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La Maraîchine Normande
7 décembre 2014

VENDÉE (85) - 1831 - LETTRE DE M. LE COMTE DE BAGNEUX AU LIEUTENANT-GÉNÉRAL DUMOUSTIER

La Pelissonnière

 

M. le comte de Bagneux (Paul-Zénobie-Louis-Marie Frotier, comte de Bagneux), ex-préfet de Maine-et-Loire, a adressé la lettre suivante à M. le lieutenant-général Dumoustier qui commande la 12e division militaire. Les faits qu'on y mentionne nous paraissent d'une haute gravité.

 

" La Pelissonnière (Vendée), 25 avril 1831.

M. le Général,

Le 16 de ce mois, après vous avoir escorté à Saint-Michel, le brigadier de gendarmerie à la résidence de Pousauges, accompagné de quatre gendarmes, vint chez moi en mon absence ; il demanda à parler à madame de Bagneux, et lui dit qu'il venait me prévenir, de votre part, que si je continuais à recevoir autant d'étrangers, vous seriez dans l'obligation, comme chargé de la police de ce département, de me faire arrêter et de me conduire dans un département étranger.

Je ne puis, M. le comte, ajouter une foi entière à la mission du brigadier de gendarmerie. Auriez-vous eu l'intention de me donner obligeamment avis des mesures provoquées près de vous à mon égard, par quelques habitans de Pousauges et de cette contrée ? Je vous en devrais des remerciemens ; mais je sois croire que vous m'en auriez informé d'une tout autre manière que par une brigade entière de gendarmerie. Seriez-vous ans l'intention de mettre ces mesures à exécution ? J'en serais étonné, sous tous les rapports, et surtout de vous, M. le comte, qui m'avez fait l'honneur de me dire à Nantes que vous ne vouliez pas de réactions.

En principe, M. le général, comment pourriez-vous être chargé de la police de ce département ? Ce n'est que lorsqu'un pays est mis en état de siège qu'elle est dévolue à l'autorité militaire, et je ne sache pas que des actes aussi rigoureux aient frappé le département de la Vendée, et qu'il s'y soit passé aucun évènement de nature à les provoquer.

En admettant que par des mesures exceptionnelles, vous soyez, en effet, chargé de la police de ce département, et que le brigadier ait été vrai dans ses dires, encore faudrait-il que la rigueur avec laquelle vous paraîtriez disposé à me traiter fût basée sur des données exactes, et non le résultat de rapports mensongers et calomnieux, qui devraient être mieux approfondis par un officier-général tel que vous, avant d'y ajouter aucun degré de confiance.

La liberté individuelle est une chose trop précieuse en elle-même, trop sacrée aux yeux de la loi, pour qu'on puisse y porter atteinte aussi légèrement. Où serait donc d'ailleurs cette liberté pour laquelle on a fait la révolution de juillet ? Ne doit-elle être entendue qu'au bénéfice du parti vainqueur, en opprimant ceux qui ne partagent pas son opinion ? Est-ce pour avoir respecté la religion d'un serment, que je me vois aujourd'hui l'objet de surveillance, de visites domiciliaires et de persécutions ? En était-il ainsi sous l'esclavage de la restauration ? Préfet pendant les huit dernières années de son existence, je suis à même de savoir qu'on entendait autrement l'ordre légal (dont la France avait soif, suivant l'expression d'un ministre actuel), et la liberté dont on fait parade aujourd'hui. Vous même, M. le comte, qui n'avez pas cru devoir servir sous cette restauration, votre retraite a-t-elle été troublée par des mesures semblables à celles dont je suis menacé ? Serions-nous donc en 93, sous le régime de la loi des suspects ?

J'aurais désiré que mon habitation se fût trouvée sur votre passage, et que vous eussiez voulu me faire l'honneur d'entrer chez moi ; vous auriez pu voir que mes occupations, depuis ma sortie des affaires publiques, ne sont pas celles d'un conspirateur, d'un homme qui demande le trouble et le désordre. Et là peut-être auriez-vous pu révoquer en doute la sincérité des rapports que vous avez recueillis contre moi, dans la tournée que vous venez de faire.

Je suis accusé de recevoir du monde chez moi ; est-ce un crime ? Je vois il est vrai, mes voisins de temps en temps, et quelques parens étrangers au voisinage, ainsi que je vous l'ai dit à Nantes ; qu'y a-t-il d'illégal et de condamnable ? où sont les lois qui le défendent ? sont-ce là des étrangers et des attroupemens séditieux ? Mais mes dénonciateurs, dont le plus grand nombre n'est pas sans m'avoir de fortes obligations, cherchent, je le sais, à dénaturer et envenimer les choses ; ils ne voient dans les visites les plus simples et les plus inoffensives que des réunions nombreuses, des conciliabules redoutables. Je vous rappellerai, par exemple, que le jour où M. le capitaine de gendarmerie accompagna M. Duchaffault chez moi, il avait reçu, avant son départ, un rapport qui lui annonçait que la veille, j'avais 40 individus à dîner, quand en réalité je n'avais eu que trois personnes. Avec une telle police, M. le comte, personne n'est à l'abri des plus noires inculpations.

Ma maison n'est point, comme on vous l'a exposé, un foyer de conspiration. Je désire y vivre tranquille, en faisant des voeux pour le bonheur et la prospérité de la France. Ma conduite privée et les visites que je reçois, n'ayant rien d'alarmant pour le gouvernement, je continuerai comme par le passé, à recevoir les personnes qui veulent bien me donner quelques marques d'amitié, croyant devoir jouir pour ma part des libertés promises par la Charte, et ne pouvant supposer être victime de l'arbitraire, d'après des rapports aussi inexacts que ceux qui vous ont été faits, et sous des prétextes aussi frivoles que ceux qui ont été déduits par le brigadier de la gendarmerie de Pouzauges.

J'ai l'honneur d'être, etc."

 

La Pelissonnière 3

Revue judiciaire, civile, criminelle, administrative et commerciale.
Journal des audiences ...
N° 15 - Tome III - 1ère année - Jeudi 5 mai 1831

 

On mande de la Vendée :

Quand tous les procureurs du roi se coaliseraient pour justifier la mesure par laquelle M. le comte Dumoustier a cru devoir mettre les gens en surveillance, ils auraient bien de la peine, sous l'empire de la Charte-Vérité, à légaliser cette oeuvre du quartier général de la 12e division militaire.


Cependant, il faut convenir que si elle fait injure à la loi, elle peut néanmoins tourner à l'avantage de la chose publique ; cela est bien de quelque poids sinon pour lui accorder le droit de cité, du moins pour qu'on doive en savoir quelque gré à l'imaginative patriotique qui l'a enfantée.


Vous allez en juger.


Le 27 avril (1831), M. de Bagneux, pour lequel il semble que la haute police de M. le général ait été tout exprès créée, fit partir pour Beaupréau un domestique chargé d'aller y chercher son fils, auquel le supérieur du collège de cette ville avait accordé quelques jours de congé pour venir les passer dans sa famille. Une retraite avait lieu dans l'établissement au moment où le domestique s'y présenta pour réclamer, au nom de son père, le jeune de Bagneux. Cet incident détermina M. Mongazon à retarder de quelques jours le départ de son disciple. Force fut donc au domestique, pour ne pas laisser ses maîtres dans l'inquiétude, de partir seul le lendemain et de ramener encore en main un cheval qu'il y avait conduit. Cependant, il avait eu soin, avant de partir de Beaupréau, d'y faire viser le passeport dont il avait pris la précaution de se munir, car pour un domestique d'un ancien préfet mis en surveillance, il n'y a nullement à plaisanter avec la police ; et bien lui en prit assurément, car arrivé à Cholet, où l'on était pour lui sous les armes, il fut suivi par quelques gendarmes et quelques officieux de la police jusqu'à l'auberge du Dauphin, où l'on savait qu'il devait faire une halte.


Là, les gendarmes qui étaient entrés en même temps que lui, voulurent lui faire dire qu'il venait de remettre une lettre à la maîtresse du Logis. Sur sa réponse toute simple que s'il eût remis une lettre, ces messieurs n'auraient pas manqué de s'en apercevoir, il fut entièrement dépouillé de ses vêtemens et mis dans un état ... vous devinez. Comme cette ingénieuse investigation ne conduisait à rien, on s'en prît à une selle dont l'aspect, il est vrai, aurait pu exciter des soupçons chez d'autres que" chez des gendarmes, car elle était nouvellement rembourrée. Elle fut donc coupée et mise hors de service, sous le prétexte très-plausible qu'elle recelait des papiers ; cependant, l'on se convainquit qu'elle ne cachait rien.


Ce ne fut pas une raison pour se dispenser d'examiner et de sonder l'autre selle. L'on n'y trouva rien non plus, ce qui n'empêcha pas les gendarmes de conduire le pauvre domestique devant M. le procureur du roi de Beaupréau, qui, après interrogatoire, le rendit à la liberté, ce qui ne put cependant avoir lieu sans qu'au préalable, le magistrat prit connaissance de quelques mots adressés à madame de Bagneux, par le supérieur du collège de Beaupréau, pour l'engager à renvoyer chercher son fils quelques jours plus tard.

Revue judiciaire, civile, criminelle, administrative et commerciale
N° 25 - Tome III - 1ère année - Dimanche 15 mai 1831

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