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La Maraîchine Normande
1 mars 2015

LOIRE-INFÉRIEURE (44) - PIERRE BOULAY-PATY, PROCUREUR-SYNDIC, JURISCONSULTE, CONSEILLER A LA COUR ROYALE DE RENNES

BOULAY-PATY 3

 

Pierre Boulay-Paty naquit le 9 juillet 1763, à Abbaretz, près de Chateaubriand. Il descendait d'une ancienne famille de la Bretagne, qui compte parmi ses illustrations le célèbre Imbert Boulay, abbé de Buzay, fondateur de l'Abbaye de Prières. Son père était un modeste propriétaire cultivateur, dans la juridiction de l'abbaye de la Meilleraie ; il le perdit étant encore au berceau ; sa mère le plaça, dès qu'il eut atteint sa septième année, au collège d'Ancenis ; puis chez les Oratoriens de Nantes, où il termina ses études. Nous ne parlerons pas des incidents qui signalèrent son enfance : sa vie a répondu aux espérances que les premiers élans de son caractère généreux, ferme et entreprenant, avaient permis de fonder sur lui : Boulay-Paty devint un des hommes remarquables de son pays ; il se distingua comme magistrat, comme jurisconsulte, et, ce qui est encore mieux, par ses vertus civiques. Le département de la Loire-Inférieure retentit encore de son nom ; la Bretagne s'honore de le compter parmi ses enfants.

 

acte naissance de Boulay-Paty

 

Boulay-Paty fit son droit à l'école de Rennes. Il plaida sa première cause avec dispense d'âge ; son talent précoce le plaça bientôt en première ligne au barreau nantais. Malgré sa jeunesse, il fut nommé, en 1788, sénéchal de Paimboeuf ; il se lia d'amitié avec M. Halgan, sénéchal de Donges, vieillard vénérable, plein de savoir, et obtint la main de sa fille, jeune personne qui était remarquable par sa beauté, par l'élévation de son coeur et par l'étendue de son esprit. Mademoiselle Rose Halgan était soeur de l'amiral Halgan, ex-pair de France. En 1790, bien qu'il n'eût pas encore l'âge voulu, il fut appelé aux fonctions de commissaire du roi près le tribunal de Paimboeuf. Élu en 1792 commissaire du district de cette ville, il sut y maintenir le calme, malgré la fièvre révolutionnaire qui agitait alors toute la France, pourvoir à la subsistance de ses habitants, et la défendre à l'extérieur contre les factions armées qui l'assiégeaient ; maintes fois on le vit à cheval, donnant l'exemple du courage, marcher à la tête des troupes qui effectuaient des sorties. Paimboeuf fut de toutes les villes de la contrée, la seule dans laquelle les insurgés ne purent pénétrer. Les arts doivent à la fermeté et à la prudence de Boulay-Paty la conservation de plusieurs monuments religieux chefs-d'oeuvre de sculpture ; sans lui, peut-être, le magnifique autel de Buzay, objet de l'admiration des voyageurs, n'existerait plus.

Dévoué à la cause de la révolution, partisan zélé de ses principes, il s'efforça d'atténuer les déplorables excès que l'on commettait en son nom ; il exposa sa tête pour sauver des citoyens injustement accusés, et reçut même chez lui le fameux Bailly, qui dut à cette généreuse hospitalité la prolongation de quelques jours d'une triste existence.

En 1793, au mois d'octobre, Boulay-Paty fut appelé à Nantes, lors du remplacement des autorités constituées, en qualité d'administrateur du département de la Loire-Inférieure. A cette fatale époque ... les prisons regorgeaient de détenus qu'une affreuse contagion décimait : Boulay-Paty s'efforça de soulager leur misère, et fit prendre d'énergiques mesures de salubrité. - La situation du pays fut aggravée encore par le faux bruit, répandu à dessein, qu'une armée révolutionnaire sortie des murs de Paris marchait sur Nantes, accusée de fédéralisme : les agitateurs, profitant de la consternation générale, excitaient le peuple contre les personnes et contre les propriétés ; les gens de bien, ne trouvant plus d'appui dans le pouvoir, baissaient la tête et se résignaient. Carrier survint, revêtu par la Convention d'un pouvoir dictatorial : un instant les vrais patriotes espérèrent en lui ; mais cet espoir ne fut pas de longue durée : les plus horribles persécutions commencèrent ; la terreur n'eut plus de bornes : Quiconque ne partageait pas le délire populaire fut réputé traître à la patrie ; la modération devint un crime ; les hommes qui avaient le mieux mérité du pays, ces courageux citoyens qui avaient défendu la ville contre les insurgés, le 29 juin 1791, ne furent point épargnés : Carrier les frappa de proscription. L'honorable blessure reçue par Bacot, maire de la ville, dans cette journée mémorable, avait été, disaient les agitateurs, faite exprès pour détourner les soupçons et cacher sous un faux semblant de patriotisme des relations avec les Vendéens. - Ce n'était pas tout : la famine était imminente ; les greniers contenaient à peine du grain pour quarante-huit heures ; le peuple demandait du pain ; l'émeute hurlait dans les rues et se préparait au pillage ; le comité révolutionnaire, altéré de sang, était en permanence. Carrier eut alors la pensée de procurer au peuple le moyen d'assouvir sa rage en lui livrant quelques victimes : il proposa au département de signaler, dans une proclamation, les ex-administrateurs, comme auteurs de la disette : c'en était fait d'eux si cette proclamation eût paru ; Boulay-Paty fut leur libérateur : pendant une vive discussion, il rédigea en toute hâte une adresse qu'il fit adopter par l'assemblée et qui les sauva ; puis il rendit un public hommage au zèle de ceux que Carrier voulait sacrifier, et surtout au patriotisme de Bacot. - Outragé à son tour, traité de modéré, mais inaccessible à la crainte, il fit l'exposé de sa vie ; mit ceux qui l'attaquaient au défi de formuler la moindre accusation contre lui, et persista dans la ligne qu'il s'était tracée. - Cependant le péril augmentait de jour en jour ; l'armée de Saumur avait été battue près de Châtillon ; le pays de Savenay couvait une insurrection générale ; les Vendéens après s'être emparés de Noirmoutiers et d'Ancenis, avaient passé la Loire à Varades et s'avançaient sur Nantes. On savait qu'il existait un complot à l'intérieur, pour leur livrer la ville. Les moyens de défense étaient pour ainsi dire nuls : la garnison se composait à peine de trois à quatre mille hommes, mal armés ; la garde nationale était désorganisée ; les fortifications se bornaient à quelques ouvrages avancés, insignifiants ; aucun secours n'arrivait, malgré les avis envoyés de toutes parts aux généraux ; les représentants, jugeant la résistance impossible, résolurent de quitter Nantes avec les troupes et de se retirer par la Loire et la Vilaine. L'effet moral de cette retraite eût été des plus funestes, non-seulement pour la ville, mais encore pour la cause républicaine en Bretagne : Boulay-Paty et un autre administrateur furent députés vers eux par le département pour les engager à rester : après avoir inutilement employé toutes les ressources de son éloquence, Boulay-Paty ouvrit la fenêtre, tira de sa poche un pistolet et menaça d'appeler le peuple aux armes s'ils n'abandonnaient leur projet. Grâce à cet acte de vigueur, Nantes conserva sa garnison ; les insurgés ne se présentèrent pas.

Dès que ce péril fut passé, Boulay-Paty se remit à lutter contre les projets sanguinaires de Carrier ; il rédigea et signa la fameuse adresse du département au comité de salut public. Carrier, instruit de cette protestation, ne continua pas moins ses actes odieux. Au bruit de la général, le canon braqué dans les rues, il fit arrêter des milliers de citoyens ; puis ordonna le massacre des prisons. Déjà des mesures étaient prescrites pour l'exécution de cet ordre ; le jour était fixé ; le moment fatal approchait ; on devait lier les prisonniers deux à deux, leur faire subir un simulacre d'interrogatoire, et les fusiller tous indistinctement. Boulay-Paty apprend ce projet : il court au département, se hâte de réunir ses collègues, et fait rendre deux arrêtés : l'un portant défense au commandant de la force publique d'exécuter la décision du comité révolutionnaire ; l'autre enjoignant aux concierges des prisons de ne laisser sortir aucun prisonniers : puis, suivi d'un autre administrateur (le citoyen Brillaud), il se rend chez Carrier, l'entraîne au département, en bonnet de police, en redingote, en pantoufles ; là, il le presse, l'interpelle vivement et lui arrache le retrait de l'ordre qu'il avait donné.

Désespérant de vaincre désormais la résistance des administrateurs, Carrier résolut d'accomplit ses desseins par des moyens occultes : ne pouvant masquer les crimes qu'il méditait sous une apparence juridique, il eut recours à l'invention des bateaux à soupape : les noyades commencèrent ; la nuit couvrit de ses ténèbres des scènes d'épouvante.

CARRIER

Boulay-Paty indigné s'éleva publiquement contre ces atrocités : il fut arrêté. Les sbires du pouvoir employèrent dans les prisons des moyens odieux, pour ébranler son courage : leurs efforts furent vains ; ils échouèrent contre l'énergie dont il était doué. Conduit devant Carrier, Boulay-Paty lui reprocha sa conduite. Carrier, furieux, ne sachant que répondre, se perdit en invectives, en menaces, tira même son sabre ; mais terrassé par l'attitude calme et digne d'un homme si haut placé dans l'opinion publique, il se contraignit : "Retourne à Paimboeuf, lui dit-il en jurant ; mais prends garde à toi."

Rendu à la liberté, Boulay-Paty, toujours ardent pour le bien général, s'empressa de dénoncer Carrier à l'accusateur public du tribunal révolutionnaire de Paris.

Le résultat de cet horrible drame est connu ; il ne nous appartient pas de chercher à en faire le tableau.

De retour à Paimboeuf, Boulay-Paty fut nommé procureur-syndic, agent national du district. Il écrivit alors ces lignes que nous nous plaisons à rapporter, car elles dépeignent son beau caractère :
"La nation française s'est retrouvée pleine d'amour pour la liberté et d'horreur pour les tyrans. Le rétablissement de l'ordre et le règne de l'équité sont les plus sûrs moyens de diminuer le nombre de nos ennemis. Nous avons fait un cours d'expérience long et terrible : qu'il ne soit point perdu pour notre instruction ! La profession constante de l'humanité et de la justice conduit à l'exercice universel de la vertu, base unique des gouvernements. L'homme vertueux est toujours l'ami de la patrie. Une voix consolante lui crie sans cesse : Ne crains rien, tu es juste."

C'était dans ces nobles sentiments que Boulay-Paty trouvait la force nécessaire pour lutter à la fois contre les passions populaires et contre la réaction : l'amour de la patrie étouffait en lui tout sentiment d'intérêt personnel ; il faisait le bien en vue de son pays ; il protégeait les intérêts individuels pour faire aimer la liberté ; il considérait l'autorité remise entre ses mains comme une occasion de rendre des services. Tant de vertus lui valurent la plus belle récompense qu'une âme élevée pouvait ambitionner : le 10 pluviôse an III, le maire, les officiers municipaux, et les notables de la ville, réunis en corps, vinrent l'assurer, par un acte public, de l'estime de ses concitoyens et de la reconnaissance publique.

En 1795, commença pour la Bretagne une ère nouvelle ; la tempête qui l'avait ravagée se calma. Boulay-Paty fut nommé commissaire civil et criminel du pouvoir exécutif dans le département de la Loire-Inférieure. Nantes conservait le souvenir de ses services ; il y fut reçu avec bonheur. Ces hautes fonctions le mirent en relation avec des célébrités de l'époque, notamment avec Grouchy, qui commandait la division : quelques années après, le 14 thermidor an III, il eut occasion de prendre au conseil des Cinq-Cents la défense de l'illustre général injustement accusé.

Le 12 janvier 1798, fut célébrée à Nantes la fête de la paix continentale ; Boulay-Paty prononça le discours commandé par les circonstances. Nous regrettons de ne pouvoir le reproduire ; il était digne, par les nobles sentiments et par les pensées énergiques qui s'y trouvaient exprimés, des orateurs célèbres de l'antiquité. Après une allocution chaleureuse adressée aux marins de la république, sur le point de s'embarquer pour soutenir sur mer l'honneur du pavillon français, il termina par ces paroles qui excitèrent l'enthousiasme :
"Rassurez-vous, peuples chez qui nous allons porter la foudre : ce n'est pas vous que ses éclats doivent atteindre ; elle ne pulvérise dans les forêts que les chênes orgueilleux ; la foudre de la liberté ne peut avoir pour point de mire que ces colosses qui surchargent la terre et qui écrasent l'humanité."

Boulay-Paty abandonnait quelquefois l'éminence de ses fonctions publiques pour rentrer dans l'arène du barreau, théâtre de ses premiers succès. Il plaida contre Berryer, père de l'illustre orateur, dans une affaire d'une haute importance pour la France, et gagna sa cause : trop au-dessus du commun des hommes pour concevoir la moindre jalousie, Berryer fit preuve d'un noble caractère, en rendant publiquement hommage au talent de son adversaire.

Élu le 5 avril 1798 représentant de la ville de Nantes au conseil des Cinq-Cents, il ne tarda pas à se distinguer dans ces nouvelles fonctions : deux fois il fut nommé secrétaire.

 

BOULAY-PATY 5

 

Membre de la commission de marine, il coopéra très-activement à la législation maritime et commerciale. Enfant d'un département maritime où il avait tout approfondi par lui-même ; voué à l'étude des matières commerciales et nautiques, et à trente-quatre ans déjà grand jurisconsulte, il prononça des discours remarquables sur les pavillons neutres, sur les jurys maritimes à l'occasion de l'incendie du vaisseau "le Quatorze juillet", sur les dépenses et le matériel de la marine, sur son système pénal, sur l'inscription maritime, sur les prises, sur l'armement en course. Il fit adopter la prohibition non-seulement des marchandises anglaises, mais de celles de toutes les nations qui pouvaient être en guerre avec la France. Il proposa aussi de prohiber toute espèce de toiles de coton de fabriques étrangères. C'est d'après ses rapports et ses opinions que la loi sur les vignes à devoir de tiers et de quart dans le département de la Loire-Inférieure fut adoptée, que la caisse des Invalides de la marine fut établie, qu'un droit d'octroi fut accordé à Nantes, que des avantages furent donnés aux manufacturiers de cette ville, et sa garde nationale mentionnée honorablement, que les examens des aspirants et les congés militaires furent fixés. Il rendit d'importants services au commerce et à la marine.

Le 13 thermidor, le commerce maritime de Saint-Malo lui vota des remercîments dans un acte signé par Thomas, Fontan, Pintedevin, Santerre, Thomazeau et les autres notables négociants. Les armateurs, les marins de Nantes et les matelots du Hâvre lui votèrent les mêmes remercîments pour sa fermeté à soutenir la marine française. Nos négociants résidant à Cadix lui adressèrent un acte de reconnaissance et d'estime comme au représentant qui voulait l'honneur national sur les mers et le rétablissement des lois maritimes. Lebeau, dans son discours préliminaire de son Code des prises publié alors, lui rendit hommage. Le brave amiral Willaumez, alors chef de division du ministère de la marine, sachant qu'il s'occupait d'un vaste plan d'organisation, lui soumit ses idées comme à l'homme dont le savoir devait le mieux les juger et les utiliser.

Ami sage de la liberté, il en défendit les principes avec l'ardeur de la conscience, et prit une part active aux débats politiques ; malgré l'affection particulière qu'il avait pour Gohier, il s'éleva contre le système de bascule adopté par le directoire.

Vertueux et désintéressé, il demanda énergiquement la punition de l'ex-ministre Schoenerer comme un grand exemple à donner. C'est sur sa motion chaleureuse que le conseil des Cinq-Cents décida que tout ministre serait responsable et obligé de rendre compte de sa gestion. Accusant les dilapidateurs, il demanda avec une véhémente indignation que les marchés passés depuis la constitution de l'an III et les avances faites aux fournisseurs fussent soumis à un sévère examen ; ce projet fut renvoyé pour un rapport à faire à une commission spéciale, dont il fut nommé président. Nous avons vu une lettre qu'Ouvrard lui écrivait pour le prier d'entendre les éclaircissements qu'il désirait lui soumettre.

Sur sa proposition, une pension fut accordée à la veuve et aux enfants de Lejoille, chef de division de l'armée navale, à titre de récompense nationale. Plein de cet enthousiasme presque inconnu de nos jours, il commença ainsi :
"Les organes de la loi chez nos ancêtres les Francs avaient coutume de célébrer dans les tabernacles, par des hymnes patriotiques, les paroles ou les faits mémorables des grands hommes. C'était pour enflammer les esprits de la jeunesse, qui les apprenait, qui les récitait et qui les chantait, et pour qu'ils devinssent un sujet d'émulation dans la patrie et qu'ils servissent d'exemple au monde entier. Ces usages antiques viennent de revivre dans les fastes de la France, et les noms des braves qui se dévouent pour leur patrie seront honorablement cités dans nos lois, et proclamés avec solennité à la tête de nos armées victorieuses, à bord de nos vaisseaux, au Champ-de-Mars et au milieu du peuple assemblé dans les fêtes publiques. Il était digne de vous, représentants du peuple, de consacrer ces hommages, ces récompenses nationales, qui transforment toute l'armée en autant de héros. Ce génie rémunérateur créa les beaux jours d'Athènes et de Lacédémone, et enfanta chez toutes les nations les prodiges d'héroïsme, les actions sublimes et les hauts faits d'armes des guerriers. La simple inscription du rocher des Thermopyles forma des légions invincibles, et les honneurs du triomphe valurent toutes leurs victoires aux Romains."

Bernadotte

Boulay-Paty, homme pénétrant, profond politique, jeune encore, mais mûri par l'habitude des affaires sérieuses, gémissait sur les fautes du directoire et ne cessait de lutter contre Gohier. Il s'indigna de ce qu'on retirait à Bernadotte le portefeuille de la guerre, car l'illustre général était le seul qui pût maîtriser l'ambition naissante de Buonaparte. Devenu roi de Suède, Bernadotte eut le mérite bien rare de n'oublier, sous les lambris dorés, ni ses anciennes affections, ni les services qu'il avait reçu : en montant sur le trône, il écrivit à Boulay-Paty pour l'assurer de toutes ses sympathies, et ne cessa de correspondre avec lui.

 

Cependant le coup d'état du 18 brumaire se préparait dans l'ombre. Sans prévoir un changement dans la forme du gouvernement, les hommes éclairés présentaient quelque tentative audacieuse et s'étonnaient de la quiétude aveugle du directoire. Un décret voté aux Tuileries, par une partie seulement du conseil des anciens, la nuit, volets fermés, transféra les réunions du corps législatif à Saint-Cloud, et donna le commandement de la force armée au général Buonaparte. Cette mesure était un acheminement au coup d'état prémédité ; son but évident était d'enlever à la représentation nationale l'appui du peuple de Paris. Dès qu'elle fut connue, les représentants dévoués à la constitution se préparèrent à la résistance : Boulay-Paty courut chez Gohier, et s'efforça de l'amener à une résolution énergique ; il lui démontra l'imminence du danger ; lui indiqua le seul moyen de s'y soustraire. "Ose faire cela, lui dit-il ; Buonaparte a quitté son armée, sans ordre, et violé les lois sanitaires. Je t'en supplie, au nom de toi-même, au nom de la patrie, fais-le arrêter, sauve la république." Malheureusement le courage n'égalait pas chez le président du directoire la franchise du coeur ; il ne tint pas compte des avertissements qui lui étaient donnés, et renouvela ainsi le fatal exemple de Barrassy, rejetant les observations du ministre de la guerre, Dubois de Crancé. Malgré la faiblesse des hommes qui tenaient les rênes du pouvoir, il s'en fallut de bien peu cependant que le projet de Buonaparte n'échouât. Les membres composant la majorité du conseil des Cinq-Cents, réunis la nuit chez le Corse Salicetti, avaient pris la résolution d'ouvrir le lendemain matin dès neuf heures la séance publique à Saint-Cloud, et de confier le commandement de la garde au général Bernadotte ; mais le traître Salicetti s'était empressé de révéler ce projet à Fouché. Le rusé ministre fit placer aux abords de Saint-Cloud des postes militaires avec ordre d'empêcher Bernadotte de passer, redoutant l'influence de ce général sur les troupes. Telle fut l'adresse avec laquelle fut conduit le complot, que ceux-là même qui servaient d'instruments n'en soupçonnaient pas la gravité ; ils croyaient à un changement de chef, mais ils ne se doutaient pas que la république fût menacée : l'exécution seule révéla toute sa portée. La terrible séance de l'Orangerie est consignée dans l'histoire ; déjà la fortune dirigeait les pas de l'homme qui devait gouverner la France ; les difficultés s'aplanissaient devant lui ; le danger excitait son courage et son audace ; rien ne l'arrêta ; ni le tumulte qu'excita la vue des baïonnettes, ni les protestations qui retentirent de toutes parts, ni la fermeté de l'assemblée, renouvelant courageusement le serment de fidélité à la constitution de l'an III ; ni la conduite de quelques généreux citoyens qui le mirent dans la nécessité de chercher un refuge au milieu de ses soldats : le nom de Boulay-Paty figure dans l'histoire à côté de ceux des Bigonnet, Talot, Jourdan, Delbrel, Briot, Destrem et Poullain de Grandpré : telle était, dit un historien, l'exaspération qui régnait, que si cent homme seulement, commandés par Jourdan, eussent paru, c'en était fait du téméraire qui violait le sanctuaire des lois ... Mais le destin avait prononcé ; ce jour devait être le dernier de la république ; le pouvoir militaire prit la place du pouvoir civil ... Une révolution était accomplie.

A partir de cette époque, Boulay-Paty disparut de la scène politique ; proscrit avec plusieurs de ses collègues auxquels on reprochait d'avoir été fidèles à la constitution qu'ils avaient jurée, il chercha un asile chez l'Écossais Smith son ami. Cossin, riche armateur nantais, père de Félix Cossin, condamné à mort dans l'affaire du général Berton, offrit de le transporter au lieu d'exil qui lui serait désigné : mais ces témoignages de dévouement devinrent inutiles : un arrêté du 25 brumaire commua la peine de la proscription, prononcée par le décret du 19 contre ceux des représentants qui s'étaient le plus signalé par leur dévouement à la cause de la république, en celle d'une simple surveillance.

Retiré en Bretagne, Boulay-Paty vécut dans ses souvenirs : toujours animé de l'amour du bien public, il déplorait le passé sans désespérer de l'avenir. Ses relations intimes avec les hommes devenus suspects au nouveau gouvernement, qu'il avait connus dans d'autres temps, l'aidèrent à supporter la vie calme à laquelle il se trouvait condamné. "Que tu es heureux, lui écrivait Marie-Joseph Chénier, revenu de la fascination un instant produite sur lui par l'éclat militaire et par les lauriers du héros, que tu es heureux d'avoir été brumairisé ! ton nom est sûr d'arriver à la postérité."

Boulay-Paty se rendit à Paris ; pendant quelque temps, il eut la pensée de s'y fixer pour se livrer au barreau ; mais la police le vit avec ombrage : des bruits de conspiration s'était répandus, Fouché profita de l'occasion pour le faire inviter à retourner en Bretagne. Dégoûté des hommes, voyant ce peuple aveugle, pour lequel il s'était sacrifié, baiser les chaînes que lui présentait le despotisme et honorer ses oppresseurs, il s'éloigna pour ne plus revenir. Les lignes suivantes, qu'il écrivit à sa belle-mère en lui envoyant ses discours, peignaient l'état de son âme et les nobles sentiments dont il était doué :
"Ces pages qui sont le dépôt sacré de ma pensée, vous peindront toujours indépendante cette âme que vous connaissez incorruptible, cette âme constante dans les succès comme dans les malheurs, cette âme qui ne s'est jamais courbée sous l'empire d'aucune faction, qui n'a jamais connu d'autre souveraineté que celle du peuple, d'autre régulateur que la constitution jurée, d'autre maître que la loi. Combien j'étais loins de prévoir que je serais puni de mon dévouement et de mon courage ! Mais la patrie n'est pas infaillible, elle présente la coupe mortelle à Socrate, elle condamne Miltiade au bannissement et Thémistocle à la persécution ; elle envoie à la mort Condorcet et Bailly, Roland et Lavoisier ! ... Je suis content d'avoir traversé les factions et connu les proscriptions ; et quoi qu'il me puisse arriver, je ne trahirai point la cause de la république. Maintenant je ne forme qu'un seul voeu, c'est de revenir dans le sein de ma famille ; puissé-je y jouir de l'indépendance du jurisconsulte !"

De retour en Bretagne, il fit une dangereuse maladie. Voyant la domination de Buonaparte se consolider de plus en plus, il prit la résolution de se livrer tout entier à l'étude des lois. Ses anciens collègues restés au corps législatif le firent nommer juge au tribunal d'appel de Rennes.

 

BOULAY-PATY 4

 

Magistrat, il conserva le caractère de grandeur, de justice et de désintéressement qu'il avait montré comme législateur. Versé spécialement dans le droit maritime, toujours désireux d'être utile, il sollicita en 1810 et obtint l'autorisation d'ouvrir un cours public sur cette matière. "L'intérêt qu'inspirent vos connaissances, lui répondit Fontanes, ministre de l'instruction publique, me fait vivement désirer de pouvoir vous compter parmi les membres de l'université." ...

Boulay-Paty suspendit en 1814, lors de l'invasion étrangère, le cours qu'il avait continué avec succès pendant plusieurs années ; la Restauration le conserva, malgré l'indépendance de ses opinions, à la cour royale de Rennes. Bravant l'esprit de réaction qui dominait alors, ne consultant que les élans de sa conscience, il tendit la main aux patriotes en butte aux persécutions, et témoigna ouvertement sa sympathie au général Travot, son ami, traduit indignement devant une commission militaire. On sait que les souvenirs de valeur et de dévouement à la patrie, invoqués en faveur de l'infortuné général, ne purent fléchir l'exaspération de ses accusateurs, et qu'il fut condamné à mort malgré les efforts de Bernard, de Coatpont et de Lesueur, ses zélés défenseurs, qui eux-mêmes expièrent dans les prisons l'indépendance dont ils avaient fait preuve dans cette circonstance.

En 1821, Boulay-Paty publia son Cours de droit commercial maritime en quatre volumes in-8°. Cet ouvrage le posa comme jurisconsulte. Dupin aîné se chargea d'en rendre compte dans un long article.

"Chaque partie du livre, dit le célèbre avocat, est développée avec science, profondeur et clarté. Toutes les origines sont expliquées, toutes les conséquences indiquées et déduites, toutes les difficultés aplanies. Nous ne pouvons citer des passages d'un livre de droit comme on cite des passages d'un livre de littérature ; mais nous croyons faire une chose qui ne sera pas sans agrément et sans utilité pour nos lecteurs, en traçant une esquisse rapide du beau tableau historique que nous présente M. Boulay-Paty, en tête du premier volume, sous le titre d'Origine et progrès de la législation nautique ...

Grâces aux rédacteurs de l'ordonnance de 1681 et à ceux du Code de commerce, nous avons une législation maritime digne d'un grand peuple. Grâces à M. Boulay-Paty, nous avons un excellent traité sur cette législation. Quand la France aura-t-elle une marine qui lui donne le rang auquel elle a le droit de prétendre ? quand verra-t-elle son pavillon honoré, respecté sur toutes les mers, son commerce étendu dans toutes les parties du globe ? Nous ne pouvons que former des voeux, l'avenir seul résoudra ces questions. C'est au barreau de Rennes que nous devons le meilleur ouvrage sur le Code civil et le meilleur commentaire sur notre Code de procédure ; c'est à un magistrat de la même ville que nous devons un excellent traité sur le droit commercial maritime."

En 1825, Boulay-Paty publia son Traité sur les faillites et banqueroutes. L'ordre, la lucidité règnent essentiellement dans cet ouvrage. On y remarque surtout des vues élevées qui pour la plupart ont été consacrées dans la loi de 1838. "Il était impossible, écrivait Charles Renouard dans un long article, d'exposer avec plus de clarté chacune des dispositions de la loi et les nombreux monuments de jurisprudence qui s'y rattachent ; on ne saurait trop féliciter l'école de Rennes d'avoir pu s'honorer des leçons d'un aussi digne collègue MM. Toullier et Carré ; les ouvrages publiés par M. Boulay-Paty augementent encore l'éclat dont brille cette école."

L'année suivante, Boulay-Paty publia le Traité d'Émérigon annoté et mis en rapport avec le nouveau Code de commerce. On remarque dans ses savantes annotations le talent de l'analyse et la justesse des opinions. "Ce ne fut pas précisément une nouvelle édition de l'ouvrage d'Émérigon que publia Boulay-Paty, écrivait en 1833 M. Duvergier dans la Collection des Lois, mais un nouveau traité des assurances et des contrats à la grosse, d'après les principes de la législation actuelle, mis en regard de celui de l'auteur sous le titre modeste de Conférences. Il a traité son sujet en homme profondément instruit du texte et du véritable esprit des lois maritimes. Plus la matière présentait de difficultés, plus on doit savoir gré à l'auteur d'avoir répandu tant de lumières sur cette partie de notre droit commercial. A la fin du deuxième volume, M. Boulay-Paty a jeté un coup d'oeil rapide sur l'état du commerce des nouveaux gouvernements de l'Amérique. Il traite avec une raison puissante et une vive sensibilité la question de la traite des noirs. En un mot, il faut bien le dire, l'excellent ouvrage d'Émérigon avait vieilli : toute sa valeur primitive lui a été rendue par M. Boulay-Paty, et c'est aujourd'hui le meilleur livre que les jurisconsultes et les négociants instruits puissent consulter sur cette matière."

Boulay-Paty se proposait de faire ainsi paraître un traité ex-professo sur chaque titre du Code de commerce.

Appréciateur éclairé des besoins de la société, plein de hautes vues législatives, il avait toujours présent à l'esprit cette haute pensée de Montesquieu, d'expliquer les lois par l'histoire et l'histoire par les lois.

Il avait recueilli d'immenses matériaux sur l'histoire comparée du commerce et de la marine chez tous les peuples. Pouqueville, auteur de l'Histoire de la Grèce moderne, lui dut un grand nombre de documents précieux.

Les nobles travaux des arts et de l'imagination ne lui étaient pas étrangers ; nous connaissons de lui un essai sur la peinture et sur la sculpture, ouvrage inédit, apprécié par les artistes.

Boulay-Paty réunissait toutes les qualités de l'homme de bien ; un grand fonds de bonté, et surtout une aménité conciliante. Ami généreux, ferme, consciencieux et modéré dans ses opinions, il mérita l'estime et l'affection des plus puissants orateurs qu'ait enfantés la Bretagne, à qui Louis XVIII envoya, en 1815, des lettres de noblesse et la croix de la Légion d'honneur ; avec le marquis de Bruc, qui s'efforça vainement, sous la restauration, de le déterminer à se laisser recommander au roi. Sa carrière fut toute de conviction et de désintéressement ; il avait une dignité d'esprit et une droiture de coeur à l'épreuve de la corruption. Pendant qu'il siégeait au conseil des Cinq-Cents, une dame B.... qui avait été jugée digne, par son extrême beauté, de représenter l'une des déesses du temps, sachant que Boulay-Paty devait prononcer un discours sur un point très-important, vint de la part de quelques personnes haut placées, vivement intéressées à gagner son opinion, lui offrir 300.000 fr. : l'orateur repoussa cette offre avec indignation, expulsa la personne qui la lui faisait, et garda le silence, humilié, dans sa noble fierté, de ce qu'on eût osé le croire capable de se laisser corrompre. - Baco, prêt à quitter la France pour les colonies, sachant que Boulay-Paty n'était pas riche, le supplia d'accepter le legs de sa fortune, au détriment de quelques collatéraux éloignés ; il refusa obstinément. - Marie-Joseph Chénier, inspecteur des études, vint examiner en Bretagne les élèves des lycées, afin de choisir parmi eux quelques-uns des plus forts pour les faire élever aux frais de l'état : le fils aîné de Boulay-Paty figura le premier sur la liste des élus ; mais son père refusa, ne voulant pas priver de cet avantage d'autres parents moins riches que lui. - La vie de Boulay-Paty fut parsemée de pareils actes de grandeur et de générosité ; ils sont restés ignorés, et ne retentiront probablement jamais que dans le coeur de ceux qui en ont profité.

 

ACTE DE DECES BOULAY-PATY

 

Simple et indépendant, il ne sollicita et ne reçut jamais aucune faveur du pouvoir : après une carrière toute de dévouement à la chose publique, après quarante-deux ans d'exercice comme magistrat, après avoir rendu gratuitement pendant de longues années des services à l'enseignement, après avoir publié des ouvrages qui figurent dignement à côté de ceux des jurisconsultes célèbres dont la France moderne s'honore, Boulay-Paty mourut à Donges, le 16 juin 1830, sans titres, sans avoir reçu la moindre récompense honorifique ; mais entouré de l'estime de la cour royale, dont il était le doyen, de la vénération du barreau, des regrets unanimes de ses concitoyens (Les habitants du pays de Donges ont concédé à perpétuité, comme témoignage public de leurs regrets et de leur reconnaissance, le terrain sur lequel s'élève aujourd'hui son tombeau) ; Sa vie fut un long culte au devoir, à la justice et à l'honneur ...

Boulay-Paty eut deux fils ;

L'aîné mourut à l'âge de vingt-cinq ans d'une fièvre cérébrale causée par excès de travail : il était docteur en droit et figurait déjà au premier rang dans le barreau de Rennes ; il fut l'un des signataires de la fameuse consultation en faveur du général Travot. Bernard, ce chaleureux défenseur de la mémoire de la Chalotais, le considérait comme devant lui succéder.

 

BOULAY-PATY ÉVARISTE

 

Le plus jeune soutient avec honneur un beau nom, qui doit recevoir de lui une seconde célébrité. Les Odes de M. Évariste Boulay-Paty, poète lauréat de l'Académie Française, ont acquis une juste renommée dans le monde littéraire.

Sur le tombeau de son père, il a fait graver ces vers :

Repose en paix, mon père ! appui plein de courage
Du paysan breton qui porte au coeur ton deuil ;
Intègre magistrat, homme pure de notre âge,
Repose en paix, ton fils se nomme avec orgueil.

Représentant du peuple, alors qu'il fit naufrage
Sur le dix-huit brumaire, épouvantable écueil !
Débris national de ce grand jour d'orage,
Repose enfin au port, libre dans ton cercueil.

Les navires, les flots étaient la vie entière,
L'âme de tes écrits. Au fond du cimetière
De ton vieux Donge aimé, repose au bord des flots.

Pleurs de la mer, que l'onde en larmes y retombe !
Que l'esquif te salue ! et que les matelots,
Debout au pied du mât, montrent du doigt ta tombe !

Extrait :
Traité des faillites et banqueroutes - par P.S. Boulay-Paty - Notice par J.M. Boileux - 1849

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