'ont rien trouvé. Et le temps passe. Elles entendent les éclats de voix des hommes qui trinquent dans la salle toute voisine : une simple porte vitrée les en sépare. Sophie croit entendre ouvrir cette porte. Prise de frayeur, elle va se cacher derrière une charrette de foin. Mais aussitôt elle retourne, se reprochant sa lâcheté.

La fille de l'aubergiste accourt : "Dépêchez-vous. Les gendarmes sont levés pour partir."

Mais les vaillantes filles bravent tout pour sauver le Bon Dieu. Elles montent sur les chevaux. Tout à coup la paysanne s'écrie : "Ah ! je l'ai trouvé !" Sophie l'aide à couper les liens et de ses propres mains retire avec joie le Saint-Sacrement.

Il était temps. Nos deux héroïnes sortaient par une porte au moment où les gendarmes entraient par l'autre. En voyant leurs paquetages en lambeaux, leurs valises bouleversées, ils poussent des jurons de fureur. Trois d'entre eux gardent les chevaux ; le quatrième se met à la poursuite des fugitives.

Celles-ci se sont dérobées dans un vallon, puis se sont jetées dans un champ de blé assez haut où elles se blotissent comme un gibier traqué. Elles entendent les imprécations du gendarme. Mais celui-ci, ne découvrant rien, s'en va. Que faire ? Sophie dit à sa compagne :

"Les hommes vont certainement retourner à la maison pour nous emprisonner, mes soeurs et moi. Garde le bon Dieu. Je cours avertir mes soeurs."

Pär les chemins de traverse, dévalant la côte, Sophie, haletante, épuisée, a rejoint ses soeurs qu'elle trouve en prières : "Il est sauvé. Pour nous, fuyons, les gendarmes vont revenir."

Les gendarmes arrivaient en effet, mais trop tard. Les jeunes suspectes s'étaient envolées. Elles purent, sans être vues, gagner le bois et se réfugier dans une chaumière où de pauvres paysans cachaient un prêtre. La jeune paysanne connaissait cet asile. Portant, comme saint Tharcicius, le Dieu caché sur son coeur, elle vint frapper à la porte pendant la nuit et remit le dépôt sacré au prêtre proscrit.


ÉPILOGUE


Cette poursuite dramatique fut l'un des derniers épisodes de la persécution révolutionnaire. Peu après le Directoire était remplacé par le Consulat, et Bonaparte proclamait la liberté des cultes.

Les gendarmes profanateurs de l'Eucharistie ne virent pas cette accalmie. Quelques jours après leur sacrilège, ils furent massacrés par des voleurs embusqués sur leur passage.

Quant aux demoiselles Gagnière, la plus jeune, Fanny, épousa un noble émigré, le comte de Saint-Priest. Les deux aînées entrèrent dans l'Institut des Soeurs enseignantes de la Sainte Famille, dont Sophie Gagnière fut l'âme et devint la directrice.

Morte en 1836, entourée de la vénération de ses soeurs, la Libératrice de l'Eucharistie reste une des plus belles figures de l'époque révolutionnaire, un modèle admirable de vaillance dans la vertu et dans la foi.


AD85 - Bulletin paroissial - Le Fenouiller - 1934

Ce  même jour,  Françoise Berruyer, veuve Gagnière, ne fut pas la seule à périr sur l'échafaud, 45 condamnés subirent le même sort.

Condamnés et exécutés le 28 frimaire an II (18 décembre 1793) :


1 - François Perissiat, demeurant à Commune-Affranchie.
2 - Michel Charbonnier, marchand de boutons, place du Plâtre, 37 ans
3 - François-Honoré-Antoine Lefèvre, menuisier, place de la Baleine, 41 ans
4 - Philibert Devau, tisserand, à Fornoux (Saône-et-Loire), 27 ans
5 - Paul-André André, commis, demeurant à Commune-Affranchie, 23 ans
6 - Jean-Marie Dassin, demeurant à Commune-Affranchie, 44 ans
7 - François-Philippe Madinié, cafetier, à Commune-Affranchie, 23 ans
8 - Bernard Troit, chirurgien, demeurant à Commune-Affranchie, 28 ans
9 - Jean-Baptiste Culliot, négociant, demeurant à Commune-Affranchie, 55 ans
10 - Claude Prost, pâtissier, demeurant à Commune-Affranchie, 26 ans
11 - François Druas, cafetier, demeurant à Commune-Affranchie, 33 ans
12 - Martin Trunel, demeurant à Commune-Affranchie, 42 ans
13 - Claude Lebé, rentier, demeurant à Commune-Affranchie, 58 ans
14 - Jean-Baptiste Perraud, demeurant à Commune-Affranchie, 60 ans
15 - Benoît Carrand, clerc, demeurant à Commune-Affranchie, 26 ans
16 - Pierre-Joseph Planchy, demeurant à la Grande-Côte, 43 ans
17 - Jean-Baptiste Depure, ci-devant marquis, rue Sala, 55 ans
18 - Jean-François Brundibert, commis, rue des Trois-Maries, 42 ans
19 - Louis-François Botu de la Balmondière, ex-noble, rue Saint-Joseph, 68 ans
20 - César-Rémy Gauthier, toilier, rue Longue, 40 ans
21 - Jean-Baptiste Pelisson, marchand de dorure, place de l'Herberie, 37 ans.
22 - François Calmar, commis, rue Saint-Pierre, 23 ans
23 - Pierre-François-Thérèse Hutte fils, place Saint-Pierre, 19 ans
24 - Claude Valesque, ex-noble, commis, place Saint-Pierre, 24 ans
25 - Thomas Lemontrey, orfèvre, demeurant rue Saint-Côme, 31 ans
26 - Jean-Baptiste Guillot, marchand de dorure, rue de l'Enfant-qui-Pisse, 49 ans
27 - Michel-Théodore Chavanieu, rentier, rue Lanterne, 33 ans
28 - Marc Roux, toilier, rue Longue, 35 ans.
29 - Jean-Pierre Gay, dessinateur, rue Lanterne, 41 ans
30 - Louis Laussel, vitrier, place des Carmes, 50 ans
31 - Jean Grimardias, droguiste, rue de l'Enfant-qui-Pisse, 40 ans
32 - Gilbert Ravier, toilier, petite rue Longue, 29 ans
33 - Jacques Ordassière, toilier, petite rue Longue, 29 ans
34 - Louis baraud, ci-devant carme, 66 ans
35 - Claude Laplatte, rentier, rue Saint-Côme, 29 ans
36 - Claude Crochet aîné, tonnelier, rue Luizerne, 45 ans
37 - Jean-Marie David, plumassier, place des Carmes, 37 ans
38 - Joseph Féréol, chirurgien, natif de Lagnieux, demeurant rue Paradis, 41 ans
39 - Emmanuel Subrin, cultivateur, rue Portefroc, 33 ans
40 - Jean-Claude Cornu, ouvrier en soie, place de la Baleine, 30 ans
41 - Jean-Claude Dupré, épicier, place Saint-Georges, 50 ans
42 - Jean-Marie Deschamps, boulanger, rue Sainte-Claire, 57 ans
43 - Gaspard Arnaud, avoué, rue de la Claye, 40 ans
44 - Barthélémy Joubert, employé, port Neuville, 36 ans
45 - Marguerite Pontaut, rentière, rue de l'Arbre-Sec, 58 ans
46 - et Françoise Berruyer, veuve Gagnière, place Saint-Nizier, 33 ans.

(Histoire politique et militaire du peuple de Lyon pendant la Révolution - par Alphonse Balleydier - 1816)

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