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La Maraîchine Normande
9 décembre 2014

1831 - ARLES (13) - DU VERT ET DU BLANC ...

 

Arles

 

ARLES, 22 mai 1831


Depuis quelque temps notre malheureux pays semblait rendu à la tranquillité ; le génie du mal, qui avait porté ailleurs sa fatale influence, n'a pas tardé à revenir planer sur nous.


Le changement de la température avait amené de nouveaux costumes. Nos jeunes filles avaient adopté des fichus blancs parsemés de fleurs vertes ; elles étaient loin de penser que cet ajustement pût leur attirer des insultes chez une nation qui se pique de galanterie ; elles ont bientôt appris à leurs dépens qu'il n'y a rien de commun entre la galanterie et les révolutionnaires. Plusieurs d'entre elles ont été en butte aux grossières injures d'individus dont quelques-uns portaient l'uniforme national. Ces courtois chevaliers n'avaient pas lu, et peut-être pour cause, la devise gravée sur leur drapeau et sur les boutons de leur habit.


Dimanche dernier, le 4e léger ayant quitté notre ville, le peuple souverain résolut d'exercer jusqu'au bout ses droits de souveraineté.


Depuis quelque temps la promenade du dimanche a lieu dans deux endroits séparés, et chacun porte ses pas au midi ou au nord, suivant la nuance de son opinion. Dimanche, la promenade royaliste était nombreuse et paisible comme de coutume ; tout d'un coup des bandes de patriotes arrivent, battent un jeune enfant, maltraitent cruellement un jeune homme et insultent plusieurs femmes, coupables de porter une rose blanche. De là, ils se portent dans l'intérieur de la ville et provoquent plusieurs personnes. Plusieurs gardes nationaux se faisaient remarquer parmi les perturbateurs. A dix heures du soir, le piquet de la garde nationale établi sur la place des Hommes est insulté ; ce piquet comptait plusieurs royalistes nouvellement compris dans la milice citoyenne. "Il faut, criaient les patriotes, il faut pendre tous les carlistes aux réverbères, en détruire la race ! Il faut commencer par les chasser de la garde ! Les hommes du piquet eurent la sagesse de se contenir, mais bientôt leur intervention devint indispensable. Des furieux tombèrent à coups de sabre et de bâton sur quelques citoyens paisibles ; deux d'entre eux, dont l'un rentrait chez lui et l'autre était avec plusieurs personnes sur la porte d'un café, furent sabrés ; un troisième, arraché d'un banc sur lequel il était assis, fut renversé et frappé d'une grêle de coups de bâton. Le sous-préfet, voyant le sabre levé, s'élance au secours de la victime ; il est colleté, injurié et menacé de l'arme dont il avait voulu détourner le coup.


Un de ses amis saisit l'assassin à la gorge, et de l'autre main retient le bras levé sur le sous-préfet ; ce furieux le mord à la main ; dans ce moment le piquet arrive et délivre ces messieurs des mains des frères et amis ; mais il n'y a pas d'autre moyen de sauver le citoyen, objet de leur rage, que de l'envoyer en prison, tout meurtri de coups qu'il était. Pendant toute la soirée, des menaces affreuses et des cris de mort se firent entendre dans les rues que parcouraient de nombreux rassemblemens ; deux coups de pistolet furent tirés, heureusement personne ne fut atteint. Un de nos compatriotes reçut un coup de sabre de la main d'un des siens, qui, dans l'obscurité lui fit l'honneur de le prendre pour un royaliste.


Le lendemain, une quarantaine de personnes amies de l'ordre, et que leur position sociale intéresse à sa conversation, se réunirent et envoyèrent douze d'entre eux chez le sous-préfet pour lui offrir le concours de tous les honnêtes gens du pays et de le prier prendre des mesures efficaces pour rétablir la tranquillité.


Le magistrat répondit qu'il avait été pris au dépourvu par cette émeute, la première qui eût éclaté sous son administration, mais qu'instruit par l'expérience, il allait se mettre en mesure et sacrifier son repos et sa vie, au besoin, pour la sécurité du pays. Il ajouta qu'il priait les personnes présentes et leurs mandataires d'user de leur influence pour engager leurs parens et leurs amis à ne plus porter des couleurs qui rappelaient la monarchie déchue ; il leur dit de songer qu'ils étaient vaincus et obligés à beaucoup de patience, et leur annonça qu'il allait prendre un arrêté pour interdire à la fois et la réunion des couleurs verte et blanche, et les cris "à bas les chiffoniers ! à bas les carlistes !" Le soir même, un escadron de chasseurs arriva de Tarascon, et le surlendemain l'arrêté fut publié. Les vêtemens prohibés disparurent, mais les cris de sang qu'on voulait interdire se firent entendre dans plusieurs quartiers immédiatement après la lecture de l'arrêté.


La promenade a été envahie de nouveau aujourd'hui : une bande nous régalait de la Marseillaise et de la Parisienne, changées en faux bourdon par des gens qui, par extraordinaire, avaient bien dîné ce jour-là. Le sous-préfet a voulu imposer silence, on lui a répondu que l'on continuerait et qu'on chantait les chansons ordonnées. Ainsi, il est pour ces messieurs des ordres supérieurs à ceux de l'autorité mandataire du gouvernement. Nous aimions à douter de ce fait ; aujourd'hui nous sommes forcés de le reconnaître.


M. le sous-préfet, en arrivant dans nos murs lors de sa nomination ; avait trouvé la garde nationale exclusivement composée de gens d'une seule opinion. Il comprit bientôt qu'il n'était pas possible de continuer à éluder la loi aussi formellement ; mais, craignant aussi de l'exécuter à la rigueur, il eut recours à une mesure du juste-milieu : 200 à 250 royalistes furent choisis avec soin et incorporés dans la garde. Ceux-ci, fermant les yeux sur l'illégalité d'une pareille mesure, et voulant ôter à l'autorité tout sujet de plainte, consentirent à faire partie de la milice et allèrent individuellement demander des armes. Quelques fusils furent donnés, mais nos patriotes témoignèrent que cette distribution leur déplaisait, et l'autorité la suspendit sous un prétexte frivole ; de cette manière, la plupart des nouveaux gardes nationaux ne sont armés que dans le corps-de-garde.


Un nouvel embarras ne tarda pas à survenir ; l'augmentation de la milice nécessitait la nomination de nouveaux officiers, et il fallait empêcher que ceux-ci ne fussent choisis parmi les nouveaux venus. Notre sous-préfet trouva bientôt le moyen de parer à cet inconvénient ; les royalistes furent incorporés dans deux anciennes compagnies, et, comme elles étaient alors trop nombreuses, on les dédoubla et l'on eût soin de répartir les opinions de manière à ce que les libéraux fussent en majorité dans les compagnies nouvelles qui seules avaient des officiers à élire. Les élections furent en effet telles qu'on pouvait les désirer ; cependant deux nominations ne satisfirent pas pleinement les amis de l'ordre légal, et le sous-préfet sembla partager leur répugnance, quoiqu'il eût d'abord engagé les deux élus à accepter.


Dans le but de se débarrasser des deux officiers qui leur déplaisaient, les autres ont tous donné leur démission. Aujourd'hui on a procédé à une élection nouvelle ; jusqu'à présent elle n'a produit que des officiers très-prononcés pour le mouvement ; la chose est facile à expliquer, les royalistes admis dans la garde n'ont pas reçu de billets de convocation.


Deux personnes d'opinions fort opposées ont reçu hier des lettres anonymes pleines d'horribles menaces ; elles ont dénoncé ce fait à l'autorité.

Revue judiciaire, civile, criminelle, administrative et commerciale
N° 45 - Tome III - 1ère année - Jeudi 2 juin 1831

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