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La Maraîchine Normande
10 décembre 2015

LE BOCAGE VENDÉEN - LES FAGOTS DE CHOUX - LA RÔRTE

 

femme ramassant les choux


On était alors en plein âge de la "RÔRTE". A longueur d'année, derrière le va-devant en portant un paquet, parfois d'une dizaine, sur l'épaule, les deux ou trois autres qui avec lui "arrangeaient" la "pansion" emportaient le nombre nécessaires de "rôrtes". C'était là le moyen de conditionnement de tout le fourrage, y compris l'herbe de la "noue", le lierre ou bien le "broup", dans les années de misères, les navets et les gros choux qui écrasaient durement les côtes et l'échine.


Les "rôrtes" ont peu à peu disparu ; aujourd'hui elles sont devenues articles de musée comme les jougs pour lier les boeufs deux à deux. Longtemps elles se maintinrent dans les métairies où n'existait qu'une chétive grange.


Quand les "ensemences" étaient finies, le patron disait : "Les gâs, il faut faire les rôrtes ; vous voyez le chêne là-bas ; le bois est doux, les branches sont assez longues ; ébranchez-le." Les branches du chêne étaient coupées ; celles qui étaient moins grosses que le poignet mais plus grosses que le pouce à la base, allaient servir à tresser les rôrtes. On leur laissait un manche long de 1.20 mètre à 1.30 mètre ; au bout de la partie tressée après torsion sur une longueur d'à peine un mètre, la rôrte était complétée par une "allongeaille" de 70 à 80 centimètres de longueur, tressée en osier ou en ormeau et comportant un "oeil". En appuyant fortement sur le manche, qu'on appelait aussi "le maillon", on l'introduisait dans cet "oeil" lorsque le fagot était jugé au complet ... Il n'était pas rare de voir les fagots de "pansion" atteindre et dépasser cent kilos.


Si, dans certaines métairies tous les travailleurs allaient remplir ces rôrtes de feuilles de choux afin que ce dur travail dure moins longtemps, dans d'autres, c'était l'affaire d'un ou deux "gâs", jeunes gens le plus souvent, qui passaient dans les choux la presque totalité des journées d'hiver.


Peu à peu, au fur et à mesure du progrès, les effeuilleurs de choux purent se procurer un équipement complet en ciré comportant jambières, et, couvrant le tout, comme un pardessus, la "grande toile cirée" indispensable par temps de pluie, mais bien gênante dans les mouvements.


Mais bien longtemps, les "écueilleurs" de choux n'eurent qu'un mauvais paillasson à se mettre sur le dos, un tablier en peau de chèvre ou un sac pour se protéger par-devant et des bottes de paille attachées à chaque jambe par trois liens de paille qui n'arrivaient pas toujours à tenir le coup toute la demi-journée.


La "rôrte" était étendue entre quatre choux qui s'effeuillaient immédiatement, au milieu des douze rangs de chaque "taille", chacun des effeuilleurs en emmenant six de chaque côté ou quatre quand il y avait là trois hommes, celui placé au milieu faisant alors suivre le paquet de "rôrtes" et les étendant, laissant au deux autres le soin de "boucler" les fagots.


Enlevant quelques feuilles à chaque chou, l'effeuilleur en plaçait sur son bras gauche la moitié dans un sens et la moitié dans l'autre jusqu'à ce que, sous le poids, le bras en soit las ; il déposait alors son "aisselée" dans la "rôrte". Quand il y en avait été mis dix ou douze, il était temps de "boucler" le fagot.


Par beau temps, en terrain sec, il n'y avait pas là un travail plus pénible que beaucoup. Mais dans les froids brouillards d'Avent, ou sous les grandes pluies d'automne, la besogne devenait une pénible corvée, surtout au moment où il fallait porter les lourds fagots jusqu'à la charrette située parfois à cent mètres de là.


En sabots de bois, avec des "sabarons" de cuir serrant les chevilles, des "guêtres par là-dessus", que recouvraient les bottes de paille trempées, il était déjà difficile d'avoir le pas léger. Mais chargé d'un fagot de cent kilos qu'un autre vous a aidé à vous mettre sur l'échine et que vous portez dans une position courbée jusqu'à l'horizontale, patauger dans la boue où l'on s'enfonce jusqu'aux chevilles et jusqu'à y laisser ses sabots n'a rien d'une sinécure. Et quand, essoufflé, haletant, trempé de sueur autant que par l'eau, on arrive enfin à la charrette, il faut récupérer suffisamment de forces pour, d'un vigoureux coup de reins, grimper avec l'aide des deux compagnons les fagots au-dessus des autres. C'est après ce travail de bagnard que le soir on trouvait bon le feu de "fournille" pétillant dans la cheminée.


A cette époque lointaine les choux s'effeuillaient à longueur d'hiver jusqu'à trois ou quatre fois. Quand ils n'étaient pas gelés, ce qui arrivait une fois sur dix, on les fagotait encore quand ils étaient coupés ; la tête dirigée de chaque côté du fagot n'empêchait pas les durs troncs de se faire sentir, et c'était presque un plaisir de porter ensuite les fagots de "seille" qu'avec la faucille on avait "coupée à la poignée" ou les fagots d'herbe de la "noue" qu'il fallait porter bien loin souvent, la charrette n'avançant pas dans ce terrain arrosé qu'elle eût défoncé en profondes ornières, où elle eût creusé des "charauds" rendant la prochaine "fauche" impossible.

Extrait : Les "gâs" du Bocage Vendéen - par Augustin Herault - deuxième édition - 1973

 

Rôrte

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