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La Maraîchine Normande
15 décembre 2015

ROUEN (76) - 1794 - DÉFRICHEMENT DES BRUYÈRES-JULIEN

ROUEN, le 15 ventôse (dép. de la Seine-Inférieure) [5 mars 1794]

Rouen Les Bruyères cassini


Celui qui pêche un poisson tire de la mer une pièce de monnoie, disait, en 1785, Francklin, le père de la liberté américaine, aujourd'hui le citoyen qui défriche en France une surface de trois pieds de terre, assure le repas d'une famille indigente.

Des charrues mises en réquisition ont déjà disposé une grande partie des terreins connus sous la dénomination de Bruyères-Julien, à recevoir une première culture & à payer aux besoins de l'homme la dette que réclame le travail de ses bras.

Le conseil de la commune vient de faire un appel patriotique au zèle des citoyens : tous ceux de l'arrondissement de chaque bataillon sont invités, au nom de la patrie, à se trouver sur les Bruyères-Julien pour les jours qui leur seront indiqués.

Les premiers travaux qu'il y ait à faire sont le brisement des mottes & le comblement des trous pratiqués à divers intervalles pour rétablir la surface plane de la portion qui reste à défricher. Ce travail utile ne pouvoit s'ouvrir que par une fête qui rappellât les beaux jours de l'agriculture, soit à la Chine, soit au Mexique, soit à Rome, quand les chefs ou les magistrats du peuple traçoient eux-mêmes le premier filon, & prédisoient aux labourages ; aussi une fête civique aura-t-elle lieu demain, pour transmettre à la reconnoissance de la postérité le dévouement des citoyens de Rouen, & leur respect pour le premier de tous les arts, l'agriculture.

Dès dix heures du matin les cloches qui restent encore annonceront la fête.

Les membres du conseil-général révolutionnaire, le comité de surveillance, la société populaire, & les citoyens de l'arrondissement du premier bataillon de la garde nationale, se rendront à la commune à six heures du matin ; le cortège partira à sept heures très-précises.

Les tambours seront en tête. Un sans-culotte portera une bannière, sur laquelle seront ces mots : "un peuple libre honore l'agriculture".

La société populaire, munie de pioches & de louchets, viendra ensuite, puis la musique militaire. Une charrue attelée de deux chevaux, entourée de citoyens portant des bêches, pioches & louchets, ornés de rubans tricolores précédera le conseil-général de la commune, muni également de pioches, pêles & louchets. Le cortège sera fermé par un groupe de travailleurs, composé de l'arrondissement du premier bataillon, munis également de pioches, pelles & louchets.

Il traversera le fauxbourg de Sever, la rue d'Elbeuf, & se rendra sur la partie des bruyères qui bordent des deux côtés la route qui conduit de la rue d'Elbeuf à l'Essart. Là, pour que le travail se fasse avec ordre, & que le zèle des bons républicains ne soit pas infructueux, les citoyens seront classés par compagnies, & le plus ancien de chacune sera chargé d'en diriger les mouvements, d'après les ordres qu'il recevra des membres du comité des défrichements.

Le travail sera annoncé à 8 heures par un ban ; il commencera aux cris de "vive la république" ! Le travail cessera aux mêmes cris : le repos sera à onze heures ; il sera annoncé par un roulement. Pendant l'heure du repos, le maire fera faire un roulement, & donnera aux bruyères de Julien le nom de Champ de l'Égalité. Le travail recommencera à midi, & finira à trois heures.

On repartira avec ordre au son du tambour & de la musique.

Comme ce labeur demandera un nombre de jours consécutifs de travail, les citoyens de l'arrondissement du deuxième bataillon & des autres, qui seront successivement prévenus du jour par le son du tambour, à six heures, se rendront sur leur place d'armes, munis de pioches, de fourches, de pelles & de louchets, à sept heures, & en partiront avec ordre au son du tambour & de la musique, accompagnés d'un officier municipal & de deux notables.

C'est une idée vraiement heureuse, que celle de commencer les travaux publics, par une fête. Quelle différence ! quand on compare cette manière d'arriver au bien avec le tableau hideux des corvées, des contraintes, des vexations de mille espèces qui flétrissoient l'homme sous l'ancien régime, en lui présentant comme une charge onéreuse & repoussante, ce qui n'est qu'un simple devoir sous le règne de l'égalité. Eh ! s'il existe une si grande différence dans la morale des procédés, que ne doit-on pas attendre du produit physique des résultats. Rouen est peut-être la première grande commune qui ait appellé ses citoyens en masse à un défrichement de ce genre, puisse un pareil exemple avoir beaucoup d'imitateurs ! Pour que la fête du jour prochain, soit aussi celle de la fraternité, le conseil a arrêté que les habitants des communes de Sotteville, de Petit & Grand Quevilly, d'Étienne du Rouvrai & du Petit-Couronne seroient invités de la partager avec leurs frères les citoyens de Rouen.

 

ROUEN 1620

NOTICE HISTORIQUE SUR LES BRUYÈRES OU COMMUNES-JULIEN, AUJOURD'HUI LE CHAMP DE L'ÉGALITÉ


Le droit de la commune de Rouen sur ses Bruyères-Julien, a son titre dans l'usage où étoient les habitants découper les bois nécessaires à leur chauffage dans la forêt de Rouvrai, prérogative dont ils jouissoient lors de l'invasion des Normands, & dans l'exercice de laquelle ils furent conservés par les souverains issus du sang Danois. Ce droit de chauffage, ainsi perçu, prit insensiblement le nom de Communes, & comme cette expression passa en usage, le droit retint cette dernière dénomination, le bois au contraire reçut le nom de Communes de Saint-Julien, Prieuré paroissial qui se trouvoit dans son étendue. Mais la population de Rouen s'étant insensiblement accrue, l'exercice trop illimité du droit de chauffage appauvrit tellement ce bois, qu'à la longue, il finit par disparoître, & bientôt une bruyère inféconde remplaça les ormes & les chênes qu'y avoit long-temps vu croître le sol, alors le nom de Bruyères de Saint-Julien fut substitué à celui de Communes.

Les prérogatives & la propriété de la commune de Rouen n'en furent pas amoindries.

En 1207, 1278, 1309, elle en obtint la confirmation ; en 1404, elle ajouta une nouvelle étendue de terrain à celui qu'elle possédoit déjà ; en 1494, elle obtint même de faire extraire du sol de la forêt des terres propres aux teintures & au foulage des étoffes de laine. Un arrêt du conseil de 1566, qui avoit l'aliénation des terres incultes de la forêt du Rouvrai pour objet, maintint Rouen dans la possession des Bruyères-Julien. En 1577, elle fieffa 80 nouvelles acres auprès d'Étienne-de-Rouvrai ; en 1578, la totalité de ces bruyères montoit à 559 acres ; la propriété lui en fut confirmé par arrêt du 13 janvier : d'autres titres de 1640, 1679, 1719, 1732, 1735, 1769, & 1778, contiennent les mêmes confirmations.

Un arpentage de 1759, porte que la contenance de cette bruyère s'élève à 559 acres ; d'autres de 1777 & 1783, la portent à 586, parce qu'ils y comprennent 27 autres qui avoient été omises dans le premier arpentage.


Peut-être seroit-ce ici le lieu de faire une seconde fois reposer l'oeil de l'opinion publique sur le mémorable exemple offert par les citoyens de Rouen, quand ils se sont levés en masse à la voix de leurs magistrats, & portés sur cette lande aride qui, pour la première fois, a senti le fer du labourage manié par des républicains ? Ce dévouement a reçu de la convention les applaudissements & les témoignages de la satisfaction que doivent ambitionner des hommes libres. L'insertion du patriotisme des Rouennais au bulletin national a été voté à l'unanimité ; & déjà la semence généreuse du bon exemple qu'ils ont donné, fructifie sur le sol qui nous environne ; déjà on parle de porter les instruments du labourage sur les vastes bruyères de la Muette & de Franqueville, &c. ; déjà le bruit de cette action, digne des plus grands éloges, parcourt au loin nos départements ; elle y est reçue avec avidité, accueillie avec transport ; au moment présent, nos ennemis mêmes en sont instruits : la nouvelle du défrichement des Bruyères-Julien, retentit jusques dans l'Allemagne & le patriotisme des citoyens de Rouen y est présenté sous les couleurs les plus favorables.

La citation ci-jointe en allemand (1) d'un papier public de la frontière, imprimé en cette langue, donnera à ceux de nos lecteurs qui l'entendent la juste mesure de l'effet que doit produire cette bonne action. Elle contient le bref récit de la fête du 16, qui ouvrit les travaux du défrichement du Champ de l'Égalité, & les justes éloges dus au civisme des Rouennais.

 

Rouen - texte allemand


AD76 - BMR 260_5 - 5 mars 1794 - JPL 3_12 1794 - 24 mars 1794 - Journal de Rouen

15 ventôse an II (5 mars)
Lecture d'une délibération de la commune révolutionnaire de Rouen, portant que l'ouverture des travaux relatifs au défrichement des bruyères-julien aura lieu le 16, par des piques ; que des respectables vieillards dirigeront les travaux dont seront seuls dispensés les Sans-Culottes vivant de leur travail. (Cahier des procès-verbaux des séances de la Société populaire à Rouen (1790-1795) - par E. Chardon - 1909)

Bientôt arriva une députation des citoyens de Darnétal.
Mais laissons la parole au rédacteur du procès-verbal :

"La terre, dit-il, humectée par les pluies des jours précédents, semblait devoir ouvrir son sein avec complaisance au fer des républicains ; mais le travail parut plus âpre qu'on ne s'y était attendu ; de nombreux cailloux rendaient souvent inutiles les coups de louchets ; le pic seul déchirait aisément le sol. Mais de tels obstacles ne ralentissent point le zèle des travailleurs, ils ajoutent même à l'ardeur qui les anime ; ils décuplent leurs efforts civiques et au milieu des cris mille fois répétés de vive la République, vive la Montagne, l'heure du repos annoncée par le roulement des tambours vient marquer la première matinée des travaux de cette honorable journée.

Des groupes se forment aussitôt sur les diverses parties de ce sol, rendu à l'agriculture, pour y prendre le repas frugal, dont beaucoup de travailleurs s'étaient munis ; au même instant, on voit arriver de toutes parts des épouses et des enfants chéris, qui s'empressent d'apporter des aliments préparés pour leurs mari et père. La gaieté et la fraternité forment l'ornement de ce repas champêtre ; la musique, parcourant les divers groupes, ajoute à la gaieté de cette fête par les airs patriotiques qu'elle fait entendre.

Bientôt un nouveau tableau non moins intéressant succède au repas : des danses en rond se forment et s'exécutent, au son de la musique et au chant de la Carmagnole ; de jeunes enfants, espoir de la patrie, se confondant avec les citoyens, ajoutent encore à l'intérêt de ces premiers moments.

Un nouveau roulement se fait entendre : chacun quittant le plaisir de la danse, se livre à celui du travail ; le soleil seconde l'ardeur des travailleurs, en abritant ses feux sous d'épais nuages. Un vent humide souffle de l'ouest ; l'heure de la fin du travail arrive. Le cortège se forme en ordre de marche, mais l'arrosoir céleste, qui avait épargné les citoyens dans le cours de la journée, étend alors sur eux toutes ses largesses et signale, par une pluie abondante, le retour des travailleurs. Cette récompense humide est reçue de bonne grâce, elle jette dans l'ordre de la marche une sorte de confusion et de désordre qui ajoute au pittoresque de son effet. Chacun mouillé, mais satisfait de sa journée, regagne en paix sa demeure, après avoir chanté au pied de l'arbre de la liberté des hymnes de guerre, de triomphe et de prospérité à la République."

Cette idylle signée Havard, n'eût point de lendemain ; le bon vouloir des citoyens avait été refroidi par les largesses de l'arrosoir céleste et, après quelques tentatives nouvelles pour se procurer des charrues et des bras, la municipalité finit par abandonner la côte des sapins. (Revue de la Normandie - Tome septième - année 1867)


Quelques jours plus tard, le 23 ventôse (13 mars 1794), Mésaize annonçait qu'il avait fait planter des pommes de terre de différentes espèces, les unes plus hâtives que les autres, pour en connaître les avantages, dont il instruirait la Société. (Bulletin de la Société libre d'émulation du commerce et de l'industrie de la Seine-Inférieure - 1874-1952)

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