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La Maraîchine Normande
5 août 2014

LA VENDÉE, SON NOM.

LA VENDÉE, SON NOM

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Pour être quelqu'un, pour être quelque chose, il faut avoir un nom. Quand on se fait un nom, c'est qu'on a acquis de la valeur dans l'opinion des hommes ; un homme, une chose qui n'ont pas de noms, ne sont pas à compter. Sur votre nom se groupe le souvenir de toutes vos actions, si vous êtes un homme ; par votre nom s'exprime tout ce qui constitue votre mérite social, si vous êtes un peuple. A défaut d'un nom pour les réunir, on ne verrait dans la vie d'un homme que des actions éparses ; et l'on n'apercevrait pas, ou du moins on ne dirait pas, ou l'on dirait mal, que le conquérant des Gaules est le même que le vainqueur de Pompée et le dominateur de Rome, si on ne pouvait l'appeler César. Comment concevoir notre pays comme une nation, si nous ne pouvions lui donner le nom de France.


Le nom alors se confond avec la personne, avec la chose, et parler du saint nom de Dieu, c'est parler de Dieu ; jurer contre se nom sacré, c'est blasphémer contre Dieu même.


Un nom, quand on le choisit, doit être approprié à la personne, à la chose que l'on veut nommer ; mais souvent le nom vient avec la chose, il tire sa valeur de l'homme qui le porte, sans rapport avec son étymologie, sans même, dans certains cas, que l'on puisse déterminer son origine primitive. Il y a des noms aussi qui ont une singulière fortune, et qui, appliqués d'abord comme fortuitement à une chose à laquelle ils étaient étrangers, deviennent ensuite admirablement propres à la désigner, et acquièrent tout l'éclat qui lui est dû.


Quant les législateurs de 1789, voulant en quelque sorte reprendre l'humanité à neuf, prétendirent faire disparaître, des dénominations même données aux nouvelles divisions de notre territoire, toute trace de notre histoire, il est arrivé qu'ils sont tombés sur un mot qui s'est prêté, on ne peut mieux, à la désignation d'un peuple qui allait se révéler en constituant une unité historique et sociale.


Quand on parle de la convenance que ce nom de Vendée devait avoir avec ce peuple encore ignoré et innommé, on ne saurait l'entendre de son origine qui est resté inconnue, ni de la signification qu'il avait eu jusqu'alors.

 

Fontenay le Comte


C'était le nom d'une petite rivière, la moindre peut-être de celles qui ont servi à dénommer un département. Prenant sa source dans l'extrémité restée la plus obscure du pays qui allait illustrer son nom, elle n'a guère atteint que le quart de son modeste cours, quand elle en sort, sortant aussi du département des Deux-Sèvres ; puis elle le continue dans celui de la Vendée, en côtoyant de près ses limites orientales, mais dans une partie de son territoire restée étrangère à l'insurrection Vendéenne.


Voyez cependant comme son nom aurait manqué si, par exemple, notre département se fut appelé le département des Côtes-de-l'Ouest, des Deux-Lays ou des Deux-Sèvres-Inférieures ? Impossible de tirer de ces dénominations complexes un mot pour désigner les habitants d'un pays. Après le département de la Vendée, à peine y a-t-il un autre qui ait servi à une désignation semblable.


Et si l'on dit quelquefois un Morbihanais comme l'on dit un Vendéen, n'est-ce pas parce que le Morbihan a été comme une autre Vendée ? Le nom de Girondin a été aussi tiré de celui d'un département, mais il ne s'est jamais appliqué aux habitants de la Gironde pris en général, on l'a donné seulement à ses députés et au parti dont ils ont été la tête à la Convention. La raison pour laquelle les noms des départements ne servent guère à désigner leurs habitants, alors même qu'ils pourraient, par leur forme, se prêter à cet usage, c'est que nos divisions départementales ont été purement arbitraires et qu'elles n'impliquent aucune unité morale ou sociale. Je ne sais si cela pourra arriver par la suite, mais il faut, pour obtenir ce résultat, qu'il se produise entre les habitants ainsi réunis administrativement, comme une fusion spéciale, par la continuité des rapports et des intérêts communs. Disons mieux, il faut pour cela arriver au point d'avoir une histoire qui vous soit propre. Jusque-là on continuera à emprunter à nos anciennes provinces la désignation des habitants des différentes parties de notre pays sans égard aux limites départementales. On peut dire que la Vendée, seule, a fait exception jusqu'à présent, si on l'entend dans ce sens que son nom a acquis la même valeur qu'une désignation provinciale, car un Morbihanais est resté principalement un Breton, tandis que dire un Vendéen s'entend bien moins d'un habitant du département de la Vendée que de quelqu'un qui appartient par la race ou par le coeur au pays illustré par sa lutte contre la révolution.


On peut regarder comme les limites de ce pays, disent les Mémoires de Madame de la Rochejaquelein, "la Loire, au nord, de Nantes à Angers ; au couchant, Paimboeuf, Pornic et leurs territoires marécageux, ensuite l'Océan, depuis Bourgneuf jusqu'à Saint-Gilles. Des autres côtés, une ligne qui partirait un peu au-dessus des Sables et passerait entre Luçon et la Roche-sur-Yon, entre Fontenay et la Châtaigneraie, puis à Parthenay, Thouars, Vihiers, Thouarcé, Brissac, et viendrait aboutir à la Loire, un peu au-dessous des Ponts-de-Cé."


La carte qui accompagne ces Mémoires, dans l'édition de 1822, encadre, en effet, le pays insurgé dans les limites ainsi déterminées d'une manière assez exacte, sauf des sinuosités qui devraient embrasser, je pense, Grosbreuil, Saint-Hilaire-de-Talmont et le Poiroux à l'ouest ; pour le sûr, Saint-Laurent-la-Salle et Bourneau au sud, en laissant un peu en dehors de l'enceinte ainsi tracée, Marsais et Vouvant ; et de même à l'est, Parthenay, Airvault et Thouars.


A ce pays, un peuple qui l'habitait, il fallait un nom. Ce n'était plus seulement des Poitevins, des Angevins, des Bretons que ces hommes liés entre eux par une si admirable communauté d'idées et d'actions. Il leur fallait un nom qui leur fut commun.


Ils avaient de commun jusqu'alors, outre des moeurs, des habitudes, des croyances, d'être pour la plupart des habitants du Bocage, je ne dirai pas des Boquins, car ce nom n'était pas d'un usage aussi général, et il me paraît s'être entendu souvent en mauvaise part [Il s'entendait en mauvaise part dans la plaine voisine entre Fontenay et Luçon, dans le sens d'un esprit peu ouvert. Réciproquement, le nom de Plaineau, habitant de la plaine, était pris par les Boquins en mauvaise part, dans le sens d'une probité douteuse. Dans la plaine toute différente qui s'étend au nord à partir de Thouars, il paraît que les habitants du bocage voisin étaient appelés des "Bigots". Dans la plaine limitrophe de la Gâtine, on ne connaissait les habitants du bocage que sous le nom de "Gâtinais.] Le nom de Bocage, pour le Bocage même, n'était pas usité partout. Celui de Gâtine lui était donné dans toutes les contrées qui avoisinent Parthenay jusqu'aux abords de la Châtaigneraie et de Bressuire. Et ce nom lui-même était si peu connus dans les autres parties du Bocage, qu'il n'a pu leur être appliqué que par méprise.


La Gâtine, les Mauges, les Marches angevines et bretonnes, le pays de Retz, étaient des parties du Bocage qui se tenaient toutes et pouvaient former un ensemble ; le Marais leur fut associé, tout en restant autre chose. Il s'agit là, bien entendu, du marais qui s'étend sur les côtes de l'Océan entre Saint-Gilles et Bourgneuf, très différent de cet autre marais situé aussi en partie dans le département de la Vendée, sur les limites de la Charente-Inférieure.


Dans le bocage poitevin, on distingue le Haut-Pays au nord, et le Bas-Pays au sud. En Anjou, on avait aussi le Pé-Haut et le Pé-Bas. Le Pé-Haut était la plaine qui s'étend de Doué à Saumur et qui avait embrassé le parti de la Révolution ; le Pé-Bas, au contraire, n'était autre que le pays des Mauges, le bocage angevin, qui la combattit si vaillamment.

 

Vendée Militaire


Tous ces noms n'ont pu servir qu'à désigner les différentes parties du pays insurgé et encore, seulement, d'une manière un peu flottante. Il lui fallait un nom qui lui fut appliqué dans son ensemble. Dans ces conditions, le nom de Vendée s'est rencontré d'une manière qu'on dirait toute fortuite, si on ne devait plutôt l'appeler providentielle. Elle a été, dans tous les cas, on ne peut plus heureuse. Fortuite, elle l'a été dans ce sens qu'il n'y avait originairement aucune corrélation entre le nom et la chose. Pour que le nom de Vendée d'abord ait été donné au département lui-même, il a fallu que nos  constituants de 1789 se soient trouvés dans une sorte de pénurie, quant aux conditions physiques du sol quelque peu remarquables, auxquelles ils étaient résolus d'emprunter toutes les dénominations départementales. Il ne s'est étendu ensuite à tout le pays insurgé que très accidentellement. Il est arrivé ainsi que les plus grandes illustrations vendéennes, les Cathelineau, Bonchamps, d'Elbée, Lescure, la Rochejaquelein, Charette, et les populations qui les ont mises à leur tête, n'étaient pas du département de la Vendée. On sait comment le nom de Vendée s'est étendu jusqu'à eux. Dès les premiers troubles soulevés par l'intrusion des prêtres  assermentés et la persécution du clergé fidèle, l'attention du gouvernement s'était porté principalement sur le département où les difficultés qui en résultaient pour lui se présentaient sur une plus grande superficie. Quand vint l'insurrection, les premiers succès des insurgés, sous la conduite de MM. de Baudry, de Sapinaud et de Royrand, aux Herbiers, aux Quatre-Chemins de l'Oie, à Chantonnay, au Pont-Charrault, portèrent l'attention principale encore sur le département de la Vendée, et son nom prévalut aussitôt pour grouper sous un seul mot tous les cas semblables ; il prévalut d'autant mieux qu'on l'adopta sans réflexion, et qu'on n'en avait aucun autre sous la main pour désigner la chose, aussi brièvement, avec autant de précision.


En cela même, tout est providentiel, le nom de Vendée s'est trouvé parfaitement approprié à la destination qu'il recevait de la sorte. Par cela même que sa signification antérieure était de peu d'importance, il appartiendra mieux à la grande chose, chose toute nouvelle, qu'il allait dénommer. Par sa forme, il s'est prêté à désigner un peuple, vu la facilité de faire avec le mot de Vendée celui de Vendéen. Et ce peuple ayant été appelé un peuple de géants par l'homme qui, avec ses prodigieux écarts, est resté la plus grande figure de notre siècle, les noms de Vendée et de Vendéens resteront parmi les plus glorieux que l'on aime à porter.

GRIMOUARD DE SAINT-LAURENT
Revue de la Société littéraire, artistique et archéologique de la Vendée
1ère année - 1ère livraison - 1882

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