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La Maraîchine Normande
21 juillet 2014

L'ILE D'YEU (85) - SOBRIQUETS D'AUTREFOIS

L'ILE D'YEU


SOBRIQUETS D'AUTREFOIS

L'usage des surnoms, à l'Ile d'Yeu, bien plus qu'une simple coutume traditionnelle, relève d'une nécessité absolue découlant du peu de variété des noms de famille. C'est merveille de voir comment certaines souches patriarcales se sont multipliées comme sous l'invitation biblique. Qui pourrait recenser les Taraud, les Turbé, les Bernard, les Viaud, les Cadou et tant d'autres, dans leurs branches insulaires ou expatriées ?


Il convenait donc d'inverter des surnoms et il y a belle lurette qu'on y a pensé à l'Ile d'Yeu comme ailleurs et dans toutes les îles en particulier. Ce besoin était jadis d'autant plus accusé que la population était sédentaire, plus sédentaire que de nos jours. Une jeune ogienne n'avait guère la possibilité de trouver mari ailleurs que dans le cercle restreint des jeunes marins, cultivateurs, meuniers ou artisans de l'île. Et il ne semble pas non plus que les navigateurs aient été souvent enclins à fonder un foyer dans les ports du continent qu'ils fréquentaient : fidèles à leur île, ils revenaient y épouser leur "payse" ! Les familles homonymes abondaient dont et, ce qui aggravait encore les confusions, les prénoms étaient souvent identiques.

 

Ile d'Yeu carte


Un certain "brassement" se manifesta au cours des différentes époques où l'Ile d'Yeu se trouve pourvue d'une garnison, en particulier sous le Ier Empire et la IIIème République d'avant 1914. Épouser le petit sergent galant et attentionné, bien cambré dans son uniforme à pantalon rouge, n'était-ce pas le rêve de bien des islaises, il y a une soixantaine d'années ? Combien de ces jeunes militaires se laissèrent séduire à la fois par le charme de notre île et celui des gentilles insulaires ? Et ces épousailles introduisirent de nouveaux noms patronymiques parmi ceux qui remontent, chez nous, à la nuit des temps.


Mais revenons à nos surnoms.


Je voudrais ici, après en avoir affirmé la nécessité, en proclamer l'éloge ! Décerné par la voix populaire, voici le sobriquet adopté dans le voisinage puis par la population unanime parce que celle-ci avait su reconnaître, dans un raccourci imagé, une caractéristique évidente digne d'être accolée au nom du personnage ; désormais le voici bien identifié : aucune confusion ne sera plus possible !


Vous m'objecterez qu'ils procèdent souvent, ces sobriquets, d'une pointe de malice, d'une observation trop aiguë d'un petit travers ou d'une innocente manie et vous irez jusqu'à conclure que c'est manquer de charité que d'épingler sur son prochain une étiquette plus ou moins obligeante qui le suivra, lui et sa famille, de génération en génération.


N'exagérons rien : le surnom n'est que très rarement blessant, même sous une allure un tantinet rabelaisienne. Il faut y voir plutôt l'effet d'une familiarité pittoresque, généralement bien admise par ceux-là même qui en font l'objet. Chacun sait, du reste, qu'il est à l'origine d'une multitude de noms de famille dans lesquels on retrouve l'indication de métiers exercés de père en fils : meunier, tisserand, boulanger, tavernier, marchand, roulier et tant d'autres. Nos rois eux-mêmes se virent attribuer des surnoms qui n'étaient pas toujours obligeants ni toujours la marque de vertus et de qualités.


Chez nous, le sobriquet bon enfant est, pour ainsi dire, un témoignage d'appartenance à la grande famille insulaire ! Vous allez apprécier, d'après ceux que j'ai relevés au 18ème siècle dans les actes officiels, notariés et même religieux, le charme et l'humour qu'ils contiennent.


Quel dommage, n'est-il pas vrai, d'en ignorer l'origine précise ! ... Ce serait se plonger dans l'intimité de ces ancêtres, s'asseoir auprès d'eux au coin de leur foyer, écouter le récit passionnant de leurs voyages et de leurs aventures, recevoir confidence de mille historiettes et anecdotes, pénétrer leurs qualités et aussi leurs défauts, nous égayer gentiment de leurs petits travers ...


Hélas, je ne puis mieux faire que de laisser votre propre imagination accomplir le même vagabondage que la mienne. Essayons donc ensemble de deviner l'amusante fantaisie qui se dissimule sous les "soubriquett's" d'autrefois.

Les surnoms à caractère honorifique


Aucune famille insulaire n'appartenait à la noblesse ; il eut été de la suprême inconvenance d'accoler dans un document officiel un surnom aux titres des hauts et puissants Messires ou nobles Dame du "Continent" qui exerçaient leur autorité seigneuriale sur l'Ile, ni à leurs représentants résidant sur le fief. Ce même sentiment de déférence épargnait les vénérables et discrets Messires chargés des fonctions ecclésiastiques en la paroisse de Saint-Sauveur ou ceux qui en étaient originaires.


Venait ensuite la classe des notables issue des mêmes souches familiales que le menu peuple. Après s'être affirmés dans le commerce maritime ou dans les travaux de la terre, elle avait acquis notoriété, non pas par la naissance, mais par son intelligence, son labeur et son dévouement au bien commun. Cette petite bourgeoisie formait les meilleurs auxiliaires de l'administration dans ses multiples formes : le gouvernement et la défense de l'Ile, l'exercice de la justice, le tabellionnage, le recouvrement des droits seigneuriaux. C'est aussi dans cette sage élite que le recteur choisissait ceux qui prenaient, chaque année, la charge de la gestion de la fabrique paroissiale et celle des biens des pauvres.


Mais ne vous y trompez pas ! Toute une branche des Turbé pourrait vous sembler dotée d'une "baronnie" ... Ces Turbé "baron", depuis Pierre Turbé qui vivait avant 1743, jusqu'à Jacques et Jean, ses fils, recensés en 1776, étaient de très honorables personnages mais qui n'avaient nullement forcé les portes jalousement fermées de la noblesse. Pas plus que Pierre Peltier "baron" qui était leur très proche parent.


Par contre, au début de ce 18ème siècle, Jacques Turbé "colonel" avait été porté à la tête de la milice locale : son surnom rappelait cette honorable fonction.
Sans quitter la milice, notons : Auger "major" et Jean-Pierre Orsonneau "chevalier" ; puis toute la dynastie des Drin "canonnier" : Jacques, en 1728 ; Jean, en 1751 ; Pierre en 1776.
Pour le notariat, il faut noter les Orsonneau "taboulion" ; Pierre en 1728 et Jean-Pierre en 1770.
Mais comment prendre au sérieux : Louis Dugast "Marquis de Carabas" ; Vincent Chassin "petit comte" ; la Poiraud dite "la tante du prince" ou encore Germain Doucet, pompeusement qualifié "l'Employé du Seigneur" !

Les surnoms révélateurs de métiers ou d'occupations


Comme tant d'autres de ses contemporains insulaires, Jean Cadou était pilote sur les vaisseaux du Roy, vers 1760 ; mais c'est lui qui, entre tous, aura le privilège de porter le surnom de "pilote" avec  autant de fierté, peut-être, que l'un de nos contemporains ...


Jean David, lui, devait être un fameux pêcheur de ces délicieux rougets, pour avoir mérité de s'appeler "barbarin", tandis que l'un de ses homonymes se distinguait par le surnom de "la boutique" : c'était sans doute un commerçant. En voici d'autres, commerçants ou artisans de la même époque : Joseph Millaud "l'industrie", Jean Billet "pacotille" ou dit encore "la botte", Simon Laurent "le voilier".


Par contre, c'est grâce à leurs dons cynégétiques que Joseph Peltier et le capitaine Charles Peltier s'étaient acquis une solide réputation. Il est bien permis de l'imaginer puisque l'un et l'autre étaient surnommés "le chasseur" ...


Quant à Catherine Auger, elle était veuve de Jacques Meunier "rebouteux" ce qui montre que cet art possède chez nous d'antiques et respectables traditions ...


Traditions un peu différentes, mais aussi fermement établies que celle qui valut, vers 1742, aux Cheviteau le "sobriquett" de "pille-roche" ...

Evocation des peuples lointains et des provinces de France


Le souvenir des lointains pays hante irrésistiblement la mémoire des marins ; ils en font le sujet favori de leurs intarissables conversations. Quoi de surprenant que François Dumonté soit surnommé "le turc" pour peu qu'il ait bourlingué sur les côtes de la Barbarie. Pierre Pruneau "le flamand", André Micheau "l'américain", le capitaine David "navarrin", Mathurin Cadou "le basque", Pierre Cadou "biscayen", Charles Cadou "Domingue" et Jean Moizeau "l'espagnol" ?
Deux insulaires se partagent le surnom du "hollandais" : un autre Jean Moizeau en 1766 et Pierre Gatineau en 1776.


Louis Turbé alla moins loin chercher son sobriquet : en face, à Saint-Gilles où il était peut-être né. On le surnomme tantôt "le Gillais" tantôt "le girrais", tantôt encore "le gira". On retrouve cette déclinaison patoise chez Jean David "le Bellislais", dit aussi "Belle Illoye".


Les femmes n'échappaient pas à la coutume. C'est ainsi que Marie-Magdeleine Turbé, épouse de Pierre Simon Turbé, était désignée communément "la provençale", tandis que "la normande" n'était autre que la mère de notre célèbre corsaire Jean-Simon Chassin, c'est-à-dire Louise Coiraud qui demeurait rue de la Borgne et était pourtant bien née à l'Ile d'Yeu le 16 décembre 1722 ! ...

Qualités et défauts


D'une expression, souvent à l'emporte-pièce, voici des caractères campés sous forme admirative ou ironique : Jean Fontaine "la douceur", Pierre Fontaine "l'opiniâtre", Jean Moizeau "l'ardent", Hyacinthe Bernard "amable", Moizeau "le droit", Jacques Pierre David "le fort", Bernard "la justice", Pierre Turbé, laboureur, et le capitaine Jean-Pierre Dumonté répondaient tous les deux au surnom de "constant".


On trouve aussi : le capitaine Pierre Peltier "beaux cheveux", Jean Chauviteau "mignon", Pierre David "joli", les héritiers de feu "joli coeur", Jean Simon Turbé "bijou".


Mais que penser de "l'enfant prodigue", de Marie-Anne Cadou "l'éclairée", de la veuve Mercier "la chicane", de Marie-Jeanne Peltier, veuve de Jean Aubineau "toquée" ?

Croquis sur le vif


Si nous considérons maintenant les silhouettes, un choix varié s'offre à notre curiosité amusée.
Voici Pierre Cadou "courte oreille", Jacques Fradet "trois goules" - était-il gourmand ou simplement bavard ? -, Pierre Jean Borny "petite tête", le maçon René Nauleau "tort cou", Louis Orsonneau "barbe de fer", l'imposante Magdeleine Pilet, femme de Pierre Poiraud "bourgeoise carrée", la vacillante Anne David, veuve de Pierre Auger, "la branle", la rubiconde Marguerite Morné, veuve de Mathurin Turbé "fort en couleur", Jean Nolleau "le balafré", Marie Augustine Pruneau "pié baude" ...
A Jacques Michaud "fine aiguille" s'oppose Charles Peltier "gros os", Pierre Mercier "le gros genoille" et Jean-Pierre Moizeau "l'estomac" !


Parmi les maigres, peut-être faut-il aussi classer : le meunier Louis Dugast "piquet", Louis Borny "coque d'éragne", Luc Chauvet "la mouche", Marie-Thérèse Cadou, femme de Jacques Louis Micheau, "la belette", Renée Cadou "la gaffe", Jacques Auger "la fourche".
Quant à Marie-Louise Turbé, dite "la fourchette", n'allons pas trop vite dans nos présomptions car, en 1776, elle habitait précisément au Port, rue de la Fourchette. Est-ce là l'origine de son surnom ou bien est-elle la "marraine" de la rue ? Je n'en déciderai pas.


Mais il est d'autres surnoms qui, encore mieux, sont des croquis pris sur le vif : la Bénéteau "Vierge mourante", la mère Auger, du Quéry Bossy, dite "la pauvre femme", Pierre Chauviteau "l'homme mort", Salliau "le vieux garçon", Pierre David "petit Jésus", Louis Marie Turbé "bigot", Jean Marie Micheau "la vieillesse", le vieux Jean Cadou "le grison".


Pour une bonne part, le costume et la coiffure font partie typique des personnages. C'est ainsi que la veuve de Jean Pierre Mandret est surnommée "Arlequin" et les Cadou "poche en haillons" ; Jean Pierre Orsonneau aussi bien que la Chaurois, femme de Dumonté, répondent au surnom de "bonnet blanc" et Jean Roch Laurier, qui était faible d'esprit, était dit "capuchon".


Il est des surnoms qui se passent de commentaires : François Orsonneau "morclou", Pierre Cadou "crotou", Jean Turbé "coumet", François Mandret "cabou", le tremblotant capitaine Pierre Dumonté "briolle", la geignante Marie Jeanne Fradet "la couignaude", la bredouillante veuve Moizeau "paillegaille", Jean Dupon "la pennerée".


D'autres sont plus énigmatiques : Jean François Orsonneau "midi", Magdeleine Bernard "jézé", Marie Chauviteau "grouillaude", Marie Thérèse Turbé "frigal", Jacquette Pruneau "cazal", Etienne Turbé "Cougneau", Pierre Peltier "chariot d'or", Pierre Cadou "la crotille", Jacques Noleau "le mouillé", Pierre Pruneau "bedrau", veuve Orsonneau "rougnelot", Pierre Turbé "vangale", Jean Orsonneau "boussicot".
On appelait Joseph David "la poule" et Jean Moizeau "poulet". Quant à Jacques Chauviteau, c'était "marou".
Et puis voici de charmants diminutifs familiers : Charles Coireau "gogo", Moizeau "jacquet", Pierre Poiraud "gros Perrot" et Pierre Peltier, du Quéry Chiron "petit Perrot", Jean Cadou "grand Gilles", Philippe david "petit père".
Les Drouillard, eux, portaient des surnoms distingués : Charles était appelé "Marly" et son frère ... "le frater" ...


D'où vient qu'une branche des Cadou, où je relève François, puis Joseph, le cordonnier, se nommait "cadolet" ? Est-ce un diminutif de Cadou ? Mystère aussi pour le capitaine François Orsonneau "balthasar" et le Capitaine Jacques Moiseau "balzaga" ! Je vous demande bien aussi pourquoi Charles Turbé, époux de Marie Thomase Gaston, était magnifiquement appelé "bras d'or" ?

Les locutions familières


Je m'en voudrais de mettre fin à cette inépuisable énumération sans évoquer les surnoms qui me paraissent dériver des expressions que certains personnages avaient la manie de ressasser, à la grande joie de leur entourage, ou bien encore qu'ils avaient proférées dans de mémorables circonstances.
Ce sont les plus évocateurs !


Un certain Auger avait tellement coutume de s'exclamer "grand Bon Dieu" que le surnom lui en restera !
Le bourgeois Jacques Chauviteau, dit "Jean, mon fils" était sans doute incapable d'articuler une phrase sans faire allusion à sa chère progéniture. Louis Orsonneau "regarde donc" ... : c'était là son interjection favorite !
Il y a certainement bien de savoureuses histoires derrière tous ces "soubriquett's" que je vous libre tels quels et qui vous laisseront, comme moi, tout rêveurs :
Jean-Pierre Moiseau "pas trop saoul" ; Pierre Cadou "cache-en-bas" ; François Soudeau "tout peu d'argent" ; Anne Marie Desfossées "bon est - Nord est", Chauvet "roule bas" ; Jean Samelin "la moizelle" ; Pierre Drin "malousa" (mal où ça ?) ; Luc Cadou "la merveille" ; Jean François "la chaleur" ; Pierre Moizeau et Charles Peltier "la belle aubaine".


Je cite encore, comme propre à une lignée de la famille Turbé, une répugnance gastronomique qui montre que nous sommes bien loin des bords de la Méditerranée : Jean François Turbé, aussi bien que Luc, son fils, portaient le surnom de "point d'ail" ! ...

En manière de conclusion


Enfin, il est de ces "soubriquett's" qui semblent défier les ans. Ils sont portés encore de nos jours et nous retrouvons les mêmes tout au long du 18ème siècle ; je parierais qu'en recherchant dans un passé encore plus lointain, on en constaterait déjà l'existence.


Je ne ferai allusion qu'à l'un d'eux, celui de "la gazette" qu'on attribue généralement aux personnes réputées pour l'abondance de leur verbiage et leur inclination à diffuser les nouvelles d'actualité et les potins du quartier.


Une famille Cadou arbora allègrement ce surnom sous le règne de Louis XV, "le bien-aimé", et je ne serais pas surpris de me découvrir, à défaut de liens du sang - ce qui ne serait pas impossible -, tout au moins une solide affinité avec cette famille réputée loquace ...


En effet, me montrant si bavard et depuis tant d'années dans les pages d'"Oya-Nouvelles", je cours grand risque de me voir infliger à moi-même ce surnom.
Je ne le trouverais en rien déplacé, soyez-en certains, puisque je m'efforce toujours d'être pour vous, chers amis, "la gazette du temps jadis".

Amand Henry
OYA Nouvelles
1965
Archives Départementales de Vendée

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Commentaires
D
Bj - mon grand-père Auguste Eli Taraud de la Croix était surnommé le père Morleau Il était né le 02/07/1881. Quelle en est le sens !!!! Merci Cordialement Josiane Dufour L'Allinec
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La Maraîchine Normande
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