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La Maraîchine Normande
19 septembre 2014

LA PREMIERE MESSE POUR LOUIS XVI

LA PREMIERE MESSE POUR LOUIS XVI

 

 

LOUIS XVI

 

 

Le 21 janvier 1793, vers les dix heures du soir, au moment où rentrait chez elle une vieille dame qui venait d'acheter, au faubourg Saint-Martin, une boîte d'hosties pour la célébration des saints-mystères, un homme qui l'avait suivie était resté immobile, occupé à contempler la maison où elle demeurait. Elle se hâta d'entrer ; puis, saisie d'effroi, elle s'assit avec précipitation sur une chaise que lui présenta un vieillard : "Cachez-vous, cachez-vous ! lui dit-elle, car, malgré que nous sortions bien rarement, nos démarches sont connues et nos pas sont épiés.

- Qu'y a-t-il de nouveau ? demanda une autre vieille femme assise auprès du feu.
- L'homme qui rôde autour de la maison depuis quelques jours m'a suivie ce soir."


A ces mots, les trois habitants de cette pauvre masure se regardèrent en laissant paraître sur leurs visages le signe d'une terreur profonde. Le vieillard était le moins agité, peut-être parce qu'il se savait le plus en danger. Les regards des deux femmes, attachés sur ce vieillard, laissaient aisément deviner qu'il était l'unique objet de leur vive sollicitude.


"Pourquoi désespérer de Dieu, mes soeurs ? dit-il d'une voix basse, mais onctueuse. S'il a voulu que je fusse sauvé de la boucherie des Carmes, c'est sans doute pour me réserver à une destinée que je dois accepter sans murmure. C'est de vous et non de moi qu'il faut s'occuper.
- Non, dirent les deux vieilles dames.
- Voici, reprit celle qui arrivait et qui tendait la petite boîte au prêtre, voici les hosties. Mais, s'écria-t-elle, j'entends quelqu'un monter les degrés.
A ces mots, tous trois se mirent à écouter. Il fut facile d'entendre, au milieu du plus profond silence, les pas d'un homme dans l'escalier. Le prêtre se coula péniblement dans une espèce d'armoire, et une des deux religieuses jeta promptement quelques hardes sur lui.
"Vous pouvez fermer, soeur Agathe !" dit-il d'une voix étouffée.


A peine le prêtre était-il caché, que trois coups frappés sur la porte firent tressaillir les deux saintes filles, elles se consultèrent des yeux sans oser prononcer une parole ; elles demeurèrent muettes, ne connaissant d'autre défense que la résignation chrétienne. Interprétant ce silence à sa manière, l'homme qui demandait à entrer ouvrit la porte et se montra tout à coup. Les deux pauvres religieuses frémirent en reconnaissant en lui le personnage qui, depuis cinq ou six jours, rôdait autour de la maison et semblait prendre des informations sur leur compte. Elles restèrent immobiles, en le regardant avec une curiosité inquiète, et saisies de stupeur.
Cet homme était de moyenne taille et un peu gros ; mais rien dans sa démarche, dans son air ni dans sa physionomie, n'indiquait un méchant homme. Il imita l'immobilité des religieuses et promena lentement ses regards sur la chambre où il se trouvait.


Deux nattes de paille, posées sur des planches, semblaient servir de lits aux religieuses. Une seule table était au milieu de la chambre ; il y avait dessus un chandelier de cuivre, quelques assiettes, trois couteaux et un pain rond. Le feu de la cheminée était très-modeste, et quelques morceaux de bois entassés dans un coin attestaient la pauvreté des deux recluses. Une relique, sans doute sauvée du pillage de l'abbaye de Chelles, était placée sur le manteau de la cheminée. Trois chaises, deux coffres et une mauvaise commode achevaient l'ameublement de cette pièce. Une porte pratiquée auprès de la cheminée faisait conjecturer qu'il existait une autre chambre.


L'inventaire de cette cellule fut fait en deux secondes par le personnage qui s'était introduit sous des auspices aussi sinistres au sein de ce logis. Un sentiment de commisération se peignit sur sa figure, et il jeta un regard de bienveillance sur les deux recluses. Il paraissait au moins aussi embarrassé qu'elles, et l'étrange silence dans lequel ils demeurèrent tous trois dura une minute environ. Mais il finit par deviner la faiblesse morale et l'inexpérience des deux pauvres créatures, et alors il leur dit d'une voix douce et timide :
"Je ne viens point ici en ennemi, citoy.... (Il s'arrêta et se reprit pour dire : "mes soeurs.") S'il vous arrivait quelque malheur, croyez que je n'y aurais pas contribué. J'ai une grâce à réclamer de vous".
Elles gardaient toujours le silence. "Si je vous importunais,si ... je vous gênais, parlez librement : je me retirerais. Mais sachez que je vous suis tout dévoué, que s'il est quelque bon service que je puisse vous rendre, vous pouvez m'employer sans la moindre crainte. Parlez !"


Il y avait un tel accent de vérité dans ces paroles, que la soeur Marthe sembla lui indiquer une des chaises, comme pour le prier de s'asseoir. L'inconnu manifesta une sorte de joie mêlée de tristesse en comprenant ce geste, et attendit pour prendre place que les deux respectables filles fussent assises.
"Vous avez donné asile, reprit-il, à un vénérable prêtre non assermenté et qui a miraculeusement échappé aux massacres des Carmes.
Mais, Monsieur, dit vivement la soeur Marthe, vous voyez que nous n'avons pas de prêtre ici, et ...
Il faudrait alors avoir plus de soin et de prévoyance, répliqua doucement l'étranger, en avançant le bras vers la table et en y posant un bréviaire. Je ne pense pas que vous sachiez le latin, et ..."
Il ne continua pas, car l'émotion extraordinaire qui se peignait sur les visages des deux pauvres femmes lui fit craindre d'avoir été trop loin. Elles étaient tremblantes, et leurs yeux se remplirent de larmes.
"Rassurez-vous, leur dit l'inconnu d'une voix franche, je sais le nom de votre hôte et les vôtres. Il y a cinq jours que je suis instruit de votre détresse et de votre dévouement vénérable abbé de ...
Chut ! dit naïvement la soeur Agathe en mettant un doigt sur ses lèvres.
Vous voyez, mes soeurs, que si j'avais conçu l'horrible dessein de vous trahir, j'aurais déjà pu l'accomplir plus d'une fois."
En entendant ces paroles, le prêtre se dégagea de sa prison et reparut au milieu de la chambre.
"Je ne saurais croire, Monsieur, dit-il à l'inconnu, que vous soyez un de nos persécuteurs, et je me fie à vous. Que voulez-vous de moi ?"


La sainte confiance du prêtre, la noblesse répandue dans tous ses traits, auraient désarmé des assassins. Le mystérieux personnage qui était venu animer cette scène de misère et de résignation contempla un moment le groupe que formaient ces trois êtres, et, prenant un ton de confidence, il s'adressa au prêtre en ces termes :
"Mon père, je venais vous supplier de célébrer une messe mortuaire pour le repos de l'âme ... d'un ... d'une personne dont le corps ne reposera jamais en terre sainte, à ce que j'ai ouï dire."


Le prêtre frissonna involontairement ; les deux religieuses ne comprenant pas encore de qui l'inconnu voulait parler, restèrent le corps tendu ; le visage tourné vers les deux interlocuteurs, dans une attitude de curiosité. L'ecclésiastique examina l'étranger. Une anxiété non équivoque était peinte sur sa figure, et ses regards exprimaient d'ardentes supplications.
"Eh bien ! répondit le prêtre, ce soir, à minuit, revenez, je serai prêt à célébrer le seul service que nous puissions offrir en expiation du crime."
L'infortuné tressaillit ; mais une satisfaction tout à la fois douce et grave parut triompher d'une douleur secrète, et, après avoir salué le prêtre et les deux saintes filles, il disparut en témoignant une sorte de reconnaissance muette qui fut comprise par ces trois âmes généreuses.


Environ deux heures après cette scène, l'inconnu revint, et, après avoir discrètement frappé à la porte, il fut introduit par Mlle de Charost. Elle le conduisit dans la seconde chambre de ce modeste réduit, où tout avait été préparé pour la célébration du plus auguste des mystères. Entre deux tuyaux de cheminée, les deux religieuses avaient apporté la vieille commode vermoulue, dont les contours antiques étaient ensevelis sous un devant d'autel en moire verte. Un grand crucifix d'ivoire à croix d'ébène, attaché sur un mur jaune, en faisait ressortir toute la nudité et attirait nécessairement les regards ; quatre petits cierges fluets, que les soeurs avaient réussi à fixer sur cet autel improvisé, en les scellant, dans la cire jaune qui s'était refroidie subitement, jetaient une lueur pâle et mal réfléchie par le mur.

 

messe 3

Rien n'était moins pompeux, et cependant rien peut-être ne fut plus solennel que cette lugubre et mystérieuse cérémonie. Un profond silence répandait une sorte de majesté sombre sur cette scène nocturne, et la grandeur de l'action contrastait si fortement avec la pauvreté des choses, qu'il en résultait un sentiment d'effroi religieux. De chaque côté de l'autel, les soeurs étaient agenouillées sur la brique du plancher, sans s'inquiéter de son humidité mortelle. Elles priaient de concert avec le prêtre, qui, revêtu de ses habits sacerdotaux, disposait un calice d'or orné de pierres précieuses, vase sacré sauvé sans doute du pillage de l'abbaye de Chelles. L'inconnu vint pieusement s'agenouiller près des deux religieuses. Mais tout à coup apercevant un crêpe au crucifix, - car, n'ayant rien pour annoncer la distinction de cette messe funèbre, on avait mis en deuil l'image même de l'auguste victime, - il fut assailli d'un ... si cuisant que des gouttes de sueur se formèrent sur son large front.

Les quatre silencieux acteurs de cette scène allaient célébrer .. ... sans le corps du défunt, intercéder auprès de Dieu pour un roi de France, et faire son convoi sans cercueil. Toute la monarchie était là dans les prières d'un prêtre, de deux jeunes filles, et peut-être aussi la révolution était-elle représentée par un homme dont la figure trahissait trop de remords pour ne pas croire qu'il faisait acte d'immense repentir. Il y eut un moment où les pleurs le gagnèrent ; ce fut au Pater. Les deux religieuses virent deux grosses larmes tracer un chemin humide le long de ses joues et tomber sur le plancher.


Quand le service funèbre fut terminé, le prêtre fit signe aux deux religieuses qui se retirèrent. Alors se trouvant seul avec l'inconnu, il alla à lui d'un air doux et triste :
"Monsieur, lui dit-il d'une voix paternelle, si vous avez trempé vos mains dans le sang du roi martyr, prenez confiance en mes paroles. Il n'est pas de faute qui, aux yeux de Dieu, ne soit effacée par un repentir aussi sincère que le vôtre paraît être."
Aux premiers mots du prêtre, l'étranger eut un frisson d'horreur, mais reprenant une contenance calme :
Mon père, dit-il d'une voix visiblement altérée, nul n'est plus innocent que moi du sang versé hier.
Je vous dois croire, répondit le prêtre.
Puis, comme s'il voyait en cet homme un de ces conventionnels peureux qui livrèrent la tête du roi pour sauver la leur.
Songez, mon enfant, qu'il ne suffit pas, pour être absous de ce crime, de n'y avoir pas coopéré ; ceux qui devaient défendre le roi de France en rendront compte au Roi des cieux.
Vous croyez donc, s'écria l'inconnu plein d'épouvante, qu'une participation indirecte sera punie ?
Oui !
Le soldat commandé pour former la haie est-il donc coupable ?
Non.


L'étranger sembla prendre cette dernière réponse pour une solution favorable à des doutes cruels, et, sans insister davantage, il dit au prêtre :
"Je rougirais de vous offrir un honoraire pour le service funèbre que vous venez de célébrer pour le repos de l'âme du roi. On ne peut payer une chose inestimable que par une offrande qui soit aussi hors de prix. Daignez donc accepter le présent que je vous fais d'une sainte relique. Un jour viendra peut-être où vous pourrez en comprendre la valeur."


A ces mots, il lui met dans la main une petite boîte que le prêtre prit involontairement, tant la solennité des paroles de cet homme et le respect avec lequel il tenait cette boîte l'avait plongé dans l'étonnement.


En rentrant dans la pièce où les religieuses les attendaient, l'inconnu dit :
"Vous êtes dans cette maison plus en sûreté qu'en aucune en France ; restez-y. Des âmes pieuses veilleront à vos besoins, et vous attendrez sans danger des jours moins mauvais ... Dans un an, au 21 janvier - et ce disant, il frissonna de la tête aux pieds - si vous adoptez ce triste asile, je reviendrai assister à la messe expiatoire ..." Il n'acheva pas et, jetant un dernier regard sur les preuves évidentes de leur indigence, il salua les trois reclus et sortit.


Cependant le mystérieux présent si solennellement fait par cet homme était la table, et les trois figures inquiètes trahissaient une irrésistible curiosité. Mlle de Charost y trouva un long mouchoir de batiste très fine. Il était souillé de quelques taches de sueur. Après l'avoir examiné avec plus d'attention, ils y reconnurent de petits points presque noirs, comme si ce linge avait reçu des éclaboussures.
C'est du sang ! dit le prêtre d'une voix profonde.
Pour les deux soeurs, le mystère dont s'enveloppait l'étranger devint inexplicable ; quant au prêtre, dès ce jour, il ne tenta même pas de se l'expliquer. Mais, au plus fort de la Terreur, ils s'aperçurent qu'une main protectrice était étendue sur eux. Ils reçurent du bois, du linge, des vêtements et des provisions. Malgré la famine qui pesa sur Paris, des rations de pain blanc furent chaque jour déposés à la porte de leur taudis par des mains presque invisibles et tout à fait inconnues. Aussi soir et matin, les nobles habitants du grenier, ne doutant pas que leur protecteur ne fût le personnage venu le 21 janvier prier avec eux, faisaient des voeux pour son bonheur et pour son salut ; ils parlaient souvent de lui, et ils attendaient impatiemment la nuit de l'anniversaire, pour lui offrir leurs actions de grâces.


Cette nuit arriva. A minuit, le bruit des pas pesants de l'inconnu retentit dans le vieil escalier de bois. L'autel était dressé, tout était prêt. Cette fois, les soeurs ouvrirent la porte d'avance et s'empressèrent d'éclairer l'escalier. Mlle de Charost descendit même quelques marches et salua l'étranger de ces mots, dits tout bas mais non sans émotion :
"Venez, venez, l'on vous attend. L'homme leva la tête, regarda la religieuse, mais ne répondit pas. Elle sentit comme un vêtement de glace tomber sur elle, et, à l'aspect de l'inconnu, la reconnaissance presque, et à coup sûr la curiosité expirèrent dans tous les coeurs. Les pauvres reclus avaient compris : cet homme voulait rester un étranger. Ils se résignèrent. Il entendit la messe, pria et disparut après avoir répondu par quelques mots de politesse, mais négative à l'invitation de partager une petite collation préparée pour le recevoir.


Jusqu'au rétablissement du culte catholique, la même messe expiatoire se célébra mystérieusement. Quand les religieuses et l'abbé purent se montrer sans crainte, ils ne revirent plus l'inconnu. Les deux soeurs, religieuses de haute naissance, et le prêtre, que ses mérites et sa réputation mettaient en contact journalier avec plusieurs familles du noble faubourg, racontèrent bien à leurs proches et amis leurs moyens d'existence, pendant la Terreur, la main de Dieu qui les avaient protégés, la messe expiatoire, etc., mais l'homme qui avait prié avec eux pour le roi restait, dans leur souvenir comme une énigme. - Quel était donc cet homme ?
Son petit fils l'a déclaré, il y a peu d'années dans ses Mémoires : SANSON, le bourreau.

Extrait
Semaine catholique du diocèse de Luçon
1880

"La relique offerte par Charles-Henry Sanson au vénérable abbé était le mouchoir que le roi tenait à la main en arrivant sur le lieu du supplice. Plusieurs fois, pendant le trajet, il s'en était servi pour essuyer sur son front la sueur de l'agonie, et quelques gouttelettes de sang avaient rejailli, au moment fatal, sur le fin tissu."
Extrait : Mémoires des Sanson par H. Sanson - 1863

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