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La Maraîchine Normande
26 juillet 2015

LE CROISIC (44) - CHAPELLE DU CRUCIFIX - LA MESSE DU SQUELETTE

LA MESSE DU SQUELETTE
(Légende de la presqu'île du Croisic)

 

Le croisic 3

 

Un soir de Toussaint, sur les minuit, Jean-Louis Callo revenait du Croisic au Bourg-de-Batz, quand, en passant devant la chapelle du Crucifix, depuis longtemps abandonnée et transformée en magasin à fourrages, il croit voir des lueurs à travers les baies veuves de leurs vitraux.

De la lumière à cette heure et dans ce lieu, cela lui parut suspect.

Comme Jean-Louis était un gars brave et vigoureux, comme, ce soir-là, par manière de viatique, il avait absorbé pas mal de petits verres dans les auberges du Croisic, il serra dont sa main sur son manche de fouet et fonça hardiment.

Mais arrivé sous le porche, il recula ...

Dans la chapelle, brillamment illuminée, une nombreuse assistance se tenait accroupie, le front prosterné sur les dalles ; un prêtre, en chasuble et en étole, le calice à la main, sortait de la sacristie.

Une force invisible poussa Jean-Louis à l'autel ; par un signe du prêtre, il s'agenouilla et commença à répondre la messe.

Très intrigué au début, il se sentit bientôt envahir par une inquiétude vague autour de lui, pas un mouvement, pas un chuchotement, pas un bruit ... un silence absolu, une paix inquiétante de tombe ; les pas du prêtre n'éveillaient pas plus d'écho que les battements d'ailes d'une chauve-souris ; seuls les répons de Jean-Louis retentissaient sous les arceaux de la chapelle abandonnée.

A intervalles, par la porte demeurée ouverte, arrivaient en bouffées lointaines les sifflements du vent et le murmure de la mer se brisant sur les galets - tels des soupirs de trépassés ...

L'inquiétude de Jean-Louis se changeait peu à peu en terreur ; une sueur froide lui perlait aux reins et aux tempes ; mais ce fut bien une autre affaire quand, au lavabo, en versant l'eau sur les mains de l'officiant, il vit - non il ne se trompait pas - il vit se tendre vers lui dix doigts longs et décharnés ...

Il osa lever les yeux sur le visage du prêtre ... horreur ! ... Il aperçut trois trous noirs au fond desquels il n'y avait rien ... horreur ! horreur ! il servait la messe à un squelette !

Il laissa tomber cuvette et burettes, et tomba raide évanoui ...

 

Le Croisic chapelle du Crucifix

 

Il y a de cela bien des années, l'abbé Picot desservait la chapelle du Crucifix. C'était un homme intéressé, orgueilleux, qui méprisait le pauvre monde, et ne pratiquait point les vertus du prêtre selon Dieu.

Un soir qu'il rentrait au presbytère, il fut accosté par une bonne femme qui le pria de la suivre sans tarder pour administrer son mari.

Le rôti attendait sur la table ; l'abbé toisa les hardes misérables de la vieille et répondit qu'il ne pouvait s'absenter de suite, mais que, dans la soirée, il irait voir le malade.

- Oh ! insista la vieille, il passera avant ce soir : il a déjà "commencé son travail".
- C'est bon, c'est bon, je me presserai.
Et l'abbé se mit à table.
Et il se pressa si bien, qu'avant son arrivée, le moribond rendit le dernier soupir.

En présence du cadavre, l'abbé se sentit pris de remords, car il avait, lui, prêtre, assumé une terrible responsabilité en privant un chrétien des dernières consolations de la religion ; il s'agenouilla tout penaud et récita les prières des morts.

Quand il eut fini, la vieille le tira par sa soutane et lui demanda timidement :

- Monsieur l'abbé, combien prenez-vous pour une semaine de messes ?
- Un écu ordinairement, ma brave femme. Mais puisque c'est par ma ... faute que votre mari est mort sans sacrements, ce sera pour vous une livre seulement.

Bon Jésus ! c'est une grosse somme pour de pauvres gens ! Mais comme je veux que le cher homme ne souffre pas trop dans les premiers jours de son arrivée là haut, pour s'habituer, je ferai tout de même bien le sacrifice d'une messe.

Elle fouilla dans son bas de laine et présenta au prêtre la piécette en soupirant.

- Au moins, Monsieur l'abbé, promettez-moi que vous commencerez dès demain la semaine de mon défunt.
- Soyez sans crainte, je vous le promets.
- Ah ! ça sera pour moi une grande consolation ... Ainsi, monsieur l'abbé, dès demain, bien sûr ?
- C'est entendu.

L'abbé serra son argent, prit la porte, et, cent pas plus loin, tomba entre les bras d'un gros marchand de sel qui, pour le bout de l'an de sa femme, lui demanda trente messes ; seulement, il fallait dire la première le lendemain, car la femme d'un homme riche ne saurait attendre.

- Demain ? impossible ! gémit l'abbé, qui exposa son cas.

Mais le richard fit sonner tant et de si excellentes raisons, sous forme de beaux écus de trois livres - dix écus, ma foi ! - parla avec tant de mépris du pauvre diable trépassé que, menacé en fin de compte de voir l'aubaine passer à un confrère, l'abbé capitula.

Pensez : dix écus ! le prix d'une pièce de ce bon petit vin de Vallet, vraie topaze liquide, dont le curé de Guérande lui avait fait goûter de remarquables échantillons ! ... Et puis, le mari de la vieille pouvait bien attendre, en sa qualité de vilain - les vilains ont la peau dure - Té pardi, un petit mois, voilà bien une affaire ! un mois de plus ou de moins, qu'est-ce auprès de l'éternité ?

L'abbé fit venir la fameuse pièce, et but tellement de son bon petit vin couleur topaze, qu'il mourut d'une attaque d'apoplexie la veille même du jour où il devait commencer la semaine promise. A peine eut-il le temps de se confesser avant de comparaître devant Dieu.

En ce temps-là, les vilains étaient si malheureux, si malheureux, que leur séjour sur terre leur était compté pour l'expiation de leurs péchés.

Au bout d'un mois de purgatoire, le mari de la vieille, qui avait toujours été un brave homme, charitable, honnête et travailleur, eut acquitté sa dette et fut admis dans le paradis.

Mais pendant ce mois, il avait bien souffert, et il n'était pas content de l'abbé qui lui avait volé une semaine de bien-être. - Et il n'avait pas tort, savez-vous !

A la porte du paradis, il se rencontra nez à nez avec l'abbé qui était bien tranquille ayant eu l'absolution, et il fit un tel tapage qu'il attira l'attention du bon Dieu.

- Eh ! là, là, dit le bon Dieu ... Est-ce toi, méchant vilain, qui ose faire un pareil bruit ?
Lors, le vilain conta l'affaire au bon Dieu ... Ah ! mais ! ... Et le bon Dieu après s'être gratté la barbe, se tourna vers l'abbé qui tremblait de tous ses membres.
- Est-ce vrai ce que raconte ce vilain ?
- Hélas ! oui, mon Seigneur Dieu, avoua l'abbé tout penaud comme un chien battu.
- Ah ! méchant prêtre, s'écria le bon Dieu furieux, méchant prêtre ! C'est ainsi que tu voles le pauvre monde et que tu t'acquittes de tes devoirs ? ... Pendant cinq siècles, entends-tu, chaque année, le soir de la Toussaint, à minuit, tu diras la messe des trépassés pour les âmes en peine de la presqu'île ... Va t'en ! ...

Et depuis ce temps, chaque année, en punition de ses péchés de gourmandise, d'avarice et d'orgueil, l'abbé Picot revient dans la chapelle du Crucifix ; et c'est un grand bien pour les pauvres âmes de la presqu'île, qui ont ainsi des messes sans bourse délier.


MAXIME AUDOUIN
La Cloche Bretonne - 1ère année - n° 4 - Jeudi 2 juin 1887

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