VISITE DU GÉNÉRAL DE CHARETTE A SES ANCIENS ZOUAVES ET AUX CHOUANS DE BIGNAN, DE REMUNGOL ET DES ENVIRONS

 

général baron de Charette

 

A KERGUÉHENNEC, EN BIGNAN.


Pendant que les Royalistes de Paris célébraient dimanche, dans un banquet, l'anniversaire du Roi, le général de Charette se rendait à Kerguéhennec, en Bignan, où l'attendaient plus de deux mille zouaves ou chouans.

La réunion a été organisée en si peu de temps que nous n'avons pu, à notre grand regret, nous rendre à cette splendide manifestation de la fidélité à Dieu et au Roi. Nous laissons la parole à un de nos amis, témoin oculaire et auriculaire, qui a bien voulu nous adresser la relation de ce qu'il a vu et entendu :

 

Bignan - château de Kerguenennec

 

"Trois heures sonnent à l'horloge du château : la grille d'honneur s'ouvre, et deux voitures viennent d'arriver au pied du perron de cette magnifique demeure de Kerguéhennec. La réunion est fixée à 3 heures 1/2, et c'est là, ou je ne m'y connais pas, de l'exactitude militaire et de la politesse de roi.

Le général de Charette descend : deux mille têtes se découvrent ; après lui, M. le comte de Lambilly, le si dévoué président du comité royaliste du Morbihan, dont je ne crains pas de donner ici le nom, pour épargner au ministre qui tient en ce moment l'intérieur la peine de chercher ses renseignements. Après eux, MM. le marquis de Langle, Olivier de Genouillac et Schmoderer, le zouave énergique, Alsacien par la naissance et si Breton par le coeur.

Tous gravissent les degrés au milieu du plus profond silence : le général se retourne, lève son chapeau, et deux mille voix répondent à ce mouvement par les cris de : Vive le Roi ! vive Charette !

L'aimable châtelaine reçoit alors ses hôtes, entourée de sa famille et des amis qui attendaient, venus des points les plus éloignés du canton et des cantons voisins. Le prince de Léon, député de la circonscription, et les maires révoqués sont au premier rang.

Un quart d'heure passe et la pluie fait trève : Charette sort et avec lui tous nos amis se répandent au milieu des groupes ; le général reconnaissant ses anciens zouaves, les appelle par leurs noms ; les autres, retrouvant tous leurs amis de leurs communes et leurs connaissances des communes voisines. On se serre la main, on s'embrasse, on fait là de la vraie, mais de la pure démocratie.

L'heure arrive où il faut parler et le Châtelain annonce que les discours seront prononcés sur une pelouse qu'il indique. A l'instant, les plus pressés se précipitent pour prendre place en formant l'avant-garde du gros de la troupe, qui va suivre.

Au premier pas du général, le drapeau qui lui a été offert par Bignan, le 29 septembre, vient se placer derrière lui. Il porte d'un côté, les armes de la France et inscrit au-dessus : Bignan, au-dessous : Vive le Roi ; de l'autre côté, le Sacré-Coeur, au-dessus Catolic hag Breton et au-dessous, Berped : "Catholique et Breton toujours ..." C'est un Guillemot qui le porte ; c'est un zouave qui lui sert de garde : Un chouan, descendant du roi de Bignan et un zouave !

On entend le pas cadencé de la marche jusqu'au moment ou Charette s'arrête au pied de la tribune et chacun prend place pour entendre.

On parle des décors de l'Opéra, de ceux du Chatelet, mais il faut bien avouer que ceux faits par la nature ont beaucoup plus de beauté et de majesté ; ce n'est pas la lumière électrique qui les éclaire, c'est la lumière du ciel.

La pelouse en pente, parsemée de touffes de gineriums, de plantes exotiques, de corbeilles de fleurs, est entourée d'arbres séculaires et fermée au bas par le château, qui finit la magnifique perspective derrière laquelle s'élèvent les montagnes du pays. Là, tiendraient dix mille hommes ; mais les deux mille qui s'y trouvent y forment, avec leurs costumes sombres où percent quelques blanches coiffures de femmes, un tableau qu'un peintre seul pourrait reproduire.

On croirait voir, au milieu de cette futaie, dont les arbres prennent les teintes si différentes et si jolies de l'automne, une réunion comme en tenaient les druides. Là, vous trouvez ces mêmes Bretons qui causèrent tant de mal à César : trapus et vigoureux, doux en même temps que courageux ; timides et aventureux. On sent que sous le calme et le sang-froid des hommes du nord, bout une ardeur qu'on n'arrête plus quand elle a pris son essor. Personne ne bouge, mais tous sentent et ressentent les paroles qu'ils écoutent. Lorsqu'on parle de la Religion et de la famille attaquées de toutes parts, de nos libertés violées et détruites, de nos impôts écrasants, de la banqueroute qui arrive, de l'agriculture en détresse, que de cris de réprobation ; et quand on parle de Dieu, du Roi, de l'avenir et de nos espérances, quelles acclamations !

Le châtelain remercie ses auditeurs de s'être rendus si nombreux à son appel, et prononce un discours dans les termes si aimables qui lui sont habituels, et lui ont conquis à jamais la sympathie générale et la représentation politique de la circonscription voisine. Nous sommes heureux de reproduire son discours :

Mes chers amis,

Les gens de Bignan qui ont conservé comme vous tous leur vieille fidélité à la cause de Dieu et à celle du Roi, aujourd'hui inséparables, ont voulu affirmer ces sentiments, en se cotisant pour acheter un drapeau sur lequel ils ont fait peindre le Sacré-Coeur et les armes de France. Ils ont apporté ce drapeau à notre réunion du 29 septembre et l'ont confié à M. de Lambilly, le représentant du Roi dans le Morbihan, qui l'a offert au général de Charette. Il ne pouvait le remettre en de meilleures mains qu'en celles du noble et vaillant défenseur des deux grandes causes dont le nom seul fait battre tous nos coeurs bretons. Le général a voulu remercier Bignan ; il a voulu vous serrer la main à tous, et c'est pour cela que je vous ai convoqués ici.

Je n'ai pas l'intention de vous faire un long discours. A quoi bon en effet vous rappeler ces lois impies qui sont venues vous blesser dans vos sentiments les plus intimes et qui nous dépouillés successivement de toutes les libertés que les gouvernements antérieurs à la République avaient respectées. A quoi bon vous parler du gaspillage insensé de la fortune publique et des charges écrasantes que nous supportons, et qui ne suffisent pas à satisfaire les appétits faméliques des hommes qui nous gouvernent, puisque, malgré des impôts dont le chiffre croît sans cesse et des emprunts répétés qui s'élèvent chaque année à près d'un milliard, nos budgets se soldent par des déficits. Vous connaissez ces choses aussi bien que moi.

Ce que je veux vous dire aujourd'hui, c'est que j'ai le ferme espoir que nous touchons à la délivrance. Depuis quelque temps il se produit en France un mouvement de lassitude et de désillusion qui ne tardera pas à devenir général. Parmi les hommes qui avaient accepté la République avec plus ou moins d'enthousiasme, beaucoup s'aperçoivent que ce gouvernement néfaste a manqué à toutes ses promesses et est en train d'assassiner la France, et il n'y aura plus bientôt en face de la République qu'un seul parti, celui du Roi ; ce jour-là elle aura vécu.

Le Prince impérial en effet est mort en brave soldat, faisant face à l'ennemi, et il a emporté dans sa tombe les regrets de ses partisans désormais sans chef et l'estime de tous les Français qui ont du coeur. Les Princes d'Orléans ont loyalement reconnu que la Maison de France n'avait plus qu'un chef, Monseigneur le Comte de Chambord ; ils ont solennellement déclaré qu'il ne graviraient qu'à sa suite les marches du trône, et personne n'a le droit de douter de leur parole. Les hommes sans couleur politique qui aiment la liberté ne peuvent plus servir un gouvernement qui les a toutes foulées aux pieds, et les commerçants et les industriels commencent à être effrayés des clameurs poussées par les socialistes qui, las de manger du prêtre, prêchent ouvertement le pillage, l'incendie et l'assassinat.

Bientôt tous les bons Français qui aiment réellement leur patrie se rallieront à nous ; ils seront les bien venus, puisque le Comte de Chambord ne veut pas être le Roi d'un parti, mais celui de toute la France. Nous autres royalistes de vieille date qui avons toujours cru que le salut de la France était intimement lié au rétablissement de la Monarchie légitime, nous ne sommes pas des ambitieux avides de places et d'honneurs ; nous ne sommes que les soldats d'une grande cause que nous regardons comme étant celle de la France, et nos rangs sont ouverts à tous ceux qui voudront combattre loyalement à nos côtés.

Quand l'heure de la victoire aura sonné, et j'ai l'intime conviction que nous ne l'attendrons pas désormais bien longtemps, vous vous rappellerez ce que vous disait l'autre jour avec tant d'éloquence M. de Mun : après avoir fait bonne garde pendant cinquante ans, à l'éternel honneur du Morbihan, vous irez monter la joyeuse garde. Nous nous rendrons tous à la Basilique de Sainte-Anne pour remercier Dieu d'avoir encore une fois sauvé la France ; puis nous irons brûler le hangar que les républicains nous ont obligés de construire pour nos réunions, et nous en ferons un magnifique feu de joie, car nous n'en aurons plus besoin, puisque nous pourrons pousser partout librement notre cri : Vive le Roi !"

Que dire du discours du président du comité royaliste du Morbihan poursuivant de sa verve inspirée, le rêve irréalisable de l'union conservatrice et représentant cette union sous son vrai jour, comme une spéculation ne rapportant qu'aux bertrands qui font tirer les marrons du feu, comme les prétendus républicains font travailler les frères et amis leurs dupes.

Que dire du discours du prince de Léon rappelant avec à propos Henri IV ? Il faudrait lire ces discours en entier et il manquait un sténographe.

Du reste, comme ils ne devaient pas être publiés, les orateurs, par cela même, avaient une plus grande liberté et les auditeurs y gagnaient des images plus frappantes, de plus énergiques paroles que couvraient, à chaque instant, des bravos et des cris poussés comme par une seule bouche, par plus de 2.000 voix.

Le général monte à la tribune, et les cris mille fois répétés de : Vive le Roi ! Vive Charette ! le condamnent à un silence momentané pendant lequel il contemple son auditoire et lui sourit de ce sourire tendre et doux dans lequel brille une si mâle énergie. A ce moment, un rayon de soleil, perçant les nuages, vient éclairer en plein Charette, le drapeau de Bignan dont les franges d'or étincellent, tous ceux qui l'entourent, puis disparaît.

Ah ! il n'est pas orateur, lui, Charette, il le dit, il l'avoue, mais quand on l'écoute, comme on n'a jamais entendu rien de semblable, on l'acclame, on est transporté.

En posant le pied sur la tribune on voit que Charette n'a rien préparé ; puis tout à coup, la parole arrive claire, précise, rapide. Les images se suivent, gaies, joyeuses, les rires éclatent, les cris après.

Est-ce là de l'éloquence ? On ne le sait, mais ce qu'il y a de certain, c'est que l'auditoire est enlevé.

Et quand il vient à parler de la France ; quand il parle de Dieu, du Roi, de la liberté ; oh ! alors, le chrétien convaincu, le royaliste ardent, est vraiment éloquent, et ses auditeurs frémissants partagent son émotion.

Après lui, on ne peut plus parler. Cependant le châtelain lui succède pour offrir à ses invités une visite intéressée à quelques barriques de cidre et à de nombreuses provisions. Personne ne s'y refuse, on le comprend, et les assistants se livrent sérieusement à un travail qui n'est interrompu que par des danses joyeuses aux accents d'une chanson improvisée pour la circonstance, et qui doit servir de marche pour le drapeau de Bignan. Cette chanson que nous reproduisons est accueillie d'une manière flatteuse pour son auteur.

Charette est à nous aujourd'hui (bis)
Car il a dit à ses amis :
Dansons, les jolis Chouans
Dansons, Chouans de Bignan (bis)
Il a dit à ses bons amis (bis)
Que diable attendez-vous ici ?
Dansons, etc.
Que diable attendez-vous ici ? (bis)
Que vous nous meniez à l'ennemi.
Dansons, etc.
Que vous nous meniez à l'ennemi (bis)
La République sera finie.
Dansons, etc.
La République sera finie (bis)
Et tous, nous reviendrons ici,
Dansons, etc.
Et tous, nous reviendrons ici, (bis)
Après avoir salué Henri.
Dansons les jolis Chouans,
Dansons, Chouans de Bignan (bis.

Enfin, on se sépare, heureux et contents de s'être réunis et de s'être retrempés dans une même foi, dans un même espoir.


A KERGROIS, EN REMUNGOL


Nous avons assisté à bien des réunions royalistes : à Vannes, dans une salle improvisée ; à Sainte-Anne, dans la Maison du Roi. Mais là nous étions resserrés, presque à l'étroit. Lundi, à Kergrois, nous étions en plein air, sur une vaste pelouse, abrités en partie par des arbres séculaires, mais ayant pour pavillon le ciel du bon Dieu, et pour horizon les bois, les prairies, les champs de notre pays. Nous respirions à plein poumons, avec ces mille parfums que la nature nous prodigue, l'air vivifiant de la liberté.

 

Remumgol château de Kergrois

 

Ils étaient là six cents zouaves pontificaux et chouans accourus à l'appel de leur général. Les vieux, derniers débris des grandes guerres soutenues pour la Foi et pour le Roi ; les jeunes, ceux qui ont combattu à Castelfidardo et à Mentana pour le Vicaire de Jésus-Christ ; et en France, pour la Patrie envahie par l'étranger. Tous n'avaient qu'un seul coeur, une seule âme dans leur inébranlable fidélité à Dieu et au Roi.

Le général de Charette, accompagné de MM. le marquis de L'Angle, Olivier de Genouillac et Schmoderer, s'avance. Près de lui se trouvent aussi M. le comte Gabriel de Lambilly, président du comité royaliste, M. le comte Lanjuinais, député de la 1ère circonscription de Pontivy, et plusieurs personnes notables des cantons de Locminé et de Baud.

Les cris de : Vive le Roi ! vive Charette ! vive Lambilly ! vive Lanjuinais ! retentissent.

La réunion est si nombreuse qu'elle ne peut se tenir dans le château, et M. de Lambilly invite l'assemblée à se rendre au haut de la pelouse, où une tribune a été improvisée à l'ombre d'un arbre majestueux.

Alors, comme un seul homme, et formant une longue ligne, la foule s'ébranle cadençant son pas au rythme vif et entraînant d'une vieille chanson bretonne. Un chanteur, à la voix puissante dit les couplets, et le refrain :

Vive le drapeau blanc !
Vive le Roi Bourbon !
Et la fleur de lys d'or !

est répété avec énergie, par les assistants.

Un drapeau blanc fleurdelysé, porté par un vétéran de la Chouannerie, ouvre la marche et se place devant la tribune autour de laquelle tous se rangent.

Un ancien zouave vient saluer son général au nom de ses compagnons d'armes, puis M. Onno, maire révoqué de Remungol, présente à Charette, les chouans du canton et des environs, désireux, de se joindre aux zouaves.

Le général remercie. Les acclamations redoublent.

M. le comte de Lambilly monte à la tribune et s'exprime à peu près en ces termes :

D'abord, Messieurs, vive la France, vive le Roi, vive la Reine !

Ensuite, rendons honneur à ceux qui le méritent. Vive Charette, vive M. le comte Lanjuinais, notre sympathique représentant, vivent les zouaves pontificaux et les chouans ! (Acclamations).

Mes chers amis,

Je ne veux pas vous faire un discours ; je n'ai pas à vous présenter M. le général baron de Charette ; il est là, au milieu de ses zouaves et des chouans. M. le comte Lanjuinais est votre représentant. Les zouaves pontificaux et les royalistes de ce pays savent que je suis le président du comité royaliste du Morbihan, et moi je suis certain qu'ils suivront toujours les instructions que pourra leur transmettre le représentant du Roi. (Oui ! Oui ! Toujours !)

Tous les ans, à Sainte-Anne, le 29 septembre, je vous ouvre mon coeur et je vous donne des conseils ; aujourd'hui, j'en fais autant et j'espère vous faire comprendre, en peu de mots, les sentiments que j'éprouve.

Depuis le 29 septembre, un journal, qui se dit royaliste, a taxé d'intempérance le langage tenu par le général de Charette et par moi, et cela parce que nous avions salué avec respect le drapeau blanc portant l'emblème du Sacré-Coeur et les armes de France, que les habitants de Bignan avaient apporté à notre réunion de Sainte-Anne. Et cependant, je vous le demande, l'emblème du Sacré-Coeur n'a-t-il pas inspiré le courage des zouaves pontificaux à Patay et à Loigny, et le drapeau blanc fleurdelysé ne nous a-t-il pas toujours montré le chemin de l'honneur ? (Vive le drapeau blanc ! A bas les cocardiers !)

Un autre journal, républicain celui-là, a déclaré que nous prêchions la guerre civile. La vérité est que nous vous engageons à défendre votre religion, vos libertés, vos familles, vos fortunes, à protéger l'âme de vos enfants. (Applaudissements).

On nous accuse de semer la division en disant qu'il y a des rouges, des bleus, des tricolores, des blancs ; qui est-ce qui l'ignore dans notre pays ? qui est-ce qui ignore que les tricolores, effrayés par la Révolution qui les mine, veulent créer une union conservatrice ? Je vous ai dépeint cette union de différentes façons, à Sainte-Anne ; aujourd'hui, permettez-moi d'achever le tableau que j'ai commencé. (Vive le Roi ! Vive l'Union monarchique ! A bas l'Union conservatrice).

Figurez-vous une famille où des enfants se sont successivement révoltés contre leur père ; après avoir gaspillé ce qu'ils possédaient, ils se réunissent un jour et, tout en disant qu'ils reconnaissent les droits du chef de famille, ils veulent le faire abdiquer. Vous qui lui êtes restés fidèles, pouvez-vous admettre une pareille spoliation ! Non. Vous voulez l'union, mais la véritable, sous l'autorité tutélaire de celui qui a conservé la tradition de la famille et qui peut assurer sa prospérité ; voilà ce que nous appelons l'union monarchique, véritable union qui permet à chacun de prendre place au foyer domestique et d'y occuper la position qui peut être due à son intelligence et à son savoir et aux services qu'il a rendus.

Dieu n'a pas abandonné la France, il ouvrira les yeux aux égarés et tous ensemble, bientôt, nous acclamerons le Roi.

VIVE LE ROI !

Les cris de : Vive le Roi ! Vive Lambilly ! Vive Charette ! retentissent de nouveau, et le général de Charette prend la parole à son tour.

Ce n'est pas un discours, c'est une causerie entre le général et ceux qui l'écoutent. Toutes ses paroles soulèvent des cris d'enthousiasme. Quand il rappelle ce qu'étaient il y a 22 ans les zouaves pontificaux : une poignée, ce qu'ils ont fait pour la défense du Saint-Siège, pour la défense de la patrie, tous les bras se lèvent, toutes les voix s'écrient : "Nous voulons en être". Et le général répond : "Zouaves, et chouans, vous êtes tous mes amis, vous êtes tous mes zouaves." Un ancien soldat d'infanterie dit : "Et la ligne, ne sera-t-elle pas aussi avec les zouaves ?" - Mais si, mais si, mon ami, répond Charette, je vous mettrai tous en ligne." Et tous d'applaudir. Puis le général indique les grands devoirs à remplir envers Dieu, envers le Roi, envers la patrie. Nous ne pouvons qu'analyser rapidement, mais ceux qui ont entendu ces paroles ardentes, ces accents remplis d'une foi si profonde, montrant le ciel pour récompense à tous les sacrifices, ne l'oublieront pas et le rediront à leurs amis qui n'ont pu se rendre à la réunion.

M. le comte Lanjuinais succède au général. Traitant la question économique : accroissement des impôts, détresse de l'agriculture, il montre que le seul remède est la restauration de la Monarchie. Quand il parle de l'union des princes d'Orléans sous l'autorité du Roi, un cri unanime s'élève : Vive le Roi ! Vivent les princes de Bourbon ! Vive la Maison de France ! Parlant ensuite des lois impies déjà votées et de celles que la République prépare contre la Religion, il soulève l'indignation de ses auditeurs. Les interpellations se croisent et de tous côtés nous entendons : "qu'ils viennent donc chasser nos prêtres, fermer nos églises, nous empêcher de prier et d'élever chrétiennement nos enfants, nous serons là !" Un vieux paysan, placé près de nous, a un mot typique lorsque M. Lanjuinais demande si tous désirent le retour prochain du Roi : "Mais oui, c'est notre intérêt, et celui de la Religion."

Oui, voilà bien le reflet fidèle de l'opinion en Bretagne : Le Roi chrétien, défenseur de la Foi. Quelques malins veulent séparer la religion de la politique, comme si tous les jours nos sentiments religieux ne sont pas opprimés par le gouvernement révolutionnaire et athée de la République.

Nos paysans, avec leur sens droit, voient plus loin et mieux que les habiles. Ils savent qu'on ne peut couper l'homme en deux morceaux : un qui renfermera le catholique et l'autre le citoyen français, et ils repoussent ces utopies qui consistent à vouloir sauvegarder la Religion, en se débarrassant du seul moyen humain que nous ayons : la Monarchie chrétienne.

Nous avons donné plus haut la chanson des Chouans de Bignan. L'auteur, M. le comte de Kerret, la redit aux Chouans de Remungol qui la chantent avec enthousiasme. L'air en est entraînant et fait marcher au pas. Tout le monde veut l'avoir, et M. le comte de Lambilly annonce que M. Chamaillard, directeur du Morbihannais et du Courrier des Campagnes, qui assiste à la réunion, offre de l'imprimer et en fera hommage à tous ceux qui se trouvent à Kergrois et à ceux qui étaient hier à Bignan. De vives acclamations nous remercient.

Chacun emportera, comme souvenir de cette belle journée, le portrait de Mgr le comte de Chambord. Un cercle immense se forme pour recevoir l'image du Roi dont tous attendent le retour avec une inébranlable confiance.

Soudain une mélopée triste et plaintive se fait entendre. Au milieu du cercle, entourant le drapeau blanc, un choeur dit en breton l'Exil du Roi Henri V. L'effet est saisissant. Ces voix rudes et mâles ont des accents pleins de tendresse, lorsqu'ils parlent des douleurs de l'exilé, et la foule répète le chant dont nous donnons le texte breton, avec la traduction littérale. C'est l'oeuvre d'un paysan, mais quelle poésie dans ces strophes qui arracheront des larmes au royal exilé de Frohsdorff qui les lira bientôt.

 

Henri V

 

L'EXIL DE HENRI V
I
Men hesté passagour guet té varque vihan,
Ehès dum exposein ar ur mor insolant ?
- Separet deh men bro, forbanet pel doh ti,
Me hunad nos ha dé, haval doh Jérumi
II
Plonget é me halon, en un mor a disté.
N'en des mui aveit an contantement na joé.
Petra é mes mé groeit en un oed quen tiner,
Aveit tennein ar nan hou vengeance ha coler ?
III
Pegours Francision, el guéhéral fidel,
E Tigourehet hui, hou teulegat cruel ?
Pegours è cleuein hoah er hri à garanté
Hou poé pousset eit on pe houen deit é buhé ?
IV
Me mes collet me zad quen guelet er splender.
Més laret é hoé deing, hou poué eit on tuemder.
Me quil amen dareu eit gober hou ponneur
Ha hui ne ret bermen meit cresquein me malheur.
V
Pe ne hoès aveit on meit vengeance ha coler
Ha rentet deing ahoét ur Vam, lon a zouster.
Lemmet ni à sclavage ; torret he rangenneu !
Lousquet hi de zonnet de sehein hun dareu !
VI
Francision hemb truhé, hui chere hou calonneu.
Ouilet ahoél bermen hanahuët hou fauteu :
Er peh em honsolé, é hoes lamet gueneing ;
Ha mé eït hou ponneur ne ran meit hunadein.
VII
Truhunel anquinus deit aman tosteit deing
Disquennet ar ur bar, deit aman devadeing ;
Carguet é me halon, a drislé ha glahar ;
Deit aman de houilein ni é gaijou hum dar.
VIII
Truhunel anquinus, lan a velanconi
Deit ha consideret ur prence hanhuet Herri
En des collet ei omb ol goeyeu é galon
E Vam é ranteleah. Peh un affliction !
IX
Cannet hui, estiq noz, ar un ton glaharus,
Laret de Francision Herri zo malheurus.
Més ean hou car berpet guet ur mem caranté,
Preste de rein eit oh, é hoëd hai é vuhé.

 

TRADUCTION

I
Où vas-tu, passager, sur ta petite barque,
Tu vas t'exposer sur une mer en furie ?
- Séparé de mon pays, exilé loin de lui,
Je gémis nuit et jour, semblable à Jérémie.
II
Mon coeur est plongé dans une mer de tristesse,
Il n'y a plus pour moi ni bonheur ni joie.
Qu'ai-je donc fait dans un âge aussi tendre
Pour attirer sur moi votre vengeance et votre colère ?
III
Quand donc, Français, comme autrefois fidèles,
Ouvrirez-vous vos yeux coupables ?
Quand donc entendrai-je encore le cri de joie
Que vous poussiez pour moi, quand je suis entré dans la vie.
IV
J'ai perdu mon père avant de voir le jour.
Il m'avait été dit que vous aviez pour moi de l'amour
Je verse ici des larmes, désirant faire votre bonheur,
Et vous, vous ne faites maintenant, qu'augmenter mon malheur !
V
Puisque vous n'avez pour moi que vengeance et colère,
Rendez-moi du moins une mère pleine de douceur (la France)
Oh ! arrachez-la à l'esclavage, brisez ses chaînes !
Laissez-la venir sécher mes pleurs.
VI
Français sans pitié, vous fermez vos coeurs,
Pleurez maintenant et reconnaissez vos fautes :
Ce qui me consolait (la patrie) vous me l'avez enlevé ;
Et moi pour votre bonheur, je ne fais que gémir.
VII
Tourterelle plaintive, viens ici, près de moi,
Descends sur une branche, viens ici devant moi :
Mon coeur est chargé de tristesse et de douleur,
Viens ici pleurer, nous mêlerons nos larmes.
VIII
Tourterelle plaintive, pleine de mélancolie,
Viens et considère un prince nommé Henri
Qui a perdu pour nous toutes les veines de son coeur,
Sa patrie, son royaume. O quelle douleur !
IX
Chante, toi, rossignol du soir, sur un ton plaintif :
Dis aux Français : Henri est malheureux,
Mais il vous aime toujours de la même tendresse,
Prêt à donner pour vous et son sang et sa vie.

 

L'heure s'avance, et notre hôte invite tous les assistants à boire à la santé du Roi. Des tables ont été dressées en plein air et bientôt les verres se choquent, les pipes s'allument et des groupes se forment. Là, c'est un chanteur qui redit les airs nationaux que termine le cri de vive le Roi ! A côté, nobles et paysans causent amicalement. On parle de la fraternité républicaine ... les réunions publiques en donnent une jolie idée. Qu'on vienne donc à nos réunions royalistes, c'est là que règne la fraternité, celle de la communauté de croyances et d'opinions. Le paysan breton est, dans ces circonstances, digne comme il convient à un homme libre. Le propriétaire de sa ferme ou les habitants des châteaux voisins sont pour lui, non pas des maîtres durs, mais de vrais amis. De part et d'autre, c'est un échange de paroles affectueuses ; le paysan respecte, sans servilité, l'homme placé au-dessus de lui dans la hiérarchie sociale, et celui-ci répond au salut cordial du laboureur par des témoignages sincères de sympathie et d'intérêt. Aussi quelle joyeuse animation et comme on sent que les vivats poussés en l'honneur du général de Charette, de MM. de Lambilly et Lanjuinais partaient de coeurs dévoués.

Avant de se séparer, tous les paysans sont venus serrer la main de ceux qui les avaient charmés par leur parole ardente et convaincue. Ils se disaient les uns aux autres, non pas adieu, mais au revoir. Puis les habitants de chaque paroisse, groupés ensemble, s'éloignent par des chemins différents, en lançant sous la voûte sombre des bois, au milieu des sentiers et des champs, le refrain qu'ils chantaient en arrivant :

Vive le Drapeau blanc !
Vive le Roi Bourbon !
Et la fleur de Lys d'or !

P.-S. - Afin de tranquilliser les âmes timorées des républicains, nous devons leur annoncer que des déclarations pour réunions publiques avaient été faites. On était en règle avec la loi et leur vertueuse indignation perdra une occasion de s'exercer.

Extrait : Le Courrier des Campagnes - 12e année - N° 43 - Dimanche 22 octobre 1882