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La Maraîchine Normande
28 août 2014

LE SERMENT DU PRIEUR DE COLOGNAC (30) [JEAN-LOUIS SOLIER]

LE SERMENT DU PRIEUR DE COLOGNAC

constitution civile du clergé


On sait ce que fut l'abbé Solier, prieur de Colognac, surnommé Sans Peur. Sa biographie, écrite d'abord par M. le chanoine Goiffon, secrétaire-archiviste de l'évêché de Nîmes, et ensuite avec documents à l'appui, par M. le curé G. Fesquet, se résume ainsi :


Jean-Louis Solier, ou de Solier, était un des vingt-huit enfants qu'eut, de son mariage avec Jeanne de Roussy, M. Daniel de Solier, conseiller à la Cour des aides et comptes de Montpellier, originaire de Lasalle [On n'indique ni le lieu, ni la date de sa naissance. - D'après une délibération du conseil municipal de Lasalle, rapportée par M. Fesquet, les soeurs et mère de Solier s'étaient converties à la religion catholique.] Appelé à l'état ecclésiastique, Solier fut investi du bénéfice de Notre-Dame-de-Bonheur, d'où il passa au prieuré de Colognac le 8 juillet 1760. Il jouissait de la confiance et de l'estime de ses paroissiens qui le nommèrent syndic des habitants forains le 5 février 1786, lui donnèrent un témoignage flatteur de son caractère et de son intelligence dans une délibération du 14 juillet 1788, relative à un différend avec M. de Lasalle, et l'élirent procureur de sa commune en 1790 [En 1788, il fut désigné par le clergé du canton pour assister à la réunion diocésaine d'Alais du 6 janvier 1789.] Le 30 janvier 1791, il prêta le serment constitutionnel "sous la réserve ds objets qui dépendent essentiellement de l'autorité spirituelle."


Remplacé, par suite, comme curé de Colognac, il se retira chez lui, à Lasalle. "C'était un prêtre doublé d'un soldat" : lors de la bagarre de Nîmes en 1790, il avait, "par sa parole" relevé le courage des "catholiques abattus et vaincus, et, après la constitution civile du clergé, il prêcha ouvertement la résistance à la Révolution. Ayant pris part à la troisième fédération de Jalès (conspiration de Saillans) il fut décrété de prise de corps, il refusa de se rendre, on le déclara hors la loi et on l'inscrivit sur la liste des émigrés en l'an II, bien qu'il n'eut pas quitté les Cévennes où il exerçait son ministère, partout traqué, pris plusieurs fois, s'échappant toujours et se faisant même acquitter par le tribunal révolutionnaire de Montpellier, dont un membre était son parent. Arrêté enfin, en l'an VIII, sous la prévention, paraît-il, de complicité avec les chouans et autres ennemis de la République, il fut condamné à mort par le tribunal du Vigan, d'après l'abbé Fesquet, par une commission extraordinaire siégeant au Vigan, d'après Brugal et l'abbé Goiffon, écrivit une lettre touchante conservée pieusement aux archives de l'évêché de Nîmes, alla à la mort en chantant le Miserere, et fut fusillé sur la place d'Auvergne, au Vigan, en ventôse an IX (mars 1801).


Dans un siècle d'égoïsme où la versatilité des opinions est presque considéré comme une vertu, pourquoi hésiterions-nous à déclarer que nous avons le plus profond respect pour les hommes qui ont su défendre, au péril de leur vie, leurs convictions politiques ou religieuses quelles qu'elles aient été ?
Aussi n'hésitons-nous pas à compléter la biographie du courageux prieur de Colognac par quelques faits inédits, et surtout par la publication de la lettre admirable de bon sens et de logique qu'il écrivit à l'occasion du serment imposé aux ecclésiastiques.

Solier était "le meilleur ami", - du moins il se proclame tel, - du général baron d'Albignac, qui mit en déroute les rebelles de Jalès. Lorsque, en 1780, d'Albignac, un simple colonel, fut autorisé à lever un régiment pour les colonies, le prieur de Colognac lui écrivit, en faveur d'un de ses alliés, une lettre dans laquelle on trouve, sur sa famille, des renseignements bons à recueillir :
"Si vous n'aviez pas encore disposé de touts les employés, pourray-je me flatter que vous voulussiez m'en accorder un pour un neveu de mon beau-frère, bon gentilhomme qui a deux frères capitaines au régiment de Condé. Ce jeune homme, qu'on appelle M. Pierre Martignac, a été comme l'enfant gâté de son père qui n'a pu se résoudre jusques icy à l'éloigner de lui. Mais comme il est d'un certain âge, il a obtenu le consentement de ses parents de prendre le parti du service. Les emplois sont rares dans les troupes réglées et il faut commencer par être cadet gentilhomme. Son âge un peu avancé ne lui permet guères d'attendre si long temps ; dans les régiments des colonies, il est en même de faire plus tost son chemin, et il s'est décidé pour ce parti-là. Je vous aurois la plus grande obligation si vous pouviez lui donner de l'employ dans le corps que vous avez eu l'agrément de former. Vous auriez lieu d'être satisfait du sujet : il a de la figure, de l'esprit et de la valeur. Je crois que s'il est en votre pouvoir de le placer par rapport à l'amitié vive que vous m'avez toujours témoigné vous le ferez. Mon beau-frère, M. de Bagard, ancien capitaine de grenadiers auroit pris la liberté de vous demander cette grace pour son neveu s'il avoit eu l'honneur de vous connoître. Mon neveu, capitaine dans Hainaut, se joint à moy pour vous faire la même prière et me charge de la renouveller dans votre souvenir. (Lettre datée de Lasalle, le 2 octobre 1790)

Au moment de l'organisation judiciaire, en 1790, Solier eut l'ambition de devenir juge de paix, sans pour cela quitter l'état ecclésiastique. C'est ce qui semble résulter du document suivant :
Mémoire pour les Messieurs du département
On demande l'explication de l'article premier de la proclamation du Roy, du onze novembre mille sept cent quatre-vingt-dix, faisant suite au décret concernant l'organisation judiciaire.
Il est conçu en ces termes : "Les ecclésiastiques ne peuvent être élus aux places de juges dont les fonctions sont déclarées incompatibles avec leur ministère."
Par cet article les ecclésiastiques sont-ils exclus de toute place de juge ? Par les termes même du décret, il paraît qu'ils ne le sont pas, et les curés des environs du district de St-Hippolitte le soutienne ainsi, et surtout qu'ils ne sont pas exclus d'être juge de paix.
Dira-t-on que le mot de juge est un terme générique ? Cela est vrai ; mais on ne serait contenté de dire les "ecclésiastiques ne peuvent être nommés à la place de juge," et on n'aurait pas ajouté "dont les fonctions sont déclarées incompatibles avec leur ministère." Il y a plusieurs espèces de juge, et l'on convient que les fonctions des juges qui condamnent à des peines infâmantes, à la potence et à la roue sont incompatibles avec le ministère ecclésiastique, qui est un ministère de paix, et les fonctions de ceux-cy sont très compatibles avec le ministère ecclésiastique ; la dénomination seule de ces juges annonce que les ecclésiastiques ne doivent pas en être exclus, que cette place même les regards plus particulièrement ; les curés exercent tous les jours les fonctions de juge de paix, et serait-il possible d'imaginer que l'intention de l'Assemblée nationale les exclut de ces fonctions si honorables et si analogues à leur état ? Non, l'Ascemblée nationale veut donner du relief et de la considération aux curés, et elle ne se serait pas trompée ainsi sur les moyens.
Le seul bien que peuvent faire dans ce pais-cy les curés était de déterminer les procès, de les prévenir même, et on voudrait les exclure d'une place qui les mettrait plus à portée de remplir cet objet qui est un des plus essentiels de leur ministère ? C'est ce qu'on ne peut croire. On prie donc les messieurs composant le département du Gard de décider cette question ; le temps presse, la nomination du juge de paix doit se faire le 24 octobre. On attend vendredi au soir la réponse. Ces messieurs sont trop justes pour se refuser à cette demande.
SOLIER, prieur-curé de Colognac, canton de Lasalle, district de St-Hippolithe."

L'avis du procureur-syndic du district, partagé par l'administration départementale, fut :
Un prêtre doit être sans cesse à ses ouailles et un juge de paix à ses justiciables.
Un prêtre doit jouir de l'amitié, de la confiance de ses paroissiens, le moindre acte de juridiction contencieuse lui auroit bientôt aliéné le coeur de ceux qu'il seroit forcé de condamner. (Lettre du 19 octobre 1790).

Solier dut renoncer à son projet. Sans cette exacte interprétation de l'article premier du décret du 11 septembre 1790, peut-être n'eut-il pas été par la suite un adversaire aussi ardent de la Révolution.

Quoiqu'il en soit, Solier déclara verbalement à la municipalité de Colognac, le 29 janvier 1791, qu'il prêterait le lendemain le serment civique imposé par le décret de l'Assemblée nationale du 27 novembre 1790. La municipalité et les notables se rendirent, le jour dit, à l'église, pour recevoir officiellement ce serment.


"Ledit saint prieur a commencé par faire la lecture de la proclamation du rirectoire du département du Gard et du sud. Décret ; ensuitte après un long discours, il a prêté ledit serment dans la réserve des objets qui dépendent essentiellement de l'autorité spirituelle, ce qu'il a fait sans lever la main vers le ciel, lequel serment nous a été ensuitte remis par ledit sieur prieur de lui écrit et signé et restera annexé pour servir ainsi que de raison et qui a été signé par les membres présents à la cérémonie.
Viala, maire ; Viale-Guiraud, officier municipal ; Durand, officier municipal ; Armand, officier municipal ; Mourgue, Alazard, Baudouin, Clauzel, Mourier, Deshours, Barafort, Deshours, officier municipal ; Deshours, signés. (procès-verbal du 30 janvier 1791)"

Solier se présenta au greffe de sa commune et prit connaissance du procès-verbal qui venait d'en être dressé. Il déclara immédiatement :


"Qu'il avait été surpris de trouver dans ledit procès-verbal qu'il n'avait pas levé la main ; qu'il croyait l'avoir fait ; qu'au surplus il ne croyait pas cette formalité essentielle au serment et qu'il offrait de la remplir toutes les fois qu'on exigerait ; qu'il avait fait ce serment avec toute la sincérité possible ; que personne n'avait pris la divinité à témoins de ses paroles avec plus d'assurance de remplir ses engagements, parce que ce serment n'était que l'expression des sentiments qui ont toujours été au fond de son coeur et qu'en le prononçant il n'a promis rien de nouveau ; qu'il n'a fait que respecter la loi du patriotisme dont il n'a cessé d'être animé et dont ses actions et sa conduite ont donné des preuves les plus certaines.

La municipalité envoya les deux procès-verbaux aux administrateurs du district de St-Hippolyte. Le procureur-syndic présenta à ce sujet quelques observations, dont nous n'avons pas retrouvé le texte, mais auxquelles Solier répondit par la lettre suivante, d'une logique indiscutable, dans laquelle se trouve reproduit le discours explicatif dont il fit précéder sa prestation du serment.


"Monsieur, j'aurois répondu plus tôt à la lettre que vous m'aviez fait l'honneur de m'écrire le vingt du mois de février dernier, mais je l'ay reçue un peu tard ; elle avoit passé par La Salle, où elle a resté oubliée quelques jours. Vous aviez la complaisance d'y joindre l'ouvrage de M. l'abbé Grégoire, intitulé : "Légitimité du serment civique exigé des fonctionnaires publics" imprimé par ordre du secrétaire du département du Gard pour être distribué aux ecclesiastiques fonctionnaires publics de son ressort.
J'ai lu avec d'autant plus d'attention cet ouvrage et l'instruction de l'Assemblée nationale qui m'était parvenue quelques jours auparavant, que j'y étois plus intéressé comme fonctionnaire public et qu'il paroît que l'intention du département est que je règle ma conduite sur ces deux ouvrages, relativement au serment que l'on exige des ecclésiastiques fonctionnaires publics de son ressort.
J'ai vu par votre lettre qu'on n'a pas trouvé le serment, que j'ai prêté le trente janvier dernier pour obéir au décret de l'Assemblée nationale du  27 novembre, conforme à la loy du du même mois, et vous m'exhortez à en prêter un nouveau. Je ne doute pas qu'on ne l'eût jugé plus favorablement si l'on avoit trouvé dans le verbal de la commune de Colognac le discours qui avoit précédé mon serment ; mais le conseil général du lieu, d'après certains conseils, ne parût pas désirer qu'il y fut inséré. Permettez-moi donc de vous le rapproter, afin qu'on puisse juger s'il doit être admis ou non. Le voicy ; comme il est un peu long j'en omettray tout ce qui n'est pas absolument nécessaire pour ne pas vous ennuyer.


"Mes enfants (permettez-moi encore ce terme, il est si cher à mon coeur) ! ... l'attachement inviolable que j'ay et que j'auray toujours pour la religion catholique, apostolique et romaine, l'édification et l'exemple que je dois aux catholiques de ma paroisse à qui je suis obligé de servir de modèle, votre estime que je regretterois infiniment de perdre me prescrivait aujourd'huy la démarche imposante que je fais. Je vous prie de croire et vous devez être persuadés, d'après mes actions et mon dévouement connu à la chose publique, qu'aucun motif temporel et indigne d'un ministre des autels n'influe en rien sur la manifestation de mes sentiments, et que la voix seule de ma conscience, l'amour de la tranquilité et de la paix me dictent la déclaration que je vous fais aujourd'huy.


Comme c'est un serment que je vais prêter, et que tout serment est un contrat de la conscience avec loy (?) ; dans lequel Dieu intervient comme garant et vengeur, comme un serment doit, comme touts les contrats, être libre pour obliger celui qui s'y soumet, qu'il doit être clair et exempt de toute équivoque pour fixer la nature et l'étendue des obligations qu'il impose, j'ai cru devoir vous exposer les principes de ma croyance et de ma religion.


Je commence d'abord, mes enfants, par professer hautement la soumission la plus parfaite à la puissance civile dans tout ce qui est de son ressort. Je crois que relativement aux objets temporels elle est souveraine, indépendante, absolue ; qu'au-dessus d'elle, elle ne voit que Dieu seul ; que tout chrétien est obligé de lui obéir, non-seulement par la crainte du châtiment, mais encore par le devoir de la conscience ; que nous devons tous, prêtres ou laïques, riches ou pauvres, faibles ou puissants, rendre à César ce qui appartient à César ...


Je crois que celui-là transgresse les préceptes de l'Evangile et trouble l'ordre établi par Dieu même, qui refuse de courber la tête sous le joug de la loy, qui s'obstine à ne pas conformer sa conduite aux règles civiles établies par l'autorité temporelle ou qui met des obstacles à l'exécution de ses décrets politiques. crois qu'un véritable chrétien et surtout un prêtre ne doit jamais perdre de vue qu'il est en même temps citoyen, que la nation dans laquelle il a l'avantage de vivre a droit à son attachement et à ses services, qu'il ne peut jamais séparer son intérêt personnel de l'intérêt national, que la prospérité, le bonheur et la gloire de la patrie ne sçauroient lui être étrangers, qu'il est obligé de faire, s'il le faut, les plus grands sacrifices pour le bien de l'Etat, enfin qu'un généreux civisme doit toujours animer ses actions et ennoblir ses motifs.


Je crois que tout françois doit à son roy honneur, respect, amour et fidélité.
Je crois qu'un curé ou tout autre fonctionnaire public est obligé de s'acquitter avec soin des devoirs de sa charge ...


Telle est l'obéissance que je crois que l'on doit aux lois civiles et politiques dans tout ce qui est de son ressort ; mais je crois que l'on ne doit pas une moindre obéissance aux lois de l'Eglise dont la puissance spirituelle a été solennellement reconnue par l'Assemblée nationale elle-même. Cette puissance de l'Eglise ne peut appartenir qu'à ceux à qui Jésus-Christ qui en est le principe a daigné le communiquer. Or, ce n'est pas aux souverains du monde, ce n'est qu'à ses apôtres et à ses successeurs qu'il a dit : "Tout ce que vous lierez ... Toute puissance m'a donnée dans le ciel et sur la terre ; allez donc instruire les peuples ... et assurez-vous que je seray avec vous jusques à la consommation des siècles ..." Et en les envoyant ainsi il ne leur a pas seulement donné le droit d'enseigner les dogmes et administrer les sacrements, il y a joint celui de porter des loix qui obligent touts les membres de l'Eglise, et de prononcer des peines spirituelles contre ceux qui se rendroient coupables de désobéissance ; car il compare leur mission à la sienne : "Comme mon père m'a envoyé, dit-il, je vous envoye de même." Et qui oserait dire que le fils de Dieu vivant n'était pas revêtu de la puissance législative en matière spirituelle ? C'est en conséquence de cette mission divine que les apôtres et les premiers pasteurs leurs successeurs ont exercé dans l'église le pouvoir législatif sans le secours de la puissance temporelle ... Cette puissance spirituelle que l'église a exercé durant la violence des persécutions, auroit-elle pu la perdre par la conversion des princes ? Non, cela n'est pas ainsi, non, le monde en se soumettant à l'église n'a point acquis le droit de l'assujettir, les princes devenant les enfants de l'église n'en sont pas devenus les maîtres.


Non, les intérêts du ciel et ceux de la terre n'ont pas été réunis dans les mêmes mains ... Dieu n'a pu établir les deux puissances pour qu'elles fussent opposées. Il a voulu qu'elles pussent s'entraider et se soutenir réciproquement. Leur union est un don du ciel qui leur donne une nouvelle force et les met à portée de remplir le dessein de Dieu sur les hommes. Mais cette union réciproque ne peut être un principe de sujettion pour l'une ou pour l'autre puissance ; chacune est souveraine, indépendante, absolue dans ce qui la concerne, chacune trouve en elle-même ce qui convient à leur institution ; elles se doivent une assistance mutuelle, mais par voye de concert et de correspondance, et non par voye de subordination et de dépendance.


Si, comme on ne peut le révoquer en doute, il existe une puissance spirituelle qui a le droit de se gouverner par elle-même, touts ceux qui reconnoissent son autorité doivent non-seulement aux dogmes qu'elle propose à croire, pour le bien spirituel, une obéissance d'autant plus entière que la religion est au-dessus de la politique, l'âme au-dessous du corps, les biens du ciel au-dessus de ceux de la terre.


En conséquence de ces principes ... je crois ne devoir pas comprendre, et je déclare que j'excepte formellement, dans le serment que je vais prêter, les objets qui dépendent essentiellement de l'autorité spirituelle, car voicy mon raisonnement : il est sans réplique.


L'Assemblée nationale a déclaré que son intention n'étoit pas de porter la moindre atteinte à l'autorité spirituelle de l'église. Si cependant elle avoit passé les bornes qu'elle s'étoit prescrites, car elle n'est pas infaillible ; si, en effet, la constitution civile du clergé heurtait de front cette autorité spirituelle, auroit-elle le droit d'exiger que le clergé l'adoptât et l'approuvât par un serment, à moins qu'elle ne voulut user de la plus cruelle vexation.


Qu'il soit donc permis aux fonctionnaires ecclésiastiques publics d'annoncer dans leur serment la même intention que l'Assemblée nationale, qu'il leur soit permis en jurant de maintenir la constitution que leur intention est de respecter la puissance spirituelle et d'excepter de leur serment tout ce qui pourroit blesser ses droits. Car, ou la constitution civile du clergé touche au spirituel ou n'y touche pas ; si elle y touche, la réserve que font les ecclésiastiques à leur serment est juste et nécessaire, de l'aveu même de l'Assemblée nationale ; si elle n'y touche pas, cette réserve est indifférente et inutile, elle ne sçauroit mettre des entraves à l'exécution du décret, et par conséquent on peut sans inconvénient permettre cette réserve aux consciences timorées.


D'après les principes de la religion catholique et de notre croyance que je viens de vous développer autant que pouvoit le permettre un discours qui vous a peut-être paru trop long et manquer de capacité, d'après la déclaration cy-dessus que je requiers être insérée dans le verbal et dont je requiers aussy extrait en forme, je vais prêter le serment à la face des autels. Soyez persuadés que personne ne le prête avec plus de sincérité, que personne ne prend la divinité à témoin de ses paroles avec plus d'assurance de remplir ses engagements, parce que ce serment civil n'est que l'expression de sentiments qui ont toujours été au fond de mon coeur, et qu'en le prononçant je ne promettray rien de nouveau et que ne fairay que répéter le cri du patriotisme dont je n'ai cessé d'être animé et dont mes actions et ma conduite vous ont donné des preuves certaines :

"Je jure de veiller avec soin sur les fidèles de la paroisse qui m'a été confiée, d'être fidèle à la nation, à la loy et au roy, et de maintenir de tout mon pouvoir la constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roy."


Tel est mon préambule. Que peut-on y trouver de répréhensible pour rendre mon serment nul ? Voulez-vous bien permettre que nous l'examinions de sens froid et avec cette douceur et cette humanité qui vous caractérisent, et à Dieu ne plaise que j'aye jamais l'idée qu'aucun membre du département du Gard et du district de St-Hippolyte, qui ont toujours servi d'égide aux ecclésiastiques fonctionnaires publics de leurs ressorts, voulut en apportant à cet examen un esprit prévenu, les vouer aujourd'huy à la dérision, aux insultes et à la férocité, comme le dit l'abbé Grégoire.


Avant de commencer, je vous prie d'observer que je n'ay altéré en rien la formule du serment ordonné par le décret du 27 novembre 1790, que je l'ay prononcé mot à mot tel qu'il est dans le décret.

Dans mon préambule comme voyez, Monsieur, "je commence par professer hautement la soumission la plus parfaite à la puissance civile dans tout ce qui est de son ressort, et je crois que relativement aux objets temporels, etc ..." J'ajoute encore que "je crois qu'on ne doit pas une moindre obéissance aux loix de l'église dont la puissance spirituelle a été solennellement reconnue par l'Assemblée nationale elle-même, etc ..."


Que renferment ces deux professions de condamnable ? Convenez-en, si je n'avois exprimé que la première auroit-on eu jamais l'idée de contester la validité de mon serment ? J'exprime la seconde, je suis coupable et ma condamnation est prononcée. Mais pourquoi cette différence ? Pourquoi admettre l'une et rejeter l'autre ? Quoi ! Il me sera permis de dire que je veux être soumis à la loy civile, et il me sera défendu de dire que je veux être soumis aux loix de l'église ? On veut donc me faire un crime de professer ma religion ! Non, je ne puis imaginer, Monsieur, que dans un royaume où la religion catholique, apostolique et romaine étoit la religion de l'Etat, dans un royaume où tout autre culte que celui de cette religion étoit prescrit, un prêtre, un curé, n'auroit pas la liberté, avant de prononcer un serment, de déclarer à ses paroissiens assemblés qu'il veut être soumis à cette religion, qu'il veut y vivre et qu'il veut y mourir.

Mais comment condamner ce préambule et cette confession de foi ! Ils étoient devenus indispensables pour moy dans les circonstances où je me trouvois. Vous le sçavez, presque partout le peuple catholique étoit imbu de l'idée que ce serment étoit destructif de la religion ; il regardoit comme apostat tout prêtre qui le faisoit, et, permettez-moi de vous le dire, la joye qu'ont témoigné les non-catholiques à l'arrivée du décret qui exigeoit le serment, le zèle un peu trop ardent qu'ont mis à le faire prêter les municipalités composées de non-catholiques, le refus constant de certains districts de payer le traitement échu des curés même avant que le décret du 27 novembre fut devenu obligatoire pour eux par la publication, comme si on eut voulu mettre leur serment à prix et gêner leur liberté en ne leur laissant que cette alternative affreuse, la misère ou le serment ; l'attention qu'ils avoient de payer ceux qui, avant le temps, avoient prêté le serment ou qui, sans l'avoir prêté, apportoient un certificat de prestation de leur municipalité ; la précaution que l'on a mis de répandre dans le public une multitude infinie d'arrêts en faveur du serment, tandis qu'on supprimoit et qu'on dénonçoit même comme incendiaires ceux qui étoient contre, comme si on avoit pris à tâche d'ôter au peuple et aux fonctionnaires publics tout moyen de s'instruire ; toutes ces démarches n'étoient nullement propres à disciper les soupçons et à calmer les consciences alarmées ; ajoutez à cela un discours peu respectueux pour la religion que les papiers publics disoient avoit été prononcé en présence de l'Assemblée nationale par un de ses honorables membres, discours qu'il vouloit, - disoient ces mêmes papiers -, être adressé au peuple comme une instruction de l'Assemblée sur le serment exigé (discours, il est vray, blâmé et proscrit par cette même assemblée). Quoi de plus allarmant pour des personnes sincèrement attachées à leur religion ! Jugez, Monsieur, de ma situation dans ce moment, combien elle devoit être pénible, et si tout ne me faisait pas un devoir sacré de faire une profession solennelle de mon attachement à ma religion, et pouvoit-on alors exiger de moy que, laissant mon préambule et ma profession de foy de côté, je devinsse un sujet de scandale à mes paroissiens et à touts ceux de la contrée, et que je fusse à leurs yeux entâché d'apostasie. J'ai donc pu non seulement faire ce préambule et cette profession de foy, mais même j'ai dû le faire à cause des circonstances ; j'ai dû les faire aussy pour concilier au décret de l'Assemblée le respect du peuple, et pour prouver au même peuple que le serment qu'on me demandait n'était pas inconciliable avec la religion.


Mais mon préambule et ma profession de foy étoient défendus, me direz-vous encore. Mais il sera donc vray de dire qu'on m'aura fait un crime d'avoir fait le trente janvier ce que l'Assemblée nationale avoit fait le vingt et un du même mois, mais le département du Gard ne devoit donc pas adopter l'ouvrage de M. Grégoire, en le faisant imprimer pour être envoyé aux ecclésiastiques fonctionnaires publics pour leur servir de modèle. Vous avez lu, sans doute, ces ouvrages. N'y avez-vous pas trouvé un préembule semblable et une même profession de foy et dans des termes aussy forts ? N'avez-vous pas trouvé dans l'ouvrage de M. l'abbé Grégoire qu'il ne troupe pas l'autorité du pape assez prononcée et qu'il a réclamé contre le mode d'élection ? Ne doit-il pas, après cela, vous paroistre étonnant ainsy qu'à moy que l'Assemblée nationale n'aye pas proscrit non-seulement le préambule et la profession de foy de M. l'abbé Grégoire, mais même son ouvrage entier ? Cependant il fut reçu avec applaudissement, il fut inséré dans le verbal de la séance du jour. Je demande de n'être pas traité plus rigoureusement par le département et le district que l'a été M. l'abbé Grégoire par l'Assemblée nationale.


En voilà assez sur mon préambule et ma confession de foy. Venons-en aux exceptions que j'ay formellement exprimées avant la prestation de mon serment. Je sens bien que c'est là mon plus grand crime. Les mêmes raisons que j'ay eu l'honneur de vous exposer militent en leur faveur. J'ajouteray que j'ay pu les faire parce qu'aucun décret de l'Assemblée nationale ne le défendoit. Vous sçavez, Monsieur, que dans la déclaration du droit de l'homme, article six, il est dit "que la loy n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société ; tout ce qui n'est pas défendu par la loy ne peut être empêché et nul ne peut être contraint à ce qu'elle n'ordonne pas."

D'après ces principes, qu'il me soit permis de vous demander en quoi pouvoient nuire à la société les exceptions que j'ay fait dans mon serment. Les consciences étoient allarmées et elles le tranquilisoient, on croyoit le serment incompatible avec la religion et elles le concilioient ; elles n'étoient donc pas nuisibles à la société, la loy ne les défendoit pas, je pouvois donc le faire et personne ne pouvoit m'obliger de les supprimer puisque la loy ne l'ordonnoit pas.


D'ailleurs, j'ai dû les faire, ces exceptions car pouvois-je me dissimuler, Monsieur, qu'il ne fust douteux si, en conscience et sans blesser ma religion, je pouvois prêter mon serment sans exceptions. Le corps des évêques de France, trois ou quatre exceptés (et les évêques sont les dépositaires et les juges de la foy), refusoient le serment pur et simple ; la grande majorité bien reconnue des autres ecclésiastiques fonctionnaires publics du royaume le refusoient aussi. Ce refus constant me pouvoit-il permettre de douter, et, dans ce cas, pouvois-je laisser de côté ce principe incontestable que dans le doute, surtout quand il s'agit de sa conscience et de sa religion, il faut prendre le parti le plus sûr, et, je vous en laisse le juge, quel étoit ce parti ? N'étoit-ce pas celui que j'ay pris ?


Au surplus, ces exceptions, comme je l'ay dit après ma déclaration, ne pouvoient mettre aucun obstacle à l'exécution du décret de l'Assemblée nationale. Si par le fait elle n'avoit pas touché aux droits spirituels de l'église, en les faisant je ne faisois que me déclarer juge incompétent sur les limites de la puissance temporelle et de la puissance spirituelle, et annoncer l'intention sincère d'obéir à l'une et à l'autre, je laissois à mes supérieurs dans l'ordre politique et spirituel le soin et le droit de fixer entr'eux les bornes de leurs juridictions respectives ; j'eusse cru mal placé et même ridicule à un mince et obscur citoyen et à un ministre très subordonné comme moy de s'immiscer dans des discussions aussy graves et aussy épineuses.


Mais en faisant ces exceptions, je n'en aye fait que n'aye pas fait l'abbé Grégoire. Voyons comme il s'explique, page 31 : "L'exception du spirituel est de droit, ne fut-elle pas même énoncée." Voilà un principe qu'il établit. Et que veut-il dire ? Rien autre chose, sinon qu'il excepte le spirituel. Si l'exception n'avoit pas été de droit,  il l'auroit faite de fait. C'est pourtant en présence de l'Assemblée nationale qu'il pose un tel principe, et c'est cet auteur que le département adopte et qu'il propose pour modèle aux ecclésiastiques fonctionnaires publics de son ressort. Comment faira-t-on  après cela pour dire que mon serment est nul et que j'ay mérité ma destitution ?


Je le vois, vous allez m'objecter, Monsieur, le décret du 4 janvier dernier qui veut que le serment prescrit par le décret du 27 novembre 1790 soit prêté purement et simplement dans les termes du décret sans qu'aucun ecclésiastique puisse se permettre des préambules d'explications et de restrictions. Mais sans m'arrester aux difficultés qu'on pourroit opposer à la validité de ce décret, soit parce qu'il ne paroist pas porter la sanction du roy, soit qu'il ne paroist pas non plus conforme à la formule portée par le décret du 5 novembre 1790, qui règle le mode de promulgation des loix, je vous répondray que cette loi ne peut m'être opposée parce qu'elle n'étoit pas connue lors de la prestation de mon serment et qu'ayant avant sa promulgation rempli la loy du 27 novembre, elle ne me regardoit pas et ne pouvoit m'obliger en aucune manière. Il est évident qu'une loy n'a force de loy que quand elle est connue d'une manière légale, et cette manière est la promulgation et l'enregistrement ; avant, elle est censée non avenue et n'oblige personne. On ne pouvoit donc, en raison de cette loy, me défendre des préambules et des restrictions, à moins que l'on ne voulust, contre toutes les règles connues, lui donner un effet rétroactif. Et où en seroit-on si les loix pouvoient avoit cet effet ? Il ne seroit aucune action, quelques louables qu'elle fust, qui ne pust devenir un crime. Le bien public peut exiger l'abrogation ou l'établissement de certaines loix, mais il s'oppose nécessairement à ce qu'elles ayent un effet rétrograde. Mais pourquoy m'opposer cette loy du 4 janvier ? L'a-t-on opposé à M. l'abbé Grégoire ? Il avoit prêté son serment le 27 novembre avec préambule et restriction : avons-nous appris qu'en vertu de cette loy son serment ait été frappé de nullité, et l'Assemblée lui en a-t-elle demandé un nouveau ?


Cependant, vous m'en demandez un autre ; mais cette loy du 4 janvier dit-elle que ceux qui avoient prêté le serment avec restriction et avant ce jour-là seront tenus de le prêter de nouveau sans restriction, et c'est ce que personne n'a encore vu dans cette loy. Pourquoy donc lui faire dire, ce qu'elle ne dit pas, et lui donner une extension qu'elle n'a pas et que le législateur n'a pas prétendu lui donner, puisqu'il ne l'avance pas ? Le serment, d'ailleurs, est une chose trop pénible pour une âme honneste pour le multiplier sans nécessité ; il inspire et doit inspirer une frayeur religieuse à celui qui le prête et à ceux devant qui il est prêté, et le prêter et le répéter ne va pas avec cette crainte salutaire si nécessaire pour le faire respecter.
Vous voulez que je prête un nouveau serment sans préambule, sans profession de foy, sans restriction. Vous voulez dont que je rétracte la profession de foy solennelle que j'ay fait en présence de touts mes paroissiens et de touts ceux que (la) publicité du serment que je devois prêter avoient attiré de toute la contrée. Que penseroient-ils de moy ? Et quel droit désormais pourrois-je avoir à leur confiance et à leur estime ? Vous voulez que je prête un nouveau serment, autant, je crois, que vous me disiez de déclarer solennellement que j'abjure cette religion sainte dans laquelle j'ay eu le bonheur d'être élevé, de laquelle j'ay l'honneur d'être le ministre, dans laquelle je veux vivre et mourir.


Mais en rétractant cette profession de foy, il faut aussy que je rétracte la promesse que j'ay fait d'obéir aux loix politiques de l'Etat et d'être bon et fidèle citoyen. Je ne puis rétracter l'un sans l'autre ; je n'ay pas séparé dans mon préambule le civisme et la religion dont j'étois animé ; ils étoient identiques dans mon coeur. Non, Monsieur, je ne puis prêter un nouveau serment, il seroit regardé comme une apostasie de ma part, on le croiroit incompatible avec ma religion, et à Dieu ne plaise que je veuille par une pareille démarche accréditer une pareille idée. Ah ! si l'on ne faisoit que des heureux, les serments seroient bien inutiles, ils sont toujours insuffisants quand on ne fait que des victimes.


Vous finissez votre lettre en me disant que j'épargne, par un nouveau serment, à l'assemblée électorale le déplaisir de nommer à ma place. Vous m'annoncez donc que je suis déjà jugé coupable. Mais, dites-moy, Monsieur, quels ont été mes juges ? Devant quel tribunal ma cause a-t-elle été portée ? Seroit-ce devant le département et le district ? Mais obligez-moy de me faire connoître la loy qui vous a autorisé à me juger, à décider si mon serment est conforme à la loy ou non, si j'ay mérité d'être destitué ou non ? Vous vous estes donc attribué un droit que le corps législatif a décidé ne pouvoir lui appartenir à lui-même. Lisez l'article 19 des articles de constitution, et si vous vous estes constitués mes juges vous voirez que vous avez outre-passé vos pouvoirs. "Le pouvoir judiciaire, est-il dit dans cet article, ne pourra en aucun cas exercé par le roy ny par le corps législatif, mais la justice sera administrée au nom du roy par les seuls tribunaux établis par la loy suivant les principes de la constitution et suivant les formes établies par la loy". "Suivant les principes de la constitution et suivant les formes établies par la loy qui a établi juges les corps administratifs, et je me soumets au jugement porté contre moy, jusques alors qu'il me soit permis de la récuser.


Si je n'avois prêté aucun serment, par le décret de l'assemblée nationale, je suis déclaré déchu de ma place. Mais vous qui estes homme de loy, croyez-vous qu'il suffise que la loy déclare un homme déchu de sa place pour en être privé par cela seul ? Ne croyez-vous pas qu'il faille encore l'intervention d'un juge compétent qui, appliquant le délit à la loy, le déclare au nom du roy par une sentence, réellement déchu ? Croyez-vous, sans être requis par le juge, pouvoir convoquer le corps électoral pour nommer à ma place ? Faisons icy une comparaison ; la loy propose la peine de mort contre celui qui se rend coupable d'homicide, croyez-vous que celui qui s'en est rendu coupable soit dans le cas de perdre la vie sans qu'il intervienne une sentence du juge qui le condamne ? Et moy je perdrois ma place et mon existence sans une sentence préalable qui pourra me le persuader !

 Si, comme je ne puis en douter, n'ayant pas prêté de serment, je ne puis être destitué sans une sentence d'un juge compétent, à plus forte raison je ne puis l'être sans une sentence de ce même juge si j'en ay prêté un. Vous dites qu'il n'est pas conforme à la loy et je soutiens le contraire, qui décidera la question ? C'est un tribunal de justice qui, suivant le décret de l'assemblée nationale, doit prononcer sur la validité, et non aux corps administratifs qui n'en ont pas le pouvoir. Cependant, sans que ma cause ait été portée à aucun tribunal de justice, sans que j'ay été entendu dans ma défense, à mon insu même, vous m'anoncez que j'ai mérité une peine capitale. Je vous avoue que c'est une chose bien étrange et qui paroistra toujours bien surprenante, surtout dans un temps où le droit de l'homme et sa liberté ont  été déclaré avec tant d'authorité.


Cependant comme il est permis de se servir de touts les moyens que la loy nous donne pour défendre sa cause, j'ose me flatter que vous en prendrez pas en mauvaise part, que sans sortir des bornes de la modération qu'exige mon état et le respect que je dois aux corps administratifs, je fasse parvenir dans votre personne pour touts les électeurs du district quand ils s'assembleront à l'effet de procéder à mon remplacement, une protestation contre tout ce qui se faira contre moy et pour rendre responsables, tant vous que touts en général et chacun en particulier, des torts que je pourrois éprouver, et pour vous déclarer que je me regarderay toujours comme curé de Colognac, jusqu'à ce qu'un tribunal compétent ait jugé la validité ou la nullité de mon serment, m'ayant déclaré déchu de ma place et vous ait requis de procédé à mon remplacement. Mais en même temps j'ay l'honneur de vous déclarer que je n'entends en aucune manière opposer la moindre résistance à la force et à la violence dont on pourroit user à mon égard, que ma réclamation dans ce cas sera purement passive et que je ne m'écarteroy jamais des devoirs que m'impose ma double qualité de citoyens et de prêtre.


Je suis avec respect, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,


SOLIER, prieur-curé de Colognac
A Colognac, le 4 mars 1791

Le procureur-syndic Despuech ne voulut pas discuter avec Solier ou s'avoua vaincu. Toujours est-il que, pour se conformer à la lettre de la loi, il se borna à demander, le 30 mars, à la municipalité de Colognac, le texte exact du serment prêté par le prieur, annoncé comme étant joint au procès-verbal du 30 janvier et qu'on avait omis de lui faire parvenir. Elle répondit en ces termes :


M. notre curé fit un long discours avant la prestation de son serment. Nous l'aurions inséré de suite, ainsi qu'il le désirait, dans le registre, si nous l'avions eu ; il se trouva à Lasalle. Comme ce discours nous parut un peu long et qu'il nous paroissoit inutile de l'inscrire dans le verbal, nous demandâmes à M. le curé de nous donner par écrit le résultat de son discours et de son serment, ce qu'il fit de la manière suivante :
"Nous, Jean-Louis Solier, prieur curé du lieu de Colognac, certifions et attestons que dans le serment que nous avons fait entre les mains des officiers municipaux dudit lieu, le dimanche trente janvier, à l'issue de la messe paroissiale et aux pieds des autels, en conformité du décret de l'assemblée nationale du vingt-sept novembre dernier, relatif au serment des ecclésiastiques fonctionnaires publics, j'ay formellement excepté les objets qui dépendent essentiellement de l'autorité spirituelle, et que nuls autres motifs que ma conscience et ma religion ne m'ont dicté cette réserve, et que je ne puis prêter d'autres serments sous cette exception. En foy de quoy nous nous sommes signé, à Colognac, le trente janvier mil sept cent quatre-vingt-onze, Solier, prieur-curé."

Nous vous observons qu'il a prêté mot à mot le serment tel qu'il est porté par le décret sans y rien ajouter ni diminuer ; que les réserves qu'il déclare avoir fait dans le certificat qu'il nous avoit donné signé de sa main et qui a servi de base à notre verbal, il les avoit faites dans son discours qu'il nous avoit requis d'insérer dans ledit verbal, en sorte que ces réserves faites avant n'ont pas altéré la formule du serment qu'il a prêté ainsi que la loy le porte.
Voilà exactement ce qui s'est passé. M. le curé nous a lu la lettre qu'il a eu l'honneur de vous écrire en réponse à celle dont vous l'honnorâtes le vingt de février dernier ; elle contient la manière dont il s'est exprimé, vous pouvez la consulter.
Nous sommes avec respect, Monsieur, vos très humbles et très obéissants serviteurs,
Viala, maire ; Viala, officier municipal ; Guiraud, officier municipal.
A Colognac, le 31 mars 1791. (1)

Solier persistant dans ses restrictions, son serment fut considéré comme nul, et on lui donna un successeur. C'est alors qu'ils se retira à Lassalle.

(1) Cette lettre est de l'écriture du prieur Solier (sauf les signatures), et elle est suivie de cette attestation :
"Nous, Jean-Louis Solier, curé du lieu de Colognac, certifions que la déclaration cy-dessous relative au serment que j'ay prêté est la même que j'ay donné à MM. les officiers municipaux dudit lieu le trente janvier dernier. En foy de ce, nous nous sommes signé.
A Colognac, le 31 mars 1791. Solier, curé.

 Extraits :
Le Furet Nimois
Journal hebdomadaire, Artistique, Littéraire et Financier
10ème année - N° 554 - Du 11 au 17 janvier 1890
à 11ème année - N° 564 - Du 23 au 30 mars 1890

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