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La Maraîchine Normande
22 novembre 2014

JEAN-FRANCOIS-MATHURIN LE DEIST DE BOTIDOUX - DÉPUTÉ BRETON - SECRÉTAIRE DU COMITÉ ROYALISTE DU MORBIHAN

JEAN-FRANCOIS-MATHURIN LE DEIST DE BOTIDOUX
Négociant à Uzel
Député suppléant de la sénéchaussée de Ploërmel
(Beauregard, en St-Hervé, 31 août 1762 - St-Brieuc, 19 novembre 1823)

La famille Le Deist, dont les diverses branches portaient à la fin du siècle dernier, les titres de Kérivalan, de Botidoux, de Quénécunan, de l'Hôtellerie, de la Neuville, etc., s'était enrichie dans le commerce de toiles à Uzel et à Quintin, puis elle s'était élevée jusqu'aux charges qui procurent l'anoblissement. Nicolas Le Deist de Kerivalan, dont les poésies légères inondèrent l'Almanach des Muses, l'Esprit des Journaux, la Muse Bretonne et une foule d'autres recueils, fut reçu conseiller-maître à la Chambre des comptes de Bretagne le 28 mars 1770 ; et son cousin Guillaume-François, père du futur député, fut secrétaire du roi, contrôleur de la chancellerie près le Parlement en 1759 et l'un des dix associés de l'évêché de Saint-Brieuc pour la Société d'agriculture, du commerce et des arts de Bretagne.


Ce Guillaume-François habitait le château de Beauregard, situé en la trève de Saint-Hervé, qui dépendait jadis de la paroisse de Loudéac, de la subdélégation de Josselin et de la sénéchaussée de Ploërmel, et qui forme aujourd'hui une commune séparée du canton de Loudéac. Sa fortune était considérable pour l'époque, car elle se chiffrait par plusieurs millions, lorsqu'il mourut en 1782, laissant de Suzanne Martin, originaire de Moncontour, six enfants : deux fils qui furent négociants en toile comme lui et quatre filles, dont l'une, Jeanne-Louise-Olive, épousa bientôt le conseiller au Parlement Jean-Marie-Joseph du Bouëtiez de Kerorguen : deux de ses autres soeurs devinrent la contesse de Coataudon et la comtesse Desnanots. Cette dernière, qui était l'aînée, s'appelait avant la Révolution Mademoiselle De la Ville au Grand.

 

Le Deist de Botidoux


Jean-François, l'aîné de ces six enfants, naquit au château de Beauregard en 1762 [le 31 août à Saint-Hervé], ainsi que le constate son acte de décès, le 21 novembre 1823, qui le dit âgé de 61 ans. Il était par conséquent plus jeune que ne l'ont supposé jusqu'ici la plupart des recueils biographiques qui le font naître généralement vers 1750. M. Habasque a voulu préciser, mais à faux, en donnant la date de 1758 ; et si j'insiste sur celle de 1762, donnée par S. Lieutaud, la seule exacte, c'est qu'elle fait de Botidoux le plus jeune élu de toute la députation bretonne : il n'avait, en effet, que 27 ans en 1789.

acte de naissance de JF Le Deist de Botinoux


Je ne trouve aucun document particulier sur lui avant son élection, et je constate seulement qu'il figure sur certaines listes avec le titre d'anobli de la Saint-Martin, ce qui indique une situation nobiliaire toute récente. Élu député suppléant de la sénéchaussée de Ploërmel aux États-Généraux, il partit pour Versailles avec les titulaires et ne tarda pas à prendre effectivement possession d'un siège, lorsque Robin de Morhéry eut donné sa démission.


Comme sa conduite politique future, ses votes à l'Assemblée nationale ne présentent aucun esprit de suite. Botidoux, plus que personne, fut l'homme des opinions successives et même contradictoires. Avec la plus complète désinvolture, il passait brusquement de la droite à la gauche et de la gauche extrême à la droite : aujourd'hui, se distinguant parmi les vainqueurs de la Bastille, demain injuriant le ministre Necker, ensuite accusant Lafayette, puis refusant de protester contre le dix août, ... etc ..., il va servir la Montagne à l'armée des Alpes, rejoint l'armée fédéraliste à Caen, trahit les Girondins dans leur fuite et devient agent royaliste dans le Morbihan pendant la Terreur : mais toutes ces tergiversations faillirent lui coûter cher, car les Chouans, doutant de sa sincérité, lui eussent fait un jour un fort mauvais parti, s'il n'avait eu à son service une force herculéenne et une agilité de corps aussi merveilleuse que son agilité à changer de drapeau politique. Suivons-le de plus près dans cette carrière bizarre et singulièrement agitée.


Le 25 juin 1790, l'abbé Maury était à la tribune et, pour apporter un argument décisif contre la vente totale et immédiate des biens nationaux, il disait qu'une importante réserve était nécessaire, attendu que le comité de liquidation n'avait pas encore instruit l'Assemblée du montant de la dette publique et que plusieurs membres de ce comité lui avaient assuré qu'elle devait s'élever au chiffre énorme de sept milliards. La gauche s'écria aussitôt à l'imposture et demanda que le comité fût entendu : "Je vous somme, M. le président, s'écria Botidoux, de mettre cette motion aux voix !". Il faisait donc alors cause commune avec la gauche. Et cependant, le 17 août, il traitait d'insolences ministérielles les observations présentées par Necker au sujet des réformes financières : et le 18 décembre, il s'élevait avec force contre le projet de loi proposé pour forcer les émigrés à rentrer en France et à prêter le serment civique, sous peine de confiscation de leurs biens. Il est, en effet, rationnel et juste, disait-il, que chacun puisse librement quitter son pays et transporter sa propriété où bon lui semble. Cela ne l'empêcha point d'appuyer fortement la création des assignats dont la valeur reposait en partie sur celle des propriétés saisies sur les émigrés et déclarées nationales.

 

assemblée constituante


Il est donc assez difficile de définir l'attitude de Botidoux à l'Assemblée constituante. C'était un indépendant dont le caractère original et brusque ne pouvait se plier à aucune discipline. Son portrait gravé à cette époque par Texier, pour la collection Dejabin, donne assez bien, du reste, l'idée d'un homme plein de lui-même, emporté et ne souffrant pas la contradiction. On dirait d'une figure à la Daumier, taillée à coups de hache : une vraie tête de tribun.


Après la clôture de la session, il prit du service militaire, et alla rejoindre, sur la frontière du Nord, l'armée de Lafayette, en qualité de capitaine au 34e régiment d'infanterie. On sait que cette armée comptait un grand nombre de patriotes dont la principale occupation était de rechercher des motifs de dénonciations pour soutenir les accusations auxquelles leur général était constamment en butte à l'Assemblée législative. Botidoux est vivement soupçonné d'avoir entretenu des correspondances régulières avec les ennemis de Lafayette, et de les avoir informés de tout ce qui se passait à l'état-major. Après le 20 juin, il refusa de signer les adresses par lesquelles l'armée exprimait à l'Assemblée législative son mécontentement et ses protestations contre les évènements qui venaient de se passer à Paris. Les désagréments que ce refus lui occasionna de la part de ses compagnons d'armes, lui firent aussitôt donner sa démission, et il vint, peu après le 10 août, dénoncer à la barre de l'Assemblée, M. de Latour-Maubourg, ami du général de Lafayette, comme le principal auteur des vexations qu'il avait éprouvées. Cette dénonciation flattait trop les passions du moment pour ne pas être accueillie avec transport : Botidoux fut admis aux honneurs de la séance, et par un décret spécial rétabli dans son grade, le 22 août.

 

MARAT

Malgré ces beaux exploits, Botidoux n'inspirait qu'une médiocre confiance à l'Ami du peuple. J'en ai pour preuve un grand placard de Marat aux amis de la patrie, daté du 30 août 1792 et destiné à signaler aux électeurs un choix de représentants pour la Convention nationale. Marat y donne d'abord la liste des sujets déméritants, parmi lesquels je remarque :
Barrère, homme nul,
Boutidoux (sic), sableur de champagne ;
Garat, le jeune, royaliste masqué,
L'abbé Siéyès, anti-révolutionnaire, etc.
Puis vient la liste des hommes qui ont le mieux mérité de la patrie : Robespierre, Danton, Tallien, Billaud-Varenne, Fréron, Desmoulins : et Marat termine en se recommandant lui-même : "Mes amis, je finirai par vous rappeler l'Ami du peuple : vous connaissez ce qu'il a fait pour la patrie, peut-être ignorez-vous ce qu'il fera encore pour votre bonheur ; la gloire d'être le premier martyr de la liberté lui suffit, tant pis pour vous si vous l'oubliez." (Ce placard rarissime a été reproduit dans le livre de M. Chévremont sur Marat.)


Ce fut sans doute pour répondre à ce placard que l'ex-constituant publia en septembre une plaquette simplement intitulée : A Marat : mais je n'ai pu la retrouver et je mécontente d'en relever le titre dans les recueils bibliographiques sur la Révolution. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'au mois de décembre 1792, Botidoux, (Louvet lui-même nous l'apprend dans ses mémoires) présidait "ce club des Marseillais qui eût sauvé les Parisiens, si les Parisiens eussent voulu l'entendre." Puis il se fait nommer commissaire-ordonnateur en chef à l'armée des Alpes, où il sert les intérêts des partis avancés de la Convention, et dénonce le régiment des hussards de la Liberté, comme une réunion d'ennemis de la République.


Arrivent les journées des 31 mai et 2 juin 1793, qui furent pour la Gironde des journées de mort et de proscription. Botidoux qui entretenait ouvertement des relations avec les Girondins, devint aussitôt suspect à la Montagne, fut destitué, et vint à Caen prendre le commandement de l'un des bataillons de l'armée fédéraliste. Les généraux Winpffen et de Puisaye en étaient les principaux chefs. Il est fort probable que la conversion royaliste de Botidoux date de ce séjour à Caen et que c'est là qu'il réussit à capter la confiance de Puisaye qui le nomma peu après secrétaire du comité royaliste du Morbihan.


Ici se place un incident peu connu et dont il importe de mettre sous les yeux du lecteur les documents contraires. L'armée fédéraliste ayant été battue à Vernon, les Girondins dirigèrent leur fuite sur la Bretagne, guidés d'abord par Botidoux qui les accompagna jusque près de Fougères et alla les attendre à Rennes où il leur avait donné rendez-vous : mais ne les voyant pas arriver dans cette ville, et apprenant qu'ils avaient changé de route, il alla les rejoindre à Moncontour et leur fit donner l'hospitalité chez un de ses parents près de la forêt de Lorges, d'où les fugitifs gagnèrent le Finistère en passant par Rostrenen. Or, Louvet qui faisait partie de cette troupe de proscrits, en a minutieusement raconté l'exode, et il accuse formellement l'ex-constituant B*** dont il ne complète pas le nom, de les avoir trahis, d'avoir voulu les attirer à Rennes pour les y mieux perdre, puis d'avoir organisé le guet-apens de Rostrenen, auquel ils n'échappèrent que par leur courage et leur énergie.


Le portrait que trace Louvet du citoyen B***, est tellement ressemblant qu'il ne peut laisser aucun doute dans notre esprit : c'est bien de Botidoux qu'il parle. M. du Châtellier n'a pas voulu le nommer davantage, dans son Histoire de la Révolution en Bretagne ; mais il charge encore le récit de Louvet, et il ajoute en note : "Hélas oui ! ces démonstrations d'amitié étaient déplacées, car elles étaient mensongères, comme nous l'a prouvé une lettre de ce misérable, à l'adresse de la commission extraordinaire de Landerneau, qu'il éclairait sur la marche des Girondins, en s'appuyant sur ce que son ancienne liaison avec quelques-uns des réfugiés ne leur permettait pas de suspecter. Et cet homme avait été député à la Constituante !"


Voilà l'acte d'accusation. Il paraît bien formel : écoutons maintenant la défense. Le point essentiel serait de retrouver la lettre de dénonciation à la commission extraordinaire de Landerneau dont la formation fut décrétée, le 17 juillet pour remplacer l'administration départementale du Finistère, mise en état d'arrestation, et qui entra en fonctions le 30 juillet. M. du Châtellier en avait vu sans doute autrefois, soit l'original, soit la copie, mais je lui en ai demandé vainement communication : "J'ai sans doute cette pièce, m'écrivait-il en 1883, mais depuis cinquante ans où a-t-elle passé ? je ne la retrouve plus". Et il est mort emportant son secret dans la tombe. Mais nous avons une apologie de Botidoux écrite par lui-même pour réfuter le passage des Mémoires de Louvet dans lequel il s'était parfaitement reconnu. Cette réponse, qui fait partie de la riche collection d'autographes révolutionnaires de M. Gustave Bord n'est pas signée ; mais l'auteur y parle à la première personne et l'on ne peut hésiter à y reconnaître Botidoux lui-même. Pour la bien apprécier, il conviendrait peut-être, comme M. Bord l'a fait dans la Revue de la Révolution de la publier en double colonne avec les Mémoires de Louvet en regard : mais ces Mémoires sont dans toutes les mains : je me contenterai donc de la seule apologie :


"J'arrive à Moncontour, j'étais encore en voiture. Quel est mon étonnement ! Il était onze heures du matin ; c'est à cette heure, un jour de marché, que les députés fugitifs traversent la ville. Je vole vers eux, je leur reproche leur peu de précautions : mais leurs guides ne savaient pas les chemins : au lieu de tourner Moncontour, ce qui était facile, ils les avaient conduits au milieu de la ville.
Plusieurs des voyageurs avaient besoin : ils me demandent du pain. Cussy désire que j'y ajoute un peu d'eau-de-vie. J'indique à mes amis un lieu où ils pourront m'attendre, à quelques portées de fusil de Moncontour, je rejoins ma voiture que je fais conduire chez un de mes parents, j'y demande du pain, une bouteille d'eau-de-vie. On m'interroge sur les volontaires qui viennent de passer ; je ne réponds pas. Un de mes beaux-frères observe que presque tous l'ont salué, qu'il croit bien que ce ne sont pas des gardes nationaux, qu'il croit même avoir reconnu Pétion.
Cependant je rejoins les députés avec mon beau-frère au lieu que je leur avais indiqué. Je m'explique avec quelqu'un d'eux sur la mission qu'ils m'avaient donnée, sur le tort qu'ils avaient eu de ne pas tenir à leur première pensée, sur les dangers de marcher ainsi en grand nombre sous la conduite d'hommes qui ne connaissaient pas les chemins et qui voulant de nouveau leur faire traverser les villes au lieu de les tourner, les exposaient, eux reconnus comme ils venaient de l'être à Moncontour, aux plus grands dangers. Je proposai à tous de me suivre chez un de mes oncles, et là, je leur promis des guides sûrs pour se rendre à Carhaix, où leurs conducteurs actuels assuraient qu'ils n'avaient plus rien à craindre de leur méprise.
Cette proposition fut acceptée, nous étions dans la forêt de Lorges, à une petite lieue de l'habitation de mon oncle, lorsque je proposai aux voyageurs d'y rester afin de me donner le temps de préparer leur arrivée. Je demandai à Le Sage, d'Eure-et-Loir, de me suivre, de se donner, en entrant, pour un négociant de Normandie adressé à mon oncle. Ces précautions pour Le Sage et pour ses collègues étaient également nécessaires : mon oncle est un cultivateur dont la maison est remplie de domestiques et d'ouvriers, je ne voulais pas les mettre dans le secret, et on va voir si j'eus lieu de m'en applaudir.
Ce jour, mon oncle avait réuni les jeunes citoyens du canton qui avaient marché contre les rebelles de la Vendée, et leur donnait une petite fête. La maison était remplie, et parmi les convives étaient la soeur d'un administrateur du district de Loudéac.
Je parlai à ma famille en particulier. - Louvet ! pourquoy d'injustes soupçons récompensent-ils si mal l'intérêt que ma famille me témoigna pour vous tous. Votre sort lui fit verser des larmes, on me remercia de vous avoir guidé vers elle, on s'empressa de vous envoyer des comestibles, des rafraîchissements ... Vous donner des guides sûrs pour arriver jusqu'à elle, vous préparer des lits, non particulièrement pour chacun de vous, j'en conviens, et cela était impossible, mais au moins assez commodes pour vous délasser de vos fatigues, tout cela fut la pensée du même moment.
Entourés de tant d'étrangers, nous avions besoin de précautions nouvelles, car les députés voulaient-ils continuer leur route, il était nécessaire qu'on ne connût pas celle qu'ils avaient tenue jusqu'alors : voulaient-ils rester chez mon oncle, ou dans les environs où j'étais certain de les y placer, le secret de leur arrivée devenait plus important encore. En leur envoyant des rafraîchissements je leur demandai donc de ne se mettre en marche qu'à la nuit.
Ils le firent et Louvet ne craint pas de dire que le nouveau guide essaya de les conduire par une petite ville où l'on battait la générale, qu'ils s'arrêtèrent à ce bruit, qu'on leur dit que c'était la retraite, qu'ils distinguèrent bien la générale, que leurs anciens guides reconnurent que le chemin qu'on avait choisi n'était pas celui qu'on aurait dû prendre.
Que d'injures dans ces mots ! Ainsi sous les dehors de l'intérêt et de l'amitié, j'avais donc le projet de faire arrêter Louvet et ses amis ! et c'était à ma porte, que dis-je, au sein de ma famille que je devais consommer cette atrocité !
Louvet ! si, votre ouvrage à la main, vous étiez conduit sur le chemin qu'on vous a fait tenir, vous le reconnaîtriez, et vous effaceriez avec honte ces lignes tracées par l'injuste méfiance, par d'injurieux soupçons ; vous reconnaîtriez qu'on vous aloignait d'Uzel, que vous n'y deviez pas passer."


En 1794, nous retrouvons Botidoux installé à Locminé comme secrétaire du comité général de l'insurrection royaliste pour le Morbihan : et partageant le commandement de la Chouannerie de cette région avec Boulainvilliers et Guillemot.

guillemot

A la fin de cette année, il entra en négociations avec le général Hoche pour obtenir de bonnes conditions d'un traité de paix et il souscrivit d'abord aux propositions d'amnistie. "L'amnistie du 2 décembre 1794, dit Guillemot, ne fut d'abord acceptée, dans le Morbihan, que par Botidoux, que M. le comte de Puisaye avait nommé secrétaire du Conseil. Mais les démarches de cet homme pour la faire accepter aux principaux chefs, inquiétèrent les officiers des Côtes-du-Nord, de sorte que M. de Boishardy crut devoir convoquer le conseil général".

Muni des pleins pouvoirs de Hoche, Botidoux alla dans les Côtes-du-Nord pour disposer les généraux royalistes à la paix et leur promettre la vie sauve ; mais il n'entendait pas qu'on pût traiter sans lui, et ayant appris que Boishardy venait de conclure un armistice avec le général Humbert, il écrivait au conventionnel lorientais Brüe, en mission à Vannes pour la paix, cette curieuse missive qui découvre un génie merveilleusement disposé pour l'intrigue :


"En vain ai-je parcouru les campagnes où j'avais le plus de connaissances ; en vain ai-je invité à des conférences les prêtres qui me les avaient fait demander ; en vain ai-je parlé à des parents de déserteurs ; je n'ai trouvé partout qu'une méfiance calculée ou plutôt une espèce d'arrogance. On leur a fait conclure de cette espèce de suspension (l'armistice de Boishardy) que nos succès sur la frontière étaient imaginaires ; que les forces disponibles de la République disponibles contre eux étaient nulles ; que si les premières propositions étaient accueillies avec tant d'empressement, ce devait être pour eux un motif à de plus fortes demandes ; et qu'enfin la condescendance que l'on témoignait à Boishardy et compagnie était une preuve matérielle de leurs forces qui, d'ailleurs, seraient incessamment jointes par celles qu'allait fournir l'Angleterre ... Si j'en juge d'après les évènements, voici quel a été le calcul de Boishardy en déférant aux propositions de Humbert : - d'abord s'est-il dit, le fait seul de traiter avec un général d'égal à égal me donnera une consistance dont il me sera facile de tirer parti. Je répondrai que c'est la connaissance qu'il avait de nos forces qui l'a forcé de me rechercher. Cependant le temps donné pour profiter de l'amnistie s'écoulera : plus de grâce pour vous, dirai-je à ma bande que j'aurai eu soin d'entretenir et de faire entretenir de mes efforts pour leur obtenir des conditions favorables : plus de grâce, dirai-je aux réfractaires ; et durant les délais convenus je n'en ferai pas moins désarmer les paroisses, j'en intimiderai les municipalités : et mettant de plus en plus la bonhomie d'Humbert à profit, j'enverrai avec lui vers Nantes un soi-disant plénipotentiaire, sous le prétexte d'assister aux conférences avec Charette, et je trouverai dans cette démarche d'apparente bonne volonté, le moyen de lier avec la Vendée une correspondance que je n'y ai jamais eue, quoique j'aie toujours prétendu l'avoir ..."


Il est certain qu'on peut tout attendre et tout croire de celui qui a écrit une pareille lettre. Sans insister davantage, je constate que son nom se trouve au bas du traité de la Mabilais, signé près de Rennes, le 30 germinal an III (20 avril 1795), à côté de ceux de Cormatin, Boishardy, de Silz, Solihac et autres chefs royalistes.


Profitant de l'amnistie, Botidoux se retira alors au château de Beauregard, espérant y vivre désormais tranquille, au milieu de ses livres et dans la compagnie d'Horace, César et Cicéron qu'il n'aurait jamais dû quitter : c'est, en effet, de cette année, que date la première édition de sa traduction des Satires d'Horace en vers français. Mais ses anciens compagnons d'armes de la Chouannerie ne lui avaient point pardonné ce qu'ils appelaient sa défection et ils résolurent de s'en venger.


Un soir qu'il rentrait à Beauregard vers dix heures, après avoir soupé chez l'un de ses amis, six hommes armés l'enveloppèrent et le forcèrent à sortir d'une avenue, sous prétexte de le conduire à une entrevue avec les chefs royalistes voisins. Comme il avait la vue basse, on lui avait permis de briser, pour s'en faire un appui, un roulon de barrière. Botidoux qui se doutait bien qu'on voulait lui faire un mauvais parti, profite du passage étroit sur le pont de Saint-Thélo, brandit tout à coup son bâton, se précipite sur ses gardes à l'improviste, les culbute, les disperse et se sauve. On n'osa pas recommencer l'attaque, mais Botidoux jugea prudent de ne pas prolonger indéfiniment son séjour à Beauregard, et comme on installait l'Ecole centrale du département des Côtes-du-Nord à Saint-Brieuc, en vendémiaire, an V, il s'y fit nommer professeur au concours : mais l'inauguration, par suite de lenteurs administratives, n'eut lieu qu'en prairial an VII, c'est-à-dire en mars 1799.


Deux de ses anciens collègues à la Constituante habitaient alors Saint-Brieuc : Poullain de Corbion, agent national près le directoire du département et Gabriel de Neuville, simple juge de paix. Poullain devait bientôt périr pendant l'attaque de Saint-Brieuc par les Chouans : mais le 18 brumaire amena d'autres anciens constituants à Saint-Brieuc : Boullé comme préfet ; Baudoun de Maisonblanche comme conseiller de préfecture ; Couppé comme président du tribunal criminel ..., car Bonaparte réservait systématiquement, du moins en Bretagne, les principales faveurs administratives du nouveau régime aux anciens députés de 1789. Botidoux pouvait donc y prétendre, comme ses anciens collègues : mais son caractère indépendant ne lui permit pas de faire une soumission suffisante et il resta à l'écart. L'Ecole centrale fut dissoute en messidor an XI (1803) ; et Botidoux ne fut appelé à aucune fonction pendant toute la durée de l'Empire.


Il se consola dans la culture des lettres, fit paraître en 1804 une nouvelle édition de sa traduction en vers français des Satires d'Horace ; en 1809, les Commentaires de César avec des notes critiques et littéraires qui donnent une valeur réelle à son édition ; en 1812, des fragments de l'Art poétique d'Horace traduits en vers, comme les Satires ; les Lettres de Ciceron à Brutus et à Quintus et des conciones ou discours choisis de Salluste.


C'était, on le voit, un travailleur sérieux, alors dans toute la force et la maturité de son esprit, puisqu'il n'avait encore que cinquante ans en 1812. Mais ces travaux littéraires ne l'empêchaient pas de continuer à s'occuper du commerce des toiles, car l'acte de 1805 par lequel il achète, avec son frère, le château de Beauregard à leur soeur la comtesse Desnanots, le qualifie négociant à Uzel ; et le même titre lui est donné sur la liste du collège électoral de Loudéac en 1808 et sur celle des six cents plus forts contribuables du département des Côtes-du-Nord en 1813.

 

Saint-Brieuc


Entre-temps, il faisait des séjours d'affaires ou de plaisir à Saint-Brieuc, et il y charmait la société de ce temps, par ses bons mots, par son esprit original et par des vers la plupart du temps improvisés. On en a retenu ; et je citerai ici, comme caractéristiques, deux quatrains qui montrent bien le tour de son esprit, parfois naturaliste et gaulois. Voyant revenir de l'armée un vieux brave avec la croix sur la poitrine, il lui faisait dire, par exemple :


Par la poudre à canon, fumé comme une andouille,
Ayant souvent pour lit celui de la citrouille,
Et mangeant du cheval bien plus que du mouton,
J'ai gagné cette croix qui pend à mon bouton.


A Mademoiselle de Saint-Pern, une des plus charmantes beautés des salons briochins de cette époque, morte centenaire, il y a quelques vingt ans, il dédiait sur un autre ton, ces jolis vers :


De la fine plaisanterie
Parfois j'aime à lancer les traits :
Mais je n'en suis pas moins chérie,
Chatouillant, ne blessant jamais.


Autrefois, disait l'aimable centenaire, en rappelant ce quatrain flatteur à M. de la Villerabel qui a bien voulu nous le communiquer, "autrefois nous savions nous amuser avec notre esprit français : aujourd'hui, pauvres amis, vous dépensez beaucoup d'argent pour vous ennuyer."


La Restauration récompensa Botidoux des services qu'il avait rendus aux royalistes en le nommant Messager de la Chambre des Pairs. Dans ce poste, il occupa ses loisirs en écrivant, sous la dictée du maréchal Kellermann, (c'est lui-même qui le dit dans sa préface) une Esquisse de la carrière militaire de F. Chr. Kellermann, duc de Valmy, pair et maréchal de France, ouvrage qui n'a d'autre valeur que celle d'un panégyrique, et en publiant une étude qu'il avait préparée pour justifier son admission dans l'Académie celtique. Elle est intitulée : Des Celtes antérieurement aux temps historiques et renferme des rapprochements curieux et de savantes observations.

 

Le Deist de Botidoux


Botidoux revint à Saint-Brieuc vers 1820, fort malade et souffrant, en particulier, de violents maux d'oreilles. Il prit un logement à l'hôpital où il vécut avec une pension du gouvernement, et où il mourut, n'ayant pas quitté le célibat, le 19 novembre 1823, à soixante-et-un ans, avec la réputation d'un aimable épicurien et d'un esprit indépendant et original.

acte de décès JF Le Deist de Botidoux


Il reste un point obscur dans sa carrière, celui de savoir s'il a réellement dénoncé et trahi les Girondins dans leur fuite ...

Extrait :
Recherches et notices sur les députés de la Bretagne aux États-généraux et à l'Assemblée nationale constituante de 1789 - par René Kerviler - 1885-1889

 

Aux Citoyens composant le Directoire Exécutif
Citoyens Directeurs,
Lors de l'invasion des prussiens en Hollande, j'y étais au service des insurgés ; suppléant d'abord, ensuite Membre de l'assemblée Constituante, je servis dans la garde nationale parisienne à cheval, dès sa création ;
Capitaine de Grenadiers au 34e régiment, je fis une partie de la Campagne de 1792, dans l'armée de Lafayette, dont le despotisme me força de donner ma démission ;
Commissaire des guerres nommé par Servant le 29 aoust, même année, je fus nommé ordonnateur par Beurnonville 1er février 1793, & destitué sans motifs par Bouchotte, le 16 juin suivant : Cy-joint copie de la lettre de son adjoint, Prosper Sijas, sous le n° 1.
S'il est quelque circonstance de ma carrière politique, qui ne semble pas à l'abri du reproche, il est essentiel pour moi d'en faire observer la date.
Poursuivi par Marat & Robespierre, inculpé, lors de mon séjour à l'armée des Alpes, sur des faits trop évidemment faux pour que je les attaque ici, je crus devoir céder à l'orage & me retirer dans mes foyers. A cette époque éclata le prétendu fédératisme. Je rendis à plusieurs députés proscrits les services en mon pouvoir ... ;
Je quittai le Morbihan, & revins dans mon canton, où j'errai plusieurs nuits avant de pouvoir me procurer un gîte. J'offre la preuve de tous ces faits.
Si les lois de la nature qui répugne à la destruction, si celles de l'impérieuse nécessité ne suffisent pas pour m'absoudre, peut-être croirez-vous devoir faire entrer dans la balance, ma conduite dès 1788, bien connue de Fleury des Côtes-du-Nord, & de Kevelegau ; Dupaulx vous dira que le 14 juillet 1789, je tachois d'être utile à l'hôtel de ville de Paris ; deux d'entre vous, Citoyens Directeurs, m'ont connu dans l'Assemblée Constituante ; un décret du Corps Législatif rendu à la fin d'aoust 1792, sur la motion de Merlin de Thyonville, sanctionna ma conduite au camp de Lafayette ; & la nuit du 10 aoust, j'étais premier commissaire de la Section des Quinze-Vingts.
Voilà pour les années qui précédèrent ma fuite ; & je n'ai pas non plus à rougir des vingt mois qui se sont écoulés depuis que j'ai recouvré mes droits de Citoyen. Boursault dira que je me rendis à lui sur sa simple parole, avant toute amnistie, avant sa proclamation même, qui, au surplus, m'exceptoient comme chef prétendu. Guerno, Guermeur & Brüe me confièrent presque de suite une mission dont je m'efforçai d'assurer le succès, malgré les diverses fusillades auxquelles je fus exposé lorsque, entr'autres, je quittai Guermeur à Baud, /dans le Morbihan/ De cent cinquante coups de fusil tirés sur mon escorte & sur moi, sept à huit brisèrent ma selle, & percèrent mon habit & ma valise ! Le procès-verbal doit être aux mains de Guermeur & de Brüe ...
De retour dans mon département, ma manière d'agir lors des Assemblées primaires déplut tellement aux chouans que je n'échappai aux assassins envoyés contre moi que par une espèce de miracle, après en avoir reçu sept à huit coups de sabre, & leur avoir brisé deux fusils dans les mains. Je suis depuis cette époque réfugié à Port Brieux, où je me flatte que ma conduite a été sans reproche.
J'espère que le Directoire, prenant en considération l'ensemble de mes actions pendant la révolution, & n'oubliant point à quelles circonstances se rapportent les taches que l'on pourrait y remarquer, voudra bien m'accorder une place qui me donne des moyens honnêtes de subsistances, moyens dont j'ai d'autant plus besoin que pendant que je servais la Révolution, des effets m'ont notoirement enlevé l'aisance dont je jouissais, & dont les conjonctures où je me suis trouvé soit aux armées, soit durant ma fuite, ,ne m'ont point permis de recueillir les débris.
Le Directoire jugera peut-être convenable de déclarer que mal à propos Bouchotte me destitua, sans motif légitime ; mais je ne demande point ma réintégration dans une place qui appartient bien plutôt à ceux qui ont eu le bonheur de servir constamment la république : mon ambition se borne à lui être utile dans le poste où le Directoire croira de voir ou pouvoir m'appeler.
Port Brieux, le 1er messidor an 4e de la République française une & indivisible. (19 juin 1796)

 

Signature Le Deist Botidoux

Esquisse de la carrière militaire de François-Christophe de Kellermann, Duc de Valmy : lien : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6313992g.r=Le+Deist+de+Botidoux.langFR

Conciones ou Discours choisis dans Salluste, Tite-Live, Tacite et Quinte-Curce : lien : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k64242242.r=.langFR

 

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Commentaires
M
merci en tout cas pour cet article, c'est vraiment un excellent travail sur cet homme et on peut même y voir quelques ressemblances physiques avec certain membres de ma famille ! étonnant...
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S
contente que cet article ait pu vous aider à avancer dans vos recherches. Bonne continuation.<br /> <br /> Nadine
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M
je porte ce nom de famille aujourd'hui et nous sommes assez nombreux en France, originaires de Bretagne, Nord-Pas de Calais, Ile de France et ailleurs... cet article est intéressant, surtout que j'ai longtemps cherché à retrouver l'origine de mon nom de famille ! aujourd'hui des traces apparaissent autour de St Brieuc et St Hervé et ce Botidoux revient toujours comme le plus connu
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La Maraîchine Normande
  • EN MÉMOIRE DU ROI LOUIS XVI, DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE ET DE LA FAMILLE ROYALE ; EN MÉMOIRE DES BRIGANDS ET DES CHOUANS ; EN MÉMOIRE DES HOMMES, FEMMES, VIEILLARDS, ENFANTS ASSASSINÉS, NOYÉS, GUILLOTINÉS, DÉPORTÉS ET MASSACRÉS ... PAR LA RIPOUBLIFRIC
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