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La Maraîchine Normande
15 février 2015

TREIZE-VENTS (85) - SAINTE-ÉLIZABETH

 

Treize-Vents

 

 

TREIZE-VENTS (85) - SAINTE-ÉLIZABETH

Ce soir-là, le soleil semblait ne pouvoir se décider à quitter l'horizon, tant il avait à regret d'abandonner cette verte nature qu'il irradiait, pour s'aller cacher derrière les collines aux flancs déjà assombris qui bordent le cours de la Sèvre Nantaise. Le printemps, la vie, le bonheur chantaient dans tous les buissons : des voix mystérieuses et douces sortaient de ces chemins creux qui sillonnent les champs de genêts ; et, malgré soi, l'on s'arrêtait comme pour écouter ce langage intime que parlent les oiseaux naissants aux fleurs à peine écloses.


Il faisait bon sur cette route qui conduit de Treize-Vents à Saint-Laurent-sur-Sèvre. Arrêté à quelques pas de la petite chapelle que les Treize-Vantais ont vu jadis s'élever aux portes de leur bourg en l'honneur de sainte Élizabeth, je jouissais délicieusement des derniers instants d'un beau jour. Comme pour rendre encore plus saisissant le charme qui sortait de la nature, un murmure, que l'on sentait pieux et tendre, passait à travers les vitraux et la porte entr'ouverte du sanctuaire. De ces coeurs d'hommes et de femmes dont les voix se mêlaient, s'échappait une vertu surnaturelle. Le parfum d'amour religieux qu'ils exhalaient plus suave encore et plus pénétrant que les délicieuses émanations du renouveau, achevait d'émouvoir l'âme et de la charmer.

 

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La prière cessa au moment où je franchissais le seuil de l'humble chapelle. Or, un étrange spectacle frappa mes yeux. Près de la porte, derrière les battants ouverts, quelques hommes, appuyés au mur, debout, le large chapeau sous le bras, les mains croisées, priaient encore. Là-bas, aux pieds de l'autel que dominait la statue de sainte Élizabeth, des femmes à genoux, plongées dans leur méditation. Jusqu'ici rien d'insolite.


Voici qui éveilla ma curiosité. Au milieu de la nef, d'autres femmes, des mères celles-ci, allaient et venaient, tenant par la main de tout petits enfants. On eut dit qu'elles les essayaient à marcher. Et plusieurs fois de suite, de l'autel à la porte, de la porte à l'autel, elles sillonnaient la chapelle aussi vite que le permettaient les jambes frêles des bébés, et l'encombrement des promeneurs dans l'étroitesse du lieu.


Après quelques instants de fatigue, on se reposait, pour reprendre ensuite. Et quand, sous les regards bienveillants de la sainte qui semblait sourire du fond de sa niche, on avait ainsi manoeuvré le plus habilement possible, et dans un recueillement relatif, on continuait dehors, sur la route et sous le beau ciel, l'exercice si bien commencé. Ce n'était pas alors sans gais propos ni éclats de rire. Et je ne sais vraiment qui étaient les plus heureux des petits ou des grands. Le sourire des enfants était aussi éloquent que les paroles des mères, et la preuve, c'est que je compris, sans trop de peine, la dévotion qui poussait ce peuple vers sainte Élisabeth. Je voulus cependant en avoir une notion plus nette, et je m'informai.

 

LA MARTINIERE

 

Il y a bien longtemps, me dit-on, que les Devaud habitent la Martinière, village situé à une demi-lieue environ de la Chapelle. On les y a toujours connus de mémoire d'homme, comme on les y a toujours estimés. Et vrai, ce serait grande perte pour le pays qu'ils vinssent à disparaître.


Peu s'en est fallu pourtant que la famille ne s'éteignit, et cela vers le milieu du siècle dernier. A cette époque, le Devaud qui habitait la Martinière se voyant menacé d'être le dernier représentant du nom : en vain cherchait-il un minois de garçon parmi les figures d'enfants qui entouraient sa table : le sceptre familial tombait en quenouille.


Grande désolation ! Il importait d'en sortir. On avait, à ce foyer, une grande dévotion, j'ignore pourquoi, à sainte Élizabeth. Un soir d'hiver que, réunis près du feu, dans la grande salle, le fermier et la fermière se sentaient assombris plus que de coutume par cette peine qui leur mordait le coeur, une commune pensée jaillit de leur esprit, comme sous le coup d'une inspiration divine. A la prière qui terminait chaque journée, le père de famille ajouta une invocation spéciale à sainte Élizabeth. Et tous les soirs, de plus en plus ardente, la supplication jaillissait des lèvres ; et, tous les soirs, de plus en plus sincère, le même voeu était formulé tout bas dans le recueillement des coeurs.


L'année suivante, la ferme recevait un nouvel hôte : un bon gros garçon joufflu, portant dans sa figure ronde et dans ses yeux clairs des promesses de vie. Dès le lendemain de sa naissance, une chapelle s'élevait près du bourg, le long de la grand'route ; et sainte Élizabeth y régnait en maîtresse sur son beau piédestal. La réalisation du voeu suivait de près la grâce obtenue.


Hélas ! tout ne va pas sans difficulté en ce bas monde. On eut dit que la Providence regrettait de s'être laissée attendrir par sainte Élizabeth. A moins que la sainte n'ait tenu à faire payer ses bienfaits ; "Sait-on" disaient les gens soupçonneux, et il y en a toujours de ceux-là pour tenter les braves coeurs.


Le fait est que deux ans se sont écoulés et que le bébé ne marche pas encore : ses jambes, incertaines, ne le peuvent soutenir : il titube, puis tombe. Nouveau chagrin à la ferme, et bien gros. Mais aussi nouvelles supplications adressées à la sainte. Tous les jours, on portait l'enfant au sanctuaire, et là, sur le pavé, on essayait de le faire marcher. Et à la sainte, qui du haut de son trône assistait, indifférente en apparence, à tout ce petit manège, on disait : "Vraiment, allez-vous laisser votre oeuvre inachevée !" - "N'accordez-vous que la moitié de la grâce ?" soupirait la fermière, - "Ce n'est pas une chapelle boiteuse ou ruineuse que je vous ai bâtie", ajoutait le fermier, qui dans un coin, priait de tout son coeur.

 

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Évidemment, sainte Élizabeth eut peur que ses fidèles serviteurs ne se fâchassent pour tout de bon. Plutôt, elle fut touchée de leur foi ardente. Un beau soir, l'enfant marcha, il marcha seul, il marcha, non plus comme le matelot sur son navire en louvoyant tantôt à droite, tantôt à gauche, mais droit, mais ferme. Vive Dieu et sainte Élizabeth, l'enfant était guéri.


Et vous savez maintenant, ami lecteur, pourquoi dans la chapelle de sainte Élizabeth, située près le bourg de Treize-Vents, les jeunes épouses font des neuvaines aux pieds de la sainte, et les jeunes mères essayent les pas chancelants de leurs petits enfants.

Le Collaborateur
La Vendée Historique
4ème année - n° 90 - 20 septembre 1900

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