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La Maraîchine Normande
10 septembre 2015

COURLAY (79) - LES TEXIER ET LA PETITE ÉGLISE RACONTÉS PAR L'ABBÉ BERTAUD

LE PÈRE BERTAUD

 

petite église 005

 


Depuis des années, le père Joseph Bertaud s'est appliqué à comprendre et respecter les convictions de la Petite Église, en parcourant cette histoire qui est aussi la sienne. Sa connaissance n'a pas seulement valeur d'information, mais aussi de témoignage dans un domaine où la tradition orale est fondamentale.


Ordonné prêtre en 1947, Joseph Bertaud s'est toujours refusé à juger cette communauté dont il est issu. Petit-fils de l'ancien responsable laïc de la Petite Église à la fin du siècle dernier, il a revêtu, cinquante ans plus tard, les habits sacerdotaux de l'Église officielle.


En remontant les fils de son histoire, l'abbé Bertaud renoue avec ceux qui conduisent en 1793. Sur les traces de ses aïeux héros des guerres de Vendée dont Joseph Texier, qui fut mis à mort par les colonnes infernales.

 

P1180768


"J'appartiens à une famille où la tradition orale est très importante. Mon père est né en 1888. Mon grand-père, que j'ai très bien connu et dont j'ai beaucoup appris avec ses récits, est né en 1847. Mon arrière-grand-père est né en 1811, pendant les guerres napoléoniennes. Quand mon grand-père racontait, il avait la coquetterie de dire : "mon arrière-grand-père qui était né sous Louis XV ..." De fait, les souvenirs des guerres de Vendée que racontaient mon grand-père, il les tenait des héros eux-mêmes, en tout cas des fils des héros. C'est infiniment proche."


Son enfance, Joseph Bertaud l'a passée dans une famille catholique de Montravers, petite paroisse du Bocage. La moitié de sa famille vivait toujours dans la dissidence. Son grand-père - qui se prénommait lui aussi Joseph - était devenu responsable de la Petite Église de Courlay après son mariage avec Eulalie Texier, petite-fille du capitaine de paroisse et fille du premier responsable laïc de la Petite-Église. C'est d'ailleurs toujours au sein de cette famille qu'on choisira le responsable de la communauté "réfractaire". Si bien que le "changement" du grand-père de Joseph Bertaud, en 1893, sera un véritable évènement. "Son entrée dans la "Grande Église", raconte le petit-fils, a été la conséquence d'un long cheminement, d'un choix douloureux en liaison avec Marius Duc, responsable de la Petite Église de Lyon.


"C'EST MA RACE ..."


"Quand j'étais enfant, ajoute l'abbé Bertaud, on parlait peu de la Petite Église en famille. Mon père était demeuré très proche de ses cousins restés dans la dissidence. Lorsque je retrouvais mes petits-cousins, il fallait observer une extrême discrétion. Nous étions parfois polarisés sur des choses qui sortaient de nos habitudes de gosses. Quand mon père rentrait d'un mariage ou d'une sépulture, il racontait des évènements peu familiers pour moi. En fait, nous restions très pudiques là-dessus. Mon père surtout."

Joseph Bertaud voue une véritable admiration à son grand-père : "C'était un homme de Dieu qui a profondément marqué mon enfance. Il allait à la messe tous les matins, lisait les psaumes. Il était un témoignage vivant de la foi, de la générosité et du don total."

Le poids de la tradition orale dans la famille, le fait que son grand-père se soit "changé" alors qu'il était responsable de la communauté, et qu'il soit ensuite devenu prêtre ont contribué à renforcer chez le père Bertaud un extraordinaire sens de la famille. "Je ne peux pas oublier que j'en suis issu. Mon grand-père est resté très vivant. Ma grand-mère est morte dans la Petite-Église, et quand je visite sa tombe au cimetière de Courlay, ça veut dire quelque chose pour moi. C'est ma race, me dis-je, je suis de sa race."

Depuis la mort, en 1826, de l'abbé Texier qui avait été le dernier curé réfractaire de Courlay, le père Bertaud - vicaire épiscopal à Poitiers - est le premier membre de sa famille ordonné prêtre. Il nous livre avec émotion ces souvenirs chargés de symboles :

"A l'époque de mon ordination, en 1947, la famille du tout jeune prêtre se faisait une joie de lui offrir son calice. Mon père, qui était resté très proche de ses cousins, avait voulu solliciter les membres de la Petite Église. Ils ont donné de l'argent, de l'or, des alliances qu'on a fait fondre chez un artisan. Ils furent proprement bouleversés par cette proposition. A cause de leur souffrance d'être privés de l'Eucharistie, des sacrements, autant de choses auxquelles ils croient profondément. Et bien ce calice, avec lequel je célèbre la messe tous les jours depuis quarante ans, c'est le leur ..."

 

 

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LE VIEUX DISSIDENT ET LE CURÉ


On ne relève pas l'ombre d'un reproche quand le père Bertaud évoque la communauté dissidente, dont il parle avec un profond respect. "Elle est tellement à part, tellement unique. A cause de ses trois mille fidèles, à cause de son histoire, sa pudeur et sa fidélité qui s'expriment au point que tous ces gens voudraient vivre cachés. Plus encore, ils souhaiteraient que jamais personne ne parle d'eux. Surtout pas les journalistes, les cinéastes ou les romanciers qui savent qu'en ce siècle d'uniformisation, devient plus que jamais payant ce qui n'existe qu'à l'état d'organe-témoin."

Le père Bertaud ne cache pas sa révolte devant certains écrits inspirés par le voyeurisme : "Les dissidents se refusent à être des organes-témoins, des peaux-rouges qui font payer la photographie que les touristes ramènent pour la sacro-sainte soirée-diapos."

La Petite Église continue une tradition. La quitter constitue une trahison qui revient à renier en même temps sa famille, son passé et l'histoire de ses aïeux. C'est une religion sans prosélytisme, qui n'a nulle envie d'incorporer quelqu'un d'étranger à la race, à la famille. "Je crois, dit Joseph Bertaud", que les Juifs, s'ils connaissaient les dissidents, se retrouveraient dans cette mentalité ..." L'abbé nous cite l'histoire de ce riche entrepreneur de Bruxelles - où se maintenait un groupe minuscule de la Petite Église - venu chercher femme pour son fils dans le Bressuirais, "comme ça, sans savoir ce qu'il trouverait, sauf la certitude des mêmes convictions religieuses."

Il reste à savoir combien de temps une telle communauté, où la notion de fidélité prend une valeur absolue, peut encore survivre. Tout dépend des enfants, qui préserveront ou non ce que leur ont enseigné les parents et les grands-parents.

Le Père Joseph Bertaud nous confie à cet égard une authentique histoire, belle comme une parabole.


"Dans la paroisse de Saint-André-sur-Sèvre se trouvait un curé, tant vénéré par les dissidents que les catholiques de la paroisse. Il avait noué, entre autres, une véritable relation d'amitié avec un vieux grand-père dissident. Le vieillard tomba malade. Le curé ne put alors s'empêcher de lui dire : "Mais pourquoi ne rentreriez-vous pas dans l'Église catholique ? Cela vous serait pourtant facile". Ce fut leur dernière rencontre, et la première fois que le curé fit de la peine à son ami qui, les larmes aux yeux, lui dit simplement : "Oh;, monsieur le curé, depuis si longtemps que vous me connaissez, ce n'est pas vrai que vous avez pensé une chose comme ça de ma part ..."

 

MONSIEUR ET RESPECTABLE PRÊTRE ...


Philippe Texier, qui fut le premier responsable laïc de la Petite-Église, était l'arrière-grand-père de l'abbé Bertaud. Après la mort des derniers prêtres anticoncordataires en 1826, les dissidents de Courlay poussèrent donc l'un des leurs à prendre la direction de la communauté. Dérouté par sa nouvelle mission inédite, ne sachant pas quelle attitude adopter à l'égard de la population catholique, Philippe Texier a écrit à un vieux prêtre du Vendômois, resté "fidèle".


Le père Bertaud a conservé cette lettre qui traduit le bouleversement de son aïeul. A chaque question posée, le curé sollicité donnait dans la marge une réponse intransigeante.

Voici cette étrange litanie :

"Monsieur et respectable prêtre :

- Les fidèles catholiques (les dissidents), peuvent-ils faire des neuvaines et des voyages dans les églises ?
- Non.

- Les fidèles à l'agonie peuvent-ils faire sonner leur agonie dans une église ?
- Non.

- Les fidèles, étant réunis dans leur chapelle pour prier un fidèle trépassé, peuvent-ils avoir des concordataires pour prier avec eux ?
- Non.

- Doivent-ils aller prier auprès de quelqu'un décédé dans le Concordat ?
- Non.

- Doivent-ils se mettre à genoux et prier quand un prêtre concordataire porte le Bon Dieu à un malade ?
- On peut se mettre à genoux si on ne peut l'éviter.

- Nous vous demandons aussi, lorsque nous tombons par fragilité, désobéissant aux commandements de Dieu, la pénitence que nous devons nous imposer ...
- On peut s'imposer une pénitence suivant la grandeur de ses péchés.

- Nous avons entendu dire que la Religion d'Espagne n'a pas changé. Alors aujourd'hui, comme nous avons la liberté du culte, nous vous prions de nous donner votre avis : s'il était possible d'avoir un prêtre nous conduire dans nos sentiments, nous tâcherions de faire tous les sacrifices pour réussir une chose si intéressante ..."

La réponse est encore négative. Philippe Texier restera seul devant sa charge."

 


JEAN ROUZIÈS
Extrait : L'ANJOU - revue trimestrielle - Été 1993

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