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La Maraîchine Normande
8 novembre 2014

LE CHAPELET D'UN VENDÉEN

LE CHAPELET D'UN VENDÉEN

 

chapelet 3

 

 

La mort de Louis XVI avait soulevé un cri d'horreur dans la Vendée. Ceux qui jusque-là avaient hésité de prendre les armes contre les ennemis de leur foi, s'empressèrent de rejoindre les corps de volontaires qui s'étaient formés. L'élan fut immense : tous les hommes valides s'enrôlèrent pour une défense héroïque. De ce nombre fut Jacques B..., brave paysan de la Vendée militaire.


Jacques B... n'était pas un homme ordinaire. A une rare intelligence, il joignait une foi éclairée et une piété simple et sans affectation. Sa taille élevée et son grand air lui donnaient un aspect sévère et martial qui lui valut dès le premier jour un ascendant qu'il sut utiliser. Ces heureuses qualités le firent désigner comme capitaine de paroisse ; il profita de ce grade pour discipliner sa petite troupe, et il y réussit si bien qu'elle devint bientôt une compagnie d'élite.


Ponctuel dans son service, soumis à ses chefs, ses hommes l'étaient envers lui ; ils l'aimaient et le suivirent partout où il les conduisit, avec une aveugle confiance. - Aucun devoir n'était oublié ; matin et soir sa petite troupe récitait une prière en commun. En marche, elle trompait la fatigue d'une longue route par la récitation du chapelet, et quand la présence de l'ennemi ne commandait pas le silence, les hommes marquaient le pas en chantant les cantiques du P. de Montfort. Tous avaient un chapelet ; - Jacques en avait un qui lui était particulièrement cher. C'était un cadeau que sa femme lui avait fait à la dernière Mission. Il y tenait comme à la prunelle de ses yeux et jamais il ne cessa pendant la grande guerre de le porter sur lui. Il le regardait avec raison comme un porte-bonheur.


La compagnie de Jacques fut souvent citée à l'ordre du jour.


Nous ne la suivrons pas dans les nombreux engagemens où elle montra son courage ; nous arrivons de suite à la bataille rangée que l'armée catholique gagna sur Kléber au plateau de Torfou, et dans laquelle Jacques prouva ses qualités militaires.


Le 18 septembre 1793, il campait sur les bords de la Moine, tout près du bourg de la Romagne. Il était aux avant-postes ; le gros de l'armée de Bonchamps se trouvait sur l'autre rive de la Moine, vis-à-vis de Roussay. On s'attendait à un grand combat. Kléber, qui commandait les Mayençais, avait reçu l'ordre de soumettre la Vendée par le fer et par le feu ; il s'avançait du côté de Clisson et balayait devant lui toutes les forces qui essayaient de lui résister.


Le 19 septembre au matin, ce général marchait sur Torfou, appuyant son aile droite sur la Sèvre, et laissant déborder son aile gauche sur Montigné et Torfou.


Charette, qui occupait ce dernier bourg, essaya vainement d'arrêter sa marche. Attaqués avec une vigueur extrême, ses soldats hésitaient ; déjà même ils avaient reculé jusqu'aux Quatre-Chemins.


Une retraite, c'était la perte de l'armée vendéenne ; une fuite, c'était le massacre des femmes et des vieillards qui encombraient l'arrière-garde.

 

Les femmes à Torfou

 


Il y eut un instant d'angoisse dans cette foule. Le courage des femmes de Torfou changea la face des choses.
S'armant de fourches et de bâtons, elles rallièrent les soldats de Charette, et les corps de d'Elbée et de Lescure vinrent heureusement rétablir le combat.


Alors, ce fut de part et d'autre un acharnement sans exemple, une mêlée épouvantable, dont l'issue inconnue était redoutable pour les Vendéens, qui avaient devant eux les meilleurs soldats de la République.


Charette, craignant un revers si l'armée de l'Anjou ne venait promptement à son secours, venait de lui dépêcher un troisième courrier, lorsqu'une vive fusillade du côté de la Taillandais annonça l'entrée en ligne des soldats de Bonchamps.


Un instant auparavant le capitaine le capitaine Jacques B... avait reçu l'ordre de marcher en avant.
Jacques B... ne s'était pas fait répéter deux fois cet ordre.
"A genoux ! mes enfants, dit-il à ses compagnons d'armes, à genoux ! ça va chauffer, faites votre acte de contrition, et en avant !"


C'était sa compagnie qui venait de rencontrer l'aile gauche de l'armée de Kléber. Bientôt l'attaque devint générale, les Vendéens gagnèrent du terrain et obligèrent les Mayençais à reculer à leur tour.


Kléber lança ses colonnes du côté des Quatre-Chemins, afin d'empêcher la jonction des deux armées. Prises entre deux feux, elles furent décimées après une résistance héroïque, puis lâchèrent pied en entendant des milliers de voix répéter autour d'elles Rembarre ! Rembarre ! qui annonçait le succès des Vendéens.


Kléber, furieux, ne put jamais rallier ses troupes. Il dut battre en retraite à la hâte du côté de Roussay, et fut poursuivi par ces diables en sabots dont il faisait fi une heure avant.


Cette défaite coûta aux Mayençais quatre canons et quinze cents hommes.


Jacques avait fait des prodiges de valeur ; il lui avait fallu, pendant deux heures, soutenir avec sa petite compagnie le choc d'un bataillon, il n'avait pas reculé d'une semelle ; aussi, de 80 combattants, sa compagnie était-elle réduite à dix hommes valides.


Autant Jacques était terrible dans l'attaque, autant il était généreux dans la victoire. Un ennemi désarmé lui semblait sacré. Cette confiance aveugle faillit lui coûter la vie. Comme ses hommes se disposaient à fusiller des prisonniers : "Arrêtez, mes amis, leur criait-il de loin, respect aux soldats désarmés !"

A peine avait-il fini de parler qu'un prisonnier lui tirait à bout portant un coup de pistolet et le renversait par terre.

Rien ne put alors contenir leur fureur ; ils ne firent quartier à aucun des prisonniers, tous furent fusillés ou taillés à coups de sabre.


Relevé aussitôt, Jacques fut emporté dans une maison de Torfou ; il était couvert de sang et la pâleur de son visage faisait croire qu'il n'avait plus que quelques heures à vivre. Un chirurgien bleu, prisonnier amené près de lui, sonda la blessure. "Ce n'est pas grave" dit le chirurgien. DIEU merci, la balle n'avait pas pénétré bien avant dans les chairs, elle avait frappé sur les mailles du chapelet de Jacques et n'avait produit qu'une blessure par ricochet.


Jacques, à peine guéri, reprit le commandement de sa compagnie. Après avoir bravement combattu à Cholet, il passa la Loire à Saint-Florent avec les débris de l'armée vendéenne, fut témoin du sanglant massacre du Mans, et l'un des héros de la bataille de Savenay.


Ceux qui ne furent pas tués dans cette suprême lutte, qui acheva l'armée vendéenne, se dispersèrent. Les uns furent arrêtés et exécutés à Nantes par les séides de Carrier, les autres errèrent longtemps dans les bois de la Madeleine ; peu d'entre eux purent repasser la rive gauche.


Ce n'était pas facile de traverser la Loire ; des cannonières en gardaient les rives de distance en distance.


Jacques parvint cependant à tromper la surveillance. Un brave herbager lui en fournit le moyen, en lui fabriquant, avec une moitié de barrique, une nacelle, ou plutôt une vraie coque de noix.

Jacques s'y plaça un soir que la nuit était profonde ; la marée emporta ainsi notre nouveau Moïse sur la rive gauche et le poussa dans un massif de joncs, d'où il put s'arracher avant la naissance du jour.


C'est en recourant à la charité publique, en mendiant son pain, qu'après des fatigues infinies, il put retourner dans sa paroisse.


Plus il approchait de son village, plus son coeur se serrait ; il ne savait rien de ce qui s'était passé depuis la défaite du Mans. Sa femme vivait-elle encore ? Sa ferme n'avait-elle pas été brûlée ?


Il était assis tristement sur le bord d'un chemin creux, réfléchissant et ne sachant ce qu'il devait faire, lorsqu'il entendit du bruit au-dessus de sa tête.
- Qui va là ? dit une voix.
- Ami, répondit Jacques.


Un instant après, un vieux paysan à l'air vénérable était devant lui.
- Ah ! s'écria Jacques après l'avoir attentivement regardé, je vous reconnais, monsieur le curé ; il tombait dans ses bras.
- Ma femme, mes enfants ? lui dit-il, sans pouvoir ajouter autre chose.
- Rassure-toi, Jacques, lui répondit le vénérable prêtre, ils sont vivants, ils relèvent en ce moment ta maison incendiée ; viens, je vais te conduire.


Je n'ai pas besoin de vous raconter la joie des uns et des autres ; elle fut ce qu'elle devait être, tendre, expansive ; puis Jacques se jette à genoux avec sa famille, et le bon prêtre les bénit tous.


Jacques avait rapporté de la grande guerre une glorieuse blessure, le contentement du devoir accompli et le chapelet qui lui avait sauvé la vie.


Ce chapelet ne le quitta jamais. A sa mort, sa femme le mit entre ses mains, et quand l'ensevelisseur vint, elle le reprit et le conserva pieusement dans son armoire.

Plus tard, en 1815, elle le donna à son fils aîné, qui avait succédé à son père comme capitaine de paroisse.

Plus tard, encore, un petit-fils du même nom combattait pour la Papauté à Mentana, et au plateau d'Auvours. - Ses compagnons d'armes tombèrent fauchés à côté de lui sans qu'il reçût la moindre blessure : il portait le chapelet bénit de son grand-père.


Je l'ai vu, ce chapelet, une première fois à Rome, une autre fois dans la boîte où cette pieuse famille le garde comme une sainte relique et un témoignage de sa foi.

GUY
Le Dimanche
Supplément à la Semaine Religieuse du diocèse de Cambrai
8ème année - N° 40 - 3 octobre 1896

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