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La Maraîchine Normande
25 août 2014

1793 - CALENDRIER DU PEUPLE FRANC

CALENDRIER DU PEUPLE FRANC
Pour servir à l'Instruction publique, rédigé par une société de philanthropes*, pour l'an IIe de la République, 1793.

Tel est l'intitulé du livre édité à Angers "de l'imprimerie de Jaher et Geslin, rue Milton", en un volume in-8 jésus de 224 pages, probablement peu de temps avant l'adoption officielle du calendrier de la grande Révolution.
Cet ouvrage vraiment curieux reflète bien fidèlement les idées de l'époque.

 

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Les auteurs ont-ils été réellement les précurseurs du calendrier républicain ? Ont-ils obtenu, par la diffusion de leur livre, la réalisation de leur projet, c'est-à-dire l'adoption officielle et obligatoire d'un nouveau calendrier ?
N'ont-ils, au contraire, rien préparé par eux-mêmes, mais seulement réuni en un livre et sous forme concrète, les idées déjà dans l'air, les réformes réclamées par le plus grand nombre ?
D'autres projets de calendrier avaient-ils déjà paru à Paris ou en province ?


Questions que je ne puis que poser, que je trouve intéressantes et dont je laisse les réponses aux chercheurs.
Mais les philanthropes, auteurs de ce calendrier, ne seraient-ils que de simples compilateurs, que l'intérêt de leur livre n'en resterait pas moins entier pour nous, en ce moment surtout, où, à cent dix ans de distance, la question semble redevenir d'actualité. On dit en effet, que l'histoire n'est qu'un "perpétuel recommencement" et la lecture du "discours préliminaire" qui sert de préface à ce livre, reprend un intérêt nouveau, quand on peut lire dans un journal de nos jours, l'information vraie ou fausse, du dépôt, à la Chambre, d'une pétition tendant à obtenir la remise en vigueur du calendrier républicain, et dont les motifs, développés en quelques lignes, semblent être puisés dans le "discours préliminaire".


L'ouvrage se divise en trois parties :
I° Discours préliminaire ;
II° Calendrier ;
III° Notice par ordre alphabétique sur le caractère et les actions des saints du nouveau calendrier.

Le discours préliminaire, développé en 24 pages, dans le style pompeux et ampoulé de l'époque, est en réalité l'âme du livre. Il expose les raisons militant en faveur de l'adoption d'un nouveau calendrier : nécessité de remplacer les demi-dieux de la Rome chrétienne par de "nouveaux saints" tirés ou inspirés des héros de l'antique, de donner de nouveaux noms aux mois et aux jours, de substituer de nouvelles fêtes aux anciennes.


La lecture en est facile et amusante ; l'analyse, par contre, en semble difficile : la faire en quelques lignes, c'est en enlever tout le charme ; la développer, c'est, en procédant par extraits, faire parler les auteurs, mais amener des longueurs en dehors peut-être du cadre du sujet.


"Rome payenne, nous a transmis le calendrier, c'est-à-dire, la distribution des mois et des jours, Rome chrétienne l'a rempli de ses demi-Dieux, et quels demi-Dieux ! Liberté sublime ! la philosophie pourrait-elle nous absoudre de rappeler les actes qui leur ont mérité l'apothéose !"


Tel est l'exorde du discours préliminaire. Après un rapide examen des héros antiques dont "Artémise, cette tendre martyre de l'amour conjugal, de ces héros" qui ... ne consumaient "point un temps précieux dans de froides oraisons, ou dans des méditations oisives, ... n'exerçaient point sur leur corps des actes insensés de rigueur ... étaient bien éloignés de penser que pour honorer le Créateur, il fallût anéantir la créature ...", on leur compare les demi-dieux de la Rome chrétienne.
"Maintenant, peuples de l'Europe, soyez attentifs au contraste et frémissez d'indignation. Quels sont les héros que Rome vous propose pour modèles ? ... c'est un Bernard le prédicateur des Croisades ..., c'est un Thomas Becquet, cet opiniâtre défenseur des droits temporels d'un royaume qui n'est pas de ce monde ..."
Louis Capet mérite d'être placé par le muphti romain, au même rang que ceux-là "... un autre Lama, n'a-t-il pas fait l'apothéose de Louis IX, parce que ce roi, qui, d'ailleurs ne fut pas sans vertus, creusa dans l'Orient le tombeau de plusieurs milliers de Français pour conquérir celui de son Dieu ?"
"Pour nous que la raison a guéris des préjugés de l'enfance ... nous enfin que la révolution a élevé (sic) à la dignité d'hommes, nous abjurons solennellement le patronage des demi-Dieux romains. La Liberté, voilà notre Idole, ses défenseurs, voilà nos héros, voilà nos Saints".


Les noms de l'antiquité étaient significatifs, "ils désignaient à ceux qui en étaient revêtus ... ou des vices à fuir ou des vertus à pratiquer ... Socrate signifie en grec "maître de soi", jamais homme ne maîtrisa mieux son tempérament, que le philosophe qui a porté ce nom. Jamais homme né avec plus de penchant pour l'irascibilité, ne sût mieux réprimer sa colère ..."
A ces noms significatifs, les Romains ajoutaient des noms d'adoption, et "le nom d'un homme célèbre imposait de grands devoirs à celui qui le tenait par adoption".
D'où le désir de voir les jeunes citoyens recevoir, en naissant, un nom tiré des attributs du citoyen et du philanthrope, ou même des divers actes de la société" ... "qu'un homme livré au travaux des champs, appelât son fils du nom patronimique de laboureur, d'agricole, etc., - que celui d'un militaire portât le nom de guerrier ou de martial ou de belliqueux, etc ..."
De plus, arrivé à 21 ans, âge de "l'inscription civique", le jeune citoyen ajouterait à son nom patronymique celui d'un homme célèbre - le magistrat proclamerait solennellement ce nom adoptif et avertirait l'impétrant de ne jamais perdre de vue le modèle proposé.
D'où l'utilité de composer un tableau des principales actions et du caractère des hommes célèbres, et c'est, fondé sur ces diverses considérations, qu'est composé le Calendrier du Peuple Franc.
"Pénétrés d'une sainte horreur au seul nom de ces êtres tyrans "qu'on appelle rois", on exclut soigneusement ceux-ci de la légende philosophique, exception faite des rois lacédémoniens et de quatre femmes dépositaires de l'autorité "Zénobie, Ulrique, etc." (cet etc. remplace, dans le texte, le nom des deux autres).


Mais une nomenclature des noms ne suffirait pas ; le calendrier contiendra donc, devant chacun d'eux, un résumé succinct des actions de "nos héros".


Les héros du Vatican étant exclus du calendrier civique, les fêtes religieuses trouvent, elles aussi, près de nos auteurs philanthropes, des "réformateurs rigides".
"... tout ce qui rappelle un culte oppressif doit être banni du sol de la Liberté", mais il faut aux hommes laborieux des jours fixes de repos, et pour tous les citoyens des fêtes nationales entretenant "une douce fraternité" et "cette franche gaieté qui n'asserene (sic) que le front de l'homme libre."
Il serait à désirer que les magistrats du peuple fussent les ministres de ce nouveau culte, et en dirigeassent et l'esprit et les rites, "... quelle impression ne ferait point, dans l'âme d'un peuple sensible, la commémoration de la prise de la Bastille, par exemple ? lorsqu'au milieu de l'appareil dont se serait avisé l'ingénieux Patriotisme, des magistrats s'écrieraient avec l'accent d'une joie vive et pure : "Citoyens, à pareil jour, il y a ... années, la Bastille, ce monument de la servitude de vos pères, s'écroula sous des mains généreuses, et la Liberté fût conquise ; livrez-vous à la joie qui inspire une si belle fête."


Dans le calendrier romain se trouvent deux fêtes qui, depuis dix-huit siècles, sont le signal de l'allégresse populaire : Noël et les Rois. Il faut bannir les Rois, et des bouches et des cérémonies, mais il faut aussi ne pas affliger les hommes faibles en leur enlevant des fêtes d'habitude. On conservera donc ces fêtes, mais en en changeant et le nom et l'esprit. Noël deviendra la fête de la jeunesse, et la fête des Rois celle des Nations, poussant "l'illusion jusques dans l'analogie numérique, car les trois "républiques de France, de Rauracie (?) et des Etats-Unis, remplaçant fort bien les trois Rois : Gaspard, Melchior et Balthasar".


Enfin, à l'exemple des jours néfastes ou malheureux des Romains, des jours seraient notés dans le calendrier, commémorant les grands crimes ou les grands revers, des nouvelles et anciennes annales, tel le jour où Simonneau, maire d'Etampes, "mourût pour la Loi", tel encore celui de la Saint-Barthélémy.


Un autre genre de réforme "qui a besoin, pour être réalisé avec succès, "de l'appui des lois et du sceau de l'opinion publique", c'est le changement du nom des mois et des jours. Les noms romains affectés aux mois ne correspondent plus, dans notre langue, à l'idée du nom donné par les Romains. Ainsi, décembre, qui reçut ce nom parce qu'il était le dixième de l'année romaine, occupe la douzième place dans la nôtre. Mieux vaut donc donner aux mois un nom exprimant "l'état de la nature chaque saison, ou dans chaque partie de la saison", ou "rappelant au peuple les grandes époques de son histoire, ses usages et ses coutumes".

 

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Dès lors, janvier prendra le nom de "mois des Frimats" ; février "mois civique ou du Serment" ; mars, qui a cela de remarquable d'avoir vu tomber trois des plus grands ennemis de la liberté, l'un à Rome, l'autre à Stockholm, le troisième à Vienne, sera le mois "de la Liberté" ; avril "mois des Fleurs" ; mai "mois de la Verdure" ; juin, qui a vu l'abolition de la noblesse et l'arrestation de Louis XVI, "mois du Peuple" ; juillet "mois de la Révolution" ; août, rappelant la suspension de Louis XVI et les évènements du 10 août, "mois de l'Egalité" ; septembre "a vu fuir honteusement les nombreux satellites du despotisme, qui, pendant trois semaines, ont dévoré la France en idée", sera donc "le mois de la Retraite" ; octobre "mois des Vendanges" ; novembre "mois des Victoires", "à cause de nos succès en Belgique". "Enfin, le douzième mois, célèbre à jamais par la discussion sur le sort de Louis Capet, sera le mois du "Procès".

 

WILLIAM HERSCHEL

"Avant de déposer le scalpel de la réforme, nous vons cru devoir le porter sur deux jours de la semaine qui rappellent l'Eglise et la Synagogue, savoir : le Dimanche et le Samedi". Rome idolâtre donnait à chaque jour un nom de planète, c'est donc à elle "qu'il faut redemander la planète que le Sabat vint si injustement chasser de son domaine". Cette planète, c'est Saturne. - Le Dimanche était le dies solis, "mais comme depuis deux siècles, cet astre est condamné à être immobile au centre de l'univers" et que Herschel a découvert une nouvelle planète, il faut placer celle-ci dans le calendrier. "Nous ne prétendons point lui conserver le nom de Georges III, dont l'a souillée cette astronome adulateur ... et bien qu'Herschel ait lâchement accordé à un mangeur d'hommes le plus signalé des honneurs ... néanmoins nous lui restituons tout l'honneur de sa découverte", et pour compléter l'analogie, on ajoutera en tête le Di étymologique, et samedi et dimanche deviendront Disaturne et Diherschel.


Le discours préliminaire finit ainsi : "Là se sont terminées nos innovations patriotiques. On sent bien que, pour offrir quelques justesses d'analogie, elles n'en sont pas moins l'ouvrage du caprice, et que, la dénomination des mois principalement est susceptible d'une plus exacte régularité, mais c'est à des observations plus mûres et plus étendues à l'amener. Pour nous, satisfaits d'avoir ouvert la carrière, nous laissons à des génies plus heureux et surtout à l'autorité des Lois, le soin de perfectionner un travail que nous n'avons fait qu'ébaucher."

 

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La deuxième partie du livre est le calendrier proprement dit.
En tête de chaque mois se trouve comme une dédicace des saints auquel il est spécialement consacrés.
Le mois des Frimas appartient aux législateurs, homme d'Etat, politiques, orateurs. Lycurgue, législateur lacédémonien, y coudoie Bossuet, orateur français et Publicola, homme d'Etat romain.
Dans le mois du Serment civique prennent place les hommes vertueux, tels, Cléobis et Biton, Regulus, Dassas et Beaurepaire.
Le mois de la Liberté appartient aux tyrannicides et amis de la liberté, - Coton, Guitton, Brutus, Ankastroën (Suédois), etc.
Le mois des Fleurs est réservé aux femmes illustres.
Celui de la Verdure, aux poètes, tels Boileau, Racine, Pindare, Homère, Voltaire, etc.
Le mois du Peuple voit les astronomes, mathématiciens, géographes.
Et le mois de la Révolution, les hommes de mer.
Celui de l'Egalité, les physiciens, historiens, littérateurs.
Le mois de la Retraite est consacré aux peintres et sculpteurs.
Celui des Vendanges, aux architectes, méchaniciens (sic, acteurs et musiciens.
Enfin le mois des Victoires comprend les grands capitaines et guerriers fameux ; et celui du Procès, les philosophes.
Chaque mois comprend encore une ou plusieurs dates ou fêtes déterminées, rappelant un fait remarquable.
Ainsi : le 25 des Frimas, l'Assemblée Constituante abolit le préjugé attachés aux famille des criminels, 1790.
Le 13 du Serment, l'Assemblée Constituante supprime les ordres religieux.
Le 3 de la Liberté, Simonneau, maire d'Etampes, meurt pour la Loi.

 

JACQUES GUILLAUME SIMONNEAU MAIRE D'ETAMPES

 

La troisième partie : "Notice par ordre alphabétique sur le caractère et les actions des saints du nouveau calendrier" est un lexique rédigé en 194 pages, donnant un résumé plus ou moins détaillé de la vie, des oeuvres, etc., des grands hommes "nouveaux saints".
Les philanthropes auteurs du "Calendrier du Peuple Franc" ont conservé l'anonymat, "des génies plus heureux" ont repris et complété leurs projets de réforme, que "l'autorité des Lois" consacra officiellement. Du moins, si ces idées des auteurs du livre leur étaient vraiment personnelles, ils durent éprouver la joie d'en voir adopter et l'esprit, et en partie le programme.

 

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La première République leur semble redevable des noms de frimaire, floréal, prairial et vendémiaire.
Mais ils n'expurgèrent point assez, je crois, du nombre des nouveaux saints, des hommes prêtant trop à la critique révolutionnaire et montrèrent sans doute trop d'impartialité dans leur appréciation du caractère de chacun en la troisième partie de leur livre ; on n'y dénie point, en effet, toutes vertus à Bossuet, Massillon, de Sévigné et tant d'autres.
Ne serait-ce point une raison, pour que le "Calendrier du Peuple Franc" n'ait point été accepté, dès son apparition, en son entier et comme calendrier officiel de la République ?
Enfin et, pour terminer par un contraste, dans l'intérieur de ce livre et lui servant de signet, se trouvait une image coloriée, datant peut-être de l'époque - portant à l'angle droit supérieur le n° 235 - représentant un prêtre en surplis en adoration devant la Croix du Calvaire et contenant dans un cartouche l'inscription : "Saint François-Xavier, apôtre des Indes, aux pieds de la Sainte Croix de J. Chr."

X. BLANCHET MAGON DE LA LANDE
Extrait : Bulletin de la société archéologique, historique et artistique
LE VIEUX PAPIER
Cinquième année
Fascicule n° 24
1er mai 1904

* [Mevolhon, Nortode, J.-B. Cordier et autres angevins]

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