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La Maraîchine Normande
29 septembre 2014

NOTES SUR LE SÉJOUR DE COLLOT-D'HERBOIS ET DE BILLAUD-VARENNE A LA GUYANE

Départ Collot-d'Herbois - Guyane

 

NOTES SUR LE SÉJOUR DE COLLOT-D'HERBOIS

ET DE BILLAUD-VARENNE A LA GUYANE

 

I

"Rentré en France après le 9 thermidor, il (Jeannet) fut réintégré dans sa place peu de temps après l'installation du Directoire : les propriétaires le reçurent avec plaisir, et il justifia leur confiance en réprimant les terroristes. Les conventionnels Billaud-Varennes et Collot-d'Herbois, déportés à Cayenne, y jouissaient de leur liberté et loin d'expier leurs forfaits, ils en méditaient de nouveaux sous les auspices d'un commandant (Cointet). Le retour inattendu de Jeannet prévint l'explosion d'une conjuration tramée par les nègres et dirigée par Collot-d'Herbois pour faire massacrer à la fois tous les blancs. Une négresse vint révéler le secret qu'elle avait surpris ; Jeannet fit arrêter et conduire au fort de Sinnamari Collot-d'Herbois et son collègue Billaud-Varennes, qui, dit-on, n'étaient pas dans le complot ; mais il ne put empêcher la rébellion des nègres, qui ne fut réprimée qu'après qu'on en eut fait un grand carnage. Collot-d'Herbois étant tombé malade peu de temps après fut transporté à l'hôpital de Cayenne où il mourut. Billaud-Varennes vit encore au fort de Sinnamari." (Journal de l'adjudant-général Ramel)

 

II

"Billaud-Varennes est dans le même village que nous. M. Brottier le voit ; il est le seul ; et tout le monde en murmure. Cet homme, dont le nom rappelle tant de crimes, ne manque de rien. D'abord, il est entièrement libre, et nous ne le sommes point ; il n'est assujetti à aucune comparution et nous sommes soumis, tous les cinq jours, à une inspection de l'officier qui commande le poste. Ensuite, le Directoire lui donne les mêmes vivres qu'à nous ; mais de plus, il touche 1800 livres en numéraire par année. Ce n'est pas tout. Les gens de son parti lui font parvenir des denrées coloniales, tant de Saint-Dominique que de la Guadeloupe : vin, sucre, cacao, indigo, etc., pour plus de mille écus annuellement et souvent de l'argent. Il n'a pas le temps de désirer. De qui sais-je tout cela ? De M. Brottier ; ainsi je puis y ajouter foi, puisque la meilleure maison ici est celle où mange ce Billaud." (Journal inédit de la Villeurnoy, publié par M. Honoré Bonhomme)

 

III

"Les hommes en place à Sinnamari étaient moins réservés dans les marques de leur intérêt, que ceux de Cayenne, gênés par la présence de l'agent. Nous dînions chez eux et eux chez nous, en toute liberté ; on donna même une espèce de festin aux déportés. Vous ne comprendrez sûrement pas parmi les convives un autre déporté, fameux, qui nous a tous précédés de quelques années : c'est Billaud-Varennes, et puisque je vous l'ai nommé, autant vaut ajouter quelques circonstances relatives à cette déportation. Vous savez qu'on y condamna Collot, Billaud et Barère, à la suite d'un jugement où ils eurent du moins la faculté de se défendre. Barrère s'évada ; les deux autres apportèrent au gouverneur de la Guyane des lettres de recommandation. Celles du ministre de la marine étaient conçues d'une manière fort équivoque. On pouvait juger à son style qu'il redoutait l'instabilité de la fortune qui, ainsi que d'autres que moi l'on dit, relève souvent ceux qu'elle a renversés et rend à la vertu les faveurs qu'elle ôte au crime.

Après la mort de Collot-d'Herbois, Billaud-Varennes fut envoyé de Cayenne à Sinnamari. Il y débarqua le 27 octobre 1795. Le tonnerre, à cette époque, se fait rarement entendre ; mais il gronda et éclata sur Sinnamari au moment de son débarquement. Les colons et les Indiens virent un prodige dans un accident naturel, et prétendirent que le ciel tonnait contre un grand coupable. Cet homme parvint difficilement à trouver une pension et la maison où on le reçut fut aussitôt abandonnée par les amis qui la fréquentaient auparavant. Il la quitta quelque temps après notre arrivée et fut, dès ce moment, réduit à une profonde solitude. Il s'amusait à faire parler une perruche, qu'il portait sur le poing dans ses promenades. Un jour un oiseau de proie, appelé pagani, fondit sur elle et la dévora sous ses yeux. Cette mort fit verser des larmes à celui qui prononça tant d'affreuses exécutions, et les vit d'un oeil sec.

Vous voudrez savoir comme il se comporte ici ; sa conduite a toujours été réservée, décente, égale et sans bassesse comme sans arrogance. Je ne lui ai jamais parlé ; mais quatre fois par jour il passait devant ma case : c'était sans éviter et sans chercher ma vue ; il me saluait d'un air simple et courtois. Son isolement devait être un supplice, quand il songeait à la cause qui éloignait de lui tout le monde. Si nous eussions ignoré son histoire, nous aurions pu le prendre pour un philosophe chagrin, mécontent de la race humaine et, qui, sans la haïr, se borne à la dédaigner." (Journal d'un déporté non jugé, par Barbé-Marbois - t. I)

 

IV

"Vendémiaire an VII (octobre 1798) - La présence de prêtres arrivés en si grand nombre à Sinnamari frappa d'épouvante Billaud-Varennes. Il nous quitta, cherchant un refuge d'habitation en habitation. On lui permettait de tendre son hamac sous les galeries ; on  lui faisait donner à manger, et il n'était point reçu à la table des maîtres du logis. Ce n'est pas sans peine qu'il obtint un refuge dans le canton de Macouvia.

J'ai raconté qu'un pagani, se précipitant sur sa table, lui enleva sa perruche, et volant sur un arbre voisin, la dévora à ses yeux. Il fut vivement ému de cette perte. Il y avait donc en son coeur quelque germe de sensibilité ? Qui oserait dire qu'il ne se croyait pas doué d'une vertu sublime en immolant ceux qu'il appelait les ennemis de la liberté ? Cet homme est criminel à nos yeux comme je le suis aux siens. Entre nous deux, quel est le vrai coupable ? O conscience ! ô vertu ! non, vous n'êtes ni de  vains noms, ni des guides trompeurs. Billaud ne peut trouver d'asile, c'est parce que l'effusion du sang humain inspire une horreur générale, qu'il soit répandu par l'ambition, la vengeance, par le fanatisme religieux ou politique.

Billaud, repoussé de toutes parts, a essayé, pour se distraire, de s'occuper de jardinage, et il a dû y renoncer dès les premiers jours ..." (Journal d'un déporté, etc., t. II)

 

COLLOT D'HERBOIS - BILLAUD VARENNE

 

V

"Ces deux déportés, membres du formidable comité de salut public de 1793, arrivèrent ici en juillet 1795. Après avoir essuyé à leur bord le même traitement que nous sur la Décade, ils comptaient si bien sur un prompt rappel, qu'ils demandaient en route au capitaine si un bâtiment parti après eux pour venir les chercher, pourrait les devancer à Cayenne.

Cointet avait succédé provisoirement à Jeannet. La colonie était en combustion ; ils s'attendrirent d'abord sur le sort des nègres que le gouverneur protégeait d'un côté et punissait de l'autre. Chaque jour voyait éclore de nouvelles conspirations. Cointet ouvrit les yeux, sonda les deux déportés l'un après l'autre ; comme ils s'étaient divisés sur le bâtiment, il les avait séparés à Cayenne. Collot fut mis d'abord au collège et Billaud au fort. Celui-ci refusa de faire la cour au gouverneur ; l'autre, plus insinuant, lui communiqua quelques projets de correction fraternelle pour les noirs. Les voies de douceur n'ayant fait qu'empirer le mal, Collot proposa l'établissement des maisons de correction où les nègres rebelles ou conspirateurs reçoivent des centaines de coups de nerf de boeuf.

Il tomba malade et son collègue aussi, et ils furent mis à l'hospice. Les soeurs frissonnaient à leur aspect, comme un voyageur sans armes à la vue d'un lion ou d'un gros serpent qui passent fièrement à sa rencontre en levant leur tête écaillée ou leur crinière à demi hérissée ; les curieux les visitaient comme des bêtes fauves dans une cage de fer. Les observateurs les approchaient pour les approfondir et les juger. Un soir, Billaud vint se joindre à des colons qui faisaient l'office de gardes-malades auprès d'un habitant qui avait été très-tourmenté pendant la journée de crises très-violentes ; un léger sommeil l'ayant surpris avec la nuit, ses gardiens s'étaient retirés à l'embrasure d'une croisée voisine ; la conversation était peu animée, et Billaud, à chaque minute, allait, sur la pointe du pied, entr'ouvrir doucement les rideaux du malade, revenait sans bruit, la main sur les lèvres, en disant : Taisons-nous, il dort ! Un des colons le prend par la main, fait signe aux autres ... Tous se réunissent au bout de la salle ...

- "Citoyen Billaud, lui dit-il, comment montrez-vous tant de sensibilité pour un vieillard qui vous est inconnu, après avoir fait égorger, de sang-froid, tant de milliers de victimes parmi lesquelles vous deviez avoir quelques amis ?

- Il le fallait d'après le système établi ; si vous en connaissiez les ressorts, vous ne verriez aucune contradiction dans ma conduite.

- Ne nous parlez pas d'un système qui ne peut être cimenté que par le sang ; un gouvernement de cette sorte, le crime à part, ne pose que sur des bases ruineuses ou, pour mieux dire, sur des échasses, et vous ne pourrez disconvenir que les architectes d'un pareil édifice ne soient responsables même de son succès momentané ; à plus forte raison, de sa chute et enfin de son entreprise.

- Faites le procès à la république, si vous voulez faire le mien.

- Quelle identité, s'il vous plaît ?

- Quand la moitié de l'Etat dispute des droits à l'autre moitié, quand la guerre intestine communique ses flammèches à celle de l'extérieur, quand l'airain de toutes les nations vomit la mort sur nos têtes, quand le bronze retentit jusque dans l'enceinte des lois, quel parti faut-il prendre ?

- Il n'est plus temps de choisir en ce moment, mais il fallait prévoir ces crimes.

- Nous ne l'avons pas fait et, la rage dans le coeur, nous nous sommes battus comme des lions ; des mesures énergiques ont étouffé les séditieux de l'intérieur tandis que nous portions nos regards au dehors.

- Bien raisonné ; mais qui vous a confié cette autorité suprême ?

- Le peuple.

- Mais le peuple qui vous l'a refusée, a été emprisonné, égorgé, en proie à la guerre civile ; la majorité de vos collègues a été chassée et suppliciée par vous ; vous vous trompez donc, en mettant le peuple de votre côté ?

- S'il n'y était pas, pourquoi avons-nous été les plus forts pour décréter la république, fixer le sort de Capet et de sa famille, pour organiser le gouvernement révolutionnaire ; enfin, pour pousser nos opérations, sinon à leur fin, du moins à un terme qui empêche tout le monde de rétrograder ?

- Ce pourquoi fut votre droit tant que personne ne put vous faire rendre compte. Le pourquoi du vainqueur est la loi du plus faible. La mort de Lucrèce servit de prétexte à Brutus pour s'élever contre Tarquin. La mort d'Isménie assura le triomphe de Léonide. L'autorité des trente tyrans fut légitime à Athènes, tant qu'ils purent la maintenir. L'origine des différentes formes de gouvernement est presque toujours l'effet de la témérité, du hasard, et quelquefois de la nécessité. A Rome, une femme violée renverse le trône ; à Carthage, la guerre civile et la mauvaise foi changent le siège des suffètes en dais royal. En Egypte, un oracle mal interprété ou mal entendu donne à Psamménit seul les douze palais de ses collègues, au moment où ceux-ci allaient l'égorger. A Syracuse, l'inconstance et l'esprit remuant de la populace forcent Gélon de forger un sceptre et de porter le diadème. De nos jours, les cantons helvétiques, à la voix d'un personnage obscur, se révoltent, se coalisent, et se délivrent de l'autorité impériale ; partout le succès légitime l'entreprise. Le vainqueur ayant essuyé un revers, dit ensuite comme vous : Vous me punissez : Pourquoi ai-je été maître ? C'est que le peuple était de mon côté ; s'il n'y est plus aujourd'hui, dois-je en être victime ?

- Non ; mais quand j'ai reconquis mes droits, dit le souverain, j'examine quel usage vous avez fait de votre victoire. Le pourquoi devient un chef d'accusation quand vous avez abusé du droit de vie et de mort que vous aviez usurpé. L'arbitraire de votre conduite illégitime vos succès. De l'acte je remonte à la cause, quand l'une et l'autre sont également injustes. Vous avez volé le pouvoir au parti même qui succombe avec vous, et l'abus qui a suivi votre triomphe est une accusation générale contre vous (ici suivit le tableau de la Terreur avec des apostrophes vives et injurieuses à cet exilé). Vous avez donc visiblement abusé d'un pouvoir que vous pouviez mériter par un bon usage. Nous ne concevons rien à votre flegme ! Si vous avez puisé dans la philosophie moderne le secret d'anéantir les remords, cette philosophie est le plus grand fléau de l'univers. Mais comment concilier votre logique et votre innocence avec le trouble de votre collègue ? Peut-il être coupable d'avoir exécuté vos ordres ?"

A ces mots, Billaud, tournant fièrement la tête vers Collot qui dormait sur un lit voisin, s'écria :

- "C'est un lâche, il a fait son devoir comme moi ; j'ai voulu être républicain, et si j'étais à recommencer, je ne dis pas ce que je ferais, je n'aurais plus la folie de prodiguer la liberté à des hommes qui n'en connaissent pas le prix. Pour nos intérêts et pour le bonheur des deux mondes, je voudrais modifier à l'infini le décret du 16 pluviôse an II. Ce fatal décret, qui met la bride sur le col aux nègres, est l'oeuvre de Pitt et de Robespierre !"

La conversation reprit avec plus de chaleur sans que Billaud refusât son estime à ceux qui lui parlaient si durement.

Jeannet, retourné en France auprès du Directoire installé à la fin de 1795, fut renvoyé à Cayenne avec le titre d'agent. Son retour fut un coup de foudre pour ces deux exilés.

- "Hélas ! s'écria Collot, nous sommes perdus ; Jeannet croit que nous avons trempé dans la mort de Danton ; pour moi, j'en suis innocent."

 

Guyane

 

Cointet part ; Jeannet les consigne chez eux ; au bout de cinq jours, ils doivent quitter l'île ... Ils ne sortaient jamais sans une escorte. C'était une garde d'honneur sous Cointet qui se chargea en janissaires sous son successeur ; leurs guides leur chantaient le "Réveil du Peuple" et les jeunes gens qui les entouraient faisaient chorus.

Victor Hugues, agent de la Guadeloupe, qui devait sa promotion à ces exilés, apprit en frémissant la manière dont Jeannet se conduisait à leur égard. Une goëlette de Cayenne arrive à la Guadeloupe.

- "Il ne tient à rien que je ne vous traite en ennemi, dit Hugues au capitaine. Votre Jeannet est un royaliste que j'aurais du plaisir à faire fusiller. Il se venge sur les plus purs patriotes."

Il remit des malles, des fonds et des lettres pour ces deux exilés, avec une grande semonce à Jeannet qui ne fit qu'en rire et leur intima l'ordre de sortir de Cayenne sur-le-champ.

Leur système avait donné une si odieuse célébrité à leurs personnes, qu'au moment de leur départ, toute la ville accourut au rivage en élevant les mains au ciel avec des transports de joie.

Collot couvrait sa figure de sa longue redingote lisérée de rouge.

Billaud tranquille marchait à pas comptés, la tête haute, un perroquet sur son doigt qu'il agaçait d'une main nonchalante, se tournant par degrés vers les flots de la multitude à qui il donnait un rire sardonique, ne répondant aux malédictions dont on le couvrait que par ces mots à qui l'accent donne beaucoup d'expression dans la bouche d'un homme de son caractère :

- "Pauvre peuple ! ... Jacquot ! Jacquot ! ... Viens-nous-en, Jacquot !"

Quelques partisans les suivaient de loin, la larme à l'oeil, plaignant l'un et admirant l'autre.

Dans ce moment, Billaud avait tant d'expression dans ses traits, que, d'un même regard, il disait au peuple : Vous brisez mon idole, parce qu'on vous l'ordonne ; et à ses affidés : Ne vous découragez pas, notre parti triomphera, et ces malédictions se changeront en hommages. Il marchait à quelque distance de Collot, le fixant toujours d'un air de pitié et d'indignation.

Jeannet les relégua d'abord sur la sucrerie de Dallemand, séquestrée alors au profit de qui de droit, parce que la propriétaire était restée en France où elle avait fait un long séminaire en prison durant le régime de la Terreur. Billaud voyait son collègue avec indifférence ; ils étaient souvent en rixe au milieu de l'abondance, car le gouvernement leur donnait douze cents livres de pension, le logement et les vivres.

Malgré ces prérogatives, ils ont toujours été exécrés des blancs et des noirs, qui ont constamment refusé tout ce qu'ils leur offraient. Ils écrivaient souvent ; ils savaient toutes les nouvelles, malgré la  surveillance de Jeannet. Collot avait commencé l'histoire de la révolution. Il la suspendait souvent pour envisager son sort ...

- "Je suis puni, s'écriait-il, cet abandon est un enfer."

Il attendait son épouse ou son retour. Son impatience lui occasionna une fièvre inflammatoire. M. Fouron, chirurgien du poste de Kourou, fut mandé ; il ordonna des calmants, et d'heure en heure, une potion de vin mouillé de trois quarts d'eau ; le nègre qui le gardait pendant la nuit, s'éloigna ou s'endormit. Collot, dans le délire, dévoré de soif et de mal, se leva brusquement, et but d'un seul trait une bouteille de vin liquoreux ; son corps devint un brasier ; le chirurgien donna ordre de le porter à Cayenne, qui est éloigné de six lieues. Les nègres chargés de cette commission le jetèrent au milieu de la route, la face tournée sur un soleil brûlant. Le poste qui était sur l'habitation fut obligé d'y mettre bon ordre. Les nègres disaient :

- "Jè pas vlé poté monde-là qui tuè bon Dieu que hom." (Nous ne voulons pas porter ce bourreau de Dieu et des hommes).

- "Qu'avez-vous ? lui dit en arrivant le chirurgien Guisouf.

- J'ai la fièvre et une sueur brûlante.

- Je le crois bien, vous suez le crime."

Collot se retourna et fondit en larmes ; il appelait Dieu et la Vierge à son secours.

Un soldat à qui il avait prêché en arrivant le système des athées, s'approche et lui demande pourquoi il invoque ce Dieu et cette Vierge dont il se moquait quelques mois auparavant ?

- "Ah ! mon ami, ma bouche en imposait à mon coeur.

Puis il reprenait :

- "Mon Dieu ! mon Dieu ! puis-je encore espérer un pardon ? Envoyez-moi un consolateur, envoyez-moi quelqu'un qui détourne mes yeux du brasier qui me consume ... Mon Dieu ! donnez-moi la paix."

L'approche de ce dernier moment était si affreux qu'on fut obligé de le mettre à l'écart : pendant qu'on cherchait un prêtre, il expira le 7 juin 1796, les yeux entr'ouverts, les membres retournés en vomissant des flots de sang et d'écume. Discite justitiam moniti et non temnere divos.

Jeannet faisait une partie de billard, quand on vient lui annoncer cette mort ...

- "Qu'on l'enterre, il aura plus d'honneur qu'un chien", dit-il, sans déranger son coup de queue.

Son enterrement se fit un jour de fête. Les nègres fossoyeurs, pressés d'aller danser, l'inhumèrent à moitié ; son cadavre devint la pâture des cochons et des corbeaux.

Il avait quarante-trois ans, était d'une taille avantageuse, d'une figure commune, mais spirituelle ; il avait d'excellentes qualités du côté du coeur, beaucoup de clinquant du côté de l'esprit ; un caractère faible et irascible à l'excès, généreux sans bornes, peu attaché à la fortune, bon ami, et ennemi implacable.

La révolution a fait sa perte ; il se proposait d'expier ses torts dans l'histoire de sa vie qu'il avait commencée ; il travaillait aussi à la rédaction des annales de la révolution ; ses notes ont disparu à sa mort ; Billaud s'en est emparé suivant quelques-uns ; d'autres disent qu'ils les a brûlées.

Voici la copie de son acte de décès :

"Aujourd'hui, 20 prairial an IVe de la République française, une et indivisible, huit heures de la matinée.

Par-devant moi, Annette-Nicolas Chambrant, élu officier municipal et officier public le 12 germinal dernier, pour dresser les actes de naissances, mariages et décès des citoyens, est décédé à l'hôpital de cette ville le citoyen Collot-d'Herbois, déporté dans cette colonie, âgé de 44 ans, natif de Paris, suivant la déclaration de Germain aîné, commis préposé aux écritures ; certifiée par le citoyen Juzand, son chef d'administration ad hoc, pour l'absence du citoyen Richard, chargé de l'inspection dudit hôpital.

Pourquoi j'ai dressé le présent, fait en la maison commune de Cayenne, département de la Guyane française, en Amérique, les jour, mois et an que dessus.

Signé : CHAMBRANT, Officier public".

(Extrait : Curiosités révolutionnaires - par Alfred Bégis - 1893)

 

Sinnamary

 

Pendant la maladie de Collot, Billaud fut envoyé à Sinnamari, à vingt-quatre lieues au nord-est de Cayenne. Tous les Sinnamaritains se donnèrent le mot pour le traiter comme une bête fauve. Bosquet seul, pour lui donner asile, brava l'animadversion publique ; sa maison fut redoutée comme celle d'un lépreux ; peu après, Billaud loua une case avec les deniers de l'Etat, travailla sans relâche à l'histoire de la révolution et se consola de sa solitude par une correspondance active avec Hugues.

En 1796 et 1798, au moment où nous arrivions, ses amis publièrent secrètement, pour relever son crédit, qu'il était rappelé au Corps législatif. Quelques jeunes gens, indignés d'un pareil choix, l'attendirent un jour à l'écart, au milieu du bois qui conduit au bord de la mer, au moment où il passait d'un air triomphant. Il fut interdit par ces mots : Arrête, scélérat ! Il se jeta à genoux, demanda très-humblement la vie à quatre chasseurs qui le mettaient en joue avec une carabine qui n'avait pas de chien. Il regagna le village à pas de géant. De ce moment il ne sortit plus de sa case que pour prendre son dîner, et se barricada avec soin.

A la fin de 1797, les seize déportés de la Vaillante le rejoignirent. Il était sur la galère de la case de Bosquet, quand ils traversèrent la rue ; il en salua quelques-uns, qui lui rendirent son salut sans le reconnaître. Pichegru le fit rentrer par une apostrophe énergique. Les seize se logèrent comme ils purent.

Au bout d'un mois, l'un d'eux (l'abbé Brottier) se trouva chez Bosquet au moment du dîner de Billaud. Il s'ouvrit, Brottier en fit autant, et Billaud retrouva un antagoniste plutôt qu'un compagnon ; les autres n'ont eu avec lui aucune relation ni directe ni indirecte.

A la mort de Brottier, le 12 septembre 1798, il rentra dans sa case. A la fin de novembre de la même année, lorsque les déportés de Konanama furent transférés à Sinnamari, il obtint la permission d'aller à Cayenne. L'agent Burnel, qui ne faisait alors que d'arriver, le garda trois jours caché chez lui, pour prendre secrètement des conseils, et ne pas s'aliéner l'esprit des habitants. Il lui loua l'habitation de Lambert au mont Sinery, où toute la suite de l'agent se rendait souvent en grande pompe.

L'arrivée de Hugues en 1800 a mis Billaud sur le pinacle. Ce dernier agent a commencé par lui faire visite, lui donner tous les moyens de venir à Cayenne, lui allouer dans l'île l'habitation d'Orvilliers, afin de le voir à son aise.

Quoique nous soyons déportés pour des causes différentes, et que nous fassions deux corps, je dois dire que Billaud n'a jamais profité de son crédit auprès de Burnel et de Hugues pour influencer en rien notre existence ; qu'il soit innocent, qu'il soit coupable, il a droit à la vérité."

(Voyage à Cayenne, dans les deux Amériques et chez les anthropophages, etc. par Louis-Ange Pitou, etc., Paris, an XIII - 1805, 2 vol. in-8°, t. II, p. 5 à 19).

 

Guyane Cases

 

Ceux qu'intéresserait la suite de la vie et la fin de Billaud-Varennes mort seulement, toujours déporté, toujours superbe (il avait refusé de rentrer après le 18 brumaire), le 3 juin 1819, peuvent consulter sur ses dernières années les deux opuscules intitulés : Dernières années de Billaud-Varennes et Billaud-Varennes à Cayenne, par le général Bernard. (Nouvelle Minerve, t. Ier, p. 351 à 358, et t. II, p. 288).

 

Extrait :

Mémoires sur les Journées Révolutionnaires

et les Coups d'Etat

par M. de Lescure

Tome second

Paris - 1875

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Commentaires
J
Compilation très intéressante.
Répondre
La Maraîchine Normande
  • EN MÉMOIRE DU ROI LOUIS XVI, DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE ET DE LA FAMILLE ROYALE ; EN MÉMOIRE DES BRIGANDS ET DES CHOUANS ; EN MÉMOIRE DES HOMMES, FEMMES, VIEILLARDS, ENFANTS ASSASSINÉS, NOYÉS, GUILLOTINÉS, DÉPORTÉS ET MASSACRÉS ... PAR LA RIPOUBLIFRIC
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