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La Maraîchine Normande
7 avril 2015

L'ÎLE DE RÉ (17) - 1793-1794 - CINQ GUILLOTINÉS : L'ABBÉ GIBAUD - TOUZEAU - L'ABBÉ OREILLAN - GUSTAVE DECHÉZEAUX

Cinq enfants de l'île de Ré ont arrosé de leur sang les idées philosophiques du dix-huitième siècle : les curés Gibaud et Oreillan, Touzan, Aunis et Dechézeaux.

 

Ile de Ré La Couarde

 

L'ABBÉ GIBAUD (Mathieu), né en 1759 (8 avril) à la Couarde, était maître ès arts, docteur en théologie, et vicaire de Sainte-Marie au moment de la révolution. Il suivit l'armée vendéenne, et dans un campement au milieu des futaies de ce pays, les soldats républicain le firent prisonnier.
Conduit à Nantes devant cette bête féroce de Carrier, il fut guillotiné sans aucune procédure, en 1793.

 

Ile de Ré Ars

 

TOUZEAU, marchand brocanteur du bourg d'Ars, refuse de vendre une paire de pistolets au prix énorme de trois mille francs en assignats. Un habitant, présent à ce marché, lui offre dix francs en argent, et obtient les pistolets. Touzeau est appréhendé au corps, conduit à Rochefort et jeté devant un tribunal révolutionnaire, parce qu'il avait déprécié le papier-monnaie de la république.
Condamné à mort, il fut traîné de suite à l'échafaud.

 

île de Ré Loix

 

OREILLAN, curé de Loix, témoin des vols audacieux commis dans les églises par les républicains, et blessé dans ses croyances respectables par ces décrets qui voulaient que tous les ustensiles d'or et d'argent fussent fondus au profit de la nation, Oreillan vola pieusement les vases sacrés. Il trouva dans un habitant d'Ars, dans AUNIS, un honnête complice. Ce religieux détournement fut découvert. Traduits devant le tribunal révolutionnaire, ils furent condamnés à être décapités. Car tous les arrêts de cette justice en démence étaient fondus dans la même iniquité. La mort, toujours la mort.

 

Gustave Dechézeaux

GUSTAVE DECHÉZEAUX fut la victime célèbre, l'illustration de la guillotine Lequinio. Il appartient à la nation française, car il fut un des premiers apôtres de ses nouvelles théories sur la liberté de l'homme.

Il naquit à la Flotte le 8 octobre 1760, et fut baptisé dans la religion catholique, qui traitait d'enfants illégitimes les nouveaux-nés d'une union mixte. J'ignore le moment où il abjura. Son père, protestant convaincu, négociant honnête, cultiva de bonne heure la jeune intelligence d'un fils dont le caractère bouillant l'inquiétait parfois. En France, l'éducation d'un enfant protestant rencontrait de sérieuses difficultés. Les familles riches allaient la demander aux nations étrangères. Le jeune Dechézeaux, au milieu de l'atmosphère embrasée de liberté, de républicanisme et de calvinisme de la Hollande et de Genève, s'infiltra de toutes les idées nouvelles. A vingt ans, l'homme a soif de tout ce qui lui parle la langue de l'inconnu et de l'humanité ; il a toutes les séductions de la théorie, tout ce qui rit sur les pages d'un livre vanté, et il revient vers ses concitoyens comme le semeur vers le champ vierge. Mais les déceptions de la pratique ricanent dans le coin de la bibliothèque, et irritent les chaudes témérités de ses convictions. Il s'en console en chassant du logis ce qu'il appelle les idées d'un siècle en arrière ; mais à son insu, pendant les lassitudes de tout esprit novateur, les vieilles pratiques reprennent sans façon la place du grillon du foyer, et le jeune adepte refroidi trouve que leur vieux babil a encore les charmes des bons amis de l'humanité.

C'est l'histoire en abrégé de Gustave Dechézeaux. Comme l'aiglon, il regarda sans fermer la paupière le soleil des libertés dont il connaissait l'apprentissage. C'était un joyeux réveil de tous ses rêves. Sa chère bibliothèque, pleine de sève philosophique et esthétique, était un cratère de volcan. Il attendait cette révolution, et il lui ouvrit sa porte et son coeur. Au milieu de ses croyances inébranlables dans les protestantismes politiques et religieux, il oublia les séductions de sa fortune, du sourire de sa famille, du silence si vivant du coin solitaire de son foyer. Il l'a écrit dans ses lettres. Il était trop heureux !

Sous les ailes roses de l'aurore des révolutions, vous ne verrez jamais l'anarchie, les intrigants, les assassins et les bourreaux, jamais, jamais. Il se pose de suite en pleine lumière révolutionnaire. Il fonde la première Société populaire de la Flotte et en demande l'affiliation au fameux club des Jacobins. Commandant de la garde nationale de la Flotte, il va guerroyer aux Sables contre les Vendéens. Il jette les bases de la caisse patriotique pour l'échange des assignats dans l'île de Ré.

 

Ile de Ré La Flotte

 

En 1792, il fait planter le premier arbre de la liberté à la Flotte. Il assure une pension de dix livres par mois aux familles de dix concitoyens non classés qui s'engagèrent les premiers sur les vaisseaux de la république. Il destina une autre somme de douze cents livres à secourir les marins de l'île de Ré qui seront blessés en combattant pour la liberté. Le premier bataillon de la Charente-Inférieure, le bataillon qui avait dit : "Nous parlons peu, mais nous frappons fort," était à Namur. L'île de Ré lui envoie des souliers, et Dechézeaux y ajoute deux uniformes, une redingote-uniforme, deux vestes, une culotte, une épaulette en or de lieutenant-colonel et un chapeau d'uniforme.

Il est républicain dans l'expression la plus large et la mieux définie. Il est du peuple et il aime le peuple. L'ombre d'un roi blesse ses instincts et son éducation démocratiques. Le veto de Louis XVI suspend les décrets de l'Assemblée nationale sur les émigrés et les prêtres. Dechézeaux écrit aussitôt aux Jacobins de Paris, pour que des pétitions soient faites dans toute la France contre le veto royal. Ces pétitions iront directement toucher au trône, et seront le dernier avertissement du peuple.

Son cousin a reçu une épée d'honneur de Louis XVI. Il l'encourage à la déposer sur l'autel de la patrie, car il doit avoir une vive répugnance de porter une arme chargée des emblèmes de la royauté.

Avant de partir pour la Convention, il veut éclairer ses concitoyens. Il leur fait pressentir que la république est proche. Il faut que les derniers vestiges de la tyrannie disparaissent de la terre. Opprobre éternel à ceux qui voudront transiger avec les rois.

En 1792, il préside l'assemblée primaire de la Flotte, et lui fait adopter le projet de démolie la statue de Louis XV, à Saint-Martin. C'est aux cris de : Plus de Rois ! que ce monarque descend de son piédestal.

Desèze, à la barre de la Convention, avait terminé la défense éloquente de Louis XVI par ces mots : "Je m'arrête devant l'histoire. Songez qu'elle jugera votre jugement, et que le sien sera celui des siècles."
Les hommes politiques appelés à se prononcer dans ce moment solennel, ont dû se replier sur eux-mêmes. Dechézeaux vote pour la détention.

"Je déclare Louis coupable et convaincu du crime de haute trahison nationale, parce que j'en ai la conviction. - Je rejette la sanction du jugement par le peuple, parce que j'en crains les conséquences funestes pour son bonheur, et parce que je veux que toute la responsabilité pèse sur ma tête.
Je déclare que Louis mérite la mort ; mais, prononçant comme législateur et non comme juge, de grandes considérations politiques, auxquelles sont essentiellement liées les destinées de la république, me font voter pour la détention, jusqu'à ce que les circonstances permettent d'y substituer le bannissement."

Il écrit aux électeurs de la Charente-Inférieure : "Louis n'est plus. Son ombre, errante dans le palais des rois, porte déjà dans leurs sens éperdus l'épouvante et l'effroi."

Dechézeaux avait pris dans la Convention une position libre et dégagée de toute personnalité. Il siégeait au marais. Ses écrits l'attestent :

"Je déclare que je suis étranger à tous les partis. Je sers mon pays parce que je l'aime et que c'est un devoir. Il y a dans la Convention des hommes qui se tinrent à l'écart des partis pour conserver leur indépendances, préférant leur obscurité, leur solitude à des amitiés compromettantes. Je suis de ce nombre."
Il fut d'abord suppléant au comité des finances, membre des comités de correspondance et de commerce, membre du comité de défense générale. Le républicain, l'âme honnête, s'aperçoit enfin que tout n'est pas pour le mieux dans le meilleur des gouvernements.
Les débats ne tardèrent pas à devenir très-vifs, probablement, aux yeux de ceux qui comme moi n'étaient initiés dans aucun mystère, à cause du jugement de Capet. Mais ce qui devait surprendre et étonner davantage des hommes neufs et novices dans l'art des intrigues politiques, c'était encore de voir se ranger sous des bannières différentes, de voir se poursuivre, s'accuser, se dénoncer respectivement avec une véhémence inconcevable, ceux qui naguère, les uns à l'Assemblée constituante, les autres à l'Assemblée législative, avaient combattu ensemble. De là la cause, la source de l'indécision dans laquelle sont restés jusqu'au bout les hommes de bonne foi, qui voulaient le bonheur du peuple."

O candide, candide !

Dans les premiers jours de mai 1793, les bruits les plus sinistres circulent. On dénonce des complots, les idées les plus diverses se font jour et se croisent. Dechézeaux, étranger aux secrets de ceux qui préparaient les évènements, ne connaissait que les rapports officiels, et n'avait qu'une idée, celle de rester à son poste et d'attendre.

Le 31 mai, le 1er et le 2 juin, il est là, sur son siège, regardant passer toutes ces hideuses cohortes de la populace de Paris, qui donnent au monde entier le spectacle terrible d'une assemblée française délibérant sous la menace des baïonnettes. Le tocsin sonnait, et le canon était aux portes de la Convention. Des députés abandonnèrent leur poste. Dechézeaux resta jusqu'à la fin, et quand les Girondins, décrétés d'arrestation, vont soulever les départements et les fédéraliser, il prend la plume et laisse passer les oppressions de son patriotisme blessé dans ses naïves croyances. Sa déclaration est nette, et accuse les autorités constituées de Paris de connivence avec les autorités monstrueuses qui se sont établies en dehors de la loi. Le conseil exécutif n'a pas fait son devoir. La Convention n'est plus libre. Barrère dans sa proclamation au peuple, a dénaturé les faits et a eu des ménagements voisins du mensonge pour les fonctionnaires séduits ou corrompus. La Convention est composée d'éléments que rien ne peut rapprocher. Il faut que la constitution soit votée par elle et qu'une nouvelle assemblée soit nommée.

Cette déclaration, dans sa hardiesse, attaquait de front les députés qui voulaient se perpétuer dans la législature, et qui déjà portaient une main jalouse sur les rênes de l'État. Les membres du comité de sûreté générale proposèrent à la Convention un décret d'arrestation contre les députés de l'Aisne, qui avaient écrits à leurs commettants le récit des évènements du 31 mai. Ils firent arrêter à la poste les lettres et paquets ; mais Dechézeaux déclare que la vérité, semblable au feu, pénétrera dans les départements. Il leur écrit, pour réclamer l'honneur de la persécution dirigé contre les députés de l'Aisne, et il termine par ces mots : "Frappez, si vous l'osez." C'était son arrêt de mort.

Le 17 juin, il adresse l'acte de la constitution votée par l'Assemblée aux sept districts du département, et il les engage à hâter la sanction par le peuple.

Le 11 août, il prend une grave décision. Comme un voyageur lassé par la chaleur avant le terme d'un long voyage, il s'arrête. Ses illusions sont blessées par les turpitudes d'une politique affolée, et il les abandonne sur les bords du sentier qui côtoie les abîmes.

Le 31, Eschassériaux prend sa place à la Convention. Le 11 septembre, il obtient son passeport, et le 12, son bâton à la main, le front plissé par l'expérience, il reprend la route de l'Océan et de sa famille. Le 19, il se présente au milieu de l'assemblée populaire de la Flotte. En rentrant dans son cabinet, il eut un regard dédaigneux pour tous ces philosophes rangés sur les rayons de sa bibliothèque, et pour la première fois il douta de leur rêveuse amitié.

Ses concitoyens, qui avaient suivi sa carrière politique, comprenaient la gravité de la situation, et l'engagèrent à fuir en Angleterre. Des navires anglais étaient sur rade. Il n'y avait qu'un pas à faire. Il ne le fit pas, parce que Dieu veut que le regard de l'intelligence soit souvent atone.

Le comité de sûreté générale suivit sa trace avec la haine d'un Mohican, et, le 15 brumaire, il donna l'ordre de son arrestation. Les représentants du peuple Laignelot et Lequinio investissent de leurs pouvoirs une commission composée de Bobe Moreau, Quilliet, Parant et Gault fils. Je lis dans une lettre du conseil général de la Flotte que ces hommes étaient la fleur des ambitieux des sociétés populaires de Rochefort et de la Rochelle, de gracieux petits monstres qui avaient des appétits de hyène.

Le 16, le vent était à la tempête, et, pendant une traversée difficile, l'Océan eut la faiblesse de ne pas les engloutir. Ils étaient accompagnés de satellites qui répondaient au doux nom de Frères et Amis, et débarquèrent sur les plages de la Flotte. Ils font aussitôt enregistrer leurs pouvoirs à Saint-Martin, et, à sept heures du soir, lancent leur mandat d'arrêt et posent les scellés sur les papiers de l'ex-conventionnel.

A trois heures du matin, le proscrit est embarqué sous la garde d'une escorte, pour être conduit dans la maison d'arrêt de la Rochelle.

La commission en donne avis aussitôt à Laignelot, en lui disant que leurs frères, envoyés par la Société populaire de Rochefort, ont très-bien préparé les choses dans ce pays, mais qu'elle garde encore auprès d'elle Regreni et Rossignol, dont les lumières peuvent l'éclairer. Alors, pendant une décade, elle se met à l'oeuvre. Elle bouleverse tout dans l'île. Elle excite les pauvres contre les riches. Elle brise tous les cultes, elle destitue toutes les autorités, forme des comités révolutionnaires, impose à chaque commune de lourdes contributions. La Flotte est frappée d'un impôt extraordinaire de 60.000 francs, qu'elle ne paya pas cependant. Elle prêche le terrorisme, et les insulaires laissent passer ces chenapans de la révolution, en courbant la tête.

Lequinio

Le 19 frimaire, les représentants Lequinio et Laignelot écrivent à la Convention :

"Nous avons reçu l'arrêt du comité de sûreté générale, pour l'arrestation de Gustave Dechézeaux. Il y a près d'un mois que, sans le connaître, nous avons rempli ses intentions. Notre tribunal révolutionnaire est bien au pas. Que le comité nous envoie les pièces de l'accusation. Nous presserons l'affaire."

La meute des sociétés populaires de la Rochelle et de Rochefort se lève et veut avoir sa part de la curée. C'est à qui portera le premier coup, c'est à qui mordra l'accusé.
Quand le sanglier tombe et roule sur l'arène,
Allons, allons, les chiens sont rois.
Du sang chaud, de la chair, allons, faisons ripaille.

Après vingt jours de détention, Dechézeaux est transféré à Rochefort. Alors il comprit la gravité de sa position, mais il était trop tard. Le 24 nivôse seulement, il subit son premier interrogatoire. On fouille les faits et gestes du député inviolable, parce que ce même député avait foulé aux pieds l'inviolabilité d'un roi.

Le 25, l'accusateur public rédige son acte d'accusation.

Gustave Dechézeaux est accusé d'avoir conspiré contre l'unité et l'indivisibilité de la république, en participant aux complots des fédéralistes, en corrompant l'opinion publique par des papiers liberticides répandus dans les départements, en avilissant la Convention par un démenti donné à une adresse publiée par elle.

Le tribunal, faisant droit à l'accusation, ordonne que Dechézeaux soit pris au corps et écroué, et le 28 il comparaît devant ces hommes de sang. Sa défense, écrite par lui, est calculée, limpide, appuyée sur des pièces nombreuses, et ponctuée par des certificats des sociétés populaires de l'île et des conseils généraux, etc. Il y a dans cette défense des pages touchantes, des vibrations d'une âme plaintive, des élans spontanés de généreuse tendresse pour la patrie opprimée.

Le public, qui avait envahi la salle du tribunal et toutes les issues du palais, écoutait les derniers accents de cette voix qui allait s'éteindre.

"Vous m'accusez de fédéralisme ! Mes actes, mes paroles, mes écrits sont là pour glacer vos lèvres accusatrices. Ma déclaration, qui a suivi les funestes journées des 31 mai, 1er et 2 juin, n'est qu'une invitation à l'unité, à la fraternité, à l'indivisibilité de notre chère patrie. Je suis pour la fraternité, mais je ne veux pas de l'anarchie, et j'ai attaqué en face ceux qui ont sali la pureté de la Convention. Billaud-Varennes a pu dire légèrement que j'avais engagé les Rochelais à marcher sur Paris. Mais la Rochelle a son histoire, et j'avais mes convictions. La Convention, dans ses bulletins, a rendu justice à notre républicanisme.

Nous avions tous fait serment, sur la tombe de Lepelletier, d'oublier nos haines dans le silence éternel de la mort, et le spectacle des débats affreux qui ont tourmenté la Convention se dresse encore devant moi. J'ai défendu la représentation nationale, comme l'ont fait Mallamri, Barrère et d'autres encore. Tous mes collègues décrétés d'arrestation ne sont pas encore accusés. Seul, par une fatale exception, je suis traîné devant un tribunal révolutionnaire. Mais j'aurais pu fuir, et je ne l'ai pas voulu. Je dois être une victime des excès de la vengeance des partis. Que d'observations n'aurais-je pas à faire, si j'entrais dans les détails ; mais je les ensevelis avec d'autres vérités, sur lesquelles je dois gémir et me taire ...

Suivez-moi dans la salle des séances de la Société populaire de la Flotte. Le 21 nivôse, Parant, ce Rochelais fougueux, est à la tribune. Il fait un crime à ces patriotes de leur modérantisme envers ce scélérat de Dechézeaux, ce conspirateur ligué avec les 38 traîtres qui ont péri sur l'échafaud, ce monstre. "En élevant votre voix en sa faveur vous avez été séduits. Vous avez commis un crime, mais rétractez-vous, car il en est temps encore ...

Citoyens jurés, les Rhétais n'ont pas fléchi devant ce terrorisme. Ils ont tous crié : Non, non.

Crassous. - Ici je m'arrête en face d'un homme qui était mon ami, et dont la lettre pèse sur ma tête comme un plomb. Il m'a reproché d'avoir calomnié la Convention, et il voyait l'armée des départements marchant à ma voix sur Paris. Voici ma réponse : je vous répète sans crainte, parce que je suis sans reproche, que vous calomniez vos concitoyens. Vous aiguisez les poignards de la discorde par la discorde, reproduites toujours, de riches, de pauvres, de négociants et de sans-culottes. Ne sommes-nous pas tous républicains, égaux dans la fraternité et dans l'égalité ?

Citoyens jurés, c'est un représentant qui parle, et qui se met sous l'égide de l'article XLIII de la Constitution : "Les députés ne peuvent être recherchés, accusés ni jugés dans aucun temps pour les opinions qu'ils ont énoncées dans le sein du Corps législatif.

Vous ne pouvez pas aller plus loin, car ce serait un attentat contre la liberté.
Hier, j'étais accoudé sur le grabat de mon cachot, et les voix du dehors venaient chuchoter à travers les grilles. Elles m'apprirent que les journaux annonçaient que l'accusé Dechézeaux avait subi la peine réservée aux traîtres et aux conspirateurs.
Je le confesse devant vous, citoyens jurés : en m'affaissant dans une immense douleur, j'ai payé le tribut que tout homme doit à la sensibilité et à la nature. Mais je me suis relevé ...
La vengeance peut me poursuivre. Je saurai mourir plutôt que de mentir à ma conscience qui me déclare innocent."

Gustave Dechézeaux avait prononcé les dernières paroles du mourant, au milieu des témoignages non équivoques d'une profonde sympathie.

Pierre Chrétien, délégué de la Convention aux îles du Vent, a la parole.

Il a vu, en parcourant plusieurs départements, des écrits répandus parmi le peuple, et dans lesquels Dechézeaux excitait les citoyens à expulser les bons patriotes de la Convention. Il a pu lire une lettre de ce représentant à Crassous, affichée sur les murs de la Rochelle.

Le moment était solennel. Le président pose deux questions au jury :
Est-il vrai qu'à l'époque du 31 mai, il ait existé dans le sein de la Convention une conspiration tendant à rompre l'unité et l'indivisibilité de la république ?
Est-il vrai que Dechézeaux ait été complice de cette conspiration par ses écrits perfides, en appelant le peuple a dissoudre la Convention ?
Les jurés répondent à l'unanimité : Oui.

Et moi qui, soixante-quatorze ans après, moi qui tiens la plume de l'histoire, je réponds aussi : Oui. Dechézeaux a conspiré pour purger la Convention qui était le repaire des assassins de la France. Dechézeaux a conspiré pour ramener la république dans les voies de l'honnêteté politique. Il a été la victime nationale, et je lui pose sur la tête l'auréole du courage et du martyre, parce que, pouvant fuir, il a voulu tomber debout, et en vous regardant en face.

Le tribunal, après avoir entendu l'accusateur public sur l'application de la peine, opinant à haute voix, conformément à la loi du 10 septembre 1794, condamne Dechézeaux à la peine de mort, déclare ses biens acquis et confisqués au profit de la république, et ordonne que le présent jugement sera exécuté dans les vingt-quatre heures, sur la place de la Liberté.

Signé : Savigny ; Vielh ; Goyrand ; André, président.

L'accusé parlait encore que déjà les apprêts du supplice étaient faits. Les habitants de Rochefort témoignent encore de cette odieuse parodie judiciaire. A trente-quatre ans Gustave Dezécheaux est entraîné, à la lueur des flambeaux, au milieu d'une populace hurlant et vociférant jusqu'au pied de la guillotine. Il en gravit les degrés avec fermeté, et se trouve en face d'un employé du port, de Daviaud, qui a réclamé le droit de lui couper la tête. Un coup sourd se fait entendre. Le sang rhétais coulait à pleins bords, et pendant qu'un trou dans l'ancien cimetière recevait ces débris humains, Daviaud, les mains sanglantes, parcourait les rues de la ville en se vantant de n'avoir pas manqué son coup. Il était sept heures et demie du soir.

Le 9 thermidor vint. Il était encore trop tard !

Le 29 germinal an III, la veuve de l'infortuné Dechézeaux se présente à la barre de la Convention. Son beau-frère est à côté d'elle, et demande que le procès de la victime révolutionnaire soit révisé, et que les biens soient rendus à sa veuve et à ses enfants.

Le président Boissy-d'Anglas lui répond :

"L'époux que vous pleurez fut une des victimes innocentes de la tyrannie que nous avons détruite. Il a toujours été l'intrépide défenseur de la liberté, et il l'a scellée de son sang. Citoyenne, consolez-vous. La Convention vous doit la justice de vous faire restituer vos biens ; mais ne lui demandez pas une réhabilitation inutile, lorsque toutes les formes de la justice ont été violées. Le tribunal suprême de la postérité a déjà prononcé son arrêt, qui transmettra à nos arrière-neveux le nom d'un homme justement honoré."

La Convention décida que les lettres et pièces judiciaires seraient imprimées aux frais de la république. Plus tard, les débris d'une fortune considérable furent rendus aux héritiers. Ce fut le dernier mot de ce drame.

Les Crassous, les Daviaud, les André junius, les Parant furent arrêtés, poursuivis par l'exécration publique. La justice des hommes vient souvent ; la justice de Dieu vient toujours. C'est une affaire de temps.

Extrait : Histoire de l'Ile de Ré par le Docteur Kemmerer - La Rochelle - 1868

 

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