SAINT-ÉTIENNE-DU-BOIS (85) - 1914 - LA CROIX DES EMBARDIÈRES
1914
BÉNÉDICTION DE LA CROIX DES EMBARDIÈRES
Lundi de Pâques 13 avril 1914.
Le jour de Pâques, nous chantions à Saint-Étienne, en union avec l'Église, le triomphe du Christ ressuscité. Ces joyeux Alleluias eurent, le lendemain, un retentissant écho dans la fête donnée par le village des Embardières, à l'occasion de sa nouvelle Croix ; fête charmante au dire de tous les spectateurs, et qui fut surtout, pour les habitants de cette pittoresque localité, une manifestation imposante de leur foi, en même temps qu'une preuve incontestable de leur bon goût et de leur savoir-faire.
Il y avait bientôt deux ans qu'ils attendaient ce Calvaire, dont la reconstruction entreprise par M. Boutin, fut exécutée par les soins de M. E. Bertet. Ce dernier devait en donner la bénédiction le lendemain de Noël, mais le Bon Dieu ne lui en laissa pas le temps ... La cérémonie, renvoyée par suite des circonstances que nous connaissons tous au Lundi de Pâques, admirable fut l'entrain pour en préparer l'éclat convenable. Plusieurs semaines durant, le village se mit en frais et s'occupa des multiples travaux de détail que réclamaient le pavoisement du Calvaire et l'ornementation des routes, des rues et des maisons au milieu desquelles devait se dérouler la procession. Tout le monde eut à coeur d'y mettre la main, les hommes pour apporter la verdure, les femmes et les enfants, aux doigts plus délicats, pour confectionner des roses, des guirlandes, des étendards, etc.
Aussi bien, le matin de la fête, des étrangers par là auraient pu croire qu'on y attendait la visite d'un grand personnage.
De fait, les habitants de ce bon village s'apprêtaient à recevoir plus qu'un grand personnage, leur Dieu mort pour eux, mais vivant depuis sa résurrection. C'est l'image de ce Dieu, l'image du Christ, que le Lundi de Pâques, à deux heures et demie, ils avaient le bonheur de saluer, d'acclamer au milieu de leurs modestes demeures. Du bourg et des villages voisins était accourue, pour se joindre à eux, une foule nombreuse et compacte qui s'élevait à bien près d'un millier de personnes.
Tous ces étrangers furent émerveillés du coup d'oeil qu'offrait la cité des Embardières. Il y avait là, plantées tout le long du parcours que devait suivre le défilé, deux immenses rangées de verdure, moissonnée partout dans les environs ou données par des personnes généreuses ; verdure toute fleurie de roses artificielles et de rubans aux voyantes couleurs. Au-dessus se balançaient des guirlandes de papier, de feuilles de houx, avec de temps à autre, des arcs de triomphe pleins d'originalité, où pendaient à côté de la Croix, de belles corbeilles de fleurs, des couronnes artistement tressées, et jusqu'à des lignées de pommes et d'oranges d'un effet peu banal. Bref, rien de curieux, de plaisant comme ce décor plein de richesse dans sa rusticité.
Et tandis que l'assistance s'extasiait en présence de tant d'ingéniosité, de tant d'art déployé pour cette magnifique cérémonie, les habitants des Embardières, montraient dans le rayonnement de leur physionomie la joie qu'ils goûtaient de posséder le Calvaire chez eux. Les hommes, tous, une petite croix sur la poitrine, portaient à tour de rôle, sur un brancard, le Christ qu'avait béni auparavant M. le Curé. De leur côté, les enfants et les femmes chantaient avec entrain, le cantique
"Chers amis, tressaillons d'allégresse
Nous avons le Calvaire chez nous, etc. ..."
ou celui que M. Boutin avait composé pour la circonstance
"Salut, salut, nouveau Calvaire,
Etc. ..."
cantique que l'on retrouvera plus loin.
La procession terminée, le Christ est placé sur la belle Croix en granit d'où il protégera désormais cette brave population ... L'ancienne et célèbre statue de Notre-Dame de la Victoire et le Sacré-Coeur sont déposés de même dans les niches du Calvaire.
M. Boutin, venu à St-Étienne tout exprès pour la cérémonie, prend alors la parole. Après avoir retracé, en quelques mots, la glorieuse histoire des Embardières au cours de la triste révolution (histoire à laquelle le cantique fait allusion), après avoir décrit ce que devint le Calvaire pendant le siècle dernier, il nous dit en quelques mots très clairs, très pieux, ce que nous rappelle la Croix qui vient d'être érigée. Mémorial de la Passion de notre Sauveur, étendard du chrétien, la Croix élevée sur le bord de nos chemins, nous montre à nous pauvres exilés en ce monde, la patrie vers laquelle nous devons tendre et le bonheur impérissable qui nous y est préparé et nous a été mérité par les souffrances de Jésus-Christ ... La Croix est de plus un signe consolateur pour les affligés, un signe rédempteur pour les malheureux pécheurs.
" ... dans cette vie
Un gage de protection
Et dans la suprême agonie
Source de bénédiction."
Au sortir de ces bonnes paroles, et à la suite du clergé, chacun s'empresse de venir baiser le pied de la Croix et d'y déposer, avec ses lèvres, une promesse de religieux attachement à la foi, et d'amour de zélé pour la religion, pour le Christ qui nous a tant aimés.
C'est par là que finit la fête intéressante à tout point de vue, favorisée de plus par un temps superbe ... Nous en garderons tous le meilleur souvenir, et plus spécialement encore les habitants des Embardières, qui s'efforceront de mettre en pratique dans leur vie, dans leur conduite, dans leur circulation autour de la Croix, les serments qu'ils firent en ce jour inoubliable.
A.F.
LA CROIX DES EMBARDIÈRES
Air : Que mon âme chante et publie
Pour aller à Jésus, allons chrétiens, etc.
I
Salut, salut, nouveau calvaire ;
Tu réjouis enfin nos yeux !
En ces lieux, ton image chère
Était l'objet de tous les voeux.
REFRAIN :
Chantons, tous à la fois,
Le coeur plein d'une sainte allégresse,
Chantons, tous à la fois ;
Gloire, amour à la nouvelle croix !
II
D'après ce que nous dit l'histoire,
Les anciens avaient, autrefois,
Élevé sur ce promontoire
Une grande, une belle croix.
III
A la base de ce calvaire,
On contemplait, comme aujourd'hui,
L'image de la bonne Mère
Dont chacun implorait l'appui.
IV
Souvent l'on vit de pauvres mères
Venir ici s'agenouiller ;
Et faire de longues prières
Pour un tendre fils en danger.
V
Hélas ! au tranquille village
Un jour, la douce paix cessa,
Ce fut quand un terrible orage
Sur la pauvre France éclata.
VI
Aux Embardières, de grands crimes
Marquèrent ces temps malheureux.
En moins de deux mois, vingt victimes
Tombèrent sous des coups affreux !
VII
Martyrs, remplis d'un saint courage,
Du ciel, ils sont les possesseurs ;
Et maintenant leur cher village
Les a pour puissants protecteurs !
VIII
En ces jours de terrible angoisse,
Pendant un an, ce lieu devint
Le rendez-vous de la paroisse
Qui n'avait plus de temple saint.
IX
Dans une modeste chapelle,
Dont nous ont parlé les aïeux,
Le dimanche, un prêtre fidèle
Célébrait la messe en ces lieux.
X
Du bourg, des plus lointains villages,
S'y pressaient tous les survivants ;
On y faisait des mariages,
On y baptisait des enfants.
XI
Ce sont là récits historiques
Très fidèlement consignés
Sur des papiers bien authentiques
Qu'avec soin l'on a conservés.
XII
De ces faits dignes de mémoire
La croix dira le souvenir ;
Elle en rappellera l'histoire
A tous les âges à venir.
XIII
Chers habitants des Embardières,
Entourez cette croix toujours
De respect, d'amour, de prières
Elle sera votre secours !
XIV
Elle sera, dans cette vie,
Un gage de protection
Et, dans la suprême agonie,
Source de bénédiction.
Bulletin paroissial de Saint-Étienne-du-Bois - AD85 - 1914
Pour en savoir davantage sur la terrible histoire de ce village, voir l'article suivant : http://chemins-secrets.eklablog.com/saint-etienne-du-bois-dans-l-horreur-a118594870