Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La Maraîchine Normande
16 décembre 2014

HONFLEUR (14) - 1808 - LA FLOTTILLE EN JUPONS

HONFLEUR
LA FLOTTILLE EN JUPONS

HONFLEUR EGLISE

 

C'était en 1808. Depuis plusieurs années, la guerre régnait sur les mers entre la France et l'Angleterre. Celle-ci avait proclamé, deux ans auparavant, le blocus des ports français, et Napoléon avait répondu à cette mesure par le blocus continental. Des bateaux de guerre anglais croisaient fréquemment à l'embouchure de la Seine. Le 25 mars 1808, l'un d'eux donna la chasse à des barques dont les équipages pêchaient à l'entrée de l'estuaire ; vingt-quatre bateaux furent enlevés, dont vingt et un de Honfleur, deux de Trouville et un du Havre. Cent vingt marins qui les montaient furent ainsi conduits en Angleterre comme prisonniers.


Cet évènement jeta la consternation à Honfleur dans la population maritime. La plupart des familles se trouvaient atteintes dans la personne d'un ou de plusieurs de leurs membres. Comme il n'existait pas de relations avec l'Angleterre, aucune nouvelle ne parvenait sur le sort des pêcheurs capturés, partis sans argent ni effets ; et, dans leurs foyers, régnait la plus vive inquiétude. La misère s'y ajoutait, la pêche ne pouvant plus être pratiquée dans les familles des prisonniers.


Plus de trois mois s'écoulèrent ainsi. Mais, après une longue enquête, la capture ne fut pas approuvée par le gouvernement britannique, et, au mois de juillet, une frégate fut chargée de ramener tous ces hommes sur la côte française. Le 9 de ce mois, un parlementaire se présenta devant Le Havre pour faire part de cette décision ; il ne fut pas reçu, les communications avec l'ennemi étant rigoureusement interdites.


Le 11 juillet, dans la matinée, le commandant de la frégate anglaise fit alors envoyer à terre, sous le sémaphore de Hennequeville, deux des pêcheurs faits prisonniers le 25 mars, les nommés Louis Delamosne et André Duchemin, tous deux de Honfleur. Ils étaient porteurs d'une lettre pour le Préfet maritime du Havre, dans laquelle on lui proposait d'accepter, sans échange et sur simple reçu, tous les pêcheurs français qui se trouvaient à bord.


Reconnus par les douaniers, chargés de la surveillance de la côte, les deux hommes sont conduits par eux au bureau de la Marine. Mais ils ont été reconnus également par des habitants du pays. Et l'un de ces derniers, ayant fait toute diligence pour apporter aux familles éplorées la bonne nouvelle, celle-ci se répand aussitôt dans toute la population maritime. Avant deux heures de l'après-midi, alors que les deux pêcheurs ne sont pas encore arrivés à Honfleur pour être interrogés par le Commissaire de la marine, des rassemblements se forment en ville sur les quais. On y commente le débarquement, opéré à Hennequeville, des deux Honfleurais Delamosne et Duchemin, et la mission qui leur a été confiée. On y discute avec animation de la manière dont il sera possible de délivrer les captifs. Mais les femmes, qui sont là, ne perdent pas de temps à délibérer. Vingt-cinq ou trente d'entre elles s'emparent de neuf embarcations, sortent du port et poussent au large pour aller à bord de la frégate anglaise chercher leurs maris, leurs pères ou leurs enfants.

 

HONFLEUR 3


Le Commissaire de la marine, alerté, arrive sur le port. Il veut faire appliquer la loi qui défend, en temps de guerre, toutes relations avec l'ennemi sous peines sévères. Il est trop tard, et il ne peut empêcher le départ d'autres barques. Quant à la flottille improvisée, conduite par les femmes, qui ne se préoccupent guère du mauvais cas dans lequel elles se sont mises, elle est déjà loin des jetées. Favorisée par la mer qui baisse, elle court droit sur la frégate. En vain la patache des douaniers s'est élancée à sa poursuite. En vain les autorités maritimes du Havre, prévenues en toute hâte par l'envoi d'une embarcation, font-elles des signaux pour interdire de dépasser les limites de la pêche et essaient-elles de faire sortir du port des péniches pour s'opposer à la marche de la flottille. Rien n'arrête les courageuses femmes. Grâce à leur avance et au reflux, elles parviennent à accoster la frégate anglaise. Il est impossible de décrire le bonheur et la joie de toutes ces femmes de marins en retrouvant à bord le mari, le père ou l'enfant qu'elles avaient craint de ne plus revoir. La scène fut des plus émouvantes.


Autorisés à partir, les prisonniers prirent place bientôt dans les barques de la petite flotille. Celle-ci appareilla pour revenir au port avec es équipages féminins, heureux et fiers du succès de leur entreprise.


Ce triomphe ne fut pas, hélas, de longue durée. Six des barques furent aussitôt arrêtées par des péniches envoyées par le Commissaire général de la police du Havre ; deux autres allèrent débarquer à Pennedepie ; une seule put gagner Honfleur. A leur arrivée à quai, tous les hommes revenus d'Angleterre furent appréhendés et mis à la disposition des autorités maritimes. Les pêcheurs parvenus à Honfleur durent aller rejoindre ceux arrêtés au Havre, sans avoir pu communiquer avec leurs familles et leurs amis, venus en foule pour les accueillir. Le Commissaire de la marine dans son rapport rendit, d'ailleurs, hommage au bon ordre et à l'esprit d'obéissance avec lesquels furent exécutées les décisions du Gouvernement.


Ce fut la dernière épreuve de nos marins. L'Administration ne devait pas maintenir leur arrestation. Trois jours après, tous les prisonniers rentraient dans leurs foyers où les reçurent avec bonheur - bonheur bien mérité - les femmes intrépides de l'audacieuse flottille honfleuraise.

HENRI TOUBLET
Extrait : Revue Le Pays d'Auge - 1954

Publicité
Commentaires
La Maraîchine Normande
  • EN MÉMOIRE DU ROI LOUIS XVI, DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE ET DE LA FAMILLE ROYALE ; EN MÉMOIRE DES BRIGANDS ET DES CHOUANS ; EN MÉMOIRE DES HOMMES, FEMMES, VIEILLARDS, ENFANTS ASSASSINÉS, NOYÉS, GUILLOTINÉS, DÉPORTÉS ET MASSACRÉS ... PAR LA RIPOUBLIFRIC
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Newsletter
Archives
Derniers commentaires
Publicité