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La Maraîchine Normande
29 septembre 2015

ANTIGNY (85) - LA POTENCE A GRIGOT

ANTIGNY (85) - LA POTENCE A GRIGOT

 

Antigny la potence à Grigot


Quelle est l'origine de ce nom ?

D'après les renseignements qui nous ont été fournis par les anciens de la paroisse, nous avons pu établir la légende suivante :


Sur les bords de la rivière, tout auprès du village qui porte le nom de Barbarit, demeurait autrefois un meunier du nom de Grigot. Comme il jouissait dans le pays d'une assez mauvaise réputation, il fut obligé d'aller jusque dans les Charentes chercher une femme, qui était, dit-on, élégante comme une tonne de vin saintongeois et plus barbue qu'un sapeur. La paix ne régnait point au foyer domestique et souvent les gens de la Girardière entendaient la mère Grigot qui, rouée de coups par son mari, appelait les voisins à son secours. On disait dans les environs : "Faut-il être méchant pour frapper ainsi une pauvre femme ? Quelle cruauté ! Quelle Barbarie !" C'est sans doute de là que vient le nom du village actuel ...

Le meunier Grigot jurait comme un païen et travaillait le dimanche. Aussi ses affaires ne prospéraient guère. Les pochées devenaient de plus en plus rares, car les métayers des alentours n'avaient pas confiance dans ce mécréant, qui ne priait jamais le bon Dieu. Il assistait parfois à la sépulture de ses anciens clients, mais on avait remarqué qu'il ne prenait jamais d'eau bénite en entrant dans l'église et ne se mettait jamais à genoux, même à la Consécration. Debout, les mains derrière le dos, ce misérable avait l'air de provoquer le Dieu de l'Eucharistie. Une année, vers le milieu du XVIe siècle, il y eut dans le pays une épidémie épouvantable, qui fit périr beaucoup d'habitants et beaucoup d'animaux domestiques. Ce ne fut alors qu'un cri général : "Le bon Dieu nous punit à cause de Grigot !" Et certain dimanche, après vêpres, le meunier étant venu dans le bourg pour ses affaires, une quarantaine d'hommes et de jeunes gens le poursuivirent, avec des pierres et des insultes, jusqu'au village de la Godrie, lui faisant défense de paraître en public.

 

diable d'argent

 

Chassé par les hommes et maudit de Dieu, Grigot se mit en relation avec le diable. Les rendez-vous avec le démon avaient lieu sur la route de Saint-Sulpice, à la croisée qu'on appelle depuis ce temps-là la Croisée Rouge, parce que pendant les conversations de Satan et du meunier, cet endroit de la campagne apparaissait tout en feu et brillait de lueurs sinistres. Les habitants des Quatre-Poiriers, de la Chénelière, de la Reillardière, de la Cessonnière et de la Mignonnière apercevaient de temps en temps ces lumières étranges et se signaient dévotement, en murmurant tout bas : "De la malice de Béelzébuth délivrez-nous, Jésus !"

Le seigneur de la Cessonnière, messire Loys Corbet, dont nous avons parlé plus haut, était un bon chrétien et un brave chevalier. Il voulut un beau soir éclaircir le mystère. Prenant d'une main sa vaillante épée et de l'autre une médaille de la Vierge, il s'avança, suivi d'un seul écuyer, vers le mystérieux incendie et il vit très distinctement le diable en personne, qui remettait une bourse au meunier Grigot. Son émotion fut très vive, on le conçoit, en voyant les cornes de Satan et lui qui n'avait jamais tremblé sur le champ de bataille, il eut peur ... D'instinct, sa main droite fit le signe de la croix. Au même instant, un coup de tonnerre formidable éclata dans un ciel sans nuages et le démon disparut ...

Chose curieuse ! le meunier Grigot ne travaillait que le saint jour du dimanche et il paraissait plus riche que jamais. Mais on savait maintenant d'où venait sa fortune et on l'appelait le "maudit !"

 

 

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Quelques fermiers, par crainte, continuaient de lui donner du blé, mais, avec cette farine, on ne pouvait faire que du pain noir ; un jour, le meunier venait de la Vergne et de l'Égluère, où les laboureurs avaient très mal reçu le fils du diable ! Dans le chemin, il passa auprès d'une fontaine, dont l'eau était fraîche et limpide ; la chaleur était grande et notre homme avait soif. Il n'avait point de tasse ni de gobelet. Il se pencha, mais à peine ses lèvres avaient-elles touché l'eau, que celle-ci se troubla au contact du damné et devint noire comme de l'encre.

La fontaine aujourd'hui encore porte le nom de fontaine noire, Grigot fut épouvanté lui-même de ce fait étrange ; mais il remonta sur son cheval et n'eut pas le repentir de ses fautes. Il paraît qu'il était accompagné d'une bête noire ; ce n'était pas un chien ; on aurait dit plutôt un loup de forte taille.

Le meunier avait-il réellement fait un pacte avec le démon ? Tout le monde le croyait. Une nuit, il s'éleva une tempête effroyable. La pluie tombait par torrents ; les éclairs sillonnaient le ciel ; le tonnerre faisait un vacarme sans pareil et le vent mugissait, comme doit mugir le gouffre bouillonnant de l'enfer. Le lendemain, quel spectacle épouvantable ! Les moulins de Grigot avaient disparu. Celui qui était sur le bord de la rivière avait été emporté par l'inondation ; il n'en restait aucune trace. La maîtresse de la maison dut être noyée et entraînée au loin par le courant, car personne n'en entendit parler. Le moulin qui était plus haut sur la butte, non loin du village qu'on appelle : le Moulin Brûlé, avait été détruit par la foudre ; on ne voyait plus que quelques pierres noircies et calcinées ...

 

 

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Pour Grigot, on le trouva pendu à la plus grosse branche d'un chêne de haute futaie, à la croisée du chemin qui mène au village des Quatre-Poiriers. Le loup noir aboyait au pied de l'arbre. Les métayers du voisinage voulurent essayer de le prendre, mais il se sauva à toutes jambes ; on le poursuivit jusqu'au-delà de Mouilleron, sur la route de Chantonnay, près de Vélaudin. C'est là qu'il fut tué. L'endroit porte encore aujourd'hui le nom de loup pendu.

 

 

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Pendant plusieurs jours, le corps du meunier se balança du haut de ce grand chêne, jusqu'à l'arrivée de la justice. Une enquête eut lieu et prouva que Grigot n'avait pas pu se pendre tout seul. Qui donc l'avait pendu ? Sur le cadavre, on constata des traces de brûlures ; on crut même reconnaître l'empreinte de doigts crochus et tout le monde fut d'avis que Satan lui-même avait pendu le malheureux, qui lui avait donné son âme pour avoir de l'argent. Le corps fut détaché et enterré au pied même de l'arbre. Mais à peine avait-il touché aux racines du chêne, que celui-ci fut complètement desséché. Et c'était triste à voir au printemps ; alors que la verdure paraissait sur tous les arbres du voisinage, celui-là seul restait en deuil ; les oiseaux n'en approchaient jamais et les passants se signaient en disant : "C'est la potence à Grigot !"

Les habitants du pays affirment que la nuit on entend dans cet endroit des bruits étranges, qui font peur ; parfois même, on distingue des lumières qui se promènent dans les environs et on assure aussi que le meunier Grigot revient dans les sentiers qu'il a parcourus autrefois. Tantôt il est à pied et tantôt à cheval, mais avec cette particularité qu'il n'a pas de tête.

 

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Plusieurs personnes affirment que M. Duret, l'ancien curé d'Antigny, aurait rencontré le meunier Grigot vers 1850. C'était un soir d'instruction, pendant le Carême. Ce vénérable prêtre revenait de Saint-Sulpice, où il avait rendu visite à son ami, M. Desnoyers. Sur le chemin, entre la Potence et la Croisée-Rouge, il vit tout-à-coup le revenant sans tête, qui se dirigeait vers lui, monté sur un cheval maigre. On devine son effroi ! Quand il arriva à l'église, où les fidèles l'attendaient impatiemment, il était tout couvert de sueur et il raconta aux assistants terrifiés l'épouvantable aventure qui venait de lui arriver.

Quelques temps après, le père Jean Point, âgé de près de 80 ans et qui certes ne passe point pour un menteur, fit la même rencontre sur le chemin de Saint-Maurice-des-Noues, en face de la Blossière, à la croisée du Pouzac. En sautant l'échalier, qui donnait sur le champ de Bécot, notre homme aperçut un corps sans tête, qui se promenait et il se demanda, non sans peur, s'il devait se sauver à toutes jambes ou frapper sur le revenant pour se défendre ...

On peut aussi rappeler, à cette occasion, la petite histoire dans laquelle deux femmes des Quatre-Poiriers jouèrent un certain rôle. Un matin, avant l'aurore, elles se rendaient au marché de la Châtaigneraie ; en passant à la Potence, elles eurent l'idée de crier tout haut : "Dors-tu, Grigot ?" Une voix répondit "Pas encore !" Les femmes eurent alors une telle frayeur qu'elles se mirent à courir, et en arrivant au marché dans leurs paniers pleins d'oeufs, il n'y avait plus que des omelettes.

 

ET LA MÈRE GRIGOT ?

Les habitants de la Gripponnière prétendent que le corps de la meunière fut entraîné par les eaux jusqu'à la "planche" de leur village. C'est là qu'il aurait été enterré au pied d'un grand peuplier. Depuis cette époque la bonne femme revient ; elle s'installe sur un lavoir, en compagnie de plusieurs commères. Ce sont, paraît-il, des femmes qui passèrent autrefois pour de mauvaises langues et moururent sans avoir reçu l'absolution de leurs méchancetés. Elles sont condamnées à laver ... la réputation de leur prochain, qu'elles ont salie par leurs calomnies et leurs médisances. Et ce travail difficile dure depuis des siècles ! Parfois, dans les nuits sombres, quand le dernier coup de la douzième heure a sonné, on entend retentir dans la vallée le battoir des lavandières et les gens de la Gripponnière et du Peu, se réveillent en pensant à la mère Grigot.


Un meunier du Moulin-Boutard revenait une nuit avec 4 pochées de 6 à 7 doubles sur le dos de son mulet, lorsque tout à coup il aperçoit les mystérieuses lavandières. Au même instant, sa bête fait un faux pas et les sacs de froment roulent dans la boue du chemin. Le farinier appelle aux secours. L'une des lavandières arrive ; d'une seule main et sans effort elle replace les pochées et dit au bonhomme qui tremblait de tous ses membres : "Désormais ne me dérange plus, ou bien il t'arrivera malheur !"


AD85 - Bulletin paroissial d'Antigny - 1903

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