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La Maraîchine Normande
24 décembre 2014

24 DÉCEMBRE 1793 - SOIR DE NOEL

SOIR DE NOEL

(24 décembre 1793)

Au moment où touchait à son terme cette année 1793, la Terreur battait son plein. Au mois de janvier, avait eu lieu l'exécution du roi ; au mois d'octobre, celle de la reine. Entre temps, l'échafaud avait dévoré d'autres victimes, des innocents et des coupables : Charlotte Corday, Adam Lux, le général de Custine, les Girondins, Philippe Egalité, Bailly, Mme Roland, Manuel, Rabaut-Saint-Etienne, Mme du Barry, l'ancien ministre Lebrun et combien d'autres. Elle finissait donc dans le sang, cette année maudite et tragique et les forfaits qui l'avaient ensanglantée allaient se renouveler et se poursuivre durant les six premiers mois de l'année suivante, dans le déchaînement furibond du jacobinisme triomphant.

Naturellement, ce régime abominable, proscripteur de toutes les traditions comme de toutes les croyances, ne comportait pas de fêtes religieuses. La nuit de Noël, encore qu'aux époques antérieures et depuis des siècles eût toujours été consacrée par l'Eglise et dans les familles à la célébration de la naissance du Christ, ne s'annonçait pas comme devant différer en rien de celles qui l'avaient précédée ni de celles qui allaient la suivre. Paris était lugubre ce soir-là, ainsi que les autres soirs. Pendant tout le jour, il était resté enveloppé d'une brume épaisse. Elle se fondit, à l'approche de la nuit, en une pluie glaciale, fine et pénétrante, qui rendait le sol plus boueux, les rues plus obscures et qui ajoutait une horreur plus poignante aux horreurs du fardeau d'angoisses sous lequel les imaginations et les âmes se sentaient écrasées.

Avec la nuit, la ville était devenue solitaire, chacun s'étant empressé de rentrer chez soi autant pour se dérober aux intempéries de la saison que pour fuir les périls des rues désertes, sombres, mal gardées et livrées aux malandrins, toujours prêts à détrousser les passants attardés.

Un silence de mort pesait sur les maisons, comme si dans chaque famille, même dans celles où, malgré les malheurs du temps, on n'avait pas renoncé à célébrer entre soi la fête de Noël, on se fût imposé la loi de le faire en secret, sans éclat et sans bruit. Ainsi, l'obscurité, le silence, la brume hivernale semblaient s'être mis d'accord pour faire peser sur la capitale terrorisée un deuil plus lourd, pour rendre plus sinistre sa physionomie déjà si tristement métamorphosée depuis que la guillotine fonctionnait.

 

TEMPLE

 

Il fallait décrire ce cadre à nos lecteurs avant de leur ouvrir la misérable chambre, ou pour mieux dire la sordide prison où nous devons maintenant les conduire, au troisième étage de la tour du Temple. C'est dans cette tour que, le 10 août 1792, avait été enfermée la famille royale ; c'est de là que le roi était sorti, le 21 janvier, pour aller au supplice ; de là que la reine avait été conduite à la Conciergerie à la veille de son procès ; c'est là enfin que le petit roi Louis XVII, sa soeur Madame Royale et sa tante Madame Elisabeth, étaient restés après la mort de leurs parents.

Par un raffinement de cruauté qui pèsera éternellement sur la mémoire de leurs bourreaux, on n'avait pas voulu laisser à ces infortunés la triste joie de pleurer ensemble. Arraché à la sollicitude maternelle, l'enfant royal avait été livré, victime innocente, aux cruautés du savetier Simon. Après la mort de sa mère, on avait refusé de le rendre à sa tante et à sa soeur qui ne devaient plus le revoir.

C'est ainsi que ce soir-là, tandis qu'il gisait sur son grabat dans une chambre au-dessous d'elles, elles se trouvaient seules dans le triste logis où, depuis plusieurs mois, elles vivaient séquestrées.

Madame Royale

Madame Royale avait alors quinze ans, Madame Elisabeth, vingt-neuf. Mais celle-ci ayant conservé toutes les grâces de la première jeunesse, et sa nièce s'étant précocement mûrie au spectacle des dures épreuves qui s'étaient abattues sur la Maison de France, la différence d'âge qui existait entre elle s'était promptement effacée. Le malheur les avait faites pareilles, et quoiqu'on dût croire que l'aînée remplissait auprès de la plus jeune un rôle de mère, elles étaient plus encore comme des soeurs que comme une mère et une fille, ce qui n'altérait en rien l'attitude de l'une pour l'autre. La communauté de leurs souffrances, une sympathie réciproque, le constant échange de toutes leurs pensées et enfin la solitude affreuse à laquelle elles étaient condamnées dans cette prison dont on ne leur permettait jamais de franchir le seuil, même pour respirer un peu d'air pur, avaient scellé leur affection d'une force indestructible.

Soumises au plus rigoureux secret, ignorant si la reine était morte ou vivante, ne connaissant du petit roi que le fait matériel de son existence, ne sachant rien des évènements qui se déroulaient dans Paris et dont la sonnerie du tocsin ou le battement de la générale leur révélaient, seuls, la gravité, elles ne goûtaient, dans leur incessante torture, d'autre consolation que celle qu'elles puisaient dans leur mutuelle tendresse.

Personne n'en eût douté, en les voyant, ce soir-là, dans l'obscurité de la prison où la tolérance capricieuse de leur gardien avait, comme par faveur, laissé une chandelle allumée, assises auprès d'un feu de pauvre, en train de s'éteindre, serrées l'une contre l'autre, la main dans la main, ne faisant trêve à leur silence que par quelques hâtives réflexions sur leur état misérable.

- Combien douloureuse pour nous aujourd'hui, cette fête de Noël ! murmura soudain Madame Royale.

- C'est la seconde fois qu'elle nous trouve captives, observa Madame Elisabeth. Déjà l'an dernier, nous étions ici.

- Oui, mais, l'an dernier, mon père, ma mère, mon frère étaient avec nous. Nous étions tous réunis. Le soir venu, on nous laissa ensemble. Le roi nous lut lui-même la Sainte Messe, un chapitre de l'Imitation. La prière fut solennelle et plus fervente ce soir-là. Nous eûmes encore, malgré tout, un peu de bonheur. Vous en souvenez-vous, ma tante ?

- Oui, Thérèse, je m'en souviens, répondit Madame Elisabeth. Mon pauvre frère ! pauvre Antoinette !

Sa voix expira dans une poussée de larmes, tandis que Madame Royale continuait avec émotion :

- Cette année, nous sommes seules ; je porte le deuil du meilleur des pères, que des monstres ont odieusement assassiné ; je ne sais si ma mère vit ou si elle est morte, et de mon malheureux frère nous ne savons qu'une chose : ce que nous apprennent ses gémissements qui parfois montent d'en bas jusqu'à nous, c'est qu'on le martyrise.

A ces mots entrecoupés de sanglots, madame Elisabeth attira sa nièce contre elle et, caressant ses cheveux, lui dit :

- Nous ne sommes pas seules, ma chérie ; Dieu est avec nous.

- Il me semble parfois qu'il est si loin, poursuivit Madame Royale. Que ne nous défend-il contre les méchants ? Que ne nous protège-t-il ?

Sa tante lui mit doucement la main sur la bouche et reprit :

- Voilà de mauvaises paroles. Thérèse, puisqu'elles donnent à penser que tu doutes de sa bonté. Ses desseins sont impénétrables. Mais il n'est pas défendu d'espérer qu'il ne nous rend la terre si cruelle que pour nous faire plus dignes du ciel.

Toute dolente, Madame Royale posa sa tête sur l'épaule de Madame Elisabeth.

- Vous êtes une sainte, chère tante, soupira-t-elle ; je voudrais être comme vous.
Un silence suivit ces paroles ; les prisonnières se recueillaient. Pendant quelques instants, elles semblèrent absorbées en une méditation profonde, comme perdues dans un rêve qui les emportait très loin au-delà de l'affreuse réalité de leur existence de captives.

madame Elisabeth

Madame Elisabeth y revint la première. Elle ne s'était pas abandonnée à des rêveries, elle ; mentalement, elle avait prié. Comme venait de le dire sa nièce, c'était une sainte pour qui, jusqu'à l'échafaud qui déjà la guettait, la prière devait être le refuge suprême, le refuge où l'on puise la résignation et le courage. Quand elle priait, on l'eût dite détachée du monde et marchant, dans le bruit des musiques célestes, ravie, extasiée, sur la route du ciel. Aussi, ce soir-là, lorsque cessa sa pieuse méditation, elle semblait descendre d'une autre sphère et ne recouvrer sa sérénité coutumière qu'après avoir plané bien haut au-dessus de la méchanceté des hommes et de l'abîme de souffrances où elle était plongée.

En abaissant son regard sur sa nièce, elle fut surprise de constater, à la lueur de la flamme jaunâtre qui éclairait la prison, que le visage de la jeune fille avait changé d'expression. Il n'y restait plus rien de la brève révolte de tout à l'heure : il s'était pacifié ; dans les yeux encore humides de larmes qui en avaient coulé brillait un sourire attristé, qui semblait n'y briller qu'à regret. Sous le regard de sa tante, elle se redressa, se dégagea doucement de l'étreinte affectueuse dont elle avait subi le charme et parut toute réconfortée.

- A quoi penses-tu, mon enfant ? lui demanda Madame Elisabeth.

Madame Royale se frottait les yeux, comme se réveillant.

 

VERSAILLES CHAPELLE

 

- J'étais à Versailles, en l'an 1788, il y a cinq ans, dit-elle, j'ai revu la chapelle du château. On y célébrait la messe de minuit. J'y étais, car pour la première fois, mes parents, à la demande de maman Tourzel, ma chère gouvernante, mes parents m'avaient permis de faire la veillée du petit Jésus. Je n'ai rien oublié : ni mes surprises, ni le contentement du roi et de la reine en voyant ma joie devant la crèche qu'on avait dressée dans un coin de la chapelle. Je revois l'Enfant divin sur la paille, et le boeuf, et l'âne, et les bergers, et les mages et les anges agenouillés. Et partout c'était plein de lumières et les chanteurs de la cour chantaient : Venite adoremus. C'était si beau !

Interrompant ce déchaînement de ses souvenirs, Madame Royale, d'une voix claire et pure, contenue par la crainte d'être entendue, modula sur l'air liturgique les premières paroles de l'hymne séculaire.

Mais bientôt, sous un flot de larmes, la voix de cristal se brisa. La douleur était plus forte que le charme du souvenir, la comparaison du présent avec le passé trop cruelle pour cette âme d'enfant torturée jusqu'au martyre. Elle pleurait, la petite princesse ; elle pleurait, gémissait, répétait défaillante en un appel désespéré : "Papa, maman !" et tombait enfin dans les bras de Madame Elisabeth.

Maintenant, celle-ci, surmontant sa propre douleur, s'efforce de consoler sa nièce. Elle la presse maternellement contre sa poitrine, lui prodigue les douces paroles, de tendres caresses et, pour lui rendre le calme, lui fredonne doucement : Venite adoremus, espérant de sa prière qu'inspire une ardente foi, un effet réparateur.

Brusquement, à la porte de la chambre un coup violent est frappé. Les deux captives demeurent sur place, serrées l'une contre l'autre, figées dans l'effroi qui les a saisies et qu'accroît la brutalité des propos que profère de l'autre côté de la porte une voix avinée.

- Eh ! dites donc, les mijaurées, c'est-y qu'on attendra le jour pour éteindre la lumière ? Eteignez-la ... Et plus vite que ça ; ou je vas y aller moi-même ...

Madame Elisabeth, sans répondre, s'approche de la table, souffle la chandelle. Elle entend le gardien s'éloigner, en jurant et en grognant. Elle revient vers sa nièce, et l'embrassant, lui murmura :

- Nous ne sommes pas à Versailles, ma pauvre chérie ; nous n'avons ni crèche, ni musique ; mais nous pouvons, par la pensée, parer notre prison. D'ailleurs, ne devons-nous pas nous réjouir de nous y trouver, si misérable qu'elle soit, puisque Jésus est né dans une étable et que notre misère présente nous rapproche de lui ? Agenouillons-nous, si tu veux, et célébrons sa naissance.

Prosternée devant une crèche idéale, elle entonne d'une voix tremblante, faible comme un souffle : Venite adoremus. Madame Royale s'unit à elle ; emportées vers le ciel, les deux captives oublient, pour quelques instants, l'implacable infortune qui les ressaisira demain.

E. DAUDET

Bulletin paroissial de Saint-Vincent-Puymaufrais - 1912

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