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La Maraîchine Normande
17 décembre 2015

SAINT-MAURICE-LE-GIRARD (85) - DOCTEUR JEAN-GABRIEL GALLOT - LES ÉTATS-GÉNÉRAUX VUS PAR UN DÉPUTÉ BAS-POITEVIN

LES ÉTATS-GÉNÉRAUX VUS PAR UN DÉPUTÉ BAS-POITEVIN

LE DOCTEUR GALLOT

par Paul Tallonneau

DOCTEUR GALLOT

 

Élu à Fontenay le Comte le 26 mars 1789 pour représenter le tiers état du Bas-Poitou aux États Généraux, le Docteur Gallot, déjà, écrivait le 6 octobre 1789 à sa femme :

"Ma bonne Amie, nous voilà à une troisième révolution, qui, je l'espère, sera la dernière ..."

Curieuse vision des choses, semble-t-il, six mois seulement après le début des États Généraux ... et pourtant, que de chemin parcourus déjà, pouvait penser, à l'automne 1789, un honnête parlementaire de la Province. La première révolution, on comprend qu'il s'agisse du 14 juillet, la deuxième, la nuit du 4 août, la troisième était le départ du Roi des Français.

En voyant s'approcher la fin des États, le Dr Gallot (il ne s'était absenté que pour quelques semaines) avait-il tort ou raison ? Il faut se reporter à son journal et à sa correspondance pour répondre ... Ci-dessous donc quelques extraits de ses écrits en la circonstance.

L'ATTENTE

Et d'abord, avant ces révolutions, les premières semaines d'attente. L'ouverture a été reportée : la procédure de la vérification des pouvoirs n'en finit pas. Gallot ne perd pas son temps sans doute : il multiplie les contacts avec les sommités médicales avec lesquelles il a correspondu autrefois, de même il n'oublie pas ses corréligionnaires protestants et se dépense en visites et communications avec le ministre Necker, mais il commence à s'impatienter.

"Toutes mes pauvres affaires s'abîment ... écrit-il, bas, chaussons, chemises, manchettes. C'est une misère ... Je ne dépense pas un sou mal à propos. Je n'ai pas encore mis un liard en spectacles ou promenades d'amusement, mais ... il faut faire toilette pour voir son Roi ..."

En attendant, il visite Versailles, mais "Le Parc, le Château, tout cela ne me flatte plus ; je suis fatigué de voir tant de belles choses. Il me tarde d'être de retour avec toi et nos pauvres enfants. Je me trouverai mieux là qu'à Versailles dont toutes les beautés ne valent pas pour moi mon jardin, mon canal, ma prairie."

LE LEVER DE RIDEAU

Mais soudain le rideau se lève, d'une façon inattendue : alors que la noblesse du Poitou fait obstruction à l'ouverture des débats, prétendant n'avoir pas été élue pour changer la constitution, trois curés poitevins font basculer la situation : le 13 juin, ils rejoignent le tiers état. Voici comment Gallot raconte l'évènement le soir même dans son journal :

"Messieurs Jallet, Lescève et Ballard sont venus faire vérifier leur pouvoir. Le Président a fait un petit discours bien fait et applaudi avec l'enthousiasme du sentiment. Tous les yeux se sont humectés ; le coeur a goûté le sentiment du patriotisme vrai. Sur les 14 de notre députation, nous étions 12 absents au bureau et ne sommes rentrés qu'après la scène si touchante et pour serrer dans nos bras nos braves curés assis au bureau et félicités individuellement par ceux qui pouvaient approcher ..."

Le 2 juillet, il écrit à sa femme :

"Nous avons aujourd'hui "grand fricot" à notre petit couvert. Nous donnons à dîner à nos quatre braves curés (Dillon, le curé du Vieux Pouzauges, avait en effet rejoint ses confrères le 14 juin) ... Monsieur l'Official (c'est son collègue député de Parthenay, avec lequel il loge à Versailles) et moi avons cru devoir cette honnêteté à ces braves gens : nos curés se sont comportés comme des citoyens courageux, ils méritent des éloges et des égards ..."

Tout cela est bel et bon : on sait l'importance qu'a eu par la suite le geste des curés bas-poitevins, puisqu'il déclencha le ralliement de la majorité du clergé et même d'une partie des nobles, mais ce n'est pas encore une révolution ... Elle ne va pas tarder !

LA RÉVOLUTION DU 14 JUILLET

Voici ce qu'en dit Gallot dans son journal :

Le 3 juillet, le lendemain même du "grand fricot" :

"On dit qu'il est venu 30 boulangers de Paris chez M. Necker, disant qu'ils n'avaient pas de farine alors qu'ils savaient où il y avait des accaparements ..."

Le dimanche 12 juillet, Gallot était à Paris, c'est là qu'il apprend le renvoi de M. Necker ; il écrit le soir :

"Le peuple s'est porté à tous les spectacles et les a fait fermer parce que, dans une calamité comme la retraite de M. Necker, tout doit être en deuil ..."

Le lundi 13 juillet "Vers midi ... nouvelles alarmantes de la capitale où il y a eu du sang répandu pendant la nuit. On a arrêté une députation au Roi pour lui demander d'en envoyer une à Paris pour se jeter entre les armes et calmer les troubles : tous se sont disputé cet honneur et on en est venu au sort. J'ai eu l'avantage de l'obtenir."

Gallot va-t-il donc être à Paris le 14 juillet 1789 ? Non, car le Roi a refusé la députation !

"On est resté séance tenante toute la nuit."

Le mardi 14 juillet, Gallot note : "L'intendant de Paris, M. Bertier a eu l'imprudence de dire dans la chambre du Roi (et Gallot y était) que Paris était tranquille qu'il n'y avait rien d'inquiétant ..."

Mais, le mercredi 15 juillet, il n'a pas le temps de finir la première phrase de son journal : "Ce jour, comme on se préparait à envoyer une nouvelle députation au Roi pour envoyer celle nommée du lundi 13 sur Paris ..." Il s'arrête là, et ne reprendra pas son journal avant le 20 juillet : on comprend que voilà enfin Gallot lancé dans l'action : il va à Paris ... Les évènements ne lui laisseront pas le temps de prendre la plume. Pourtant il trouvera celui d'écrire à sa femme, pour la rassurer. Elle en a besoin car, le 14 juillet au soir, il lui avait confié : "Il y a un mouvement à Paris à cause de la retraite de M. Necker ..."

Il lui écrit donc, le vendredi 17 juillet au matin : "Les troubles dont tu as peut-être entendu parler n'existent plus : le Roi est venu se jeter au milieu de nous (donc le 15). Nous le reconduisîmes à pied au château. Il nous chargea d'aller en députation à Paris annoncer le renvoi des troupes. J'ai été du nombre et je te donnerai détails une autre fois, ou tu verras dans les papiers publics des détails de cette journée. Hier tous les nouveaux ministres ont été chassés. Le Roi nous a envoyé la lettre de rappel de M. Necker que les Parisiens appelaient à grands cris."

Le dimanche 19 juillet, nouvelle lettre à sa femme : "Enfin, chère bonne Amie, j'espère m'entretenir avec toi aujourd'hui plus longuement que je n'ai pu le faire depuis 8 jours ..."

Il ne donne guère de détails pourtant : "Tu les sauras encore mieux dans les papiers publics."

Mais il termine par ce jugement inattendu :

"La révolution est faite ... J'ai été témoin, mercredi et vendredi, du spectacle le plus étonnant ... Tout est paisible et notre fermeté nous a fait surmonter tous les obstacles, comme le courage et l'énergie des Parisiens ont décidé la révolution la plus surprenante."

Le lendemain matin, "en attendant l'ouverture de la séance", il éprouve le besoin de revenir, dans un nouveau courrier à sa femme, sur les évènements de la semaine passée : "J'étais destiné à avoir l'honneur, lundi, d'aller porter le calme à Paris. J’ai eu au contraire la douce jouissance d’y aller mercredi et vendredi pour jouir du spectacle le plus touchant qu’on puisse imaginer. Les hommes, les femmes, les enfants nous serraient dans leurs bras, nous arrosaient de larmes de joie : fixer un député, lui toucher la main, l’embrasser, étaient des faveurs inestimables."

Quel enthousiasme ! Mais dès le 2 août il jette un autre œil sur les évènements : «L’aventure de la Bastille a été moins meurtrière qu’on ne l’a dit … Toujours est-il malheureux qu’il ait péri des hommes, mais cela ne se peut autrement dans les grandes révolutions. »

Ainsi, voilà comment Gallot a vécu le 14 juillet, comme une « révolution ». Il n’imagine pas, ce 2 août, que deux jours plus tard il va en vivre une autre, et pacifique celle-là : la Nuit du 4 août.

LA NUIT DU 4 AOÛT

Nul n’ignore ce que cette nuit historique apporta : l’abolition des privilèges proclamée dans les embrassements mutuels de tous les députés.

Voici comment, dès le lendemain, Gallot en parle à sa femme :

« Je ne t’ai rien dit hier soir, bonne Amie, quoi que ce soit une journée bien mémorable et dont j’ai beaucoup à te parler. Mais ce sera pour demain car je m’endors, je tombe de sommeil ayant peu dormi la nuit dernière, vu la belle veillée que nous eûmes, comme tu le verras par le bulletin … Nous sommes tranquilles ; nous espérons que la soirée d’hier nous abrège de plus de six mois peut-être parce nous n’aurions jamais pu tant obtenir qu’on nous a offert spontanément ; au moins en apparence car il y a bien à croire que la peur y a été pour quelque chose. Mais enfin il faut toujours accepter de quelque sentiment que cela vienne … »

Le lendemain 6 août il revient sur ses craintes de la veille :

« Nos blasons ont regret de leurs sacrifices, mais nous les tenons, ils ne peuvent plus reculer … ils craignent la « grillade » de leurs châteaux car on ne les épargne pas dans bien des provinces … »

Le 30 août il signale que la fin des États est encore loin, regrettant que les séances ne soient pas plus calmes : « Il y a trop de parleurs qui nous étourdissent et, sur 20 qui parlent il n’y en a pas deux qui aient l’approbation de l’assemblée … Je ne crois pas que nous puissions y rester tout l’hiver. Du moins je n’y compte pas, quoique je t’aie parlé, dans ma dernière, de me faire passer mes grosses culottes … »

Le 16 septembre, lassitude et crainte, Gallot pourtant veut être rassurant :

« Je ne sais qui peut se plaire à répandre des alarmes sur notre compte … La récolte n’est pas bonne, et elle est bien tardive, mais il ne faut pas s’alarmer pour l’hiver … »

On dirait d’autre part que Gallot prépare sa femme à envisager quelques sacrifices : « Pour la prêtraille, le blason, la finance et la sequelle du Palais, ils y perdront sans doute mais ce n’est qu’en détruisant les abus dont ils vivaient qu’on peut régénérer l’État … ! Pour nous, les gens aisés mais pensants (sic), nous paierons peut-être plus mais nous serons libres et verrons le peuple soulagé. »

Lassitude et crainte qui, à vrai dire, le taraudent depuis quelque temps …

Le 2 août déjà, en réponse à sa femme qui l’avait félicité pour son action du 14 juillet, il écrivait :

« Tu me parles de gloire : je la partage avec tous mes compagnons. Mais je ne sais pas si on nous aura autant d’obligations qu’on nous l’annonce par lettre … »

Il voudrait bien être de retour d’autant plus que ses deux enfants lui causent quelques souci. Voici dans quels termes admirables, le 7 août, il en console sa femme :

« Noël ne fait donc pas grand-chose et André encore moins, ce qui est bien affligeant. Mais, chère Amie, forme leur le caractère et le cœur pour la vertu. La science viendra toujours. Je travaille pour assurer la liberté et ce temps n’est pas perdu. »

Mais il y a des jours où le courage fait place à la déception :

« Trop de gens, écrit-il le 6 septembre, ne sentent pas leurs devoirs envers eux-mêmes et envers les autres … Mais brisons sur ces idées austères que m’inspire ma sombre solitude. »

Ne dirait-on pas que notre médecin regrette l’aventure où il s’est embarqué, et qu’il était plus fait pour la morale que pour la politique ?

Dans la même lettre, il montre par ailleurs une curiosité assez inhabituelle :

« Donne-moi, écrit-il, des détails sur ce que tu me dis que la noblesse est furieuse, ainsi que le clergé. Fais-moi part de tout ce que tu entends dire à cette occasion, par qui et dans quels lieux … »

Gallot a-t-il peur ou n’est-ce pas plutôt un réflexe de médecin devant un pourrissement qui n’aboutit pas ? Mais cela ne va pas durer : l’abcès va éclater. Il a éclaté d’ailleurs quand, le 6 octobre, Gallot, comme on l’a dit au début, a annoncé à sa femme cette « troisième révolution  qui je l’espère, sera la dernière … »

LA TROISIÈME RÉVOLUTION

Que s’est-il donc passé ?

Le 5 octobre, 5000 Parisiennes se sont armées à l’Hôtel de Ville et ont marché sur Versailles.

Le 6 octobre, Gallot écrit à sa femme :

« Les femmes de Paris ont été suivies cette nuit et ce matin de 20 à 25 000 hommes de milice parisienne que nous avons vus ce matin dans les cours du château. Ils ont demandé au Roi d’aller à Paris. Il y a consenti avec la Reine et les enfants. Tout est parti avec une délégation de notre Assemblée qui, selon toutes apparences, s’y transportera … Tout s’est passé dans le plus grand ordre. Sois tranquille, nous ne discontinuerons pas nos opérations. Au contraire, j’espère que cet évènement les accélérera et hâtera le retour … »

Une page vient d’être tournée.
La France n’est plus Versailles mais Paris.

Le Roi est le Roi, mais sous le contrôle du Peuple.
Les difficultés vont-elles s’effacer pour autant ?

Et si tout cela n’était qu’un prélude, que les trois coups annonçant le drame ?

Pauvre Gallot, combien d’autres « révolutions » devra-t-il connaître avant de commencer à perdre ses illusions ?

 Extrait : Blanc et Bleu – La Mémoire Vendéenne – n° 7 – 3ème trimestre 1989

Pour en savoir davantage sur le Docteur Gallot, voir cet article : http://shenandoahdavis.canalblog.com/archives/2015/05/02/31988394.html

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