Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La Maraîchine Normande
12 juillet 2015

LES VENDÉENNES

LES VENDÉENNES

S'il fallait en croire les Femmes dans la Révolution de Michelet, ou l'Histoire socialiste, de Jaurès, ce seraient les femmes qui, prenant le mot d'ordre au presbytère, auraient mis les armes aux mains des hommes et déclenché la guerre de Vendée ...

"Femme et prêtre, c'est là toute la Vendée, la guerre civile", a dit Michelet. Ce n'est pas ce que disent les témoignages, ce n'est pas ce que disent les faits. M.Émile Gabory, cet historien qui, depuis longtemps, vit, on peut le dire, dans la guerre de Vendée, les fait entendre, dans un livre, les Vendéennes, et il y précise de la façon la plus nette ce que fut le rôle des femmes dans tous ces évènements.

Il distingue trois périodes : la première, qui suit la Constitution Civile du clergé et s'étend de 1790 à 1792 ; la seconde, la période de révolte, qui commence en mars 1793 ; la troisième, qui suit la dévastation de la Vendée par les colonnes infernales.

Il ne manque pas de se placer, tout d'abord, dans le cadre spirituel du pays vendéen. "On connaît, dit-il, le pays, muré, barré, fermé de haies, coupé de fossés, hérissé de défenses naturelles. Il y passe le grand vent maritime, chassant des nuages de tempête. Il y passe aussi un grand souffle pieux. Aux carrefours des chemins, des croix de granit ou de bois étendent leurs grands bras sur le travail des champs, rappellent à ceux qui passent la nécessité du sacrifice et de la souffrance."

 

BIBLE ET CHAPELET


Voilà l'atmosphère. Or, dans tout foyer chrétien, c'est la femme qui, en général, plus que l'homme, est dépositaire des traditions religieuses ; c'est elle qui apprend aux enfants la prière et le catéchisme. La Vendéenne a accepté, et son mari de même, la nouvelle Constitution politique ; mais elle n'accepte pas la Constitution civile du clergé. Elle en souffre plus que l'homme, et plus que l'homme, elle y résiste. Mais pacifiquement. Elle donne asile aux prêtres insermentés, elle assiste à leurs messes, elle fait, la nuit, des processions en chantant les cantiques du P. de Montfort ; il lui arrive de faire la chasse aux prêtres intrus, mais elle ne veut pas leur mort. Elle ne veut pas la guerre. Ni les paysannes ne la veulent ni les châtelaines qui, pour la plupart, n'ont pas émigré et qui sont restées chez elles, gardant le domaine, veillant aux intérêts matériels, élevant leurs enfants.

La guerre éclate pourtant, en mars 1793. Le peuple vendéen était énervé, depuis de longs mois, par la question religieuse ; il a refusé d'obéir à la grande levée de 300.000 hommes. Plutôt que d'aller se battre au loin, il a préféré se battre chez lui.

 

CATHELINEAU

 

Que fait alors la femme ? Elle est la gardienne du foyer, elle pense aux enfants, elle entrevoit les malheurs qui vont venir. Elle est contre la guerre ; elle prêche l'obéissance à la loi de conscription. On le voit dans un grand nombre de témoignages, un grand nombre d'interrogatoires, un grand nombre de faits. La Vendéenne est, à ce moment, ce qu'est la femme de Cathelineau, au PIn-en-Mauges. Cathelineau est à son pétrin ; il fait le pain de la maison. Tout-à-coup, il entend le canon de Saint-Florent : il veut partir. Il va partir. Sa femme fait tout ce qu'elle peut pour l'arrêter ; elle lui montre ses cinq enfants ; elle essaye de gagner du temps : il se calmera peut-être : "Achève au moins ta boulangerie."


Voilà ce qu'est la Vendéenne, à ce moment critique ; quelques très rares exceptions n'y peuvent rien changer ; elle est contre la guerre, et la thèse qui prétend que les femmes et les prêtres ont été les auteurs du soulèvement est une thèse fausse.

 

Bleu 4


Troisième période : la Vendéenne est, pour ainsi dire, chassée de son foyer par la guerre qui ne se fait que dans ce seul pays de Vendée. Massacres, incendies, tout l'oblige à fuir. Où pourrait-elle aller ? Elle se réfugie à l'armée des siens, là où du moins, comme dit une de ces Vendéennes, "elle ne sera pas exposée à mourir comme un chien". Combien ne seront pas entraînées dans la migration d'outre-Loire ! Les Vendéennes, alors, à part cinq ou six, peut-être, ne se battent pas, mais elles apportent leur concours aux services de l'arrière. A l'armée ou chez elles, dans l'horreur du pays incendié, toutes les femmes souffrent et M. Gabory, à côté des Vendéennes catholiques, des royalistes, fait une place aux Vendéennes républicaines qui furent de la même race vaillante et désintéressée.

 

BATAILLE DE TORFOU


Les voici, dans une suite de tableaux, ces Vendéennes catholiques, au milieu de la tempête ; ici, à la bataille de Torfou, quand les hommes des paroisses plient devant la charge de Kléber, les femmes du petit bourg de la Gaubretière, arrêtent fuyards, et les ramènent dans la mêlée ; là, au retour de Granville, au combat de Dol, les Poitevines crient à leurs hommes qui ont peur : "Vous voulez donc voir égorger vos femmes et vos enfants !"
Cris de vaillance, mais cris jaillis du milieu des angoisses, de toutes ces misères que furent le passage de la Loire, la marche vers la mer - femmes, enfants, chariots, combattants allant pêle-mêle à pleins chemins, - l'assaut, infructueux de Granville, la retraite, l'épouvantable massacre du Mans et la déroute de Savenay. ...

 

Langevin


Bien peu de femmes portèrent les armes ; "quand la guerre éclata, les hommes prirent leurs faux ; les femmes, elles, ne prirent pas leurs faucilles". Plus tard, aux jours des revers, quand l'armée de Mayence écrasait la population, "les femmes coururent à l'armée, mais ce ne fut point pour s'y battre, ce fut pour y trouver protection, et elles ne firent que l'encombrer et en fausser les rouages". Quelques-unes, cependant, prirent alors le sabre ou le fusil. M. Gabory fait le portrait et raconte l'épopée de ces "héroïnes du peuple" : Renée Bordereau, connue sous le nom de Langevin ; une ancienne novice, Mlle Regrenil, que l'on appela la hussarde ; Jeanne Robin, qui se battait, suivie de son grand chien roux, Chanzeaux ; l'épicière Laîné, à qui l'on donna le nom de chevalier Adam.

 

femme à cheval


On les comptait, ces héroïnes ; la foule des femmes qui suivait l'armée vendéenne avait d'autres gestes que ceux des combattants. "Un jour Henri de La Rochejaquelein trouva des Vendéennes à genoux, priant auprès de soldats républicains tués dans une rencontre - Que faites-vous-là ? leur dit-il. - Nous prions Dieu pour ces pauvres Bleus que nous venons de tuer."

 

Amazone


M. Gabory fait une étude particulière des "Amazones de Charette". Il met les choses au point. Il constate que, dans son Marais inexpugnable, la situation de Charette paraissait plus sûre : de là le grand nombre de femmes de l'aristocratie accourues à son armée. Charette, d'autre part, était galant et voluptueux ; il vivait séparé de sa femme ; il aimait le plaisir, la danse, les joyeux repas. Durant "les jours heureux" de la guerre, s'il est permis de les appeler ainsi, son quartier général de Legé vit beaucoup de fêtes et de bals. Il serait absolument injuste d'accuser toutes les femmes qui vécurent, plus ou moins longtemps, à l'armée de Charette. La plupart ne sauraient être soupçonnées. Mlle de Charette, par exemple, la soeur du général, eut une vie toute de pureté, comme toute de vaillance et de dévouement.


Il y eut cependant des scandales. N'eurent-ils pas une fâcheuse influence sur la guerre elle-même ? Les paroles de paysans vendéens que la baronne de Candé entendit devant Granville reviennent à l'esprit, symptomatiques dans leur exagération : "Si j'avions voulu, disaient ces paysans, j'aurions pris Granville ; mais tous nos généraux auraient fiché le camp avec de belles dames qui ont de l'argent ; ils nous auraient laissés là."

 

Mme de Lespinay de la Roche d'Avau


Dans la guerre de Vendée, aucune femme ne fut chef de parti, mais quelques-unes ont attaché leur nom à tel ou tel évènement, à tel ou tel canton. Mme de Lespinay de la Roche-d'Avau se montra femme de tête et de dévouement au Comité de Commequiers. Mme Mourain, de l'Herbaudière, fit parvenir à Charette le renseignement qui lui permit de prendre Noirmoutier ; la vicomtesse de Turpin de Crissé fut une pacificatrice ; la lingère Marie Chevet fut une infatigable porteuse de dépêches et de proclamations vendéennes.


Des messagères ? Il y en eut beaucoup et d'admirables : Marie Greland, qui disait aux juges révolutionnaires : "Je suis aristocrate seulement pour la messe, pas pour autre chose" ; Françoise Després ; Marie Lourdais de la Gaubretière, l'épicière ambulante, qui portait les lettres, soignait les blessés, ensevelissait les morts, donnant toute sa pensée, toute sa vie, à la religion ; la veuve Foucher, la blanchisseuse ; la femme Vincenaud, etc.

 

VENDÉEN 5


A la maison, les femmes travaillaient aussi pour l'armée ; elles découpaient et brodaient des insignes religieux ou royalistes, croix, Sacrés-Coeurs, fleurs de lis. Elles fabriquaient des cartouches. Quelques-unes portaient aux hommes les munitions.


Les femmes étaient encore infirmières. Ainsi Marie Gaborit, de Noirmoutier ; Mlle Bouvet, qui à l'hôpital de Beaupréau soignait républicains comme royalistes ; Jeanne Bussonnière, à l'hôpital de Saint-Florent, et cette Soeur de la Sagesse, Soeur Agnès, qui, à l'hôpital de Cholet, rencontra, parmi les soldats républicains que les Vendéens vainqueurs poursuivaient, le meurtrier de son frère et lui sauva la vie en le cachant.


A côté de ces belles fleurs, il se trouva, dans la Vendée, des plantes malsaines. Qu'étaient ces trois châtelaines qui détournèrent l'armée de Tinténiac de son objectif, Quiberon, où elle devait aller prendre Hoche à revers ? Et Hoche n'a-t-il pas dû une grande part de sa victoire à l'esprionnage et aux trahisons de la fameuse marquise du Grégo ?


C'est par centaines que les Vendéennes furent arrêtées et traduites devant les Commissions militaires ou les tribunaux révolutionnaires d'Angers ou de Nantes. Les commissions militaires étaient moins sévères. Mais les tribunaux révolutionnaires ! M. Gabory en donne la physionomie. Il nous fait assister au Comité révolutionnaire d'Angers, à l'interrogatoire fait, sur un ton de menace, par le citoyen Goupil, interrogatoire se terminant brusquement par ces mots : "Tu as une figure fanatique", et par cet ordre au greffier : "Écris : fanatique jusqu'aux os."


Les accusations les plus fréquentes se rapportaient à la religion, et c'est contre celles-là que les accusées protestaient le moins : avoir secouru un prêtre insermenté, ou avoir assisté à sa messe, avoir porté un Sacré-Coeur, avoir chez soi des vêtements de prêtre, etc., ou bien avoir correspondu avec les rebelles, avoir donné asile à des soldats vendéens. Une femme emprisonnée, Sophie Hervé, envoie une supplique à l'Administration pour demander le motif de son arrestation. "Le motif, dit le citoyen juge, il est sur l'adresse : A Messieurs du département. Vous voyez bien que c'est une aristocrate".


Devant de pareils juges, les Vendéennes sont assez souvent effrayées : elles usent de réticence et de ruses. "Mais, dit M. Gabory, demain, devant la mort, elles n'auront plus peur ; elles se ressaisiront, elles ne mentiront pas, car, la mort, c'est la porte sur l'au-delà. Il n'y aura plus de femmes fortes et des femmes faibles, il n'y aura plus que des femmes fortes."


Elle n'a pas peur de la guillotine, cette jeune fille, presque une enfant, qui s'en va à l'échafaud en croquant une pomme, qui est prête à suivre dans la mort sa mère et ses soeurs et qui au juge qui lui dit : "Tu n'as pas l'âge légal", répond : "Si, j'ai l'âge." - L'âge d'être guillotinée.


A-t-elle peur de la mort, la jeune Moreau ? Elle a été prise par une colonne de Turreau ; les soldats l'ont placée sur des fagots, ils vont y mettre le feu, ils vont la brûler vive. Soudain des coups de fusil éclatent : les Vendéens ! Les soldats prennent la fuite. La jeune fille est sauvée. On lui demandera : "Que faisiez-vous sur vos fagots ? - Je priais Dieu. - Vous n'aviez donc pas peur ? - Que voulez-vous ? Nous nous attendions tous les jours à mourir ; la mort nous faisait assez peu d'impression."

 

Demoiselles Vaz de Mello de la Métairie


Que de morts admirables, des morts pour Dieu, des morts dans la pensée du ciel, des morts comme celles des dames de la Biliais, ou celles des demoiselles Mello de la Métairie, qui allèrent à la guillotine en chantant le Veni Creator et le Salve Regina !


Dans tout ce livre d'un passionnant intérêt et de la plus riche documentation, M. Gabory ne plaide pas une thèse, il raconte des faits, il montre, il peint des visages, et c'est de ces êtres vivants, de leurs mots, de leurs gestes, c'est de toute cette vie, et de ces morts de femmes si profondément croyantes que, mieux que de longues dissertations, jaillit, éclatante, la vérité : la cause essentielle, fondamentale, du soulèvement vendéen, c'est une cause religieuse, un sentiment religieux qui n'a eu besoin d'être attisé par personne, parce qu'il constituait le fond même de l'âme de ce peuple.


CHARLES BAUSSAN
La Croix - 55e année - n° 15 821 - Dimanche 16 - Lundi 17 septembre 1934

Publicité
Commentaires
La Maraîchine Normande
  • EN MÉMOIRE DU ROI LOUIS XVI, DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE ET DE LA FAMILLE ROYALE ; EN MÉMOIRE DES BRIGANDS ET DES CHOUANS ; EN MÉMOIRE DES HOMMES, FEMMES, VIEILLARDS, ENFANTS ASSASSINÉS, NOYÉS, GUILLOTINÉS, DÉPORTÉS ET MASSACRÉS ... PAR LA RIPOUBLIFRIC
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Newsletter
Archives
Derniers commentaires
Publicité