VIOLATION DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE
Voisines du pélerinage de Sainte-Anne, les dames d'Auray et de Vannes s'étaient entendues pour faire dire une messe basse en faveur de S.A.R. Madame la duchesse de Berry.
Le jour avait été fixé au 12 décembre, à onze heures.
On avait fait connaître cette détermination dans les villes nous avoisinant ; aussi de tous côtés d'élégans équipages venus d'Hennebon, Quimperlé, Vannes, et des châteaux voisins, de pieux campagnards, des artisans parés comme aux jours de fêtes se dirigeaient vers le lieu saint.
M. le préfet du Morbihan en avait été prévenu. On était loin de croire que dans ces prières il y eût quelque chose d'hostile que la liberté des cultes ne permettait pas.
Cependant l'autorité en était toute en émoi : trois compagnies de la garnison d'Auray étaient en bataille sur l'esplanade de Sainte-Anne, leur commandant, M. Chopie, y était ; un officier de gendarmerie et beaucoup de gendarmes à pied et à cheval allaient et venaient dans le village ; enfin M. Pradier, secrétaire général de la préfecture, y avait été envoyé par M. de Lauroi, préfet ; il se tenait à la sacristie de la chapelle, et annonçait que sa mission était d'empêcher le service divin et de faire fermer les portes de l'église. Il fut vainement représenté qu'un pareil acte était tout ce qu'il y avait de plus arbitraire, qu'il violait la charte, la liberté des cultes et la liberté individuelle.
Une énergique protestation de M. le supérieur du petit séminaire fut également méprisée ; pas une bonne réponse ne put être alléguée par M. l'administrateur, et les portes de l'église furent fermées en l'absence de M. le maire de la commune. Force fut à toutes les pélerines de demeurer en dehors de la chapelle, hors deux dames qui ont obtenu tacitement de M. le secrétaire général, remplissant en ce moment les fonctions d'évêque, la permission de communier à la sainte table.
Une procession fut formée en dehors ; chaque femme portait un cierge à la main ; et cette procession improvisée, où l'on voyait tout ce que la noblesse et la bourgeoisie ont de plus honorable, a fait le tour de l'église et s'est arrêtée à la porte toujours fermée, pour y réciter des prières. Cela fait, cette nombreuse réunion, dans laquelle on comptait à peine quelques hommes, s'est dissipée sans bruit et sans qu'aucune parole offensante témoignât son mécontentement.
L'imposant appareil de force militaire contre quelques centaines de femmes s'est dissous, mais plus tard.
Chr. Dupanlay, ancien juge de paix.
Extrait : Journal des presbytères et archives de la religion catholique - volume 2 - 1833