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La Maraîchine Normande
20 septembre 2014

ROSCANVEL (29) - CAMP DE QUÉLERN - EXTRAIT DES MÉMOIRES DE M. HIPPOLYTE GUICHOUX

Extrait des Mémoires de M. Hippolyte Guichoux, l'un des derniers descendants de la famille Demizit.
Certaines pages du récit de M. Guichoux ne manquent pas d'intérêt au point de vue de ce que Lenôtre a appelé "La petite histoire".

Telle me paraît être la suivante :

"Marie, Noële, Céleste Eugénie Demizit, dite Mlle de Leuré, que les étourneaux du temps appelaient Mlle Délurée, épousa en 1791 Jean-René Guichoux qui, tôt après, abandonna la particule (pour cause du temps). Le mariage fut célébré dans la chapelle de Sainte-Hélène par son frère l'abbé Jean-Baptiste Demizit, à l'heure de minuit ; et dès onze heures l'église était pleine. Le futur qui était capitaine de ce temps, quoique n'ayant que 21 ans, fut obligé d'employer ses soldats de pacotille pour ouvrir un passage à lui et à sa dulcinée.


La cérémonie, le Te Deum chanté, finie, on rentra chez soi au son de la cloche branlée par "Fanch cam" et des tambours battus par Grabis et Fiacre, sans réveiller personne, car tout le monde était sur pied pour voir la noce du capitaine et de Mlle Délurée.


Huit jours après, c'était une autre noce, pas aussi gaie ; le congé était expiré (les congés vont si vite !), le jeune capitaine et sa tendre moitié en perruque blonde, sa mante fourrée - je ne dis pas garnie, - de peaux, (comme on disait en ce temps là), car on était en janvier (dit alors frimaire) rentrèrent au camp de Quélern où 10.000 bretons gardaient l'entrée de la rade de Brest, car l'Anglais était en vue, et peut-être avait-il des troupes de débarquement !

 

Quélern

 

Les lignes de Quélern à Roscanvel par Traverse, 1699


La citoyenne Céleste Guichoux (elle était pourtant bonne aristocrate) avait pris un loyer à Roscanvel, dans un village situé à une lieue du camp. Elle donnait pension à douze capitaines de connaissance, recevait leurs doubles ou triples rations de bonne viande et de mauvais pain, vendait le mauvais gardait le bon, et ne faisait pas mal ses affaires. Elle ajoutait à cela un commerce de toutes sortes de fournitures, qu'elle plaçait facilement et avantageusement, car elle vendait à crédit, payable à la décade prochaine.


Elle était d'autant plus sûre de son affaire que les capitaines, livrés aux délices de la fainéantise des garnisons, se reposaient sur elle du soin de faire le prêt aux soldats. Comme cela, elle ne perdait rien, et vendait bien.
Un inspecteur étant en tournée, trouva mauvais que la pauvre femme d'un capitaine fasse le commerce ; la citoyenne l'envoya paître et continua son commerce, ou mieux son trafic lucratif.

 

Jean Bon Saint-André

Un an après, le proconsul de Brest : Jean Bon Saint-André, vint en personne faire l'inspection du camp de Quélern. Ne trouvant pas tous les capitaines au poste, on lui dit qu'ils étaient allés dîner à leur pension, chez le capitaine Guichoux. Très en colère, il transporta sa cruelle personne jusqu'à eux. Il les trouva, faisant une partie de loto avec leur maîtresse de pension et Charlotte Frise, le cordon bleu du logis.


Une lieue de marche avait irrité les nerfs du gros bonnet révolutionnaire ; il invectiva les bons capitaines, et trouvant qu'ils étaient treize au lieu de douze, il demanda rudement ce que c'était que ce citoyen.


La citoyenne Céleste, sans sourciller, dit que c'était le brosseur de son mari. L'abbé Pennanrun, mort il y a quelques années, chanoine à Quimper, au lieu d'aller à l'étranger, était venu se cacher dans le camp, comme volontaire sous la protection de son ami Guichoux qui en avait fait son brosseur, pour l'exempter de tout service et lui laisser le temps de dire son bréviaire et de confesser secrètement, quelques personnes.


Jean Bon Saint-André s'adressant à la maîtresse du logis, lui dit : "Citoyenne, on m'a dit que tu faisais ici le commerce, ce qui est défendu aux citoyens qui ont l'honneur de servir la République". - "Je suis étonnée, grand citoyen, que tu me fasses un semblable reproche, car j'ai toujours cru bien servir la République en fournissant aux soldats ce dont la République les laisse manquer pour leur alimentation et se défendre contre la rigueur du temps." L'homme se calma, offrit une prise de tabac à l'abbé-brosseur, et même à Charlotte Frise, le cordon.
En partant, il dit : "Citoyenne, au revoir, tu est une bonne bougresse". - Il avait trouvé à qui parler. Les douze capitaines gardèrent les arrêts pendant neuf jours, et le pauvre abbé déguisé devait aller chaque jour au camp, à une lieue, pour leur porter des victuailles.


Pendant son séjour à Quélern, la citoyenne Guichoux donna le jour à trois ou quatre enfants mâles, pour lesquels elle recevait une certaine prime. ...


Quand on licencia le camp de Quelern, où elle avait passé cinq ans, la famille Guichoux rentra à Douarnenez. Le père devint capitaine de la Garde Nationale, mais sans solde et sans les doubles ou triples rations, - position honorable sans doute, mais bien maigre - gardant les épaulettes sédentaires.


La maman Céleste, qui avait fait de belles économies à Quélern, se lança dans le commerce de la sardine, et eut trois enfants. ...


L'un des premiers soins de l'Empereur fut de rétablir l'exercice libre du culte catholique.


La citoyenne Céleste, devenue Mme Guichoux purement et simplement, ne voulant pas reprendre la particule que son mari portait le jour de son mariage, s'occupa aussitôt son rétablissement, de régulariser la position des quatre enfants qui lui restaient.


Corentin, né au camp de Quélern, avait été baptisé dans les dix jours par ordre du Gouvernement révolutionnaire, au bourg de Crozon (1795) ayant pour parrain le citoyen brosseur, (l'abbé déguisé) et pour marraine la citoyenne Charlotte Frise (cordon) ayant épousé Kerlidon, de Pouldavid. Plus tard, doutant de la validité du baptême, Corentin a été rebaptisé au collège de Kérouzéré, commune de Sibiril, ayant pour parrain un écolier, qui est devenu prêtre, et une paysanne du pays pour marraine.


Hippolyte avait été baptisé en cachette par M. (le) Garrec, curé de Kerlaz, qui était resté caché dans les environs et prenait, une fois le temps son domicile dans notre grenier. Mon père qui allait le prendre et le reconduire la nuit, allait le lendemain, comme capitaine de la Garde Nationale, à la recherche des prêtres cachés, mais toujours du côté opposé !


Notre très cher oncle Bernard Demizit était maire, et prenait des arrêtés fulminants contre les nobles et les prêtres cachés dans la contrée, et cependant, prenant sa pension chez ma mère, (sa soeur), il savait qu'au grenier il y avait un prisonnier, et lui faisait tenir souvent des bouteilles de vin et des paquets de tabac ...
Je n'ai pas oublié les bons conseils qu'il m'a donnés pendant les six ans que j'ai passés chez lui."


Suit le récit du baptême des deux enfants qui ne l'avaient pas encore reçu, M. Guichoux le termine mélancoliquement par ces mots : "Rien ne manquait au festin ; j'ai vu le grand couvert, j'en ai le souvenir, - mais on me coucha avant de se mettre à table : j'avais quatre ans. ...


Ma mère, Céleste Demizit avait 73 ans lorsqu'elle perdit sa fille son aide, sa compagne fidèle. Sur ses sept enfants, il ne lui en restait que deux : Corentin, l'aidant dans son commerce, et Hippolyte, géomètre de première classe du cadastre, (l'auteur de ce récit). Tous ses frères et soeurs étaient morts ; il n'y avait plus de Demizit qu'elle et les deux filles de son frère Michel (le docteur contemporain de Laënnec qu'il nommait : "le petit charlatan") : Désirée et Aline.


Marie, Noèle, Céleste, Eugénie Demizit, mon honorée et regrettée mère, la plus jeune des enfants de Joseph-Bernard Demizit a rendu son âme à Dieu le 29 juin 1852 laissant les deux enfants susdits ...


Dieu a permis que j'atteigne mon 79e printemps, et que je conserve la plénitude de mes facultés, parce qu'il me destinait non à laisser de grands biens, mais à élever ce simple monument à la noble et illustre famille Dempsy et à ses braves descendants, depuis l'émigration en France (15 septembre 1878).
Signé : Hippolyte Guichoux
Pour copie conforme :
Dr E. DAMEY.

Extrait :
Le Concours Médical
Guide précis du praticien
22 mars 1936 - 58e année - n° 12

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