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La Maraîchine Normande
5 avril 2015

CONTE DE PÂQUES - GUILHAUMETTE LA ROSÉE

Comme quoi Guilhaumette la Rosée fut sauvée des griffes du Malin par sa charité.

C'était en 1400 et tant : en ce temps-là comme chante le diacre à l'Évangile, vivait en la ville de Pontorson une vieille femme, si âgée, si décrépite, si chétive, si minable, que les anciens du pays n'avaient aucune souvenance de l'avoir vue jeune, accorte et folâtre ; elle habitait sur les bords du Couesnon une chaumière branlante et, quand la tempête soufflait de la grève, c'était miracle que la hutte de Guilhaumette résistât et ne fut pas jetée dans la rivière. Cette malheureuse était la terreur du voisinage : elle ne faisait pourtant de mal à personne ; incapable de travailler, elle demandait d'une voix bien humble, bien suppliante, une aumône que la peur ne lui faisait pas refuser. Les jeunes gens prenaient la fuite à son approche : les vieux se signaient, les enfants n'osaient aller jouer sur la grève, de peur d'être enlevés par ce mauvais génie à qui on attribuait tout le mal qui arrivait dans le pays.

 

Guilhaumette

 

Guilhaumette passait son chemin en silence, appuyée sur un long bâton, elle se remémorait, la pauvre, le temps où, gente jouvencelle aux joues fleuries comme une églantine, ce qui lui avait valu son surnom de la Rosée. Elle était fêtée, adulée par les hauts et puissants seigneurs du pays. Dans ce temps-là, elle était riche, elle semait l'or à profusion et bien souvent : hélas ! pour satisfaire ses fantaisies, les fiers chevaliers avaient pressuré leurs vassaux, enlevé le nécessaire aux vilains pour déposer leur or aux pieds de l'enchanteresse.

Mais les années étaient venues, les rides étaient apparues, les cheveux noirs avaient blanchis, les joues s'étaient creusées, la taille s'était épaissie, en un mot la vieillesse était arrivée avec son cortège de douleurs, avec la faim, la froidure, avec le remords, mais non avec le repentir :

Nous sommes au Samedi-Saint, Pâques était accompagné cette année de neige et de frimas ; il tombait le vingt-cinquième jour de mars, l'hiver avait été bien dur ; la faim avait fait de nombreuses victimes, la misère était grande, mais l'espérance du printemps prochain mettait comme un rayon lumineux dans tous les coeurs, malgré la rigueur du temps.

 

le MOnt Saint Michel

 

 

Ce jour donc, Guilhaumette était allée au mont Saint-Michel recueillir des aumônes, essayant en vain de chanter la Résurrection du Sauveur : sa bouche édentée ne laissait passer aucun son facilement saisissable, elle put cependant inspirer la pitié et elle eut la chance de mettre dans son sac de quoi manger le lendemain : en revenant, au milieu de la grève, elle trouva un vieillard couché sur la tangue, évanoui, ne donnant presque plus de signe de vie.

Guilhaumette ne s'émouvait pas facilement et elle allait passer sans s'occuper davantage du misérable, lorsqu'elle sentit un germe de compassion se lever en elle ; elle était encore vigoureuse, elle relève le vieillard, le fait revenir à la vie ; ses premières paroles furent pour demander à manger ; depuis trois jours il n'avait vécu que de l'eau des fossés de la route. Guilhaumette ouvre son sac et partage avec lui son contenu ; mais le vieillard a toujours faim et il dévore tout ce que la pauvre Guilhaumette avait apporté ; elle ne l'arrête pas, et quand il a pris la dernière miette de pain, elle lui dit adieu.

Pesamment et languissamment elle retourne chez elle, la neige recommence à tomber, ralentissant encore la marche de Guilhaumette qui enfin, transie, presque paralysée par le froid, arrive à sa demeure. Elle veut se réchauffer en vain elle essaie d'allumer du feu, le bois mouillé ne prend pas et cependant la neige tombe, pénétrant jusqu'à l'intérieur de la hutte, par les fissures du toit mal clos. A bout de patience, Guilhaumette s'écrie : "Maudit feu, que le diable t'allume". Au même instant, descend à grand bruit, de la cheminée, un être barbu, hirsute, aux pieds de bouc, puant le souffre ; il s'accroupit devant la cheminée, la queue relevée et il fait entendre un bruit qui retentit jusqu'à Beauvoir. Le feu s'allume, une flamme claire jaillit, mais elle atteint le grabat, la hutte : en vain Guilhaumette jette de l'eau pour l'éteindre, plus elle en jette, plus le feu s'étend, il envahit tout. Guilhaumette sort, la flamme la suit, la gagne, elle va périr et elle aperçoit le Malin qui est là, se frottant les griffes de joie, car c'est une âme qui va tomber dans ses filets.

Mais tout à coup on entend les cloches carillonner joyeusement l'Alleluia de la Résurrection. Guilhaumette se rappelle qu'elles annoncent la grande fête de Pâques, elle jette un cri de miséricorde, elle implore le Sauveur dont on va fêter la Résurrection. Une voix se fait entendre : "Parce que tu as secouru un pauvre, un de mes frères, tu seras sauvée." Et au même instant une lueur douce et suave fait place à la flamme brûlante, et le Malin, furieux, se précipite dans le Couesnon pour reprendre le fond de ses abîmes.

Guilhaumette entra dans un ermitage et fit une fin édifiante.

Et voilà comme en l'an de grâce 1400 et tant, Guilhaumette la Rosée fut sauvée par sa charité.

 

Jésus


ALBERT LEGRIN
25 mars 1894
Revue illustrée des provinces de l'Ouest - Tome XII - 1894

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