MONTPELLIER (34) - 1831 - AGITATION AU MARCHÉ, ON PARLAIT DE BLANC ET DE VERT ...
La semaine dernière, la police a été mise en émoi à Montpellier. Il y avait une grande agitation au marché ; on parlait de blanc et de vert, on murmurait même tous bas le nom d'Henri V. La petite satisfaction qui se peignait sur certaines physionomies suspectes augmentait les craintes et les alarmes de l'autorité. Les couleurs proscrites auraient-elles été arborées ? Quelque proclamation séditieuse aurait-elle été distribuée au peuple ? ...
Voilà les diverses questions que s'adressait la police, lorsque tout-à-coup une "mouche" entendit une femme de la halle s'écrier : J'en ai vu une feuille dans le panier de Mme N ... Une feuille, se dit à lui-même l'agent, c'est décidément un écrit incendiaire : vite, madame, ouvrez votre panier, voyons, que portez-vous là ? Rien, répond celle-ci, étonnée d'une pareille question. Comment, rien ! n'avez-vous pas une feuille ? ... Je vous demande bien pardon, monsieur, mais c'est une feuille de chou ; et au même instant elle l'exhiba à l'agent mystifié, qui n'en fit pas moins son rapport à la mairie.
Or, voici la cause de cette grande agitation : un jardinier avait un chou d'une forme et d'une espèce toute particulière ; les feuilles étaient d'une blancheur éblouissante et bordées d'un petit liseré vert ; elles étaient en outre surmontées de trois jolies aigrettes de ces deux couleurs mélangées ; en un mot, c'était un chou sans pareil. A peine fut-il apporté au marché et mis en vente, que chacun voulut l'acheter à cause de sa forme et surtout de sa couleur.
Il serait sans doute devenu la propriété d'un riche aristocrate, lorsque, sur la demande générale, il fut divisé en feuilles, et chaque feuille vendue aux enchères. Ce chou produisit une somme très-considérable, et cet encan improvisé excita la surveillance et l'activité de la police ; tout le monde voulait avoir une feuille blanche et verte, à quelque prix que ce fût, et cette capricieuse fantaisie ne manqua pas d'alarmer l'autorité.
Aussi, pour qu'une pareille scène ne se renouvelât plus, on fit une visite domiciliaire d'une nouvelle espèce chez le jardinier, pour s'assurer s'il n'avait pas un moyen diabolique pour faire produire à son jardin de pareils choux.
(Mélanges Occitaniques)
Revue judiciaire, civile, criminelle, administrative et commerciale
N° 22 - Tome III - 1ère année - Jeudi 12 mai 1831