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La Maraîchine Normande
30 juillet 2014

BOURGEOISES SOUS LA TERREUR ... "BONNE MAMAN", ÉLISABETH ET MARIE-JEANNE BARBERON ...

BOURGEOISES SOUS LA TERREUR

"Ma conviction, disait Montalembert, est que le plus grand des maux, dans une société politique, c'est la peur. Dans cette époque infâme et sanglante que l'on veut à tout prix réhabiliter, savez-vous quel a été le principe de toutes nos catastrophes ? C'est la peur ! Oui, la peur qu'avaient les honnêtes gens  des scélérats, et même la peur que les petits scélérats avaient des grands". Juste vue d'une époque si bien nommée "la Terreur", et d'abord "la Grande Peur". Mais il y eut des exceptions : telle Charlotte Corday ; telle aussi la courageuse jeune femme que nous dépeint un charmant petit livre, Vieilles Gens et Vieilles choses (par Mlle Marie Maugeret Paris, Tolra, 1923).


L'auteur y a ravivé les souvenirs pâlis des jours qui ne sont plus, et pieusement recueilli les souvenirs d'une grand'mère qui aurait aujourd'hui plus de cent cinquante ans. Type accompli de la bourgeoise provinciale du XVIIIe siècle, avant-dernière enfant d'une famille qui comptait onze filles et onze garçons, cette "Bonne-Maman" s'était mariée sous la Terreur ; elle avait ostensiblement porté le deuil de Louis XVI et de Marie-Antoinette ; vers le milieu du XIXe siècle, elle restait attachée par toutes ses fibres à l'ancien régime, et elle racontait à ses nombreux petits-enfants, sur "les gueux de Quatre-vingt-treize", de palpitantes histoires.


De génération en génération, sa famille a habité Dreux. Comme toute la population, elle est fidèle "au culte de la Vierge Noire de la blonde cathédrale du pays des blés". Mais on cherche alors des figurants pour la fête de la Raison et, comme Bonne-Maman était rayonnante de jeunesse et de beauté, les délégués du District viennent lui proposer le rôle de déesse : "Moi ? s'écrie-t-elle, moi ! Allez donc chercher quelque fille du ruisseau ; c'est ce qu'il vous faut !" et elle ferma la porte au nez des jacobins qu'elle avait reçus dans le corridor.


Pour la Fête de la Fédération, les femmes durent confectionner les roses de papier destinées à l'autel de la place publique : "Je dus faire comme tout le monde, aller à l'atelier improvisé à cet effet, mais je m'étais promis de les "si cochonner", leurs roses, qu'ils seraient obligés de me renvoyer. Ah ! si vous les aviez vues, mes roses ! ... On comprit que je n'étais bonne à rien et on me renvoya. Mais j'avais eu le plaisir de gâcher tout ce que j'avais pu."


Un beau jour, elle est en train de se coiffer dans sa chambre du rez-de-chaussée, lorsqu'elle entend un tumulte dans la rue : elle se précipite à la fenêtre, aperçoit "un ramassis de garnements" qui entouraient son beau-frère Giroust, saute par la fenêtre et se jette au milieu de la foule qui "vociférait des cris de mort". L'un des "bandits" lui marche sur le pied et elle perd sa pantoufle ; elle la ramasse prestement et en soufflette le bandit qui "a le toupet de vouloir l'embrasser". Les autres "s'esclaffent de rire, tout en continuant leur galopade effrénée". Elle les suit au District, bouscule le planton et "entre en coup de vent, dans le bureau du chef de district". Brave homme au fond, celui-ci avait accepté la fonction "plutôt pour empêcher les excès que pour les favoriser". Elle lui explique en deux mots qu'il faut empêcher ces gueux de faire guillotiner son beau-frère ; "Mais comment ? ... C'est bien simple, citoyen. Ils te l'amènent, garde-le, cache-le chez toi, et, cette nuit, on le fera évader". Ainsi fut fait. Le bonhomme jura à la foule que le suspect serait déféré sans retard au Tribunal révolutionnaire et que "satisfaction serait donnée à ces braves citoyens qui avaient fait vaillamment leur devoir en dénonçant un suspect d'incivisme à l'encontre de la République une et indivisible". Les braves citoyens allèrent "boire un coup" pour arroser leur belle action ... et Giroust recouvra la liberté.


La jeune fille se maria dans une cave aux soupiraux calfeutrés. L'officiant, frère du marié, avait été confesseur de Madame Elisabeth. Prêtre insermenté, il vivait emmuré dans une étroite cachette du grenier. Un jour qu'il prenait l'air au jardin en lisant son bréviaire, arrive une patrouille conduite par un envoyé du District. Bonne-Maman le connaissait bien, le personnage ! "Il s'appliquait à faire peur parce qu'il avait peur pour lui. Il aurait assassiné au besoin pour n'être pas assassiné lui-même". Bonne-Maman était en train de ramasser des draps qui séchaient sur leurs cordes au fond du jardin. Dès qu'elle entend la patrouille cogner à la porte, elle se précipite vers son beau-frère, l'étend par terre, lui décharge sur le dos tout son paquet de draps, s'assied dessus et se met à chanter, "tout en étirant tranquillement un de ses draps".  "Citoyenne, lui dit le chef de la bande, on sait qu'il y a des prêtres réfractaires cachés ici ; il faut les livrer à la justice du peuple qui n'en veut plus de ces perturbateurs de l'ordre public. Et tu sais ce qui attend le mauvais citoyen qui leur donnerait asile au mépris des justes lois de la République une et indivisible. - Des prêtres ici ! riposta la jeune femme ; mais depuis le temps que vous fouillez la maison de la cave au grenier, vous feriez donc bien mal votre besogne de bons citoyens, que vous ne les auriez pas encore découverts ! A moins qu'il n'y en ait un là, sous moi, je ne sais pas où il pourrait bien y en avoir ..." Elle prononça si tranquillement ces paroles d'une prodigieuse audace que son beau-frère, à vrai dire peu rassuré sous le paquet de linge, échappa aux sans-culottes ...


Encore une histoire, celle-ci plus horrible.


Une bande de "Chauffeurs" terrorisait la Beauce, brûlant les pieds des paysans pour les forcer à livrer leur argent. Dans une maison dont tous les hommes sont aux armées, la maîtresse, proche parente de Bonne-Maman, reste seule avec une vieille servante. Elles savent qu'un ancien serviteur, affilié à la bande, doit venir une nuit avec un complice pour les assassiner et les voler. Elles veillent, vers la porte, jusqu'au lever du jour. Or un soir, vers minuit, elles voient une scie qui attaque la porte à la hauteur du verrou ; la fente s'agrandit en hauteur et en largeur, le morceau de bois tombe et une main passe dans le trou pour tirer le verrou ... Mais alors une autre main s'en approche, armée d'une hachette soigneusement aiguisée et, d'un coup sec, frappé sur le poignet du bandit, elle abat dans le corridor la main ensanglantée. Et l'on n'entendit plus parler de l'assaillant. "Tristes temps, mes petites-filles, concluait Bonne-Maman, tristes temps où les honnêtes gens sont obligés de se faire justice à eux-mêmes parce qu'ils savent qu'ils n'ont rien à espérer de ceux qui pourtant sont chargés de les protéger".
Mais hélas ! pour une main coupée au moment opportun, que de têtes abattues ! Et pour une brave petite femme qui nargua impunément les terroristes, quelle théorie de lamentables victimes !

Au Tribunal révolutionnaire, le fait d'avoir donné asile à un prêtre proscrit fut bien souvent puni de mort. En septembre 1793, deux institutrices d'Orléans, Elisabeth et Marie-Jeanne Barberon, avaient hébergé l'abbé Ploquin et un jeune émigré, Bimbenet Laroche (vingt-deux ans), qui passait pour le frère Zosime, capucin. Arrêtées en septembre, elles reconnurent leur crime, mais Elisabeth en revendiqua seule la responsabilité : "Ma soeur, dit-elle, me rend tous les services d'une domestique ; elle n'a aucune influence dans la maison ; elle n'a eu aucune part à l'entrée de ces personnes ; au contraire, ç'a été contre sa volonté, mais j'étais la maîtresse". Marie-Jeanne confirma le fait, ajoutant seulement que sa soeur "s'était laissée gagner par bonté et pitié". On les garda cinq mois en prison et, le 25 février 1794, on les guillotina pour de simples écrits, et l'une d'elles pour le testament qu'elle avait rédigé.

Le 14 mai 1794, comparaissaient trois fermiers généraux, "ennemis de l'égalité par état et par principes", déclarait Fouquier-Tinville, "sangsues du peuple ... chargés de tous les crimes possibles", en particulier d'avoir recelé "des chapelets, des christs, des reliques de saints, des fleurs de lys ..." L'un de ces fermiers généraux s'appelait Jean-Claude Douet ; comme on l'interrogeait sur un fait qu'il ignorait, il observa que sa femme, détenue à la Force, pourrait sans doute éclairer le Tribunal. On envoya aussitôt chercher Marie-Claude Batailhe-Francès, dame Douet, âgée de soixante ans. Or on avait trouvé sur elle un testament dans lequel elle avait fait quelques legs à deux personnages déjà guillotinés ; Dietrich, maire de Strasbourg, et le duc du Châtelet. On avait aussi saisi deux lettres d'affaires signées d'elle et renfermant ces lignes :
"8 avril 1790 ... Je ne suis pas assez habile pour voir si la constitution nouvelle rendra les générations futures plus heureuses ... mais il me paraît certain que la génération actuelle sera aussi malheureuse qu'on peut l'être, parce que le grand ébranlement qu'elle a eu se fera sentir pendant de longues années. - 11 juin 1790 ... Je plains le roi, je plains M. Necker de tout mon coeur. Les papiers publics sont effrayants".


Pas d'autres charges dans le dossier de Mme Douet. Séance tenante, "l'accusateur public requiert et le tribunal ordonne qu'attendu qu'il résulte de l'instruction du procès que la femme Douet a entretenu des intelligences et correspondances avec plusieurs ennemis intérieurs et extérieurs de la République et notamment avec les infâmes Dietrich et du Châtelet ... ordonne qu'elle sera à l'instant classée au nombre des autres coaccusés pour être jugée avec eux par un seul et même jugement". Venue comme témoin à la demande de son mari, elle fut, en effet, "à l'instant" condamnée avec son mari et guillotinée avec lui quelques heures après.

On en guillotinera beaucoup pour de simples "propos", même s'ils étaient niés : il suffisait qu'ils fussent rapportés par de "bons citoyens" contre de "mauvais citoyens". Le 24 septembre 1793, le Tribunal jugea une femme femme prévenue "d'avoir applaudi à l'évasion du ministre Lebrun en disant : "Tant mieux, il ne faut pas désirer le sang !" ; d'avoir déclaré que Brissotins et Girondins étaient de bons républicains ; que "la Convention et ses attirails mangeaient plus que l'ancien régime" ; qu'un roi était nécessaire au bien public, et que le lieutenant Tonduti de la Balmondière avait eu raison de crier Vive le roi en marchant au supplice. Elle affirma qu'elle s'était simplement écriée : "Ah ! le malheureux ! - Pour quel motif avez-vous fait cette exclamation ? lui demanda le Président. - Par un sentiment d'humanité". Elle paya ce sentiment de sa tête. Elle s'appelait Louise Ricard, veuve Lefèbvre : c'était la belle-mère de Jérôme Pétion, proscrit, acculé au suicide après avoir été quelques mois auparavant président de la Convention, maire de Paris, et l'un des personnages les plus populaires de la Révolution. La belle-mère d'un tel personnage ne pouvait qu'avoir mérité la mort !

GUSTAVE GAUTHEROT
(Extrait de : Les suppliciées de la Terreur, Perrin, édit.)
Revue : Lisez-moi Historia
Numéro 9 - juillet 1934

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