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La Maraîchine Normande
16 janvier 2016

BUZET (31) - 1791 - ROGER-VALENTIN, COMTE DE CLARAC - L'INCENDIE DU CHÂTEAU

BUZET SUR TARN

 

L'incendie du château de Buzet, allumé par le peuple le 8 janvier 1791.


Dans un moment de colère causée par la conduite imprudente de M. Roger-Valentin de Clarac, seigneur du lieu. Lorsque le fait eut lieu, beaucoup, les journaux notamment, le racontèrent, mais chacun met dans ce récit plus ou moins de passion. Dans certains, M. de Clarac est présenté comme une victime des fureurs populaires ; dans d'autres, au contraire, comme un homme emporté, violent même, considérant le peuple comme un troupeau de moutons qu'il ne fallait pas se lasser de tondre. A ces récits, nous ajouterons le nôtre ; nous l'avons écrit après avoir ouï, non pas des témoins oculaires, ceux-là sont morts ; mais le fils d'un domestique de M. de Clarac qui a entendu raconter bien des fois par son père tous les détails de cette scène lugubre.

Le lecteur doit se souvenir que le comte Raymond VII avait juré que la chatellenie de Buzet ne passerait jamais en des mains étrangères. Or cette clause fut violée par Louis XV, en 1771. Ce roi la cède au comte de Clarac avec privilège de haute et de basse justice.

Profondément attachée à la royauté, la population ne vit pas ce changement sans déplaisir. On conçoit sans peine que les usages, coutumes et libertés durent être modifiés par le nouveau maître ou qu'ils furent au moins soumis à un examen plus rigoureux. Froissé dans son orgueil et gêné dans ses coutumes, le peuple ne vit dans son seigneur qu'un ennemi, qu'une espèce de tyran qui ne laissait échapper aucune occasion de lui faire sentir son joug.

Ainsi, le 2 janvier 1787, M. de Clarac réclame un terrain vacant près du pont, situé sur la rive droite du Tarn. Deux jours après, il oblige les marguilliers à lui soumettre les titres qui les rend propriétaires de diverses pièces de terre ; le 5 mai 1790, il intente une action judiciaire contre les consuls relativement au four banal. M. de Clarac aurait dû, ce nous semble, ménager un peu plus les susceptibilités de la population et ne pas oublier qu'elle avait toujours vécu loin de son seigneur et maître ; il aurait dû respecter les habitudes qu'elle avait prises ; habitudes qui s'étaient transmises de père en fils et dont elle jouissait de temps immémorial.

S'il eut agi ainsi, nous osons affirmer qu'elle se serait attachée à son nouveau maître ; que le bruit absurde qui circulait et qui disait que le comte, avec quelques amis, voulait massacrer ceux qui lui portaient ombrage, serait tombé de lui-même, parce qu'elle l'aurait jugé incapable de former d'aussi sinistres projets. Il n'en fut pas ainsi : c'est pour nous la preuve qu'il n'était pas aimé. L'histoire nous enseigne que le peuple ne marchande pas son affection à ceux qui lui veulent et qui lui font du bien ; il n'est impitoyable qu'à l'égard de ses gouvernants qui l'ont méprisé, exploité ou trahi.

 

Incendie Château de Buzet

 

Cela dit, racontons le fait.


"Le comte de Clarac, après avoir émigré avec les princes, revint à son château de Buzet.

Son éloignement et son retour éveillèrent les soupçons des habitants. Une active surveillance, rendue facile par la trahison de plusieurs domestiques, fut exercée contre lui.

L'arrivée de son parent, M. d'Escayrac, colonel de gendarmerie, de M. de Caminel, son ami, et autres personnages inconnus fut signalée et interprêtée", dans le sens que nous avons indiqué. "L'interprétation chez ce peuple surexcité se changea en certitude par la conduite équivoque de deux domestiques ; ils se rendaient au près de leur maître M. d'Escayrac, mais au lieu de suivre la route ordinaire, ils prirent une voie détournée s'arrêtèrent dans une auberge isolée où ils attendaient la nuit pour arriver au château."

L'un de ces domestiques est arrêté par les autorités locales. Les porte-manteaux sont visités. Rien de compromettant n'est découvert. M. de Clarac écrit en vain pour obtenir sa liberté ; on exige de lui qu'il laisse visiter son château où d'après les deux populaires se trament des complots contre l'État et la sûreté publique. Les gardes nationales de Buzet et de Bessières prennent les armes. Le peuple se soulève de tous côtés. Le château est envahi.

Le comte que la colère aveugle met fin aux pourparlers en tirant un coup de pistolet sur M. Planchon, commandant des gardes nationales.

La vue du sang, la conduite de M. de Clarac exaspère la population. Des cris de vengeance se font entendre.

De toutes parts, on apporte des fagots, de la résine pour incendier le château. C'est en vain que pour désarmer les agresseurs, le comte de Clarac jette par les fenêtres tout l'or qu'il possède, mais rien ne peut calmer l'effervescence populaire, rien ne peut l'arrêter dans sa vengeance. Le feu est ainsi allumé, les flammes enveloppent bientôt tout l'édifice et en peu d'instants, il a accompli son oeuvre de destruction.

M. de Clarac et ses amis s'étaient retirés dans le souterrain du château, attendant, en proie aux plus mortelles alarmes, que l'on vienne à leur secours ou que leurs ennemis se retirent pour s'échapper ; mais les dispositions les plus minutieuses avaient été prises pourque personne ne put sortir.

Vers deux heures de la nuit, ces malheureux sentirent un courant d'air frais, la porte qui fermait l'issue donnant sur le Tarn, venait de tomber entièrement carbonisée. Auprès d'elle, à l'extérieur veillait un domestique ; il avertit son maître que le moment était venu de fuir. Ils veulent aussitôt mettre ce projet à exécution. Tout du reste semble favoriser leur tentative : l'obscurité qui en ce moment est très grande et la solitude du lieu.

Une fois dehors, ils n'auront que quelques pas à faire pour arriver au port où est amarrée une barque appartenant au comte. Mais ceux qui avaient juré leur perte gardaient cette issue et lorsque M. d'Escayrac se présenta, il fut atteint en pleine poitrine de deux coups de feu, et tombe mortellement blessé. Enfin, les gardes nationales de St-Sulpice et de Lavaux arrivent, écartent les incendiaires et délivrent de Clarac, le conduisent à Toulouse où il a à répondre en justice d'avoir tenté une contre-révolution ; il fut acquitté.

AD31 - Monographies Communales - Buzet - BH br 4° 330

... La garde nationale de Lavaur, conduite par son maire, arrive au milieu de la nuit devant les ruines fumantes du château. Les dépositions faires dans la procédure par le maire et les gardes de Lavaur donnent à cette scène son véritable caractère. A peine arrivés, ils restèrent stupéfaits devant le sang-froid des incendiaires qui se chauffaient au feu. D'autres jetaient des fagots embrasés dans les caves, pour obliger M. de Clarac à sortir, et lui faire subir le sort de M. d'Escayrac. Un ancien domestique de M. de Clarac renvoyé par lui parcourait les rangs des émeutiers et l'accusait d'avoir tiré un coup de pistolet sur le major de la garde de Buzet. Le cadavre de M. d'Escayrac était là étendu sur le sol, et un garde national de Buzet se vanta devant ceux de Lavaur de l'avoir tué. Des habitants de Buzet avaient leurs fusils braqués sur l'incendie, et disaient au maire de Lavaur qu'ils étaient là pour tirer sur ceux qui sortiraient des ruines ; qu'ils en avaient déjà tué un.

Pendant ce temps-là le maire de Buzet, qui avait conduit ces brigands au château, s'était éclipsé pour décliner toute responsabilité, et était revenu chez lui. Le maire de Lavaur le trouva couché tout habillé ; il se prétendait malade, il avait été pris, disait-il, d'une colique subite et se déclarait d'ailleurs impuissant à retenir la foule. Plusieurs des gardes de Lavaur ont déclaré dans l'instruction tenir des gens de Buzet que leur maire avait tranquillement assisté à l'incendie, et les y avait même encouragés.

Le maire de Lavaur, qui était heureusement un tout autre homme, fit ranger sa garde nationale autour des ruines du château, et se mit à haranguer les pillards. Il leur dit que M. de Clarac, s'il avait commis un crime, devait être jugé, et leur fit jurer de ne pas attenter à sa vie et de le confier à la garde nationale de Lavaur, qui le conduirait à Toulouse, où il serait définitivement jugé. La garde de Buzet y consent, et donne sa parole. Le feu était éteint partout, mais on venait de le rallumer près de l'endroit où l'on supposait que M. de Clarac était caché ; le maire de Lavaur le fait éteindre. Un domestique fidèle offre d'aller chercher son maître dans le souterrain, si la garde nationale jure encore une fois de ne pas attenter à sa vie ; elle renouvelle son serment, le domestique s'aventure dans les décombres, et ramène M. de Clarac et son compagnon. Mais les gardes nationaux de Buzet, au mépris de leur parole, veulent s'emparer d'eux : le maire de Lavaur leur représente vainement qu'ils se sont engagés sur l'honneur ; il offre même de rester en otage.

Mais on voit arriver un fort détachement de la garde nationale de Toulouse, conduit par deux hommes destinés à jouer un certain rôle dans la révolution ; ce sont Delmas, alors major général de la garde nationale de Toulouse et Mailhe, procureur général syndic. Ce dernier, qui représentait pourtant la plus haute autorité du département, ne montra ni beaucoup de zèle, ni beaucoup de courage, car au lieu de courir tout de suite au château, il s'arrêta chez le maire de Buzet pour y prendre des renseignements, disait-il ; mais le maire de Lavaur déclara l'avoir trouvé si mal instruit, qu'il ignorait la captivité de M. de Clarac et l'assassinat de M. d'Escayrac. Il invita solennellement le maire de Lavaur à veiller sur le château, et celui-ci dut lui répondre qu'il n'y avait plus rien à sauver.

Enfin Mailhe se dirigea vers les ruines du château, fit à la foule une harangue assez plate, et décida que pour calmer les esprits, M. de Clarac serait conduit à Toulouse par dix hommes de chacune des trois gardes nationales de Lavaur, de Toulouse et de Buzet. Bien qu'il eût une troupe très-forte à sa disposition, il montra fort peu de fermeté. Au moment de partir, il parla chapeau bas à cette bande d'incendiaires : "Messieurs, leur dit-il, je suis l'homme du peuple ; je suis votre défenseur ..." Et il les consulta sur les arrangements à prendre pour conduire M. de Clarac.

Le malheureux châtelain reçut, pendant qu'on le conduisait à Toulouse, mille outrages de son escorte, en partie composée de gens qui avaient incendié son château, assassiné son parent, et qui avaient peut-être les poches pleines de ce qu'ils lui avaient volé. L'information établit en effet que le château fut livré au pillage. Un témoin, garde national de Lavaur, déclara avoir vu le lieutenant-colonel de la garde nationale de Buzet, prendre dans les appartements du château deux bougeoirs d'un métal blanc et les cacher sous ses habits. C'est pourtant sur les dénonciations du maire de Buzet, et de ces gardes nationaux qui venaient de commettre un meurtre et d'incendier un château, que Mailhe, sans daigner entendre M. de Clarac, rédigea pour l'Assemblée un procès-verbal qui, l'accusait d'avoir tiré sur des hommes inoffensifs, et atténuait singulièrement l'odieux de la conduite des habitants de Buzet.

Un nommé Planchon, major de la garde nationale et ennemi violent de M. de Clarac, avait été atteint de quelques grains de plomb au moment où on s'élançait sur le château. Cette blessure était évidemment accidentelle ; la bande qui entourait le château avait fait une décharge, et l'un des tireurs avait par maladresse blessé ce major. Est-il croyable que M. de Clarac ayant des centaines d'hommes armés devant lui ait pu commettre l'insigne folie de tirer sur eux avant d'être attaqué ? Est-il supposable qu'un militaire se soit amusé à charger un pistolet avec du plomb de chasse ? car le rapport du médecin constate que le major n'avait été blessé que par des grains de plomb. Et le major lui-même, qui s'était porté plaignant, n'a pas dit dans sa déposition qu'il avait vu M. de Clarac tirer sur lui ; il a dit seulement qu'il s'était senti blessé et qu'il pensait que c'était par le fait de M. de Clarac. Les gardes nationaux de Buzet soutinrent cette calomnie, mais ils n'étaient guère croyables ; c'était pour eux l'unique moyen d'excuser leur invasion à main armée dans le château, le pillage, l'incendie, et le meurtre qui avaient été commis à la suite. Ils eurent l'audace de se représenter comme indignement attaqués par M. de Clarac, un conspirateur dangereux, qui avait trois personnes réunies chez lui : l'incendie du château, le meurtre de M. d'Escayrac devaient être attribués à l'explosion d'une légitime indignation, et tout devait retomber sur la tête de M. de Clarac.

C'était la mode alors d'accuser les victimes et de s'attendrir sur les pillards et les meurtriers. Des nobles ne pouvaient demander justice ; le peuple ne pouvait avoir été ni oppresseur ni criminel. C'était bien pis quand une garde nationale s'était déshonorée en corps comme celle de Buzet ; il fallait absolument que ses victimes eussent mérité leur sort.

M. de Clarac, pillé et incendié, fut donc jeté en prison et eut à se débattre contre une accusation d'assassinat, pendant que les incendiaires et les meurtriers de M. d'Escayrac étaient en pleine liberté. L'accusateur public de Toulouse chercha à étouffer l'affaire en faveur des gens de Buzet ; dans ce but il s'ingénia à charger M. de Clarac, et dans une lettre au comité des rapports il reproduisit complètement la version des incendiaires. Il était plein d'ardeur contre M. de Clarac, mais quant à l'incendie du château et au meurtre de M. d'Escayrac, il prétendait n'avoir pu rien découvrir encore. Il traitait ces deux affaires très-dédaigneusement, c'étaient des moyens de défense, il aurait dit volontiers de chicane, pour M. de Clarac, et il serait toujours temps de s'en occuper. Il paraissait très-désireux de les étouffer. C'était du reste l'habitude constante des pillards et des assassins d'accuser d'assassinat les personnes qu'ils avaient piller ou égorgées. (Histoire de la Constitution civile du Clergé (1790-1801) - Tome 1 - par Ludovic Sciout - 1872-1881)

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