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La Maraîchine Normande
1 septembre 2014

QUATRE COMMISSAIRES PARISIENS A SAUMUR (MAI 1793) - LACHEVARDIERE - MINIER - DAMESNE - MOMORO

QUATRE COMMISSAIRES PARISIENS A SAUMUR (MAI 1793)

Le mardi 14 mai 1793, au soir, arrivaient à Saumur les deux citoyens Lachevardière et Minier. Ils venaient de Paris, désignés par le conseil exécutif provisoire "pour observer ce qu'il convient de faire pour le maintien de la République". Alexandre Minier n'était pas inconnu des Saumurois puisqu'il était le fils d'un joaillier de Saumur et le frère de César Minier, curé constitutionnel de Nantilly : il demandera d'ailleurs le gîte à son père, pour lui et son compagnon. Avocat, il était membre de la Commune révolutionnaire du 10 août 1792, qui avait renversé la Monarchie,  puis membre du conseil général de Paris. Alexandre-Louis Lachevardière, âgé d'environ 29 ans, chef de bureau à la caisse de l'Ordinaire, avait été orateur à la section de la Halle-au-Blé, où il s'était fait remarquer par une pétition contre les prêtres insermentés. Il fut élu vice-président du Conseil provisoire du Département de Paris et publia le "Journal des Émigrés" où il dénonçait ceux qui devaient être inscrits sur les listes de condamnés. Lachevardière assista à la notification, faite à Louis XVI, de sa condamnation à mort, le 20 janvier 1793.

 

SAUMUR


Le mardi suivant 21 mai, au soir, deux autres commissaires nationaux arrivaient, à leur tour, à Saumur : c'étaient Damesne et Momoro. Si l'on ne sait rien de Damesne, par contre Antoine-François Momoro était né à Besançon, le 13 novembre 1755, d'ascendance espagnole. Il exerçait la profession d'imprimeur à Paris. Adversaire déclaré de la religion et de la royauté, il fut président de la section du Théâtre Français et membre de la Commission administrative de Paris. A ce titre, il assista à l'exécution de Louis XVI et dressa le procès-verbal. Le 11 mai 1793, il reçut sa commission pour être envoyé dans les départements de l'Ouest. Nous verrons ce qu'il devint, après les évènements de Saumur ; signalons tout de suite que son épouse figurera la déesse Raison lors de la fête de la Philosophie célébrée en l'église Saint-Sulpice, par la section du Bonnet-Rouge, le 30 brumaire an II (21 novembre 1793).


Mais la République était-elle en danger, à Saumur, en mai 1793 ? Depuis mars, les districts de Vendée et ceux de Cholet, Saint-Florent-le-Vieil et Vihiers étaient en rébellion ouverte contre la République. Au premier signal des chefs qu'ils s'étaient donnés, les habitants de ces régions se rassemblaient en grand nombre - plusieurs dizaines de milliers, disait-on - et se portaient sur la grande ville voisine pour s'emparer des armes et des vivres que les Républicains y entassaient. Le 2 mai, ils étaient à Bressuire, le 5 ils prenaient d'assaut Thouars, menaçant Loudun, le 16 ils cherchaient à s'emparer de Fontenay qu'ils occupèrent le 25, puis ils menaçaient Niort et Tours et, le 9 juin, ils allaient prendre Saumur. Aussi, le 6 mai, la Convention avait décrété l'envoi de 10.000 hommes, prélevés sur les Armées du Nord et des Ardennes et désigné ses commissaires. De son côté, la Commune de Paris levait des bataillons de volontaires à qui l'on offrait 200 livres et la promesse de 300 livres à leur retour (d'où le nom de "héros à cinq-cents livres"). Nous avons vu que le Conseil exécutif provisoire avait désigné ses commissaires, nos Parisiens, arrivés à Saumur les 14 et 21 mai.


Jusqu'au dimanche 9 juin 1793, date de la prise de Saumur par les Vendéens, les commissaires écriront 17 lettres. Celles de Lachevardière sont courtes alors que Momoro envoie de longs rapports, suites de petites nouvelles au jour le jour sur l'état d'esprit des populations, sur les députés, les généraux, les troupes, sur les rebelles et les combats. Tout cela est d'un intérêt historique indéniable et les commissaires en étaient conscients : "Nous vous donnerons des nouvelles intéressantes, écrit Momoro ; nous allons sur les lieux pour être témoins oculaires des évènements" (lettre du 22 mai). Mais ces témoins ont des yeux de révolutionnaires montagnards et ils ne donnent qu'un son de cloche. Il n'est pas question de lire toutes ces lettres ; nous nous contenterons de les feuilleter et de citer les passages les plus intéressants sur le voyage des commissaires, sur l'armée républicaine, sur les Vendéens, les combats.

LE VOYAGE DE PARIS A SAUMUR

Munis des expéditions de leur commission, le 9 mai, Lachevardière et Minier sont à Orléans le 11 au soir. Dès le lendemain, ils partent pour Tours, ville directement menacée par les rebelles et que défend la seul Légion germanique, formée de déserteurs allemands. Enfin, le 14 au soir, ils arrivent à Saumur d'où ils rayonnent sur Chinon, Doué et Tours. De leur voyage, ils ne donnent pas beaucoup de renseignements : en route, ils ont rencontré plusieurs voitures chargées de boulets et, à Etampes, le citoyen Ronsin, adjoint au Ministre de la Guerre, qui se rendait à Tours pour l'administration de l'armée. A tours, les citoyens sont dans la stupeur, ne pouvant imaginer que leur ville est menacée. A Chinon, comme dans toutes les villes, ils constatent un refroidissement du patriotisme qu'ils attribuent à l'absence de journaux patriotes ; on se souvient que Lachevardière publia le "Journal des Émigrés" : "Nous n'avons trouvé partout, écrit-il, que le Journal de Perlet qui est, comme vous le savez, entaché de modérantisme", ce qui voulait dire que cette feuille était publiée par les Girondins. A Doué, ils passent les troupes en revue et partent pour Tours, "pour y recevoir nos frères d'armes". Mais les volontaires parisiens se feront attendre.


Ces lettres, on le voit, restent laconiques et, durant leur voyage, Lachevardière et Minier n'ont pas vu grand-chose. Il en est autrement de Momoro et Damesne qui, partis de Paris le jeudi 16 mai, arrivent à Tours le lendemain soir. Ils ont vu "beaucoup de volontaires et de soldats de ligne venant de l'Armée du Nord, les uns sur des chariots, d'autres dans des berlines ou chaises de poste ; généralement mal habillés, ils n'en chantaient pas moins Ça ira. Nous avons rencontré des voitures chargées de piques et, à Orléans, l'artillerie prête à être embarquée. D'Orléans à Tours, on demande Santerre et l'Armée parisienne. Ce matin, les Grenadiers de la Convention sont arrivés à Tours. En entrant dans la ville, ils ont entonné l'hymne des Marseillais au pied de l'Arbre de la Liberté". (Lettre du 18 mai).

A SAUMUR

Lachevardière écrit de Tours que "les patriotes de Saumur sont déjà venus nous donner des renseignements que nous avons communiqués aux députés et d'après lesquels on a fait arrêter ce soir plusieurs individus très suspects. Nous allons prendre des mesures pour régénérer l'esprit public de cette ville, en instituant des comités révolutionnaires et une société populaire" et Lachevardière ajoute fièrement : "Je suis la terreur de ces contrées, je les traite comme je dois le faire ; j'ai aussi prêché vigoureusement les corps constitués faibles". (Lettre du 19 mai).


De Saumur, Damesne et Momoro écrivent que "la ville a été bien près d'être en possession des brigands ; on assure que le drapeau blanc était préparé". Cependant, ils ont été bien reçus par la municipalité qui leur a même offert un logement. Puis "nous sommes allés, écrivent-ils, de suite à la Commission centrale, où nous avons trouvé le général Ligonier, les députés Julien, Bourbotte, Choudieu, Richard, tous montagnards et M. Carra que les bonnes femmes de Saumur appellent M. le général Carra. Nous y avons vu aussi deux autres députés qui ne sont pas de la Montagne". On sait que la commission centrale se transporta à Saumur, le 17 mai, sur proposition de Carra, député girondin ; elle siégeait à l'Hôtel Blancier, place Bilange. Momoro se présenta et fit signer sa commission : "M. Carra était à un bureau, à examiner le plan des départements de la Vendée, Deux-Sèvres, etc ... ; mon nom (Momoro), je crois, ne lui a pas fait trop plaisir ou plutôt ma présence ; car il a dû se rappeler qu'il m'avait horriblement calomnié dans ma dernière mission". Et Momoro de faire remarquer que Carra est en opposition avec les députés : "par sa manière d'être il ne marche pas avec eux, et au lieu d'accélérer, il les retarde infiniment, en tâtonnant sur toutes les opérations ; à Tours on ne l'aime pas plus qu'à Saumur, et je sais encore que des généraux qui sont ici s'en plaignent ; mais comme ils ne veulent pas l'écrire, ils nous le disent ; il est encore avec le ciel des ménagemens à garder", conclue-t-il. (Lettre du 22 mai).


Le dimanche 26 mai 1793, Minier et Lachevardière font assembler les patriotes Saumurois : "Nous avons invité les représentants à se rendre avec nous au club ; les discours les plus énergiques y ont été prononcés, nous y avons sapé l'idole du fanatisme (le pauvre ! à huit lieues de la Vendée, levée pour la défense de la religion). Nous avons vu avec grand plaisir que les spectateurs, et surtout les femmes qui s'y trouvaient en assez grand nombre, ont applaudi avec enthousiasme. La séance s'est terminée par l'hymne des Marseillais". (Lettre du 30 mai). Momoro ajoute : "Nous les avons électrisés par des discours véhémens, et nous avons fait faire une collecte au profit des femmes et des enfants indigens, des volontaires qu'ils ont à l'armée ; cette collecte s'est montée à 225 francs. Les citoyennes ont voulu y contribuer. Les députés, les généraux, les commissaires, les citoyens et les citoyennes ont formé ensuite un cercle autour de l'Arbre de la Liberté et ont dansé la Carmagnole". (Lettre du 27 mai).

L'ARMÉE RÉPUBLICAINE

REPUBLICAINS

Devant l'ampleur de la révolte, la Convention décida de renforcer la Garde nationale par des troupes de ligne et des volontaires. Dès son arrivée, Lachevardière brosse le tableau de la situation : "Il y a dans Saumur, qui n'est qu'à six lieues des rebelles, environ trente-mille hommes de troupes, indépendamment du camp de Doué, qui n'en est qu'à quatre lieues et où il y a environ quatre mille hommes. La plupart manque d'armes et d'équipements. Il manque également à la cavalerie un assez grand nombre de chevaux". (Lettre du 15 mai). Mais le lendemain il lance un avertissement : "Il devient tous les jours plus pressant que jamais de terminer cette guerre civile. On ne sent pas assez le danger de prolonger une guerre semblable. Si sous peu de temps elle n'est pas terminée à notre avantage, la république est à deux doigts de sa perte. Pressez toujours le départ des bataillons de Paris : ces brigands redoutent jusqu'au nom des Parisiens". (Lettre du 16 mai). Pour hâter l'arrivée des secours à Saumur, il va à Tours d'où il explique les Gardes nationales "désertent les camps pour s'en retourner dans leurs foyers ; les secours sont plus nécessaires que jamais". (Lettre du 21 mai). Et Momoro écrit de son côté : "Il nous faut des hommes et des armes ; on ne peut attaquer partiellement ces brigands sans s'exposer à périr ; c'est cependant ce que M. Carra cherche à faire, il ne veut envoyer que des forces partielles et isolées". (Lettre du 22 mai).


Enfin, les renforts demandés arrivent : "Nous avons beaucoup d'hommes, plus qu'il ne nous en faut, mais il faut des armes, des armes, des armes. Les bataillons arrivent de tous côtés ; il n'y a que ceux de Paris que nous ne voyons pas ; on n'attend plus qu'eux". (Lettre du 27 mai). Enfin, le 4 juin : "Il nous arrive des bataillons de Paris ; on n'attendait plus qu'eux et cela ira de la belle manière". Le 8 juin, le commissaire écrit : "Le sixième bataillon de Paris est arrivé hier à Saumur ; nous avons vu avec plaisir sa bonne tenue et le patriotisme dont il est animé. Nous attendons aujourd'hui et demain un autre".


Mais les soldats de la République sont mal équipés et indisciplinés : "Le général Menou n'a pas eu à se louer de beaucoup de soldats de la Légion germanique, ainsi que de quelques dragons du 19e régiment qui ont lâchement abandonné leur poste. Ils seront punis". (Lettre du 27 mai) et "le général Duhoux m'a dit, écrit Momoro, qu'il attendait encore des objets de campement, tels que bidons, marmites et autres ustensiles nécessaires à la cuisine d'un soldat". (Lettre du 1er juin). Pire ! "On distribua des cartouches sans balle aux soldats". (Lettre du 4 juin). Et encore : "Tous les bataillons de Paris élèvent des difficultés relativement à la non-exécution de la loi, qui porte que chaque bataillon sera pourvu de deux pièces de canon ; ces contestations sont extrêmement fâcheuses, parce qu'elles sont fondées, et que les représentants et les généraux ne peuvent y faire droit, n'ayant pas de pièces de campagne à leur disposition". (Lettre du 10 juin).


Momoro note cependant que "Saumur est fortifié ; indépendamment de la bonne situation de sa forteresse, où l'on fait un chemin couvert, on fait une redoute au haut de la côte de Bournan, laquelle domine tout le pays. On y peut placer cinquante pièces de canons ; Saumur soutiendra long-temps un siège avec des vivres et des forces comme il y en a à présent". (Lettre du 22 mai). Nous verrons que la ville ne résistera que quelques heures ...

LE PLAN D'ATTAQUE GÉNÉRALE

Minier et Lachevardière rendent compte, pour la première fois, d'un plan d'attaque, dans leur lettre du 30 mai : "L'adjoint du Ministre de la Guerre, le patriote Ronsin est de retour à Saumur. Il a recueilli des renseignements extrêmement importans sur notre situation. Nous apprenons à l'instant que le général Biron (nommé général en chef, le 13 mai) est à Niort ; on lui dépêche un courrier pour qu'il se rende à Saumur ; on y arrêtera le plan de campagne" et, très optimiste, il poursuit : "Sous peu de temps, on va porter de grands coups ; tout se dispose pour faire terminer promptement cette malheureuse guerre". Le surlendemain, Momoro se montre aussi enthousiaste : "Nous sommes à la veille de frapper de grands coups. Le plan d'attaque est prêt. Nous attendons ici Biron, il arrivera demain. Le plan d'attaque lui sera soumis ; il sera examiné, discuté, adopté ou modifié. On formera l'état-major du général et de suite on mettra à exécution ce plan ; et s'il est possible, on attaquera les ennemis le même jour et à la même heure. L'ennemi est presque cerné, nous sommes assurés du succès de l'entreprise ; toute l'armée est bien disposée à se battre, et elle se battra bien". Le samedi 8 juin, Lachevardière apprend que le général Biron est enfin arrivé à Saumur : "Nous présumons que sous peu de jours l'on commencera l'attaque générale". Il ne prévoyait pas que, le lendemain, il serait chassé de Saumur ...

L'AFFAIRE DU GÉNÉRAL QUÉTINEAU

Dès leur arrivée, les commissaires eurent à rendre compte d'une affaire qui, opposant Montagnards et Girondins, avait pris un caractère politique : le général Quétineau (né au Puy-Notre-Dame, le 25 août 1756), après avoir abandonné Bressuire, se rendait, avec son armée, forte de trois mille hommes, à Thouars, le dimanche 5 mai 1793. Les Vendéens prirent trois mille fusils et dix pièces de canon. Le 8 mai, ils libérèrent le général contre promesse de ne pas reprendre les armes. Quétineau se présenta de lui-même à Leigonyer, qui était alors général en chef, au camp de Doué, d'où le député Carra le fit conduire sous escorte à Saumur. Tallien obtint qu'il fût incarcéré au château, mais Carra, dans une lettre du 11 mai, prenait résolument sa défense.


Nos commissaires, amis des Montagnards, dénoncèrent Carra. Lachevardière écrivait que le général Quétineau "est regardé partout comme un traître, ou au moins comme un lâche ignorant". (Lettre du 15 mai) et Momoro expliquait que "les endroits faibles de la place (de Thouars) avaient été indiqués par des placards qui servaient de renseignemens à l'ennemi". (Lettre du 18 mai). Il ajoutait que "le général Quétineau, abhorré de tous les habitans des campagnes avoisinant Thouars, est en état d'arrestation dans la citadelle de Saumur. M. Carra est son protecteur ; il ne voit en lui qu'un brave homme, quand les patriotes n'y voient qu'un traître, ou tout au moins un homme qui en a bien l'air". (Lettre du 22 mai). Enfin, la Commission centerale procéda à des interrogatoires et "le président du district (de Thouars) a déclaré qu'ils avaient été obligés de se rendre parce que les Marseillais avaient refusé de se battre et que le général Quétineau disait que sur quatre mille hommes qu'il avait, il ne pouvait compter que sur sept cents, qu'ainsi il fallait se rendre ou se voir égorger". Et Momoro de conclure : "Si dans la reddition de cette place il n'y a pas eu de trahison, ce qu'on ne croira pas aisément - deux fois le drapeau blanc avait été arboré ; c'était le juge de paix qui l'avait placé - il y a eu du moins bien de la lâcheté". (Lettre du 2 juin).

EN PATROUILLE SUR LA ROUTE DE THOUARS

Evacuée par les Vendéens le 10 mai, la ville de Thouars ne fut réoccupé par les cinq mille hommes du général Salomon que le 29 mai. Entre-temps, "les patrouilles du Puy-Notre-Dame et de Montreuil y vont tous les jours". (Lettre du 18 mai). Le vendredi 24 mai, à sept heures du matin, Momoro, escorté de vingt dragons avec deux brigadiers, trois officiers et un capitaine, se met en route : "Le jour était beau, et, pour la première fois, les paysans étaient à cultiver la terre de tous côtés. Arrivés à un bois fort épais, nous envoyâmes de droite et de gauche des éclaireurs et, chacun le pistolet à la main, nous avons traversé le bois. Sortis du bois, nous avons resserré nos pistolets, et nous avons dirigé notre marche sur Brion au lieu d'aller à Thouars (et bien nous en prit, car les brigands étaient venus en grand nombre à une demi-lieue de là, le jour-même, puisque nous aperçûmes leur cavalerie sur les hauteurs, nous n'étions pas assez nombreux), à peine eûmes-nous fait une lieue que nos éclaireurs rencontrèrent deux brigands, armés chacun d'un bon fusil à deux coups ; ils étaient derrière une haie élevée et dans un chemin très étroit. Nous les arrêtâmes et nous leur demandâmes ce qu'ils faisaient derrière la haie, ils répondirent qu'ils chassaient, nous leur observâmes qu'on ne chassait pas dans cette saison ; et sans nous amuser à les questionner davantage, nous les constituâmes prisonniers ; on les emmena ensuite au Puy-Notre-Dame, où le général Menou était. Nous lui avons laissé ces deux gaillards pour en faire ce que, dans sa sagesse, il jugerait convenable". (Lettre du 27 mai).

L'ARMÉE DES VENDÉENS

VENDEENS 9

Nos commissaires apprirent peu de choses sur leurs adversaires. Leurs premiers contacts avec les Vendéens furent des interrogatoires de prisonniers : "Nous sommes allés voir (neuf prisonniers) dans la prison du Puy-Notre-Dame, que nous avons interrogés. Ces gens-là ont été pris les armes à la main, mais ils sont tellement fanatisés qu'ils disent qu'ils s'en moquent, qu'ils n'ont qu'une fois à mourir ; ils ne veulent pas dire : Vive la république ! parce qu'ils ne savent pas ce que c'est ; ils disent : Vive tout le monde ! Toutes ces personnes sont ou des imbéciles ou de grands fourbes. Quoiqu'il en soit, ils contrefont parfaitement les niais ; nous leur avons pris leurs chapelets et des papiers donnés au nom du roi. L'un d'eux a déclaré qu'il fallait un roi ; un autre disait qu'il n'avait point d'esprit, qu'il fallait lui apprendre ce que c'était qu'une république, qu'il ne connaissait pas la nôtre". (Lettre du 27 mai).


Mais les commissaires apprirent que les Vendéens étaient quand même redoutables : "Dans la journée du 24 mai, cinq espions de l'armée chrétienne s'étaient introduits dans Montreuil pour s'informer du nombre d'hommes qui y étaient, savoir qu'ils étaient bien armés, combien à Saumur, etc, etc ... Tel est l'avantage de nos ennemis qu'ils peuvent avoir des espions parmi nous et qu'à peine pouvons-nous en avoir un de nous parmi eux". (Même lettre). Et Lachevardière confirmait ces faits : "Les rebelles qui sont beaucoup mieux instruits de ce qui se passe chez nous que nous nous le sommes de ce qui se fait chez eux, voyant nos préparatifs, ne se sont pas montrés". (Lettre du 30 mai).


Le 28 mai, on apprend que "les rebelles parurent en force dans la forêt de Brignon", mais ils sont aussi dans la plaine : "Les habitans des campagnes, que les rebelles séduisent ne sont pas tous fanatiques, mais ils sont fortement égarés ; il est dangereux de se présenter à eux sans être en nombre, attendu qu'ils se cachent derrière les haies (et dans ce pays, il y en a beaucoup) pour assassiner nos gens". (Lettre du 18 mai). "Nos ennemis n'ont point d'armes, ils n'ont que des bâtons au bout desquels il y a des morceaux de fer battus à l'enclume et sans être acérés". (Lettre du 28 mai).


Début juin, les chefs rebelles adressent une lettre à l'armée patriote de Thouars et une proclamation "imprimée en grand papier à deux colonnes, et sans nom d'imprimeur, au nom du Roi Louis XVII et des chefs de l'armée catholique, au peuple français ; la lettre et la proclamation signées des chefs de l'armée catholique, savoir Lescure, Larochejacquelin, Langrenière, Bonvolliers et autres". (Lettre du 5 juin).

LES COMBATS DANS LE SAUMUROIS

Nous ne parlerons pas de la "victoire" des patriotes à Fontenay, le 15 mai, ni de l'occupation de cette ville par les Vendéens, le 25 mai, mais plutôt des combats du Vercher, de Nueil, de Doué et enfin de la prise de Saumur.
Le jeudi 23 mai, un coup de main fut tenté contre le château du Vercher : "A la barbe de six mille ennemis, le général Menou (accompagné de deux-cent cinquante hommes) a pénétré dans le château et a enlevé toute la correspondance qui était sur une table qui servait de bureau et par cette correspondance, on sait aujourd'hui que ces brigands sont dans la plus grande pénurie de vivres. Nous avons tué cinquante hommes aux ennemis et fait neuf prisonniers dont un jeune homme de douze ans". (Lettre du 27 mai). Lachevardière écrit : "L'ennemi s'est présenté au Vercher ; mais notre cavalerie l'a repoussé et lui a tué cent cinquante hommes : leur chef était au nombre" (Lettre du 28 mai). "Il y a quelques jours, les brigands s'étant portés sur notre poste du Vercher au nombre de cinq cents, ils furent taillés en pièces par cent trente de nos hussards, qui leurs tuèrent cent cinquante hommes". (Lettre du 30 mai).


Le 27 mai "à cinq heures du soir, une patrouille de cinq hommes de hussards s'est avancée sur Nueil ; les brigands y étaient occupés à brûler l'Arbre de la Liberté ; ils allaient mettre le feu aux papiers de la municipalité, lorsque les hussards ont fondu sur eux et en ont tué douze, ensuite on est allé avertir ceux qui étaient au Vercher. La générale a été battue, ils sont accourus sur Nueil et ont taillé en pièces les brigands, et les ont repoussés au-delà de Passavant. Ils en ont tué cent cinquante, non compris les blessés ; c'est une boucherie entre Nueil et Passavant". (Lettre du 28 mai).


Le 1er juin, autre affaire à La Fougereuse : "Les rebelles étaient au nombre de six cents, retranchés dans le château ; mais leur armée, composée de près de huit mille hommes, était près de là. Nous n'étions que douze cents ; après une vigoureuse résistance, les brigands prirent la fuite ; nous en tuâmes près de cent, délivrâmes deux patriotes prisonniers". (Lettre du 4 juin).


Le mardi 4 juin, à neuf heures du matin "une patrouille de chasseurs de la Légion des Ardennes a rencontré l'ennemi, elle l'a attaqué, le combat s'est engagé de part et d'autre aux environs de Trémont. Des hussards se rendirent au nombre de deux cent cinquante sur le champ de bataille. A peine furent-ils arrivés que les rebelles fondirent sur eux en tâchant de les envelopper. Après une vigoureuse résistance ils furent contraints de se retirer ; les deux pièces de canon de 4 ont été prises. A sept heures et quart, le général Ligonier et le général Menou montèrent à cheval pour se porter du côté du champ de bataille. Arrivés à moitié chemin, ils rencontrèrent la cavalerie qui fuyait, ils la rallièrent pour protéger la retraite de l'infanterie, qui se fit avec succès". (Lettre du 5 juin).


Le vendredi 7 juin, "vers une heure après-midi, nous apprîmes à Saumur que l'ennemi avançait sur Doué. Nous montâmes aussitôt à cheval et accompagnâmes le général Menou pour aller à Doué. En chemin faisant nous avons rencontré la cavalerie qui fuyait ; nous l'avons fait rétrograder ; mais plus nous allions en avant, plus la déroute était grande ; chariots, bagages et artillerie, bestiaux, soldats, habitans des campagnes, blessés, chariots d'ambulance, tout fuyait en désordre, pêle-mêle. Nous parvînmes enfin à les rallier aux redoutes sur la hauteur de Bournan. Là, nous fismes placer l'artillerie sur la route et avancer au pas de charge un bataillon de Paris qui était à Saumur. L'ennemi fut salué de trois coups de canon qui le firent rétrograder". (Lettre du 9 juin).


Lachevardière communique d'autres détails : "Les brigands, au nombre de plus de douze mille, se sont portés sur le camp de Doué. Quelques scélérats crièrent en s'enfuyant : Sauve qui peut. La terreur s'empara bientôt d'une partie de nos soldats. Le général Menou donna l'ordre de se rallier sur les hauteurs de Bournan. Notre perte est environ de quatre cents hommes, y compris les blessés et les prisonniers. D'un moment à l'autre, nous pouvons être attaqués et, si nous étions obligés de nous replier, nous ne vous dissimulons pas que Saumur serait perdu. La perte de cette place serait un très grand malheur, car rien n'arrêterait plus les brigands jusqu'à Paris". (Lettre datée du 10 juin).

LA PRISE DE SAUMUR PAR LES VENDÉENS

Cette lettre fut la dernière écrite de Saumur. La suivante, signée de Lachevardière et Momoro, est écrite de Tours, le 10 juin et raconte la bataille de Saumur : "Les brigands sont venus hier (dimanche 9 juin 1793) à trois heures de l'après-midi, attaquer Saumur ; ils ne se sont pas présentés du côté du camp que nous avions sur les hauteurs de Bournan, ils ont tourné du côté de Nantilly et se sont glissés sur le bord de la Loire. La canonnade a été vive de part et d'autre, mais tel est l'aveuglement de ces malheureux qu'ils avançaient sur le canon. La cavalerie a été la première à fuire lâchement. L'on s'est battu avec acharnement sur les quais, dans les places et dans les rues. La citadelle a tenu bon, et à une heure du matin nous entendions son canon, mais elle n'a pas assez de vivres pour tenir longtemps. Les brigands sont maîtres des deux rives de la Loire ; nous perdons nos vivres, nos munitions et presque toute notre artillerie. On ne peut prévoir ce qui va arriver, notre position est aussi critique qu'elle puisse l'être. Nous venons de faire vingt lieues à cheval sans débrider, pour nous rendre à Tours. Tous nos effets et nos voitures sont au pouvoir de l'ennemi. Nous sommes inquiets de Damesne. Adieu, la liberté triomphera, ou nous périrons à notre poste".

Il y a environ soixante autres lettres, dont la dernière est d'octobre 1793. Or, le 24 octobre, Carra fut guillotiné avec les Girondins ; le général Biron sera guillotiné le 31 décembre 1793 et le général Quétineau le 17 mars 1794. Enfin, Momoro et Ronsin seront guillotinés avec les Hébertistes le 25 mars 1794. Seul Lachevardière survivra à la Révolution et mourra en 1828.

Pierre Gourdin
Société des Lettres, Sciences & Arts
du Saumurois
75ème année - n° 133 - Février 1984

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