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La Maraîchine Normande
7 mars 2015

BILLARD DE VEAUX DIT ALEXANDRE, UN CHOUAN DE NORMANDIE

BILLARD DE VEAUX

 

Robert-Julien Billard, fils de Maître (?) François-Jean Billard et de demoiselle Marguerite Bignon, né le 21 novembre 1773 à Ambrières-les-Vallées ; 

Marié en Angleterre avec Marie-Françoise-Marguerite Billandaud des Grisottières ; Un fils Robert-Julien-Richard Billard de Veaux (*), né à Londres le 20 mai 1815, Capitaine au Bataillon de Sapeurs Pompiers de la ville de Paris,chevalier de la Légion d'honneur, le 3 avril 1859 (marié avec Géline Zoé Delzant). (généanet.org - Arbre de Bernard Sonneck)

 Décédé à Paris (17e) le 14 janvier 1846.

 

acte naissance Billard de Veaux

 

ÉTATS DE SERVICES

Nous, officiers supérieurs de l'armée catholique et royale de Normandie, attestons que le sieur Billard Deveaux (Alexandre), proscrit en 1792, et condamné à mort par contumace, pour cause de royalisme, au commencement de l'année suivante rejoignit les drapeaux vendéens (1793), et y fit la guerre jusqu'à la déroute du Mans inclusivement.

Qu'il insurgea ensuite son pays (1794) ; qu'il le commanda jusqu'en 1795 ; qu'il se rangea sous les ordres de M. le comte Louis de Frotté, commissionné par S.A.R. MONSIEUR pour commander les royalistes de Basse-Normandie ; qu'il fut envoyé, par ce général, près du conseil royaliste du Morbihan ; qu'il fut arrêté à son retour, traîné de prison en prison, et jugé de nouveau à mort par une commission militaire ; il s'évada des cachots de Laval la veille du jour fixé pour l'exécution ; qu'il rejoignit de suite son général, qui l'envoya à Rouen deux jours après, à l'effet d'en connaître l'esprit et de lui faire des recrues.

Qu'il lui amena vingt-sept dragons du régiment d'Orléans, avec armes et bagages, lesquels furent suivis d'une trentaine de leurs camarades ; qu'il reçut plusieurs blessures dans ces campagnes, et servit en qualité de second de division (lieutenant-colonel) jusqu'à la paix de 1796, à laquelle il ne prit aucune part ; qu'à cette époque, il reçut ordre du général de rester dans le pays pour y maintenir le bon esprit, et y entretenir une correspondance plus périlleuse que les combats ; qu'il fut fait chevalier de Saint-Louis (20 août 1796) ; qu'il fut arrêté derechef en 1797, et qu'il ne dut sa liberté qu'aux sacrifices de sa famille et à la nouvelle organisation des autorités constituées, peu après fructidorisées ; qu'en 1799, il recommença les hostilités avec neuf hommes seulement, et toujours sans secours étrangers.

Qu'il eut plusieurs affaires d'où il sortit toujours victorieux, malgré son infériorité de nombre :
1° Celle de Hambers (Mayenne), où il surprit, avec trente hommes, un détachement de républicains retranchés dans une église ; leurs armes et munitions devinrent son butin, et il n'eut que trois hommes blessés.
2° Giel (Orne), où, cerné par plus de trois mille hommes divisés par détachemens d'environ cent, sur un espace d'environ quatre lieues carrées, il tomba sur un de ces détachemens avec dix hommes ; trois ennemis restèrent morts sur la place, un plus grand nombre fut blessé, six furent faits prisonniers (sans armes il en fit quatre lui seul) ; presque tous les fusils de ce détachement devinrent la proie des vainqueurs ; le télégraphe de Giel fut brûlé, et il n'eut pas un homme blessé.
3° Peu de jours après, il attaqua et défit l'administration forestière de Domfront (Orne), escortée de tous ses gardes, au nombre de soixante, avec vingt-cinq hommes, dont huit furent blessés avant d'avoir fait un coup de fusil, et n'en pénétra pas moins dans l'ambuscade avec le reste de ses braves ; plusieurs ennemis tombèrent morts, d'autres blessés ; quinze prisonniers, huit chevaux et les armes de ces républicains furent le prix du vainqueur ; sans arme encore il fit un officier prisonnier.

Le 4 août 1799, il reçut huit blessures à la tête de sa colonne, forte alors de plus de quatre cents hommes, capables de se mesurer contre douze cents républicains, et n'en fut pas moins victorieux.

Cette année 1799, toute sa famille fut incarcérée ; son père et un jeune frère furent déportés ; sa mère, un autre frère et une jeune soeur, par suite de leurs souffrances dans les cachots de Laval, périrent après leur mise en liberté ; un troisième, échappé des prisons de Thouars, fut tué à ses côtés. Il fut fait chef de division (colonel), par ordre et en vertu des pouvoirs de S.A.R. MONSIEUR.

Qu'en 1813, il a repris de nouveau les armes, réinsurgé son pays ; que sa tête a été derechef mise à prix par le gouvernement de Napoléon, jusqu'au 31 mars 1814.

Nous attestons encore que non seulement il n'a jamais manqué d'expédition, jamais perdu un homme quand il a commandé, sinon le 4 août 99, qu'il fut lui-même blessé et victorieux ; qu'il n'a jamais fait de retraite et jamais compté ses ennemis ; qu'en un mot, il est couvert de blessures pour la cause du Roi, dont trois sont encore ouvertes (même incurables).

En foi de quoi nous lui avons délivré la présente attestation pour lui servir et valoir.
Paris, le 13 juin 1814.

DE PLACÈNE, chevalier de Saint-Louis, membre du conseil et trésorier-général de l'armée de Normandie ; DE SAINT-PAUL, chevalier de Saint-Louis, chef de division à l'armée royale de M. de Frotté ; le comte DE FLERS, capitaine ; AUBRY DE LA NOÉ, chevalier de Saint-Louis, chef de division de Dives, armée de Normandie ; FILLEUIL DE FOSSE, chevalier de Saint-Louis ; chevalier GALLERY DE LA TREMBLAYE, naufragé de Quiberon, officier royaliste de Normandie ; Clément LE PRÉVOST DE LA MOISSONNIÈRE, chevalier de Saint-Louis, lieutenant-colonel.

 

Signalement du sieur Billard Deveaux, ex-chef de chouans, connu, dans le département de la Mayenne, sous le nom d'Alexandre, son nom de chouan.


Taille de cinq pieds un pouce, étant au plus âgé de 36 ans ; teint très-brun, yeux noirs très-vifs, barbe noire très-fournie ; cheveux noirs à la titus, ayant beaucoup de blessures, entre autres à l'aine, côté droit, qui supurent. Lorsqu'il a disparu, il avait un bonnet de police vert, brodé de rouge, une houpelande fond verdâtre, un grand carrik, un pantalon de coutil. Il ne faut pas trop faire attention à son habillement, il en aura probablement changé ; il a les dents noires, ayant l'habitude de mâcher du tabac.

Nota. Comme cet individu ne voyagera que de nuit, la surveillance devient d'autant plus nécessaire, qu'il a toujours servi les Bourbons ainsi que sa famille ; il a dû disparaître dans la nuit du 2 au 3 mars 1813 (la citation n'est pas exacte : c'était le 1er novembre, à neuf heures du soir, lorsque des gendarmes vinrent pour m'arrêter), de Morlaix (Finistère), où il était sous la surveillance de la police.
Le commissaire spécial de la police de Morlaix,
Signé MOREAU.
Laval, le 30 novembre 1813.

Ce signalement, ainsi que mon évasion, ne furent point rendus publics, comme tant d'autres, non plus que les 10.000 frs, la croix d'honneur, et l'avancement promis en récompense au militaire qui livrerait ma tête, morte ou vive. Je suis même autorisé à croire qu'il ne fut donné qu'aux légions de gendarmerie de l'Ouest ; le lecteur en devinera facilement la cause, et celle de l'oubli que l'on a voué à un père de famille de six enfants, sans fortune, l'ayant sacrifiée, même au-delà, à la cause de la légitimité.
Paris, rue des Charbonniers Saint-Marcel, n° 7.
BILLARD DEVEAUX, chevalier de Saint-Louis.
Le 18 février 1825.

(Titres et correspondances de Robert-Julien Billard Deveaux, dit Alexandre) - M DCCC XXV

 

BILLARD DE VEAUX 3

 

BILLARD DE VEAUX, originaire d'Ambrières, dans la Mayenne, sortait du collège quand éclata la Révolution.

Son éducation, les principes religieux inculqués par sa famille, une nature ardente, le goût des aventures, un certain penchant au romanesque, enfin un dévouement sans borne à la monarchie le jetèrent dans le parti de l'insurrection.

Il n'avait que dix-neuf ans.

Pour ses débuts, il délivra quelques prêtres réfractaires - parmi lesquels son propre frère - retenus dans les prisons de Laval, puis, lorsque la Convention rendit le fameux décret ordonnant la levée de trois cent mille hommes - décret qui fut le signal de la guerre en Vendée - il excita les jeunes gens des environs de Mayenne à la résistance.

Gravement compromis à cette occasion, il n'eut d'autre ressource que de s'enfuir pour échapper aux représailles.

Il se rend au moulin de Loré et y demeure quelque temps en sûreté sous les habits d'un garçon meunier ; mais, un jour, il apprend que les républicains sont sur sa trace : on va venir l'arrêter. Il s'échappe en toute hâte, glisse entre les mains de ses ennemis, et parvient, au milieu de mille dangers, à gagner la Bretagne. Là, du moins, on ne le connaît point, il n'est pas suspect, il est à l'abri des recherches.

Mais il ne saurait rester inactif. Son parti est vite pris : il s'enrôle dans la Grande Armée, sert quelque temps dans ses rangs, passe la Loire avec elle à Saint-Florent, après la déroute de Cholet, prend part à la campagne d'outre-Loire.

Rentré dans son pays, après le désastre du Mans, il s'y cache de nouveau, d'abord à Évron, puis à Domfront.

Bientôt, trois de ses camarades, auxquels se joignent quelques insoumis, viennent le trouver dans sa retraite et le prient de se mettre à leur tête. Il accepte avec enthousiasme, et voici formée cette petite troupe qui devait devenir une des plus importantes divisions de l'armée royale de Normandie.

Aucun élément étranger au pays, aucun Vendéen de la Grande Armée ne vint grossir le contingent d'Alexandre, quoi qu'en pensât l'autorité, qui, en attribuant tous les troubles à des Vendéens, cherchait à se leurrer elle-même sur la nature et l'importance du soulèvement.

Ce fut le curé "constitutionnel" de Saint-Denis de Villenette qui fournit aux insurgés - bien involontairement d'ailleurs - leur premier fonds d'arsenal : un fusil de chasse, une demi-livre de poudre et un peu de plomb trouvés dans son presbytère.

- Nous dédaignâmes de toucher à sa montre, affirme Alexandre.

Au début, avec des forces aussi minimes, il fallut se borner à des escarmouches sans grand éclat : on désarmait quelques "patauds", on abattait quelques arbres de la liberté, on se faisait, à plusieurs lieues à la ronde, les redresseurs des injures politiques ; et ce don-quichottisme juvénile, s'il contribua à rendre les chouans sympathiques dans nos campagnes, marque en même temps un des côtés bien caractéristiques de la nature chevaleresque de notre héros.

Les expéditions de la petite troupe s'émaillaient parfois de farces d'écoliers qui dénotent la jeunesse de leurs auteurs, enfants terribles, insouciants du danger, au point de risquer leur vie pour la joie de commettre une espièglerie, de jouer un bon tour aux patauds.

Avec quelques camarades, Alexandre surgissait au milieu d'une noce, saluait les invités, embrassait les parents, se donnait pour un vieil ami de la famille. On hésitait d'abord à le reconnaître, et pour cause ! Pourtant, par politesse, on priait les convives de se serrer un peu pour faire place aux nouveaux venus. Le moyen d'en user autrement avec des gens qui se prétendent vos meilleurs amis ?

Billard, d'ailleurs, se montrait charmant causeur, louait la succulence des mets, la qualité des vins, jouait, en un mot, son rôle avec une conviction et un entrain si communicatifs, que, à la fin du repas - et Dieu sait ce que duraient ces festins de noces ! - la bonne chère aidant, ses amphytrions croyaient, de la meilleure foi du monde, l'avoir toujours connu.

La plaisanterie, jusque-là, était bien innocente, mais elle s'aggravait lorsque des propos jacobins venaient offenser les oreilles des jeunes chouans. Dans ce cas, au premier intermède où l'on désertait la table pour se rendre aux appels du violonneux juché sur son tonneau, Billard, sous un prétexte, attirait les mariés à l'écart, et là, entouré de ses compagnons menaçants, contraignait la femme à tondre son mari ou - châtiment plus grave - le mari à tondre sa femme ! ... Après quoi, les pseudo-amis de la famille se retiraient, satisfaits de la leçon.

Une autre fois, Alexandre se présente chez des jeunes filles qu'il soupçonnait d'un enthousiasme trop marqué pour la République. Il se donne comme un envoyé du Représentant du peuple ; on l'accueille à bras ouverts, on lui témoigne mille marques d'amitié, on vante les bienfaits du régime nouveau. Billard, en riant sous cape, laisse couler ce flot d'éloquence.

Quand enfin les demoiselles se sont tues, il leur expose l'objet de sa mission : le Représentant les invite à couper leurs cheveux, qu'il veut offrir en hommage à la Convention. A ces mots, la physionomie des jeunes filles se rembrunit, leur mine s'allonge. Elles trouvent bien dur le sacrifice qu'on leur demande et jettent au soi-disant un regard suppliant.

Mais Billard est inexorable : il ne saurait enfreindre sa consigne et ne peut que répéter le voeu du Représentant, voeu qui équivaut à un ordre, car l'autorité ne badine pas.

Les pauvrettes se résignent, elles ôtent leurs bonnets de dentelle, et les lourdes tresses dont elles sont si fières se déroulent sur leurs épaules. Elles ont une dernière hésitation, mais le froid des ciseaux sur leur cou les fait songer en frissonnant au couteau de la guillotine. D'un brusque effort de volonté, elles se décident à obéir. Les ciseaux crient en mordant la soie des chevelures, qui roulent à terre, entraînant probablement dans leur chute une bonne partie du zèle civique de leurs propriétaires ...

Quand on découvrait la supercherie, quand on voulait sévir, Billard et sa petite troupe étaient déjà loin. Leur théâtre d'action embrassant trois ou quatre département - Mayenne, Orne, Calvados, - ils se dérobaient aisément aux recherches ; en outre, ils combinaient fort habilement leurs marches et contre-marches, de manière qu'on les pouvait apercevoir presque simultanément sur plusieurs points à la fois. Il n'en fallait pas davantage pour accréditer le bruit qu'ils étaient très nombreux et fort redoutables ; et, de fait, leur rassemblement avait pris, à la fin de 1794, une certaine importance. Ils avaient réussi à désarmer Ambrières et toutes les communes environnantes de la Mayenne ; l'insurrection gagnait le Bocage normand.

Cependant, l'administration, toujours désireuse de se fournir à soi-même des explications rassurantes, attribuait les troubles "plutôt à des écumeurs de route de l'ancien régime qu'à des insurgés". Admirons l'ingénieuse subtilité de cette distinction, qui, tout en incriminant l'ancien régime, ne permet pas de supposer que le nouveau puisse être mis en cause.

Les moyens ordonnés pour combattre le soulèvement n'étaient pas moins fantaisistes. Dans une proclamation du 30 ventôse an II (20 mars 1794), les représentants en mission dans le Calvados prescrivaient l'enlèvement des cordes et battants des cloches, dans le but évident d'empêcher les chouans de sonner le tocsin à l'approche des bleus. Mais cette mesure, trop radicale, mettait du même coup les républicains dans l'impossibilité d'annoncer l'arrivée des chouans.

 

bleu 3

 

Les municipalités réclamèrent à cor et à cri. Pour les calmer, on décida que des veilleurs se tiendraient en permanence dans les clochers : le poste était trop périlleux, personne ne voulut l'accepter.

Cependant l'insurrection se faisait de plus en plus menaçante : Sablé, La Flèche, Mayenne, Évron, Château-Gontier étaient inquiètes ; La Suze était forcée le 27 décembre. On dut se rendre à l'évidence et demander du renfort.

Il faudrait, écrivait le représentant Baudran, multiplier les cantonnements dans la Mayenne, non seulement pour contenir les habitants, mais pour poursuivre à outrance et exterminer tous les bandits qui viennent d'ailleurs.

C'est vers cette époque que s'ouvrirent à la Mabilais, près de Rennes, les conférences qui devaient aboutir, pour la Bretagne, à la trève du 20 avril 1795.

Billard y fut convoqué pour représenter sa petite troupe. Il n'y fit pas un long séjour : Cormatin et son entourage lui déplurent. Au contraire, Frotté, récemment débarqué d'Angleterre, à qui ont le présenta, le séduisit par ses manières affables, sa tournure élégante et distinguée. Il éprouva tout de suite une sympathie très vive pour le jeune gentilhomme qu'il devait un des premiers reconnaître comme général en chef de l'armée royale.

Frotté, qui n'avait point pris part à la guerre de Vendée et ne voulait pas, en signant la trève, s'engager pour l'avenir, quitta la Mabilais le 25 germinal (14 avril 1795) pour se rendre en Normandie.

Il put voyager librement et sous son nom.

A Flers, où il se rendit d'abord, il dut entrer en pourparlers avec les agents du district de Domfront, désireux d'élaborer un traité semblable à celui de la Mabilais. Les conférences n'aboutirent pas, elles furent même un peu brusquement suspendues, et Frotté, menacé d'être arrêté, dut fuir en toute hâte. Mais il n'était pas resté inactif.

En effet, pendant son séjour au château de Flers, il avait fait, avec Billard et Saint-Paul - lieutenant de Billard -, une tournée dans le Bocage normand et la division d'Ambrières, au cours de laquelle ils avaient recruté environ quatre cents hommes, de dix-sept à trente-six ans, pour lesquels Saint-Paul fit immédiatement confectionner des équipements. Un emprunt de vingt mille francs fut négocié à Caen par M. de Vandoeuvre, et la ville de Vire fournit en outre six mille francs.

C'est avec ces faibles ressources que l'on devait entrer en campagne.

L'effectif de Frotté se grossit heureusement de quelques petites troupes dont les chefs vinrent se joindre à lui ; la meilleure recrue et la plus importante fut celle de Moulin, qui devait devenir colonel adjudant-major de l'armée royale de Normandie.

Dans cette entrefaite, Billard fut chargé par le comte de Frotté d'une mission près du Conseil royaliste du Morbihan.

- Si tu es arrêté, lui dit Frotté en lui remettant son message, avale cette lettre et brûle-toi la cervelle, il y va de ta vie, de la mienne et du salut du parti.

Dans cette lettre, Frotté demandait aux membres du Conseil de lier avec lui une correspondance suivie qui leur permit de se tenir mutuellement au courant de leurs positions respectives. Démarche inutile, puisque, par suite même de la difficulté des communications entre les deux contrées, les chouans de Normandie n'apprirent qu'à la fin de la première guerre, c'est-à-dire au bout d'un an, la nouvelle de la malheureuse expédition de Quiberon qui dura du 25 juin au 21 juillet de cette même année 1795.

Billard accomplit prestement sa mission, et trouva même moyen, chemin faisant, d'embaucher quelques déserteurs. Il rencontra le comte de Silz à Grandchamp (Morbihan), lui remit ses dépêches et reprit sans tarder le chemin de la Normandie.

Son retour fut moins heureux. Arrêté à Romagné, il fut incarcéré à Rennes, puis transférer à Laval.

A Rennes, il fit la connaissance de Graindorge, ancien employé au greffe de Domfront, ancien cavalier au régiment de Roussillon et, en dernier lieu, brigand de la Vendée. Les deux hommes se lièrent vite.

Billard, pour charmer les loisirs de sa captivité, se livrait à un passe-temps singulier et qui nous permet d'entrevoir, à côté du chouan farouche, ne rêvant que plaies et bosses, un bon jeune homme sentimental et élégiaque, inquiet de littérature : il faisait des vers ! Vers bien mauvais d'ailleurs, écrits dans le goût ampoulé et fade de l'époque :

A dix-neuf ans, il faut mourir,

Parfois, cette idée m'importune.

Si l'on ne vient me secourir,

Je subirai la loi commune.

J'en conviens, c'est un dur moment !

...

Ne pleurez pas mon triste sort,

O tendre et respectable père !

Plutôt, attachez-vous d'abord

A consoler ma tendre mère.

...

Adieu, mon brave général ;

Adieu La Roque, La Rosière ;

Adieu Saint-Paul, adieu Pascal.

Demain je quitte la lumière !

Cela se chantait sur l'air de la Soirée orageuse, une des romances que roucoulait le ténor Elleviou, et qui arrachaient des larmes aux plus farouches jacobins.

Billard ne "quitta point la lumière", en dépit de ses prévisions poétiques. Lui et son ami Graindorge furent rendus à la liberté, mais durent signer un engagement dans un régiment de chasseurs à cheval, engagement cautionné par Billard père, dont la responsabilité restait engagée jusqu'à production d'un certificat de présence au corps.

Ce corps étant mal désigné sur leur feuille de route, ils durent aller le rejoindre à Rouen, sur le conseil de Frotté, qui fut d'avis de ne pas compromettre par une désertion immédiate la fortune et peut-être la vie de Billard père.

Nous verrons plus loin comment l'incorrigible Alexandre sut mettre son voyage à profit pour le service de la cause.

Cependant, Frotté, avec le concours des officiers venus d'Angleterre à sa suite ou passés en Normandie pendant son séjour en Bretagne et à Flers, organisait son armée. Il en prit le commandement supérieur, en vertu d'une lettre de Monsieur l'accréditant auprès des royalistes de Normandie.

Un seul parmi les chefs établis déjà dans le pays, La Roque-Cahan, discuta ses pouvoirs, mais il s'inclina vite et accepta une place dans le Conseil supérieur et la tête de la première division.

Billard de Veaux et Saint-Paul gardaient le commandement du bataillon d'Ambrières, levé par leurs soins, et l'un des plus considérables de l'armée.

Le gros de l'armée prit le nom de Chasseurs du Roi. On forma en outre  corps spéciaux : les Chevaliers de la Couronne, tous gentilshommes de seize à vingt ans, et les Déserteurs, que leur nom seul désigne suffisamment, et qui ne furent organisés que plus tard, avec les recrues embauchées par Billard.

Les CHASSEURS DU ROI portaient la "petite veste de chouan", brune, bleu de ciel, vert-bouteille ou grise - chaque compagnie avait sa couleur particulière - à collet noir et à boutons de cuivre, sobre d'ornements ; un pantalon pareil et un grand chapeau rond à cocarde blanche ou à ruban blanc portant l'inscription : "Vive le roi !" ou encore le bonnet en peau de renard avec la queue tombant dans le dos.

Quelques-uns - les plus élégants - portaient des nattes retroussées, ainsi que nous le révèle une lettre du ministre de la Police au directeur du théâtre Montausier :

"Je suis informé, citoyen, que des acteurs se permettent de paraître sur la scène avec des nattes retroussées. Vous voudrez bien veiller à ce que cet insolent scandale n'ait pas lieu sur votre théâtre, à moins qu'il entre dans l'esprit de la pièce d'offrir le châtiment d'un de ces rebelles connus sous le nom de chouans et qui avaient adopté cette coiffure ..."

Quant à l'habit à collet noir, il fut longtemps, à la scène, le costume obligatoire et symbolique des conspirateurs :

Pour tout le monde

Il faut avoir

Perruque blonde

Et collet noir.

L'uniforme, comme on le pense bien, subit assez vite les modifications les plus fantaisistes, le plus souvent, de le renouveler. On remplaçait comme on le pouvait les vêtements hors d'usage.

Billard nous donne une description de sa tenue en 1799, au début de la seconde guerre :

"Pantalon et pelisse à la houssarde, en peau de veau rayée, gilet de drap bleu, bonnet fort haut, en peau de renard, avec la queue qui me pendait jusqu'au bas des reins. Ajoutez à l'originalité de cet accoutrement de superbes cheveux noirs partagés en deux nattes nouées sur ma poitrine avec un ruban rouge ..."

Il ajoute, et le détail vaut d'être rapporté :

"Dans ce temps, je n'ôtais jamais une paire de bottes ; quand elles étaient usées, on les coupait sur mes jambes."

L'armée mise sur pied, il restait à régler la question financière. Ce n'était pas une mince besogne.

Les vingt-six mille francs procurés par M. de Vandoeuvre et par la ville de Vire n'étaient pas inépuisables. Il fallait trouver une source de revenu qui permit d'entretenir l'armée et de se ménager des intelligences dans le pays en subventionnant des maisons de correspondance. On décida que les gens riches du parti contribueraient à la "masse" de chaque compagnie et qu'une redevance serait imposée aux acquéreurs de biens nationaux.
La difficulté pécuniaire ainsi résolue, tout était prêt.

Déjà les proclamations royalistes s'étalaient sur les murs des édifices publics, dans les bourgs et jusque dans les villes. On allait entrer en campagne au moment précis où Tallien retrempait sa popularité menacée dans le sang des héroïques victimes de Quiberon, et cela sans qu'on s'en doutât en Normandie.

Tenus par l'engagement qu'ils avaient signé et par le cautionnement de Billard père, Alexandre et Graindorge durent enfin se résigner à rejoindre leur corps. Ils partirent pour Rouen le 22 août 1795.

Là, ils renouèrent vite connaissance avec un brigadier du 16e dragons, Prosper Picard, qu'ils avaient rencontré précédemment dans la prison de Rennes. Grâce à sa connivence, ils trouvèrent moyen d'embaucher vingt-sept dragons, qui désertèrent avec chevaux, armes et munitions.

Ils les ramenèrent dans le Bocage normand, en évitant tous les postes républicains et sans qu'il leur advint aucune mésaventure.

Billard était de retour le 18 septembre, après une absence de vingt-six jours. Il avait été expéditif.

 

DE FROTTÉ

 

Frotté l'accueillit avec joie.

Les vingt-sept dragons formèrent le noyau du corps de DÉSERTEURS dont nous avons parlé plus haut et que vint bientôt grossir une nouvelle recrue, en nombre à peu près égal, toujours du 16e dragons.

Graindorge, qui avait si bien secondé Billard dans son expédition, n'y devait pas survivre longtemps. Surpris par les bleus sur le territoire de Vaucé, conduit à Domfront, jugé immédiatement et condamné à mort, il fit preuve d'un courage héroïque en commandant lui-même le peloton d'exécution.

Dès le lendemain de son retour, le 19 septembre, Billard entrait en campagne.

A la tête de son bataillon, il rejoignait à Landisacq une petite colonne levée par Frotté. Les chouans se trouvaient ainsi cinq cents environ ; mais les républicains les ayant attaqué avec des forces supérieures, ils durent, à bout de munitions, se retirer dans la forêt de Saint-Jean pour y attendre des renforts de Caen.

A quelques jours de là, le 26 septembre, Frotté apprend que Mignotte, à la tête de deux bataillons républicains, manoeuvre pour l'entourer. Il prend bravement l'offensive et marche sur le Vente-Henriet, ferme située près de Saint-Jean, au milieu des bois, et occupée par les bleus.

Billard commande la gauche, composée de dix-sept hommes seulement, mais il ne s'inquiète guère du petit nombre de ses soldats : on se bat, c'est le principal, et il n'en demande pas davantage. Pour lui le danger est un jeu, et il s'expose comme à plaisir, sans souci des balles qui pleuvent autour de lui. Agenouillé derrière une haie, il vise longuement avant de lâcher son coup de feu, puis il prend un autre fusil que lui passe, tout chargé, l'un de ses hommes.

Son courage, sa tranquille assurance électrisent ses compagnons, qui accomplissent à son exemple des prodiges de valeur. Malheureusement, la partie est trop inégale ; après trois heures de lutte, les chouans ont épuisé leurs munitions, ils sont forcés de lâcher pied et de s'égailler à travers le dédale des haies et des fossés par des sentiers connus d'eux seuls, en emportant deux blessés sur des fusils. (Frotté, en donnant à Billard, quelques jours après, pour l'attacher à son chapeau, un ruban blanc sur lequel une duchesse de Lassai avait brodé : Pro Deo, Pro Rege, lui dit : "Prends, mais une autre fois, ménage-toi davantage.") ...

Les chouans, en s'égaillant, emportaient non seulement leurs blessés pour les soustraire aux "bleus" mais aussi leurs morts pour leur assurer la sépulture en terre sainte. C'est une pieuse coutume à laquelle ils ne faillirent jamais, à moins d'impossibilité absolue, et qui coûta la vie à plus d'un d'entre eux.

Billard fut chargé, peu après, d'une nouvelle mission en Bretagne. A son retour, il prit part à l'attaque avortée du Teilleul (14 décembre 1795), où il fut blessé d'une balle à l'épaule. Le coup fut tiré de si près que sa veste s'enflamma.

La blessure, assez bénigne, guérit vite ; mais Billard, à peine remis, courut un nouveau danger plus grave encore que le premier : il faillit être pris par les républicains.

Il s'était rendu, pour quelques commissions, à Ambrières, son village natal, et avait posté un de ses hommes à l'entrée du bourg, avec ordre de l'avertir de l'arrivée des bleus dont il connaissait la présence dans les environs.

Avant de remonter à cheval, il entre, pour lui dire adieu, chez Mlle Chamaillard, sa cousine, qui veut à toute force le retenir à souper. Il s'excuse, la demoiselle insiste. Dans le temps qu'ils se livrent à cet assaut de politesse, un bruit suspect attire l'attention de Billard. Il court à une fenêtre qui donne sur la route, jette un coup d'oeil au dehors. L'homme qu'il avait mis en faction accourt tout essouflé : "Les bleus arrivent !" En effet, déjà on les entend heurter à la porte de la cuisine.

Sans perdre une seconde, Alexandre et son compagnon escaladent les degrés qui mènent au grenier, mais là ils ne trouvent qu'une seule cachette. Un autre chouan, Brave-la-mort, qu'on soignait d'une blessure dans la maison, s'y jette le premier : force est donc aux deux autres de se contenter du grenier et d'y attendre les évènements.

Billard a sa carabine, son compagnon est sans armes.

- Que dira ma pauvre femme, gémit celui-ci d'un ton lamentable, quand elle verra les bleus rentrer à Mayenne avec mes habits ? (Les bleus avaient coutume, en rentrant d'expédition, d'arborer comme des trophées les vêtements de leurs victimes au bout de leurs baïonnettes).

- Elle priera pour nous ! répond froidement Alexandre tout en versant ses cartouches dans son bonnet de peau de renard qu'il a placé à portée de sa main.

Les soldats ne visitèrent pas la maison. Le bon accueil qu'on leur fit, le souper destiné à Billard qu'on leur servit, la montre de Mlle Chamaillard qu'ils dérobèrent, tout cela détourna leur attention. Ils se retirèrent satisfaits et Billard fut sauvé ainsi que ses hôtes.

Les rencontres entre bleus et chouans avaient lieu presque journellement, les mentionner toutes nous entraînerait beaucoup trop loin. Nous ne parlerons que des plus importantes entre celles où Billard de Veaux prit une part directe.

Une surprise tentée contre la place de Mayenne, dans la nuit du 19 février 1796, échoua, mais son audace déconcerta les républicains, qui s'en montrèrent humiliés et en conçurent de la colère.

A l'Épinai-le-Comte, le 7 mars, Billard faillit encore une fois tomber aux mains des bleus. Surpris dans le village, un matin, il dut s'égailler en toute hâte.

Le 7 avril 1796, mardi de Pâques, Saint-Paul, logé du côté de Champéon, fut attaqué par un détachement républicain sorti du camp fortifié de l'Auberge-Neuve. Il refoula si vigoureusement l'ennemi qu'on n'eut point le temps de lui couper la retraite.

Les épaulements du fort étaient très élevés, les alentours découverts.

Le poste, assez nombreux, tirait des feux de salve nourris.

Les chouans se trouvaient dans une position défectueuse ; ils n'avaient pas de canon et leurs balles se perdaient dans les talus ou passaient par-dessus la tête des défenseurs.

Frotté voulait donner l'assaut, mais Billard l'en dissuada en faisant valoir les dangers de l'entreprise et son peu de profit. Il se retira donc, en emportant ses blessés sur Champéon, pendant que Billard, avec Mandat, appuyait la retraite.

Tout en se fusillant, bleus et chouans arrivèrent jusqu'à une petite rivière encaissée dans un ravin qui séparait les combattants. Billard avait son fameux bonnet de peau de renard, agrémenté d'un plumet blanc que Frotté lui avait donné la veille. Cet ornement le désignait comme une cible aux républicains. Mandat, qui était auprès de lui, avait à son chapeau le même plumet, mais il avait eu soin de le jeter à ses pieds.

- Alexandre, crie-t-il tout à coup, ôtez votre bonnet, vous me couvrez de balles !

Mais Billard n'a garde d'obéir : il est bien trop fier de son panache blanc !

La position, pourtant, n'est plus tenable, et puisque ce fou d'Alexandre ne veut pas entendre raison :

- Palsembleu, mes camarades, ordonne Mandat, la baïonnette en avant ! ... Pas de prisonniers !

Et il traverse le ravin sous une grêle de balles. Billard le suit, mais, emporté par son élan, il tombe au beau milieu d'une embuscade qu'il n'avait pas vue.

- Alexandre ! Alexandre ! lui crie-t-on de toutes parts pour l'avertir.

Il se retourne, met en joue ... le coup ne part pas ! ... Heureusement, Mandat et les Bas-bleus (Méric) sont accourus. Ils tuent les deux assaillants les plus proches, les autres prennent la fuite.


Sans perdre de temps, Billard ramasse le fusil et la giberne d'une des victimes et se lance à la poursuite des fuyards ... En sautant un échalier, il tombe dans les jambes d'un peloton républicain qui lui envoie une décharge. Il se jette vivement en arrière sans être atteint, mais son bonnet de peau de renard, avec le panache qui le décorait, reste sur le champ de bataille ...

Des camarades le ramassèrent, et, après la bataille, ne voyant pas revenir Billard, se disputaient déjà l'héritage du chef : celui-ci avait trouvé la coiffure, cet autre était l'ami d'Alexandre ... Le retour inopiné du propriétaire mit tout le monde d'accord.

Cependant les progrès rapides des chouans inquiétaient les républicains, qui s'exagéraient encore le danger au point de redouter une nouvelle invasion rappelant celle des premiers Normands, ancêtres de Guillaume le Conquérant.

Les chouans, sous les ordres de Frotté, sont depuis trois jours en grand nombre, depuis le bois Daufit jusqu'aux environs de Vire, et notamment autour de Tinchebrai ... Ils sont plus nombreux dans le pays qu'ils n'ont jamais été. Ils ont beaucoup de femmes avec eux, ce qui indiquerait ou ferait présumer qu'ils ont le projet de s'établir dans ces contrées.

En réalité, Frotté avait sous ses ordres "six mille braves soldats bien vêtus, bien armés, fort exaltés" ; mais Hoche lui en croyait le double, et cette considération n'aida pas peu les républicains à entrer en composition et à prêter enfin l'oreille à l'avis que Hoche ne cessait de répéter :

- Je l'ai dit vingt fois au Directoire : si l'on n'admet pas la tolérance religieuse, il faut renoncer à l'espoir de la paix dans ces contrées.

Remarque fort juste et qui démontre chez son auteur une intelligence très nette des causes de l'insurrection et du seul moyen capable de calmer les esprits.

Nous l'avons vu, ce sont surtout les attaques contre la religion, les représailles à l'égard des prêtres insermentés, les atteintes au libre exercice du culte, l'interdiction des cérémonies religieuses, qui avaient soulevé la Normandie contre le régime tyrannique qui inscrivait le mot LIBERTÉ au fronton de ses monuments. L'intolérance avait allumé la révolte, la tolérance seule pouvait l'éteindre. Le Directoire le comprenait enfin.
Il autorisa Hoche à faire des ouvertures de paix comportant des conditions très avantageuses pour les chefs de l'armée royale, pour les prêtres insermentés, les insoumis militaires et même les déserteurs.

Nous savons que, par suite de la difficulté des communications, on était fort mal renseigné, en Normandie, sur ce qui se passait en Bretagne.

La mort de Stofflet et de Charette (25 février et 29 mars 1796) avait enlevé toute sa force à la Vendée. Dès le 14 mai, Scépeaux, successeur de Charette, avait fait sa soumission, encore qu'ils se fût engagé, vis-à-vis de Frotté, à poursuivre la lutte. Puisaye refusa la paix, mais ses officiers et ses soldats l'acceptèrent.

Frotté, pour s'assurer de la situation exacte de la Vendée, chargea Billard, que son courage et son amour des aventures désignaient spécialement à ce choix, d'aller se renseigner auprès de Tercier, l'un des principaux chefs des insurgés dans le Maine, évadé des prisons de Vannes en août 1795 après l'expédition de Quiberon.

La mission d'Alexandre avait encore un autre but ; acheter des armes et des munitions, moins chères en Anjou qu'en Normandie ; ce qui prouve que Frotté était bien déterminé à continuer la lutte.

Billard parvint à Laval, où il demeura quelque temps.

Chaque jour, on pouvait voir par les rues une dame âgée, à la démarche lente, vêtue d'une robe à falbalas de mode surannée, tenant devant la bouche un éventail destiné sans doute à protéger ses bronches délicates contre la vivacité de l'air. Arrivée au terme de sa promenade, la dame heurtait à la porte basse d'une maison du faubourg, puis, dès qu'on l'avait introduite et qu'elle se savait à l'abri des regards indiscrets, elle rejetait le capuchon de sa mante et abaissait son éventail qui découvrait un visage très viril, orné d'une superbe moustache noire ... La dame n'était autre que Billard. Il avait imaginé ce déguisement pour dérouter la surveillance et circuler plus librement dans la ville. Grâce à cette ruse, que permettaient sa jeunesse et sa petite taille, il put voir Tercier, qui lui confirma la soumission de tout le pays.

En rentrant dans le Bocage normand, Billard n'y trouva plus Frotté, qui avait dû brusquer les choses et partir en Angleterre à la suite des circonstances suivantes :

Le général Dumesny lui avait offert une trève et demandé au château de Couterne une entrevue qu'il déclina, ne voulant ni se soumettre, et prendre ainsi un engagement qui le liât pour l'avenir, ni entraîner ses hommes dans une guerre certainement désavantageuse pour eux. Cette double considération l'avait déterminé à se sacrifier, en s'éloignant, aux intérêts personnels de son armée. Par ce moyen, il évitait toute explication et n'aurait pas à lutter contre les tentatives de ses soldats pour le décider à continuer la campagne.
Il était donc parti, en laissant au vicomte de Chambray le soin de suivre les négociations.
- C'est à l'insu de toute mon armée que je m'éloigne, écrivait-il, ne voulant point être un obstacle au retour de la tranquillité dans ce malheureux pays ...

Billard, de son côté, était bien décidé à suivre l'exemple de son général et à ne pas se soumettre, mais sa compagnie se débandait, malgré ses efforts pour retenir ses hommes et la répugnance de beaucoup d'entre eux à toute idée de paix.

Le 18 messidor an IV (6 juillet 1796), la plupart des chefs firent leur soumission : Médavy effectua la sienne le 11 juillet, et Moulin, malade, quelques jours après. Billard demeura inébranlable dans son refus.

Certes, la mesure prise par le Directoire exécutif ne manquait pas de clémence, mais encore eût-il fallu que l'application en fût entendue de façon libérale. C'est le contraire qui eut lieu. Les fonctionnaires ne purent se départir, vis-à-vis des chefs amnistiés, d'une défiance que traduisirent mille vexations plus ou moins mesquines. Il en résulta, chez ceux qui en furent les victimes, un légitime mécontentement contre les patauds et contre la République.
Maladresse inutile : il était déjà assez difficile de contenir ceux des chouans qui n'avaient pas fait leur soumission.

D'abord réfugié chez un parent à La Ferté-Macé, Billard y fut arrêté nuitamment au mois d'octobre 1796. Conduit au corps de garde, il réussit à s'évader en envoyant un des soldats acheter de l'eau-de-vie et en se glissant doucement derrière celui qui surveillait la porte. Il se réfugia dans la Mayenne.

Pendant trois ans, il erra, tantôt sous un déguisement, tantôt sous un autre, caché le plus souvent chez Mme de Marescat, au château de Fontenai.


Mais l'inaction lui semblait d'autant plus lourde que, ne s'étant pas soumis, aucun engagement ne le liait.
Trop impatient et aussi, il faut le dire, trop indiscipliné pour attendre, comme il l'eût dû, les instructions de Frotté, seul mandataire du roi et des princes, il résolut d'agir et fit appel à quelques-uns de ses anciens amis. Plusieurs répondirent à son invitation. On se comtpa : on était dix !

Aussitôt on déterra douze livres douze sous, il les emploie à acheter de la poudre et des balles. Un ami lui prête mille livres avec lesquelles il équipe ses hommes.
De nouvelles recrues portent son effectif à dix-huit, état-major, compris. Ce chiffre lui paraît suffisant pour entrer en campagne.

Dès lors, - s'écrie-t-il avec une conviction qui montre, une fois de plus son caractère enthousiaste, sa confiance et son ignorance du danger - dès lors, nous regardâmes la République, sinon entièrement perdue, du moins bien aventurée !

Mais les mille livres furent vite épuisées, et, s'il est vrai que l'argent soit le nerf de la guerre, la tentative de Billard risquait fort de manquer de vigueur, d'autant qu'il ne pouvait guère attendre de subsides du roi ou des princes.

Une telle difficulté n'était pas pour l'embarrasser longtemps ; il se rappela fort à propos que, depuis la paix, les acquéreurs de biens nationaux n'avaient point soldé leur contribution. Il allait s'adresser à eux : aussi bien n'était-ce pas justice que d'exiger une redevance de gens qui détenaient illégalement des propriétés acquises à bas prix au détriment des royalistes émigrés ?

Son plan conçu, il l'exécute sans retard, et, le 10 prairial (29 mai 1799), il enlève, pour les rançonner, deux riches acquéreurs de biens nationaux qu'il emmène à La Basse-Cour du Jardin, commune de Giel.

Le bruit s'en répand immédiatement jusqu'à Caen et jusqu'à Alençon, et des détachements des garnisons de ces deux villes, la garde nationale de Falaise et d'Argentan, toutes les brigades de gendarmerie à dix lieues à la ronde marchent sur lui.

Plus de trois mille hommes cernent sa petite troupe, mais il échelonne si habilement ses soldats, se démène et se multiplie avec une telle activité que les ennemis, croyant avoir affaire à l'avant-garde d'une armée importante, lâchent promptement pied en laissant sur le terrain quelques prisonniers.

De là, les chouans se portèrent sur le télégraphe tout proche d'Habloville, qui avait donné l'alarme, et le brûlèrent. Trois des gardiens furent passés par les armes.

A peine Billard, profitant de sa victoire, avait-il quitté le Jardin qu'une troupe nombreuse, venue de Falaise, incendia le château que l'on soupçonnait de donner asile aux chouans.

Les journaux de l'époque, à l'affût déjà des nouvelles à sensation vraies ou fausses, relatèrent le fait avec les plus horribles détails : on avait entendu les cris de douleur poussés par les chouans que la fumée asphyxiait dans les caves où ils s'étaient réfugiés ... La vérité est qu'ils n'étaient jamais entrés au château !

A quelque temps de là, eut lieu l'affaire de la forêt d'Andaine, 1er messidor (19 juin) 1799, entreprise avec une extraordinaire hardiesse. Nous laisserons la parole à Billard, dont le récit, malgré quelques exagérations et des imperfections de style, ne manque pas de vivacité ni de couleur :

"Nous arrivâmes aux Prises, paroisse de la Coulonche, sur les trois heures du matin, M. le Forestier recuisait son four ; je le surpris en chemise, y remettant du bois pour en alimenter le feu : "Vous êtes mon prisonnier, lui dis-je. Sa surprise fut aussi grande que le lecteur peut le supposer, mais elle cessa dès qu'il m'eut reconnu.
Il nous fit entrer, nous fit boire et manger. Ensuite, chacun fut se jeter, les uns sur la paille, les autres dehors ; il faisait beau temps. Sans tant de cérémonie, je me couchai dans le fournil, la tête appuyée sur une pierre.
J'étais encore dans cet état lorsque, vers les 6 heures, un nommé François Le Geai, qui était toujours en l'air, vint m'avertir que l'administration forestière de Domfront (Orne) était dans la forêt avec tous ses gardes.

Mon premier mouvement fut de dire : "Allons les voir". Je rassemblai mes camarades, au nombre de vingt-cinq, et nous voilà partis. Je n'avais pas fait un quart de lieue que je réfléchis à l'imprudence de ma démarche : chercher l'ennemi, dont on ne connaît pas le nombre, dans une forêt telle que celle d'Andaine, en était certainement une ; il pouvait être instRuit de ma démarche comme je l'étais de son existence dans le bois ; se cacher dans un fourré, me faire une décharge et se retirer s'il n'était pas le plus fort.

Mais telle était ma confiance dans mes camarades que je n'ai jamais compté mes ennemis ...

Billard partage alors ses hommes en deux troupes, dont une sous les ordres de M. de Clairveaux (l'Oiseleur), avec ordre de fouiller une partie du bois pendant qu'Alexandre bat l'autre partie.

Bientôt, à un carrefour, il aperçoit plusieurs hommes qui semblent délibérer sur ce qu'il peut être, républicain ou royaliste. En effet, quoique à une distance démesurée, on lui crie plusieurs fois : "Qui vive ..." sans réponse.

"A mesure que j'avançais, entre deux hommes seulement, Peccate (Caillard), maire de Saint-Denis de Villenette, et Raboreau (Frappe d'abord), les "Qui vive ?" redoublaient. Pourtant, il fallut rompre le silence, et je répondis :
- France !
- Quel bataillon ? répliqua-t-on.
- Colonne mobile de Briouze, répondis-je, persuadé qu'ils n'en connaissaient pas personnellement le commandant, arrivé de Séez nouvellement.

- Halte à la troupe ! riposta-t-on. L'officier, en avant, à l'ordre !

Comme je ne répondais pas et que je marchais lentement pour donner à mon oncle le temps de se débrouiller dans le bois, la même invitation me fut renouvelée plusieurs fois, et quand j'étais obligé de répondre je parlais fort haut pour être entendu de mes camarades et notamment de l'Oiseleur, avec qui j'aurais bien désiré pouvoir communiquer ; mais où était-il ? M'entendait-il ? ...

Enfin, nous nous approchions, et le dénouement n'était pas éloigné.
L'on me cria de nouveau :
- Halte à la troupe, l'officier à l'ordre !
- Avance ! répondis-je.

Dans l'instant, le garde général (M. Bougiard) s'avança à dix pas de moi avec un mousqueton garni en argent ; je n'avais qu'un bâton.
Je dis aux deux hommes qui étaient à côté de moi : - Passez dans le bois.

Je mesurai mon garde général de l'oeil, me demandant s'il était plus fort que moi ; je me serais précipité dessus, et nous nous serions mesurés corps à corps, pendant que mes gars auraient travaillé le reste ; mais le mâtin était de taille à se défendre vaillamment ; alors, je commandai du plus fort de ma voix, pour être mieux entendu :
- Par la droite et par la gauche, en bataille ! Cernez !
Dans ce moment, toute l'embuscade, sans doute étonnée de mon accent de fermeté, se découvrit en mettant les chapeaux au bout de leurs fusils et en criant :
- Nous sommes des vôtres ! Nous sommes des vôtres !
- Je ne suis pas républicain, leur criai-je à mon tour, je suis royaliste. Rendez-vous ! Vous n'aurez point de mal ; autrement, vous êtes tous fusillés.

Leur réponse fut une décharge de tous leurs fusils doubles, de sorte que sept de mes hommes furent blessés avant d'avoir déchargé une amorce. Frappe d'abord fut renversé à ma droite ; en tombant, il s'écria :
- Je suis tué !

Dans cet instant, je commandai :
- Ne tirez pas ! La baïonnette en avant ! Point de prisonniers.

Et mes hommes de sauter dans l'embuscade, qui se trouva fort heureusement prise à revers par l'Oiseleur. M. Bougiard me tenant en joue pendant tout ce temps à dix pas, sans tirer, je ne pouvais ni avancer ni reculer. Enfin, un chouan qui se trouvait dans le bois le tire ; l'amorce brûle et le coup ne part point ; il amorce de nouveau et la balle lui traverse la poitrine sous les deux bras ; il se replie sur son embuscade et tombe mort en y arrivant.
Tout prend la fuite, et chacun de nous poursuit les siens.

J'aperçus un officier (il me parut tel) ; c'était le garde-manteau (M. Clouet), se sauvant avec son épée sous son bras et un pistolet d'arçon dans chaque main. Je m'attachai à lui : il se retranchait d'arbre en arbre, et quand j'étais près de l'atteindre, il repartait en me disant :
- Si vous approchez, je vous brûle la cervelle.
C'était à peu près comme s'il avait dit : mon coeur !
Il repartait et je le suivais en lui disant :
- Quand vous me tuerez, en serez-vous plus sauvé ? Ne voyez-vous pas tous mes camarades autour de vous ?
La supériorité que je me connaissais sur lui m'empêchait de me presser. Enfin, j'arrivai à lui, adossé contre un chêne et me tenant toujours en joue :
- Si vous approchez, vous êtes mort !
Je mis les deux mains sur ses pistolets qu'il me lâcha sans difficulté.
- Votre épée, maintenant, lui dis-je.
Nouvelle difficulté.
- J'aime mieux mourir que de la rendre, répondit-il.
Je regardai dans quel état étaient ses pistolets, et, en lui en appliquant un sur la poitrine :
- Me prenez-vous pour un Capucin ? Votre épée, Monsieur, ou vous n'êtes plus !
Il me la rendit, et je la lui remis de suite en lui disant :
- Voilà l'usage que j'en voulais faire. Il me la fallait ; venez avec moi et soyez sans inquiétude, il ne vous sera fait aucun mal.

Un coup de sifflet dans ma main, à l'usage des chasseurs, me tenait lieu de tambour et de trompette ; je le donnai, et chacun rentra à la colonne de suite, quelques-uns abandonnant la proie qu'ils étaient sur le point d'atteindre.

Arrivés à l'embuscade, nous trouvâmes deux hommes morts, plusieurs blessés, huit chevaux équipés et le dîner de ces Messieurs. Il se trouva quinze prisonniers et plus de fusils que nous ne pouvions en emporter, presque tous doubles."

Un tel succès n'était pas pour diminuer la confiance de Billard, ni son audace ; aussi se montra-t-il plus hardi et plus insolent que jamais. Le 5 thermidor (23 juillet), il écrit à Capelle, garde des poudres à Argentan :
"J'ai appris que vous teniez à Domfront le magasin des poudres de la République. Envoyez-m'en cinquante livres si vous voulez éviter le pillage de vos propriétés. Salut et amitié, moyennant satisfaction.
BILLARD DE VEAUX, dit Alexandre, commandant en second."

Il arborait, par dérision, une cocarde tricolore aux basques de sa veste.

Son ardeur, sa bravoure à toute épreuve lui donnaient sur sa petite troupe un ascendant considérable grâce auquel il pouvait, avec un effectif dérisoire, tenir en respect des ennemis bien supérieurs en nombre.
Il avait coutume, en commençant le combat, de faire à ses hommes cette déclaration fort nette :
- Je défends à qui que ce soit de passer devant moi, mais le premier qui recule je le tue !

 

LES CHOUANS DE M

 

L'affaire de Montsecret fut la dernière à laquelle Billard prit part. Un bleu qu'il poursuivait se retourna brusquement et lui envoya, à bout portant, une double décharge : une balle le traversa de part en part et ressortit au-dessus de la hanche droite, une autre fracassa l'os iliaque et se perdit dans le bassin. Le choc fut si violent que la plaque du ceinturon - une tête de lion en cuivre doré - s'enfonça profondément dans la plaie.
Malgré la douleur et la gravité de sa blessure, le courage de Billard ne faiblit pas. Incapable de se tenir debout, il ordonna à ses hommes de le remettre en selle. Il y demeura jusqu'à la fin de la journée, continuant à diriger l'action sans une marque de défaillance.

Le soir, des camarades le transportèrent à Cerizy, aux environs de Coutances, et lui pratiquèrent une cachette dans une maison abandonnée dont ils aveuglèrent toutes les ouvertures avec des planches. Il y passa plusieurs semaines, et, grâce à sa robuste constitution physique et morale, en dépit du manque de confort et d'hygiène, sans soins, sans air et sans lumière - on ignorait alors les beautés de l'antisepsie, - il guérit de ses blessures.

Pour sa convalescence, il reçut asile dans une autre maison du village, tout à fait propre à le cacher. On l'installa dans un étroit cabinet attenant à la salle commune et dont l'unique issue était dissimulée par un buffet. Un mécanisme ingénieux et secret permettait, en déplaçant la partie supérieure du meuble, de démasquer une ouverture suffisante pour livrer passage à un homme. Le corps de buffet remis en place, il était impossible de deviner l'existence du réduit.

Billard s'y trouvait parfaitement en sûreté, quand une circonstance imprévue et tragique le contraignit d'en sortir.

Son frère (Saint-Louis), qui était venu le voir (6 septembre), s'endormit, la nuit venue, dans la grand'salle, harassé de fatigue par la longue course qu'il avait dû faire à pied pour gagner Cerisy. Pendant son sommeil, les bleus, informés de sa présence, surgirent tout à coup. Ses armes étaient restées, avec ses vêtements, dans le cabinet ; les bleus soupçonnèrent la cachette. Ils questionnèrent Saint-Louis et maltraitèrent la femme qui soignait Alexandre, fouillèrent la maison, scrutèrent les murs, ils ne purent rien découvrir.
Ils emmenèrent Saint-Louis et le fusillèrent sur-le-champ sans autre forme de procès.

Quant à Alexandre, sa retraite n'était plus sûre, il la quitta pour retourner dans la maison en ruine, son premier abri.
Il y retomba si malade qu'on dut l'administrer, et n'en sortit que le 10 octobre.

Il se réfugia alors à Condé-sur-Noireau, puis à Flers, enfin à la Ferté-Macé, chez des gens du bon Dieu - ainsi qu'on désignait les royalistes fidèles - qui lui firent l'accueil le plus cordial, lui prodiguèrent les soins les plus dévoués. Personne ne le dénonça, encore que sa tête eût été mise à prix dix mille francs, sans compter la croix d'honneur et l'avancement promis au délateur.

Contraint par sa santé, il fit sa soumission le 10 janvier 1800, après l'armistice de brumaire.

Frotté, débarqué d'Angleterre le 23 septembre 1799, avait entrepris aussitôt une seconde campagne qui ne devait guère durer. En effet, après le 18 brumaire an VIII (9-10 novembre 1799), les conférences de Pouancé aboutirent à un armistice. Mais les préliminaires traînèrent en longueur, et le Premier Consul, dont l'impatience admettait malaisément la résistance et même la discussion, conçut contre Frotté une vive colère qui se traduisit par les proclamations pleines de menaces des 28 décembre 1799 et 4 janvier 1800.

Presque tous les chefs se soumirent, Frotté dut se résigner à les imiter. Connaissant le ressentiment de Bonaparte, il s'attendait à ses rigueurs et ne se trompait pas.

Convoqué à Alençon, sous prétexte d'une conférence pour régler les conditions de la paix, il s'y rendit avec MM. de Commarque, d'Hugon et du Verdun de Lamberville, son oncle. On les arrêta. Un conseil de guerre réuni à Verneuil, les traduisit à sa barre et les condamna sans entendre ni témoins ni défenseurs. L'arrêt fut exécuté le jour même.

Pendant les courts débats, plusieurs courriers étaient venus de Paris, apportant sans doute l'expression de la volonté du Premier Consul.
On ne retrouve trace nulle part de la sentence. Elle a disparu le jour même du jugement.

Ce procès, en bien des points, rappelle celui de l'infortuné duc d'Enghien.

Assagi par ses blessures, sinon Par l'âge, Billard de Veaux, pendant plusieurs années, renonce à la lutte ; il voyage. En 1807, on signale sa présence en Angleterre, retour de Portugal et de Hollande.

Il ne paraît pas avoir pris part à la conspiration de Georges Cadoudal. Mais ses bonnes résolutions n'étaient pas éternelles : les mille petites vexations inventées par la police qui contrôlait ses moindres gestes, les dénonciations de quelques chouans, ses anciens camarades, tombés au service de Fouché, l'exaspérèrent si bien que, le 1er novembre 1813, il s'enfuit de Morlaix où il était en surveillance et rejoignit son ancienne division d'Ambrières.
Il ne réussit pas à rassembler plus d'une douzaine d'hommes, et la chute de l'Empire vint calmer son ardeur guerrière.

 

Ambrières les Vallées


Nous le retrouvons, en 1818, mêlé à la conspiration du "Bord de l'eau", ainsi nommée parce que ceux qui la tramaient - des ultras, partisans de la terreur blanche, de ceux à qui Louis XVIII reprochait d'être "plus royalistes que le roi" - se réunissaient au café Valois et sur la terrasse des Tuileries qui longe la Seine. Ce complot, mal connu, aujourd'hui presque oublié, était organisé en faveur du duc de Berry, encore que le nom du comte d'Artois eût été mis en avant.

Billard fut dénoncé. Traduit devant les assises de Laval sous l'inculpation de tentative d'embauchage contre l'autorité royale, il fut acquitté, ses juges ayant reconnu qu'il avait surtout pêché par excès de zèle monarchique.

D'ailleurs, les chefs de la conspiration furent eux-mêmes renvoyés des fins de la poursuite par l'arrêt de la cour de Paris du 3 novembre 1818.

A partir de cette date, Billard, comme les peuples heureux, n'a plus d'histoire.

Il a épousé sa cousine (?), grâce aux deux mille livres de pension que lui sert le roi ; il est chevalier de Saint-Louis depuis 1796, à la fin de la première guerre. Il se consacre à la vie de famille et rédige ses Mémoires.

Telle est cette étrange figure, dont les traits, estompés dans la brume du passé, nous apparaissent comme ceux d'un héros de roman ou de quelque chevalier du moyen âge, luttant pour le triomphe de ses idées, sans aucun souci d'intérêt, au mépris de la mort, avec une bravoure et une foi toujours égales.

Ses défauts mêmes - nul n'en est exempt - nous semblent l'exagération de ses qualités, et à qui lui eût reproché son indiscipline, il eût pu monter fièrement, comme les soldats d'Hamilcar, ses états de service inscrits sur son corps en caractères glorieux par les cicatrices de ses huit blessures, marques irrécusables d'un dévouement poussé jusqu'au sacrifice de la vie.

A ce titre, il a droit à l'admiration et au respect.

GUSTAVE HUE
Le Mois Littéraire et Pittoresque - 6ème année - Tome XI - Janvier-Juin 1904

(*) 

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Commentaires
G
Vous faites grand cas de Billard. On trouve en effet peu d'officiers de Frotté aussi courageux et déterminés que lui. C'est un fait indiscutable. En revanche ses mémoires sont truffées d'insultes à l'égard de ses anciens compagnons. Relisez les. Correctement. Elles sont pleines d'incohérences et d'aigreur. Le parti n'aurait pas existé sans lui, à le lire. Il s'en défend tout au long de ses mémoires mais il est presque certain qu'il fut un indicateur de la police à un moment de sa vie. Mon ancêtre alexandre Gallery de La Tremblaye ( a ne pas confondre avec louis-rené Gallery, auquel vous avez consacré un article, comme l'a fait pourtant l'excellent La Sicotiere, tome 2 p.570) est l'un des signataires de l'attestation de services de Billard du 13 juin 1814. Il est l'un des seuls de ces signataires à avoir échappé à ses sarcasmes. Vous croyez vraiment qu'un homme aussi recherché aurait échappé aussi longtemps à la police républicaine, impériale. Soyons sérieux. Billard n'était pas Bayard. Il a droit indéniablement, comme l'écrit Gustave Hue, à l'admiration et au respect. Mais nous ne sommes plus en 1904. A qui fera-t-on croire qu'avec une vingtaine d'hommes il en mit en déroute 3000 ! On oublie hélas trop souvent aujourd'hui quelle époque troublée ce fut. Cet homme à droit au respect. Il a défendu l'autel avec la dernière énergie. Mais il s'est senti trahi, sans doute avec raison, par la monarchie.
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