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La Maraîchine Normande
4 novembre 2015

NOÉ (31) - L'ABBÉ GABRIEL-FRANÇOIS DE LA TOUR (1749-1794)

Noé 31

 

L'abbé Gabriel-François de la Tour naquit à Noé le 25 décembre 1749, à une heure du matin. Il était convenable que cet heureux enfant, prédestiné à mourir martyr, cédât le pas, au moment de son entrée dans le monde, à cet autre petit enfant divin, qui naissait presque à la même heure, et qui devait être un jour le roi et la force des martyrs.

Il reçut à son baptême le prénom de Gabriel, que lui donna le curé de Noé, son frère et son parrain. ...

Il fit à Toulouse de fortes études ecclésiastiques ; aussi devint-il le plus célèbre orateur sacré de son époque dans le midi de la France ...

Tous les anciens du pays, qui l'avaient mille fois entendu, ont dit qu'il avait de la tête, du coeur, de la voix, du geste, de la jeunesse, bonne mine et le feu sacré. Riche par son patrimoine, fier de son nom, il n'acceptait pas d'honoraires pour ses magnifiques sermons. Il ne voulait qu'une bonne nourriture et un logement confortable. Se contentant de cela, il lui semblait qu'il prêchait doublement pour la gloire de Dieu.

S'il accepta le titre de vicaire de la paroisse de Noé, ce fut uniquement pour éviter à son frère, le curé, le désagrément d'en avoir un autre, et puis pour ne pas poser aux yeux du monde en déclassé du sanctuaire.

Il était prédicateur sans appartenir à un ordre religieux quelconque ; il était prêtre séculier à une époque peu complaisante, où le titre élastique de missionnaire apostolique ... n'avait pas été encore inventé ...

L'intrépide fiancé de la sainte guillotine n'a pas prêté serment à la constitution civile du clergé, serment qu'on appelait alors le serment de liberté-égalité. Il sait qu'il faut partir pour la terre étrangère ou vivre en sa patrie avec la perspective continuelle de porter sa tête sur le fatal trapèze, toujours "en permanence" pour ne point en manquer une seule.

Prêtre rempli de foi, au coeur dévoré par le zèle pour le salut des âmes, il ne saurait les abandonner à l'heure de la tentation ; bon pasteur, il ne peut fuir comme le mercenaire, à la vue des tigres révolutionnaires qui déjà rugissent à Noé. Il reste pour garder ses brebis. Il mourra, s'il le faut, au poste périlleux que la situation, le devoir et son titre de vicaire et très grand vicaire de Noé lui assignent.

D'ailleurs, jeune encore, robuste, courageux, riche, sympathique au pays, il redoute moins que tout autre ces délations à la mode alors et toujours infailliblement mortelles.

 

Savignargues

 

Il se cache dans sa belle métairie de Savignargues. Mais avant de se cacher, il commence par "notifier" préalablement à la contrée tout entière qu'il est caché dans sa magnifique ferme, pour s'y tenir à la disposition de tous les habitants du canton et d'ailleurs qui viendront, et la nuit et le jour, réclamer les soins de son ministère, alors si périlleux.

Il sait pourtant que la prudence humaine est ici-bas l'auxiliaire obligée de la sagesse divine ; aussi prépare-t-il une cachette sûre dans le vaste grenier de son habitation rustique. Il bouche en maçonnerie, au niveau du plancher, le canon d'une cheminée antique, fait démolir toute la partie qui surmonte la toiture à fleur des chevrons qui la soutiennent, et entoure la partie qui traverse le galetas d'une meule compacte de fourrage. Se glissant entre les lattes qui supportent les tuiles et l'extrémité du canon, debout dans cet étui fait de briques et de suie, il laissait passer tranquillement sur sa tête les bourrasques de la révolution. Et puis, quand l'ouragan avait cessé, il sortait de ce presbytère étroit, de ce gênant justaucorps, pour monter la garde à la lisière menacée de sa vaste bergerie. ...

Le 21 janvier 1794, anniversaire de la mort de Louis XVI, il quitta son noir réduit, et une clochette à la main, il parcourut les rues du village, comme font les enfants de choeur le jour du jeudi saint, pour inviter ses habitants à se rendre à l'église, où il allait prononcer l'oraison funèbre du roi-martyr.

Jamais Noé n'avait fourni pareil auditoire, jamais non plus assistance nombreuse n'avait entendu paroles si pathétiques : car le grand prédicateur aimait le roi de France autant qu'il abhorrait son atroce république. ...

Depuis déjà trois ans, ce saint contrebandier passait en fraude, par-dessus les barrières de la Terreur, les sacrements de l'Église catholique, aliments spirituels alors prohibés, non plus sous peine de déportation, mais de mort, lorsque deux habitants de Longages, que je ne nomme pas ici par respect pour leurs familles ..., voulant accomplir un acte civique de "bons patriotes et de sans-culottes purs", vont dénoncer l'audacieux réfractaire au citoyen Capelle, accusateur public. Ce zélé républicain confie aux lâches délateurs la mission avilissante de guider deux agents de la force publique, nantis d'un mandat d'arrêt lancé contre le courageux insermenté.

A l'approche de ces éclaireurs, hélas ! trop bien renseignés, et des recors impitoyable que lui signale son fidèle bordier, le prudent abbé court s'enfoncer dans son obscur cachot. Les fanatiques inquisiteurs, parfaitement instruits du lieu de sa retraite, montent aux combles de la maison. L'un des deux plonge violemment sa main démocratique dans cette boîte de briques qui renferme un corps saint, et avec ses ongles incultes, il ensanglante l'oreille gauche de l'abbé.

Le courageux rebelle fut arrêté un saint jour de dimanche. Il était le plus bel homme du pays et d'une force musculaire formidable. Les gendarmes, pour rester maîtres d'un pareil captif, lui avaient lié les mains avec d'énormes chaînes.

Pendant que, pour le mener en prison, ils lui faisaient traverser le territoire de la commune de Saint-Hilaire, il aperçut quelques ouvriers qui dépiquaient du blé. S'arrêtant une minute, il leur cria d'une voix vibrante comme un timbre d'acier : "Mes amis, que faites-vous ? C'est aujourd'hui le grand jour du Seigneur". L'un des deux gendarmes voulut lui imposer silence. Il lui répondit : "Vous avez le droit, dont vous venez d'user trop largement, de garroter mes mains, mais vous ne possédez pas celui de lier ma langue".

Le militaire brutal commit l'imprudence agressive de saisir son sabre et de le brandir sur la tête du jeune prêtre enchaîné. "Prenez garde, gendarme, lui observa-t-il ; la même loi qui me défend la rébellion contre les représentants de la force publique, me permet la défense contre l'injuste agression de tout lâche assassin."

A ces mots, il lance sur son vil agresseur un regard terrible comme la foudre, et levant ses chaînes ainsi que Hercule aurait soulevé sa massue, tel que jadis Phineès, dans un saint transport de zèle pour la gloire de Dieu, il allait avec ses fers fracasser le crâne de l'imprudent militaire. Le gendarme effrayé recula si vivement qu'il roula dans le fossé avec armes et bagage. Et son compagnon de lui crier : Camarade, sans ton éclipse totale, ton confesseur se disposait à te donner la pénitence avant l'absolution."

A la faveur de cette chute doublement heureuse, le prédicateur, légèrement ému, reprenait son calme et continuait son sermon sur la sanctification du dimanche. Il fut court, sans doute, mais persuasif, car tous les travailleurs quittèrent l'aire, confus d'avoir profané le jour de la prière dont une loi injuste leur faisait seule oublier le respect. Ah ! elle régnait encore, à cette époque tourmentée, la crainte du Seigneur dans les campagnes de la République française !

Nous allons entendre les considérants adorables d'une sentence infernale ; admirer la légende sublime d'un drame monstrueux, mais édifiant dans son horreur même ...


"JUGEMENT DU TRIBUNAL CRIMINEL
Du département de Haute-Garonne,
Qui condamne à la peine de mort Gabriel-François Latour prêtre, âgé de quarante-quatre ans, habitant de Noé, chef-lieu de canton, district de Muret, département de Haute-Garonne, convaincu de n'avoir pas fait son serment de maintenir la liberté et l'égalité.
Du 2 thermidor, an second de la République française une et indivisible.
Au nom du peuple français, l'an deux de la République une et indivisible ; à tous présents et à venir, salut. Le tribunal criminel du département de Haute-Garonne a rendu le jugement suivant :
Vu le procès-verbal dressé le 23 messidor dernier par les membres du comité de surveillance de la municipalité de Noé, chef-lieu de canton, district de Muret, département de Haute-Garonne, relatif aux visites domiciliaires arrêtées par ledit comité, et duquel il résulte que les ayant étendues dans la commune de Lacasse, et parvenues à la métairie appelée de Sauvignargues, ayant appartenu à Gabriel Latour, prêtre, on a trouvé ce dernier caché dans le haut de ladite métairie, lequel ayant été mis en état d'arrestation, ainsi que Jean Baloudrade, métayer de ladite métairie, Jeanne Rouane, son épouse, et Gabrielle Baloudrade, leur fille, ont été conduits dans la maison de justice de Muret, en vertu des mandats d'arrêt délivrés par ledit comité ;
Vu, enfin, l'interrogatoire subi devant le tribunal par ledit Latour, prêtre, le 29 dudit mois de messidor ;
Ouï le citoyen Capelle, accusateur public, en ses conclusions verbales et motivées ;
Ouï ledit Gabriel Latour, prêtre, âgé de quarante-quatre ans, habitant de Noé, chef-lieu de canton, district de Muret, département de Haute-Garonne,
Le tribunal, considérant que ledit Latour ayant disparu de son domicile, il avait été regardé comme émigré et mis sur la liste générale des émigrés ; qu'interrogé sur ladite émigration, il a prétendu qu'il n'avait jamais quitté le sol de la République ; qu'à l'aide d'un certificat de résidence de sa commune, il s'était pourvu au département de Haute-Garonne, pour se faire rayer de ladite liste. Que cette administration ne prononçant pas, et ayant été prévenu que certaines personnes voulaient lui tirer des coups de fusil, il s'était caché dans sa dite métairie de Sauvignargues, où il a été trouvé, et qu'il n'était pas au pouvoir des bordiers de le mettre dehors, parce qu'il était chez lui ;
Considérant que si Latour était poursuivi pour le fait de l'émigration, d'après son assertion, qu'il est, à raison de ce, en instance au département, il devrait être sursis à son jugement, et renvoyé devant l'administration du département pour faire statuer sur sa réclamation, conformément au décret de la Convention nationale du 23 germinal dernier.
Mais le tribunal n'a pas besoin de s'occuper de cette émigration : Latour est un ci-devant prêtre, Latour est réfractaire à la loi, et d'après l'article premier du décret de la Convention des 21 et 23 avril 1793 (vieux style), qui porte que tous les ecclésiastiques séculiers, réguliers, frères convers et laïcs, qui n'auraient pas prêté serment de maintenir la liberté et l'égalité, conformément à la loi du 15 août 1792 (style esclave), seraient embarqués et transférés sans délai à la Guyane française. Latour n'ayant pas prêté ledit serment, s'est trouvé dans le cas de la déportation, avec d'autant plus de raison qu'il a fait des fonctions publiques postérieurement au 5 février 1791, puisqu'il a convenu d'avoir prêché le carême de 1792 dans l'église de Noé, et encore d'avoir prêché dans l'église du Fauga le 15 août de la même année. Que, par l'article 10 du décret de la Convention nationale des 29 et 30 vendémiaire dernier, ledit Latour, par le défaut de serment qu'il a déclaré n'avoir jamais voulu faire, comme répugnant à sa conscience, se trouve encore sujet à la déportation ; et conformément à l'article 14 de la même loi, il devait, dans la décade qui a suivi la publication dudit décret, se rendre auprès de l'administration de son département, pour être pris à son égard les mesures nécessaires pour son arrestation, embarquement et déportation. Qu'au lieu de satisfaire à ladite loi, ledit Latour s'est, au contraire, toujours tenu caché ; de sorte qu'ayant été trouvé sur le territoire de la République postérieurement à ladite décade, il se trouve compris dans l'article 15, et doit subir la peine prononcée par l'article 5 du décret des 29 et 30 vendémiaire dernier.
D'après tous ces motifs, le tribunal ayant entendu l'accusateur public sur l'application de la loi, déclare ledit Gabriel Latour convaincu d'avoir été sujet à la déportation ; en conséquence, le condamne à la peine de mort, conformément à la disposition des articles 10, 14 et 15 du décret de la Convention nationale des 29 et 30 vendémiaire dernier ...
Ordonne que le présent jugement sera mis à exécution à la diligence de l'accusateur public, dans les vingt-quatre heures, sur la place de la Révolution de la présente ville, où, sur un échafaud, ledit Latour aura la tête tranchée, conformément à la disposition des articles 2 et 3 du titre premier, partie première du Code pénal ...
Ordonne enfin qu'à la même diligence de l'accusateur public, le présent jugement sera imprimé et affiché dans la présente ville de Toulouse, dans toutes les autres villes et lieux du département, et notamment dans la ville et canton de Noé.
Fait à Toulouse en audience publique du tribunal criminel du département de Haute-Garonne, tenue dans le prétoire le 2 thermidor, l'an deuxième de la République une et indivisible.
Président, le citoyen HUGUENY, assisté des citoyens FAILLON, DANISAN et FAURE, juges dudit tribunal, signés au registre.
Au nom du peuple français, il est ordonné à tous huissiers, sur ce requis, de faire mettre ce présent jugement à exécution, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu'ils en seront requis, aux commissaires nationaux d'y tenir la main.
En foi de quoi, la présente a été signée du président et du greffier et revêtue du sceau du tribunal.
HUGUENY, président.
BLANCHARD, greffier.
Collationné :
GASC, commis greffier.
A Toulouse, chez le montagnard Viallanes, imprimeur, rue Liberté, n° 48."


Incident de la route de l'échafaud :


Le martyr voulait réciter, avant d'être rendu au lieu de son immolation, la dernière petite heure, mais la réciter "dignè, attentè, devotè", car c'était bien pour lui la dernière pour le temps et pour l'éternité.

Parti de la prison en chaise à porteurs, commencée sur le seuil du cachot, au train dont marchaient les deux hommes, il serait arrivé sur la place de l'exécution avant la fin du premier psaume. Il supplie donc les porteurs d'avancer lentement, leur promettant pour récompense sa montre, sa chaîne, son chapelet d'or et son splendide diurnal. Ces deux serviteurs, touchés de tant de piété, obéirent avec joie. ...

Parvenu au pied du sinistre instrument, ses petites heures étaient toutes terminées. Ainsi qu'il l'avait promis, en se levant de la chaise de son dernier voyage sur la terre, il posa sur le siège sa chaîne, sa montre et son bréviaire. Désormais, ce sont là pour lui des meubles inutiles ...


La terrible sentence fut exécutée le 3 thermidor an II de la République (21 juillet 1794), sur la place de la Révolution, à six heures du matin. Le prêtre réfractaire fut conduit à la guillotine par la rue Terrible. ...

 

lys et croix

 

Extrait : Histoire des hommes illustres de la famille de La Tour de Noé - Par l'Abbé de La Tour de Noé, neveu du martyr - cinquième édition - 1882

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