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La Maraîchine Normande
2 juillet 2014

JEAN-BAPTISTE-MICHEL-ANTOINE HUCHÉ, GÉNÉRAL DE DIVISION

HUCHÉ

Pillard, assassin et débauché, éventreur de femmes et massacreur d'enfants, égorgeur des républicains aussi bien que des Vendéens eux-mêmes, Grignon avait cependant, à l'occasion, des élans d'indignation et des accès de vertu ... - Que les Vendéens, les "Brigands", comme on les appelait, et même les "modérés", pêle-mêle avec leurs femmes et leurs enfants, fussent tous indistinctement voués au massacre, rien de plus naturel assurément à ses yeux ... Mais ce qu'il ne comprenait pas, ce qui le révoltait et l'obligeait à se voiler la face, c'est qu'un général sans-culotte pût s'exposer à ... sacrifier à Bacchus et à perdre son sang-froid dans l'accomplissement de ces devoirs civiques ! Et, dans une lettre adressée à Turreau, à la date du 3 mars 1793, il dénonçait, en ces termes, son collègue Huché :
"Je suis obligé de te prévenir, malgré moi, mais pour le bien de la République, que le général Huché a paru à la tête de ma colonne, étant pris de vin, et m'a tenu des propos qui ne conviennent pas à un général devant la troupe. Je savais, par avance, que sa tête n'était point à lui, les après-midi, et que le service de la République pourrait en souffrir."


Que le signataire de cette lettre ait été lui-même un modèle de sobriété, c'est ce qu'il serait peut-être assez difficile d'établir autrement que par son propre témoignage, mais cela importe peu d'ailleurs : Robespierre, lui aussi, était sobre, et la sobriété de Grignon, si elle était réellement établie, serait plutôt de nature à faire paraître plus monstrueuses encore des cruautés d'autant plus révoltantes qu'elles auraient été commises avec plus de sang-froid. Dans tous les cas, et bien qu'il soit permis de supposer que la dénonciation fût dictée par la jalousie, beaucoup plus que par "le service de la République", elle n'était certainement pas calomnieuse à l'égard de Huché, et nous allons voir, en jetant un rapide coup d'oeil sur le dossier de ce dernier avant son arrivée à l'armée "infernale", qu'il était déjà noté comme ivrogne par ses chefs, et que cet ivrogne, en outre, avait une réputation de brutalité à laquelle il devait peut-être d'avoir été choisi pour figurer parmi les aides sans scrupules du bourreau en chef de la Vendée.

 

Acte de naissance du général Huché



Jean-Baptiste-Michel-Antoine Huché était né à Bernay (Eure), le 17 janvier 1749.

Il était soldat depuis l'année 1760, c'est-à-dire depuis vingt-neuf ans, à l'époque de la révolution Chef de bataillon à Soissons, en 1792, et destitué par Dumouriez, il avait été envoyé une première fois en Vendée peu de temps après le commencement de l'insurrection, et il faisait partie de l'armée du général Salomon. Il fut accusé par celui-ci d'avoir "causé la prise de tous les équipages à Montreuil", et le même général ajoutait : "C'est un homme qui est à toute heure en état d'ivresse et insulte sans motifs les personnes les plus respectables." Cette dénonciation du général Salomon figure textuellement au dossier de Huché aux Archives de la guerre.

Chassé de l'armée de Salomon, il avait été expédié à Alençon, où, si l'on en croit une nouvelle dénonciation également à son dossier, ses propres soldats étaient victimes de sa brutalité. Il n'épargnait même pas les officiers sous ses ordres, car, lit-on dans la dénonciation, "il a porté un coup de pointe à un capitaine parce qu'il n'était pas dans le rang, et si le capitaine n'eût eu son portefeuille, que le sabre a percé, il était tué tout roide. Les paysans voulaient tomber dessus, mais les deux commandants du bataillon lui ont dit de se sauver, et il est parti au galop."


Tel était le soudard, ivrogne et brutal, dont le Comité de salut public s'était empressé de faire un général de brigade, et qu'il avait de nouveau rappelé à l'armée de l'Ouest pour lui confier, sous les ordres de Turreau, l'oeuvre d'extermination de la malheureuse Vendée : son passé le rendait plus apte que tout autre au rôle d'incendiaire et de bourreau qui lui était assigné, et nous allons voir avec quel zèle il répondit à la confiance qu'on avait mise en lui.


A peine arrivé à son nouveau poste, il se signale par une série de brutalités à l'égard de ses soldats, sur lesquels il semble qu'il ait voulu s'essayer dans ce rôle de bourreau qui lui allait si bien. Entre autres faits, je citerai cette déposition caractéristique et peu suspecte, signée plus tard, le 30 novembre 1794, par les officiers d'un bataillon sous ses ordres et extraite de son dossier :
"Le 25 nivôse dernier (14 janvier 1794), deux soldats, restés à Doué pour obtenir des billets d'hôpital et n'ayant pu y réussir, rejoignaient le corps qui faisait partie de la colonne du général Turreau. Ils furent rencontrés par le général Huché qui, après les avoir traités de lâches et de coquins, leur tira deux coups de pistolet. L'un des deux en fut tué, et l'autre blessé dangereusement ; la balle était entrée par la poitrine et était sortie par le côté. Sorti depuis peu de temps de l'hôpital, sa plaie saignante demande vengeance d'un tel acte de barbarie.
Ecoutons-le nous rendre compte lui-même de son entrée en campagne dans le Bocage. Voici en quels termes, dans une lettre datée de son quartier de Cholet, le 28 février 1794, il racontait à Turreau l'expédition qu'il venait d'accomplie à la Verrie, à la Gaubretière et à Saint-Mâlo :
"Je te rends compte, mon cher général, de la sortie que j'ai faite hier contre les brigands que j'ai trouvés sur les huit heures à la Gaubretière. Je les ai égayés de la bonne manière ; ils étaient en trop petit nombre pour en faire grand carnage. Plus de cinq cents, tant hommes que femmes, ont été tués. La cavalerie, avant de rien engager, a pris la fuite et nous ne l'avons aperçue que dans le lointain. Cette canaille a été assez audacieuse que de nous provoquer par des défis, des huées et des injures. On s'est fusillé très peu et quarante de ces scélérats sont tombés. La troupe avait été mise, avant son arrivée, sur deux colonnes. Celle que je commandais marchait dans un chemin couvert ; à son aspect, les brigands se sont mis dans une déroute complète. J'ai fait fureter les genêts, les fossés, les haies et les bois, et c'est là qu'on les trouvait blottis. Tout a passé par le fer, car j'avais défendu que, les trouvant ainsi, on consommât ses munitions. Les fouilles faites des repaires, j'ai fait marquer les lieux où il y avait des grains, je les ai réservés et ai fait incendier de suite le reste. J'oubliais de te dire qu'à mon arrivée à la Verrie, j'ai fait passer au fil de la baïonnette tout ce que j'y ai trouvé, à la réserve des enfants, et que j'ai incendié ce qui était échappé aux flammes ; là, il y avait peu de ces coquins-là. Mon expédition faite à la Gaubretière, je me suis dirigé sur Saint-Malo ; un petit bourg sur la route a été incendié. A Saint-Malo, il n'y avait rien, pas une âme, j'ai ordonné le feu."


De Nantes, le 1er mars, Turreau s'empressait de répondre :
"Courage, mon camarade, et bientôt les environs de Chollet seront nettoyés de rebelles. Si chaque officier général ou supérieur ne les tuait, comme toi, que par centaine, on en aurait bientôt trouvé la fin ..."


Même dans le camp républicain, tout le monde ne partageait pas l'avis de Turreau sur l'effet de ces massacres en masse, et je ne puis m'empêcher de citer à ce propos le témoignage non suspect résultant du Rapport de la commune de Mortagne, rédigé plus tard, à la date du 7 germinal an II (27 mars 1794), et adressé aux représentants du peuple près de l'armée de l'Ouest. Cette curieuse pièce, dont l'original se trouve aux Archives nationales), est signée du maire Bureau, des officiers municipaux Saclier, Lafay, Laurier, Lucas, et d'un certain nombre de notables. Elle débute ainsi :
"Citoyens représentants,
La commune de Mortagne, sincèrement attachée au système républicain, et qui n'a commis d'autre crime que de se trouver malgré elle au centre de l'abominable contre-révolution de la Vendée, vous doit le compte fidèle de ce qu'elle sait de l'évacuation presque générale de la ville et de ce qui peut y avoir donné lieu.
Les brigands n'ont pas tellement été écrasés à Angers et au Mans, qu'il en est repassé la Loire environ 5 à 6.000. Sur un mot de proclamation du citoyen Cambon, pour lors commandant de Cholet, une grande partie des révoltés était rentrés dans ses foyers et avait même rendu les armes ; il est de notoriété publique dans le pays que, si tout ce qui restait d'hommes dans les campagnes a repris les armes et se bat avec le courage du désespoir, c'est parce que l'armée du Nord et la division aux ordres du citoyens Huché ont mis à mort hommes, femmes, enfants et vieillards ..."


A la suite de ces premiers exploits dans le Bocage, Huché fut chargé par le général en chef d'aller opérer sur un autre point de la Vendée et désigné pour le commandement de Luçon, en remplacement du général Bard, "l'infidèle Bard, le scélérat Bard qui", déclarait Turreau, "n'a pas brûlé, égorgé, dans les communes où il s'est porté, comme je le lui avais ordonné".


... Les instructions barbares que Turreau envoya alors de la Mothe-Achard à son lieutenant portent la date du 4 germinal, an II (24 mars 1794), et étaient ainsi conçues :
"Il est ordonné au général Huché de partir sur le champ pour se rendre à Luçon. Il prendra le commandement de toutes les forces armées qui s'y trouvent, ainsi que dans les postes adjacents ; il fera enlever, par tous les moyens militaires, les subsistances et fourrages qui se trouvent, sur la droite, depuis Sainte-Hermine jusqu'à Chantonnay ; en avant de lui, jusqu'à Saint-Hilaire-de-Voust, la Chaize-le-Vicomte et Château-Guibert ; sur la gauche, depuis le Bourg-sous-la-Roche-sur-Yon et le Tablier jusqu'à la Claye, le tout inclusivement. Toutes les subsistances qui en proviendront seront dirigées, ainsi que les bêtes à corne, sur Luçon ; aussitôt les enlèvements faits, tous les bourgs, villages, hameaux, fours et moulins seront entièrement incendiés sans exception ; les habitants seront renvoyés sur Luçon. Bien entendu que ceux qui seront reconnus avoir pris part directement ou indirectement à la révolte de leur pays seront exterminés sur le champ."

massacre colonnes infernales

 


A cet ordre impitoyable, Huché, qui n'avait point les scrupules du général qu'il remplaçait, s'empressa, le 27 mars, de répondre par la lettre suivante, qui témoigne du zèle avec lequel il se disposait à remplir, dans les plaines de Luçon, l'atroce mission dont il s'était si bien acquitté du côté de Cholet :
"Je suis arrivé à Luçon, le 25, à sept heures du soir, et je me suis empressé de donner des ordres conformes à ceux que j'ai reçus de toi à mon départ ... Après évacuation des communes que je fais exécuter, je me porterai où sera l'ennemi pour l'exterminer, si je peux. Compte sur mon entière envie à partager ta gloire et tes pénibles travaux.
Je te prie, mon cher Turreau, de revoir avec la carte tes ordres et de me dire si les villages de la plaine et les communes environnantes sont compris dans l'incendie pour que je puisse arrêter mes détachements qui partent et qui, en revenant, travailleront l'incendie et l'évacuation de cette partie. Car, en révisant la carte, je vois qu'on a pris la droite pour la gauche. Les villages de la plaine, ainsi que les communes, n'ont jamais été insurgés, mais, au contraire, ont empêché la ville de Luçon de s'insurger, dans le temps, où cette place était enviée par les brigands ; autrement, je fais brûler sans réserve et conformément à tes ordres, car je ne sais qu'obéir. Jure, peste, fulmine, dis et fais ce que tu voudras, je respecte tes ordres et t'obéirai. Je ne veux, comme toi, que le bien de la république."

 

Signature Huché


Le 30 mars, Huché écrit encore à Turreau :
"Je te préviens, général, que j'ai, en exécution de tes ordres, fait partir des détachements pour incendier les communes dont tu m'as donné le bornement ; mais je ne sais si les villages de la plaine y sont compris : quoiqu'ils soient en de çà, ils n'ont jamais pris parti que contre les brigands, ainsi que je te l'ai marqué par ma lettre du 27 de ce mois. Luçon n'est rempli que d'aristocrates, de modérés, d'égoïstes. On voudrait distinguer, dans l'incendie, les patriotes, je le voudrais bien aussi,  mais je sens que tes ordres ne sont calqués que sur l'intérêt de la république. Je suis accablé de pétitions, de réclamations ; je marche toujours et m'appuie de tes ordres. Mon règne semble dur ; autant le général Bard est aimé et considéré, autant je suis détesté. Vive la république ! ... Je m'en fous ! Je travaille pour elle et n'ai qu'elle en vue, et spécialement elle.


Dès son arrivée à Luçon, Huché avait soulevé l'indignation des patriotes eux-mêmes, ainsi que cela résulte de cette dénonciation que les membres de la Société populaire de la ville adressaient, ce même jour 30 mars, aux représentants du peuple près l'armée de l'Ouest :


"Un homme atroce, qui n'a dans la bouche que des menaces de mort, qui promène sur nos têtes le fer et la flamme, comme s'il était chargé d'ouvrir un seul tombeau pour l'espèce humaine tout entière, vient d'être placé dans cette ville avec les pouvoirs de général.
Les premiers effets de son autorité ont été de faire tomber, sous la décharge de vingt coups de fusil, un malheureux dont l'innocence avait été reconnue par les tribunaux, à qui Lequinio lui-même avait témoigné de la bienveillance. Les premiers effets de son autorité ont été de lancer, contre un comité de surveillance, la menace horrible de mettre tous les membres qui le composent au pouvoir de ses fusils, en désignant le président pour première victime. Cependant les principes révolutionnaires de ce comité se sont manifestés constamment.
Qui l'a revêtu d'une puissance absolue, cet homme qui prétend nous accabler de terreur ? S'il a l'insolence et la cruauté d'un visir, qu'il sache que nous n'avons pas la patience et la lâcheté des esclaves. Un tyran est la pierre de touche qui fait connaître les vrais amis de la liberté.
Nous nous sommes soulevés d'horreur en voyant le despotisme abominable qui régnait autour de nous. La salle de nos séances a retenti des cris de notre indignation ; nous nous sommes disputés l'honneur d'armer la colère publique envers les attentats d'un général qui dispose de la vie des hommes comme s'il en était le suprême arbitre, qui se met à la place des lois et s'empare de leur glaive pour frapper indistinctement tous ceux que ses passions ont condamnés !
Vous, citoyens représentants, vous qui portez dans vos coeur le pur amour de la liberté, n'applaudirez-vous pas à notre énergie, quand nous bravons courageusement un oppresseur ? Vous partagez les honneurs de la législature d'une République, c'est à vous que nous dénonçons le général Huché, qui fait parade ici d'une puissance arbitraire.
Dites-nous si l'existence des autorités constituées lui appartient pour qu'il ait le droit de les anéantir sous le poids de sa dictature ? Dites-nous s'il a des droits de cassation sur les jugements des tribunaux ? Dites-nous si les caprices barbares d'un individu doivent nous faire trembler ?
La République doit-elle avoir des agents dont les seules volontés nous fassent pâlir ? Votre réponse décidera si nous vivons sous Tibère ou sous les auspices de la liberté."


Cette dénonciation, qui se trouve aux Archives nationales, était signée du président du Comité de surveillance révolutionnaire, le citoyen Parenteau, auquel s'étaient joints une trentaine de ses collègues de la Société populaire. Elle avait été délibérée en séance, à la suite d'un rapport dans lequel Parenteau, deux jours auparavant, avait ainsi rendu compte d'une entrevue qu'il avait eue avec Huché :
"Aujourd'hui, 8 germinal (28 mars), l'an II de la République française une et indivisible, sur les sept heures et demie du soir, le général Huché, commandant de la division de Luçon, envoya au comité de surveillance de Luçon demander son président, qui, à l'instant, s'est rendu chez lui. Le général lui a dit : "Voilà un brigand et une brigande  qui arrivent de Mareuil, je vais les faire fusiller ce soir ..."
Le général, après avoir répété au moins dix fois à Bironneau et à la veuve Vrignaud (le "brigand" et la "brigande" en question) qu'ils seraient fusillés le soir, écrivit leur sentence ...
Pendant qu'il écrivait, le citoyen Ceyras, commandant la place de Luçon, dit au citoyen Parenteau, président du comité de surveillance : "Vous n'aurez plus la peine d'envoyer vos prisonniers à Fontenay ; il va y avoir ici une commission militaire." Le président lui répondit : "Je la verrai avec plaisir ; j'aime beaucoup mieux voir les malheureux jugés par un tribunal qu'arbitrairement ; lorsque j'ai appris aujourd'hui que le général faisait fusiller plusieurs personnes, notamment le citoyen Bardou, qui venait d'être acquitté par la commission militaire de Fontenay-le-Peuple, et à qui depuis Lequinio avait donné du service dans l'armée, le coeur m'a saigné."

A cet instant, le général cessa d'écrire et se leva comme un furieux en disant : "Quoi, monsieur le président, vous voulez critiquer ma conduite ! Savez-vous quels sont mes ordres ? J'ai le droit de vous faire fusiller vous-même, et, dans la minute, vous allez l'être !"
Le commandant de la place lui dit : "Général, vous ne connaissez pas le citoyen Parenteau ; c'est un excellent patriote, sûrement un des meilleurs du comité." Le général répondit : "Si c'est le meilleur, ce sont tous des brigands, et je ferai fusiller tout le comité !"
J'ai pris le général Huché pour un fou ou pour un homme ivre, et je me suis retiré.
Ce protégé de Ronsin exerce ici le plus grand despotisme ; il a dit plusieurs fois qu'il ne connaissait point de corps constitués dans la Vendée ; il a défendu à la gendarmerie de leur obéir ; ses propos journaliers et sa conduite annoncent un désorganisateur et un contre-révolutionnaire."
Le "citoyen Bardou", auquel le président Parenteau faisait allusion dans son rapport, était un chirurgien de l'armée républicaine. Fait prisonnier par Charette, il avait réussi à s'échapper. Un instant considéré comme suspect - uniquement parce que les Vendéens lui avaient laissé la vie ! - il avait été traduit devant la commission militaire de Fontenay, mais acquitté par elle, rétabli dans son grade et désigné pour le service de l'hôpital militaire de Luçon. Son exécution, en vertu d'un ordre de Huché, est un des épisodes les plus révoltants de cette lugubre époque. Je l'emprunte textuellement au témoignage peu suspect d'un "ancien administrateur des armées républicaines" :
... Qui n'a pas entendu parler des cruautés d'un général de brigade qui a commandé à Luçon ? Un chirurgien de l'armée est fait prisonnier par Charette et emmené dans le Bocage ; on lui laisse la vie à condition qu'il pansera la blessure de ce chef atteint d'un coup de feu au bras. Fatigué de suivre les royalistes, il épie l'occasion de s'échapper, la trouve et la saisit. De retour parmi les républicains, il expose ses malheurs, la perte de ses effets et la détresse de sa famille ; il intéresse et obtient un emploi pour l'hôpital militaire de Luçon.
Il apprend qu'un général commande dans la place, il lui fait visite ; le général l'accueille avec bienveillance et l'invite à déjeuner ; le chirurgien accepte. Au milieu du repas, le général lui demande d'où il vient, le malheureux raconte ses aventures, sa détention parmi les brigands, et ce qu'il a été obligé de faire pour conserver son existence. Alors Huché fronce le sourcil, se lève, et, transporté de rage, lui dit : "Comment, tu as été le maître de tuer ce chef de brigand, et tu ne l'as pas fait ! Va, tu n'es qu'un brigand toi-même, et tu périras."
Aussitôt il fait appeler quatre fusiliers qui le saisissent ; il leur donne son mot. Cet infortuné pâlit et veut balbutier quelques paroles pour sa défense ; on l'emmène dans le jardin contigu à la maison du général, on le fusille, on le dépouille, on l'enterre. Pendant ce temps-là, le général continuait son déjeuner."


La maison où s'accomplit cet horrible drame existe encore, rue de l'Hôtel-de-Ville. Elle avait autrefois servi de séminaire et appartient à la famille Bourbon. Il y a quelques années, des travaux ayant été entrepris dans le jardin, on trouva, au cours des fouilles, le cadavre du malheureux chirurgien coupable d'avoir oublié, selon l'expression du farouche Westermann, que "la piété n'est point révolutionnaire !"


Sachant qu'il était dénoncé par la Société populaire de Luçon, Huché, le jour même où partait cette dénonciation et où il écrivait à Turreau la lettre reproduite ci-dessus, adressait aux représentants du peuple un mémoire pour expliquer sa conduite. Loin de nier les faits qui lui étaient reprochés, il s'en vantait au contraire, et le mémoire qui se trouve, ainsi que toute la correspondance déjà citée, aux Archives nationales, contient cette déclaration cynique :
"La Société populaire vient de prendre un arrêté pour me dénoncer comme un Néron, c'est son expression. Elle me fait infiniment honneur, car je tuerais ma mère, si elle eût favorisé le brigandage de la Vendée."

 

LUCON


La situation devenant de plus en plus tendue entre les autorités civiles et Huché, celui-ci, le 14 germinal (3 avril), prit un arrêté aux termes duquel il suspendait la Société populaire de la ville. Un procès-verbal, rédigé le même jour, par le citoyen Dehaye, président de ladite Société, constate que les portes du Temple de la Raison, lieu ordinaire des séances, ont été fermées et sont gardées militairement par ordre du général. Le lendemain, 4 avril, le citoyen Maigre, maire de Luçon, dénonce ces faits au district de Fontenay, et deux délégués de la Société populaire, les citoyens J. Chevallereau et Etienne-Benjamin Martineau, porteurs du procès-verbal rédigé par Dehaye, se rendent au chef-lieu du département afin d'appuyer la double dénonciation de la Société populaire et de la municipalité.


A Fontenay comme à Luçon, les faits dénoncés indignent les patriotes eux-mêmes, et voici en quels termes, dans une circulaire adressée aux Comités de Rochefort, Niort, etc ..., le Comité fontenaisien de surveillance révolutionnaire dénonçait à son tour, le 4 avril, les exploits du bandit qui se glorifiait d'être comparé à Néron et se disait capable de "tuer sa mère" :
"Frères et amis, un voile sombre et funeste se répand sur la partie saine et fidèle du département de la Vendée, hâtons-nous de prévenir les suites d'un plus cruel incendie. Nos premières sentinelles, les avant-postes que nous opposions à nos ennemis jurés n'existent plus. Les patriotes des parages de Sainte-Hermine, les postes de Simon-la-Vineuse, de la Réorthe, de Sainte-Pexine, ne sont plus que des monceaux de cendres.
Les ordres barbares du scélérat Huché, général à Luçon, sont des attentats les plus formels à la chose publique. Envoyé, dit-il, par le général en chef Turreau, pour incendier, massacrer un tel pays duquel il ne connut jamais ni les principes des habitants ni la position territoriale, cet homme, plus que suspect, tourne les armes de son pays (peut-être n'en eut-il jamais) contre son pays même ; le détail circonstancié peut vous en être transmis par les autorités constituées de Luçon.
L'alarme universelle est répandue dans toutes les âmes ; nos derniers moments n'ont qu'un cri, celui de faire entendre à la République entière que, dans notre pays libre, les droits de l'homme et du citoyen sont outragés par un monstre dont la conduite, nous devons le dire, surpasse celle du cruel Néron. Hâtez-vous de demander aux autorités constituées de Luçon les crimes qu'elles peuvent reprocher à ce monstre.
Elles vous diront qu'il a voulu faire massacrer et fusiller ces mêmes autorités. Elles vous diront que ce monstre a fait détruire un officier de santé dont le coup-d'oeil lui déplaisait.
Elles vous diront qu'il a voulu forcer une fille vertueuse, à aller dans le jardin de la maison qu'il habite, lui chercher de la salade où était un cadavre détruit par ses ordres, en lui disant : "Bougresse, si tu n'y vas pas, je t'attacherai les mains, je te ... sur le cadavre, et te ferai fusiller après !"
Elles vous diront que ce monstre, ennemi de l'humanité, a fait commencer son incendie par les communes les plus près de Luçon ; ce qui a sonné l'alarme dans le pays avancés vers le nord ; et par cette manoeuvre, calculée sans doute, quelques hommes sans courage ont été (nous a-t-on dit) trouver l'infâme Charette ...
Il y a deux mois, toutes ces communes insurgées mettaient bas les armes ; le rassemblement des brigands ne formait plus qu'un total de cinq cents hommes. Mais on vit avec peine que la guerre allait finir ; on incendia, on pilla, et dès lors Charette se fit de nouveaux partisans. Mais leur nombre n'en imposera jamais à des hommes libres, qui les craignent bien moins que les faux patriotes qui trahissent depuis longtemps la patrie avec impunité."


Le 6 avril, la Société populaire de Luçon rédigeait et expédiait, à l'adresse du Comité de salut public, une dénonciation dans laquelle on lit :
... Oui, nous le dirons avec l'énergie d'hommes qui sentent fortement la liberté, la dévastation, la destruction de la Plaine de la Vendée est le produit du calcul des Ronsin et autres scélérats dont vous avez purgé la terre libre. Mais le fer de la loi n'a pas encore frappé tous leurs complices ; il en est un que nous vous dénonçons : c'est Huché, général de brigade, créature de Ronsin, d'après son propre aveu. Cet homme, pour qui la vie des autres hommes n'est rien ..., cet homme qui a menacé de la fusillade le comité de surveillance de Luçon qui lui reprochait sa férocité ..."


Toutes ces dénonciations laissaient Huché parfaitement froid, et ce même jour, 6 avril, il écrivait au général de division Robert, chef d'état-major général de l'armée de l'Ouest :
"J'ignore, mon ami et camarade, si le général en chef est actuellement à Nantes. Pour moi, je suis, suivant ses ordres, à Luçon, où l'intrigue, le modérantisme et l'égoïsme font leur jeu. Républicain ferme et n'écoutant que les considérations qui tendent au bien général en faveur de la République, je lutte contre tous et envers tous ... Je suis ici le rocher, je ne crains pas les vagues ni les tempêtes. Je vaincrai tous ces bougres-là, et je te réponds du calme sous moins de huit jours ..."


De fait, le "Néron" qui terrorisait la petite ville de Luçon devait se croire bien assuré de l'impunité, et il avait les meilleures raisons du monde pour se rire de ses dénonciateurs. N'avait-il pas déjà été chaudement félicité par Turreau pour ses massacres dans le Bocage, et ne savait-il pas que Turreau lui-même - Turreau, qui le couvrait - n'était que l'exécuteur d'un plan d'extermination froidement préparé, approuvé, ordonné par le Comité de salut public ?


Mais les membres du Comité de surveillance révolutionnaire de Luçon tenaient bon. De plus en plus indignés,  non point précisément de ce qu'on massacrait les "brigands" ainsi que leurs femmes et leurs enfants, mais de ce que les "patriotes" eux-mêmes étaient chaque jour compris, eux et leurs propriétés, dans les mesures d'extermination et d'incendie ordonnées par le féroce Huché, ils se décidèrent à frapper un grand coup. Le 19 germinal (8 avril), ils prenaient l'arrêté suivant :
"Nous, membre du comité de surveillance de Luçon,
Considérant que Huché a transgressé la loi en faisant fusiller le citoyen Bardou, chirurgien, acquitté par la commission militaire de Fontenay-le-Peuple ;
Considérant qu'il n'a pas exécuté ou fait exécuter les ordres qu'il a reçus de faire filer sur Luçon les subsistances de toute espèce des communes qu'il a déjà brûlées ;
Considérant même qu'il les a transgressés en faisant incendier la Vineuse, le Simon et Sainte-Pexine, communes hors de la ligne du Lay ;
Considérant qu'il a fait incendier les premières communes les plus voisines de Luçon, qu'il semblait devoir faire brûler les dernières, d'après la tactique militaire la plus ordinaire, et que de pareils faits ne laissent entrevoir, dans les opérations de cet homme, qu'un traître qui cherche à découvrir le pays dont la défense lui est confiée, ou à le livrer à l'ennemi, en cherchant à affamer sa propre armée ;
Considérant que ce général a commis un abus d'autorité inouï en dispersant par la force des baïonnettes la Société républicaine de Luçon, le 13 de ce mois (germinal) ; qu'un tel abus d'autorité est le coup le plus terrible porté à la liberté et à la souveraineté du peuple ;
Considérant qu'il a encore commis un abus d'autorité en méconnaissant par écrit celle de cette cité ; qu'il a enfreint la loi en faisant des menaces, au président de notre comité, de le faire fusiller lui et ses collègues ;
Considérant, d'après tous ces faits, que l'art. 8 de la section V du décret de la Convention nationale du 14 frimaire, sur le mode de gouvernement provisoire et révolutionnaire, nous impose le devoir d'arrêter les progrès de la malveillance et de la scélératesse ;
Considérant que, pour parvenir à ce but, surtout dans un moment où Luçon est en danger par la trahison plus que manifeste de Huché, nous devons, dans l'intérêt de la chose publique, nous assurer de sa personne ;
Nous, membres composant le comité de surveillance révolutionnaire de Luçon, requérons, mandons et ordonnons au citoyen Cortez, adjudant-général de l'armée, en station près de nous et campée dans la forêt de Sainte-Gemme, de faire appréhender au corps et nous amener, par la force armée, Huché, général de brigade de cette division, rendant ledit citoyen Cortez responsable de l'inexécution du présent mandat, pour ledit Huché, à nous amené, être traduit devant le tribunal qu'il appartiendra ..."

 

 

CORTEZ

 


Cet arrêté avait été pris secrètement, mais il fut rendu public et exécuté le lendemain, 20 germinal (9 avril), avec le concours de l'adjudant-général Cortez et aux applaudissements de la population tout entière.


Le jour même où il faisait procéder à l'arrestation de Huché, le Comité de surveillance révolutionnaire écrivait à Turreau :
"Nous te prévenons que nous venons de faire arrêter Huché, général de brigade, que tu avais envoyé dans nos murs pour y commander la force armée. Ce coup, hardi peut-être, nous a été inspiré par le salut de la chose publique, que nous avons cru en danger, déposé dans de pareilles mains. Nous remplissons notre devoir, remplis maintenant le tiens en pourvoyant à son remplacement. Les mesures que nous avons prises conduisent Huché à un jugement prompt et terrible."


Remarquons en passant qu'il n'est nullement question ici, de la part des membres du Comité de surveillance révolutionnaire de Luçon, de protester contre le principe même du plan exterminateur que Turreau, Huché et autres bandits, avaient été chargés d'exécuter par ordre du Comité de salut public. Pas un mot de pitié pour ces "Brigands" qu'on avait assurément le droit de massacrer sans distinction d'âge ni de sexe ! Pas la plus petite marque de désapprobation au sujet de ces incendies qui n'avaient rien que de très légitime, tant qu'ils ne consumaient que les propriétés des suppôts de Charette ! Ce que ces excellents révolutionnaires luçonnais reprochaient à Huché, c'était seulement de les avoir menacés eux-mêmes, d'avoir outre-passé les ordres qu'il avait reçus et de ne point distinguer entre les "patriotes" et les autres. Ils étaient tout à fait de l'avis de leurs collègues du Comité de Fontenay qui, tout en s'associant à leurs dénonciations contre Huché, écrivaient à Turreau : "Général, hâte-toi de faire mettre une ligne de démarcation ! ... C'était tout ce qu'ils demandaient ! Et ils ne pensaient pas autrement que leurs collègues Chapelain et Tillier, qui, députés vers le Comité de salut public pour protester contre le plan de Turreau, terminaient leur mémoire, reproduit par Benjamin Fillon dans ses Recherches sur Fontenay (t. I, p. 462), par ces conclusions qui se passent de tout commentaires :
1° Faire cesser l'incendie, parce que ce moyen augmente le nombre et l'audace des rebelles ;
2° Rétrécir le cercle plutôt que l'étendre, afin d'atteindre plus facilement les rebelles et de les détruire en beaucoup moins de temps ;
3° Distinguer le pays qui a toujours été fidèle et ne pas le confondre avec le pays insurgé ; d'autant qu'il serait à craindre, tout en privant l'Etat de ressources immenses, d'augmenter l'armée de Charette, ce qui serait injuste et impolitique ;
4° Disposer les troupes de manière que les points de la circonférence, qui ne comprendrait que le pays insurgé, fussent suffisamment gardés, et qu'une armée formidable, marchant sur plusieurs colonnes appuyées les unes sur les autres, s'avançât contre les rebelles et ne s'arrêtât qu'après avoir détruit le dernier.
Les membres du Comité de surveillance révolutionnaire de Luçon, tout comme leurs collègues de Fontenay, étaient pas autre chose que ce que nous appellerions aujourd'hui des "opportunistes" : non moins impitoyables contre les "Brigands" que les féroces exécuteurs déchaînés sur la Vendée par le Comité de salut public, ils trouvaient seulement un peu trop "radicales" des mesures qui menaçaient d'atteindre les "patriotes" eux-mêmes ; leur indignation sonnait faux, et c'était surtout à un sentiment d'égoïsme qu'ils avaient obéi en dénonçant Huché et en faisant procéder à son arrestation. Toutefois - et sous le bénéfice de cette observation - je n'hésite point à reconnaître que leur conduite, dans la circonstance, ne manquait pas d'une certaine crânerie, car il fallait du courage, à une époque où la peur courbait toutes les têtes, pour oser braver en face un soudard galonné qui, en somme, représentait le Comité de salut public, c'est-à-dire la Convention, c'est-à-dire la "loi", - mot bête qu'il suffira toujours de mettre en avant pour abuser les naïfs et intimider les trembleurs, et à l'aide duquel, de tous temps, les tyrans de la souveraineté dite populaire ont eu le talent de faire ratifier aveuglément leurs dénis de justice, d'imposer leur despotisme et de commettre impunément leurs attentats !


La mesure prise par les membres du Comité révolutionnaire de Luçon n'eut point d'autre résultat que de les faire considérer à traiter comme de simples "aristocrates", ainsi que s'empressa de le faire Turreau, qui, dans une lettre du 12 avril, adressée au ministre de la guerre, prenait en ces termes la défense de son digne lieutenant :
"Revenons à la situation politique de la Vendée. Toute la partie du nord est gangrenée d'aristocratie ; j'en acquiers à l'instant une preuve dans l'arrestation inouïe du général de brigade Huché, à qui, j'avais confié le commandement de Luçon et postes environnants, à la place du général Bard que je suspendais provisoirement suivant la permission que tu m'en as donnée et sauf à rendre compte de mes motifs, tandis que les représentants du peuple près cette armée le destituaient. Sans doute le modérantisme de Bard convenait à Luçon, et cette ville s'est révoltée contre les principes sévères de Huché qui n'est pas un grand militaire, mais que je crois un républicain pur."


De leur côté, les représentants Hentz et Francastel, accourus à Luçon, s'empressèrent, à la date des 17 et 18 avril, de prendre successivement trois arrêtés aux termes desquels la ville était mise en état de siège, le Comité de surveillance révolutionnaire dissous et ses membres décrétés d'arrestation. Le premier de ces arrêtés porte ce "considérant" :
"... Qu'il est résulté que le comité révolutionnaire de cette ville a bien osé se rendre l'instrument d'une trame criminelle, et mettant en arrestation le général commandant la division de Luçon, au moment où il exécutait des opérations militaires qui devaient essentiellement concourir à la fin de la guerre de la Vendée, et en faisant cette arrestation sans consulter ni les représentants du peuple près l'armée de l'Ouest, ni le Comité de salut public ; ce qui arrête l'action du gouvernement, ce qui est un attentat porté à la sûreté du salut public ; que cette ville est le repaire des contre-révolutionnaires ; que les patriotes y sont si peu nombreux, que le commandant militaire et d'autres personnes ont dit n'en pas connaître ; que les petits aubergistes et gens de l'espèce, presque tous reconnus pour n'être que les domestiques des ci-devant chanoines, sont des hommes fanatiques et avides comme leurs anciens maîtres ...
Quelques jours plus tard, le 25 avril, les mêmes représentants envoyaient de Niort, au Comité de salut public, un rapport dans lequel, prenant de nouveau en mains la défense de Huché, ils déclaraient que "l'attentat porté à la sûreté publique" par le comité de surveillance de Luçon avait eu pour résultat de "faire manquer une opération qui eût exterminé beaucoup de brigands", ainsi, ajoute le rapport, que "cela vous sera expliqué la carte à la main".


De Rochefort, où il avait été transféré après son arrestation, et où, sûr de l'impunité, il attendait tranquillement d'être réhabilité par ses amis et protecteurs du Comité de salut public, Huché écrivait, le 28 avril, "aux représentants du peuple composant la Convention nationale" :

"Bien des généraux, citoyens, ont été mis en état d'arrestation. Plus d'un, et tout récemment quelques-uns, ont payé de leurs têtes. Je n'offre pas la mienne, citoyens ; j'aime à la conserver et la République en a encore un certain petit besoin, sans cependant me dire grandement utile.
Prévenu, à ce qu'on m'a dit, de cinquante-deux chefs d'accusation, je ne m'en effraie pas plus que de cinquante-deux mille ; je n'ai ni blanchi ni rougi depuis et avant mon arrestation ; la pureté seule de mes sentiments a exigé de moi cette fermeté, et c'est par une suite d'elle-même que je demande à la Convention nationale mon transport à Paris, où sont déjà transférés mes dénonciateurs. Un retard plus long, citoyens représentants, nuirait à la chose publique et préjudicierait à la poursuite d'un nombre de scélérats épars que je me ferai, comme j'ai, devoir et plaisir de suivre, poursuivre et exterminer.
Ma seule captivité est l'ouvrage de l'égoïsme, et de l'aristocratie des conspirateurs vendéens luçonnais, et, sa seule cause, l'exactitude impartiale à mes ordres d'incendier et d'exterminer les brigands.
Vive ! vive la République ! Salut et fraternité !"


Transféré à Paris, suivant son désir, Huché, pendant tout le cours du voyage ne cessa de montrer la même attitude arrogante. A son passage à Niort, notamment, et en pleine table d'hôte, il afficha un cynisme qui révolta toutes les personnes présentes, ainsi qu'il résulte du témoignage peu suspect d'un administrateur du département de la Vendée, le citoyen Jean-Antoine Gallet. La déposition de ce témoin, reçue plus tard, le 5 octobre 1794, par le Comité de surveillance révolutionnaire de Fontenay, et conservée aux Archives départementales, vaut la peine d'être reproduite, au moins en partie :
"Il (Huché) avançait, entre autres forfaits, que les officiers municipaux d'une commune de la Loire-Inférieure, allant au-devant de lui pour le recevoir, revêtus de leurs écharpes, au nombre d'une vingtaine, il les avait fait fusiller les uns après les autres, et que, de suite, les représentants Hentz et Francastel étant arrivés en cette commune, il fut au-devant d'eux et leur dit : "Venez, que je vous régale d'une fricassée humaine que je viens de faire !" Qu'alors, il leur raconta le massacre de cette municipalité, et que les représentants, loin d'avoir réprimé de pareilles horreurs, avaient paru approuver, au contraire, une conduite aussi atroce."


En affichant publiquement un pareil cynisme, le bandit savait bien que, loin de se compromettre, il ne pouvait que s'acquérir un nouveau titre aux yeux des bourreaux du Comité de salut public. Et, de fait, tandis qu'on maintenait en état d'arrestation l'adjudant Cortez et les membres du Comité de Luçon, qui ne devaient recouvrer la liberté qu'après le 9 thermidor, Huché, à peine arrivé à Paris, fut solennellement réintégré dans son grade et renvoyé à l'armée de l'Ouest, sous les ordres du général Vimeux, successeur de Turreau. Ce dernier venait d'être destitué, non point en raison des atrocités qu'il avait commises ou fait commettre par ses lieutenants, mais uniquement  parce que ces atrocités avaient été impuissantes à réduire la Vendée.


Ce fut le 13 mai 1794 que Huché fut ainsi réhabilité par le Comité de salut public. Or, deux jours auparavant, les membres du comité de surveillance luçonnais, qui avaient été également transférés à Paris, avaient adressé du fond de leur prison, au comité de sûreté générale de la Convention, un mémoire où étaient dénoncées les horreurs commises par le "nouveau Néron". Voici ce qu'on peut lire dans ce mémoire, daté du 22 floréal de l'an II (11 mai 1794), et qui porte les signatures des citoyens Parenteau, Barbier, Mocquay, Maury, Dehaye, Moreau, P. Serré, L. Imbert, Baudouin et Martin :
"Citoyens, au moment que le bruit des conspirations les plus affreuses retentissaient partout, que des perfides ennemis de la liberté préparaient sa ruine, que les traces de leurs machinations se découvraient au sein des armées de la République, au sommet même de la Montagne, parut à Luçon un général qui venait prendre le commandement des troupes soumises aux ordres du général Bard.
Depuis que la Vendée servait de théâtre à la guerre, depuis que Luçon renfermait des soldats dans son enceinte, l'autorité militaire et l'autorité civile s'étaient maintenues dans l'harmonie la plus étroite. Jamais elles n'avaient lutté par des passions contraires. Elles avaient marché d'un pas uniforme vers un seul but : le salut de la patrie.
Cette heureuse intelligence ne régna plus, quand le général Huché eut mis en service des pouvoirs qui n'imprimèrent que l'épouvante. A peine eût-il été reconnu par l'armée, que tous les esprits furent prévenus contre lui, tant la violence de son caractère fut prompte à se développer. Il s'attira la haine du soldat par des actes de sévérité qui tenaient plutôt de la tyrannie que de la justice. On ne prononça son nom pour la première fois qu'avec anathème.
Les esprits s'ulcérèrent bien davantage, quand le général eut abusé de son autorité de la manière la plus atroce. S'attribuant les droits et les pouvoirs d'un tribunal, donnant à ses décisions arbitraires l'effet d'un jugement légitime, il condamna à périr plusieurs citoyens, notamment un nommé Bardou, et il les fit fusiller. Ce malheureux Bardou venait pourtant d'être jugé militairement par la commission de Fontenay ; il avait été acquitté et renvoyé comme injustement prévenu de complicité avec les brigands. Nous avons son jugement.
L'alarme fut générale, quand on vit des torrents de feu parcourir la Plaine. On ne pouvait pas se persuader que l'incendie, allumé par la vengeance publique , dût dévorer cette partie de la Vendée, dont les habitants étaient restés fermes dans les principes de la Révolution ... ....
Cependant, l'on voyait ce territoire fécond livré à la dévastation. L'humanité criait de toutes parts. Là, c'étaient des filles violées, des femmes enceintes et des enfants égorgés, des vieillards mutilés. Ici, l'on consumait des grains dont il eût été facile d'enrichir les greniers de la République ; l'on incendiait les moulins sans en retirer les subsistances destinées pour l'armée. Les ménagements inspirés par l'humanité, les égards exigés par la justice, étaient rejetés et méconnus. C'était un spectacle déchirant que ces pleurs de l'innocence humectant les cendres dont on couvrait la Vendée.
Ces odieux massacres, ces attentats à la pudeur, ce mépris coupable des productions de la nature, dans un moment où nous étions menacés des horreurs de la famine, ne sont pas des faits controuvés pour attirer l'exécration publique sur le général Huché ; ils sont consignés dans les registres du comité de surveillance, et soutenus par une foule de dépositions ... ...
De nouvelles dispositions le chargeaient plus gravement que jamais. Il avait donné les ordres pour qu'on portât les torches de l'incendie au milieu de la Plaine. Il désignait les communes qu'il dévouait aux flammes et qui devaient être consumées dans les vingt-quatre heures. Par une lettre du 14 germinal, il avertissait la municipalité de Luçon que toutes les communes, répandues sur toute l'étendue de la Plaine, devaient subir le même sort le 16 ... ...
... C'était l'heure d'arrêter Huché. Sans quoi, le moment de prévenir le danger n'était plus au pouvoir du comité. Sur-le-champ, l'ordre est envoyé à Cortez de s'entourer d'une force suffisante pour saisir le général et s'assurer de sa personne. L'ordre s'exécute, et la joie renaît dans tous les coeurs au moment que Huché tombe au pouvoir d'une autorité qui réprime ses desseins.
Quelle sublime réputation se serait faite un comité de surveillance en faisant arrêter l'infâme Dumouriez au moment qu'il allait plonger un poignard dans le sein de la liberté ! Cependant le comité de surveillance de Luçon, persuadé qu'un traitre existait sous ses yeux, qu'il préparait des coups sanglants à la patrie, se voit accusé lui-même de conspirations perfides, pour avoir fait arrêter un général qu'il regardait comme un conspirateur ! On accuse le comité d'avoir entravé la marche du gouvernement, d'avoir mis obstacle à des opérations qui devaient essentiellement concourir à terminer la guerre !
Qu'on interroge la justice et l'humanité ! C'est elles qui répondront si la paix devait être ramenée par les mesures dont le général Huché faisait usage ; c'est elles qui répondront si la conduite la plus violente et la plus cruelle devait calmer les esprits. Le comité dira toujours qu'il fut dans son coeur de frapper un coup solitaire pour la République ; qu'il était dans la profonde persuasion qu'Huché conspirait contre la liberté, et qu'il ne s'attendait pas qu'on lui ferait un crime d'avoir violé des formes, quand il espérait recueillir des hommages universels pour avoir abattu l'audace et déjoué les complots d'un homme qui s'avança dans la carrière des armes par la protection de Ronsin ! ...
Forcés par la simplicité de leur fortune d'exercer des professions lucratives, les membres du comité de surveillance ne peuvent pas se vanter d'être profonds dans la connaissance des lois. Mais ils peuvent répondre de la pureté de leurs intentions, de la fidélité de leurs principes révolutionnaires, de leur dévouement sans bornes à la chose publique ..."


Jeté dédaigneusement au panier, le mémoire des républicains luçonnais n'eut d'autre effet que de prolonger, pendant trois mois, la détention de ses auteurs, de plus en plus suspects de "modérantisme", et de hâter la réhabilitation du scélérat aux atrocités duquel le citoyen Parenteau et ses naïfs collègues s'étaient courageusement efforcés de mettre un terme.


Ainsi réhabilité par le Comité de salut public, le massacreur du Bocage, l'incendiaire de la Plaine, plus zélé que jamais, put reprendre tranquillement, même après le départ de Turreau, la série de ses massacres et de ses incendies, et l'on pourra se faire une idée de ses nouveaux exploits à la lecture de cette dénonciation que, deux mois plus tard, à la date du 23 juillet, les citoyens Louis Motay, maire, Jean Durand, Pierre Vinet, officiers municipaux de la commune de Sainte-Cécile, et Jacques Pinochon, maire de la commune des Essarts, qui accompagnaient la colonne de Huché en qualité de guides, adressaient au représentant du peuple Ingrand :
"Le 16, à quatre heures du soir, on est parti de Montaigu, avec la colonne, alors commandée par le général Huché, marchant à l'avant-garde. On s'est porté sur Vieillevigne, et de là sur Roche-Servière. Les plaignans ont remarqué sur leur passage une vingtaine d'individus des deux sexes pris à leur ouvrage et tués sur le chemins sans compter ceux que les tirailleurs tuaient à droite et à gauche, au mépris des proclamations dont ils étaient porteurs, et sans doute par les ordres de Huché, car, ayant observé au général Ferrand que la proclamation des agens de la commission d'agriculture et des arts invitait à respecter les personnes qui n'étaient pas armées, et que celle du général en chef (Vimeux) en faisait un devoir aux soldats, le général Ferrand répondit que cela était vrai ; que la colonne s'était bien comportée tant qu'elle était sous ses ordres ; qu'il voyait bien que cela allait se passer fort mal, mais qu'il ne pouvait pas l'empêcher, n'ayant plus le commandement.
Le 17, à quatre heures du matin, on se met en marche, on arrive au village de la Besilière, commune de Legé, où l'on s'arrêta quatre à cinq heures. Tous les hommes et les femmes même, trouvés sans armes dans les champs, occupés à leurs ouvrages, y sont égorgés et fusillés. Le village est entièrement incendié. Deux pièces de terre ensemencées au froment sont livrées aux flammes. On va bivouaquer dans les Landes du Grand-Luc ; on ne rencontre qu'un homme et une femme fuyant, ils sont fusillés.
Le 18, on se porte au bourg de Saligny où l'on ne trouve personne. On se rend aux Landes des Jouineaux ; un village voisin de Saligny est incendié, des moutons sont brûlés dans leurs toits ; on entend tirer beaucoup de coups de fusil à droite et à gauche. On se porte au bourg de Saint-Denis-la-Chevasse, on n'y trouve personne ; Huché y fait mettre le feu ainsi qu'aux métairies qui l'environnent.
Le 19, on campe dans les Landes de la Marquière près Boulogne. Plusieurs cultivateurs trouvés cachés et sans armes, les uns en chemise, les autres en gilet, presque, tous à leurs travaux, sont amenés au général Huché et fusillés sur-le-champ par ses ordres. Le général Ferrand, témoin de ces massacres, fait des représentations à Huché qui répond : Je le veux, moi ; cependant, plusieurs femmes et deux hommes seulement furent épargnés.
Le 20, on passe par le village de l'Orsière, où un homme et une femme sont tués dans leur maison ; on se rend au Poiré où l'on rencontre les brigands. Ceux qui escortaient vingt-cinq voitures chargées de grains, farines et effets sont tués. Soixante-quatre femmes et enfants sont conduits à Palluau et mis en liberté par le général Ferrand.
Le 21, les plaignans ont quitté la colonne et se sont rendus à Luçon avec le général Ferrand. Ils ont remarqué que depuis Montaigu jusqu'à Palluau, on a horriblement pillé, et que les bestiaux ont été enlevés par ordre de Huché."


En transmettant, le lendemain 24 juillet, cette dénonciation au Comité de salut public, le Comité de surveillance révolutionnaire de Fontenay, qui avait sans doute les mêmes illusions que les plaignants, s'exprimait ainsi :
"Le Comité de surveillance de la société populaire de Fontenay-le-Peuple transmet au Comité un rapport qui mérite toute son attention. Il  y verra la conduite d'une partie de l'armée de l'Ouest, et il sera indigné des brigandages et des meurtres inutiles qui ont été commis chargé les proclamations des agents de la commission de l'agriculture et des arts et celle du général en chef de cette armée (Vimeux), qui rend responsables les officiers qui permettraient qu'on y portât atteinte. Les auteurs de ce rapport y ont mis un ton de vérité qu'on ne peut suspecter. Ils servaient de guides à la colonne commandée par le général Ferrand et ensuite par le général Huchet.
C'est de ce moment que le pillage et le massacre commencèrent. Rien ne fut épargné : vieillards, femmes et enfants sans armes, occupés à travailler dans les champs ou dans leurs maisons, furent massacrés impitoyablement. Le général Ferrand, voulant, par ses observations, empêcher de semblables atrocités, le général Huchet lui répondit : Je le veux, moi ! Partout où passa cette colonne commandée par le général Huchet, depuis Montaigu jusqu'à Palluau, tout a été pillé d'une manière horrible. Une lettre, écrite par un des agents de la Commission à un de ses amis de Fontenay-le-Peuple, retrace d'une manière effrayante les horreurs commises par les ordres et sous les yeux du général Huchet ; il y est peint comme un monstre altéré de sang et qui ne respire que le carnage, enfin comme un homme capable de tous les crimes ..."


Après les évènements du 9 thermidor et la chute de Robespierre, le pouvoir étant passé en des mains moins sanguinaires, sinon plus pures, la Vendée fut débarrassée des monstres qui l'avaient inondée de sang.


Huché fut destitué le 4 août 1794, et son ex-protecteur, celui qui l'avait soutenu jadis et fait divisionnaire en récompense de ses atrocités, le pleutre Carnot, qui, après avoir été jusqu'au bout violent avec les violents, tenait à se montrer modéré avec les modérés afin de "rester du côté du manche", chercha alors à se disculper d'une nomination "que, dit-il, je fus obligé de signer malgré mon opposition". Regrets bien tardifs, excuse hypocrite dans la bouche d'un homme que la peur seule transformait en modéré, et qui, quatre jours avant le 9 thermidor, avait officiellement intimé, aux représentants conventionnels dans l'Ouest, l'ordre d'en finir avec la Vendée et de réagir contre les "excès" d'une "indulgence absurde et meurtrière !" La vérité, c'est que Carnot, au même titre que Robespierre et ses collègues du comité, doit être considéré comme le complice, comme l'instigateur responsable des horreurs commises par Huché, et que celui-ci, tant de fois dénoncé à la Convention et si longtemps soutenu et encouragé, eût été en droit de répondre au futur comte de l'Empire ce que Grignon, lui aussi mis en disgrâce après la chute de Robespierre, répondait, dans sa lettre du 28 octobre 1794, au Comité du Salut public : "Je n'ai été qu'un simple porteur d'ordres, me ferait-on un crime d'avoir porté des ordres" ?


De fait, tout comme son chef Turreau et son collègue Grignon, Huché devait rester définitivement impuni.

Décrété d'accusation, en même temps qu'eux, le 30 septembre 1794 (9 vendémiaire), il vit son procès traîner en longueur et fut mis en liberté le 20 fructidor an III (6 septembre 1795). Rentré en activité bientôt après, ce fut seulement le 12 floréal an VIII (2 mai 1800) qu'un arrêté le mit en réforme, en attendant sa retraite "pour cause d'infirmités." Une simple mise en réforme "pour cause d'infirmités" ... Telle fut la seule punition que la justice républicaine, même après la Terreur, osa infliger à ce "monstre altéré de sang", à ce nouveau Néron qui s'était vanté lui-même d'être capable de Tuer sa mère !

La Vendée Historique
N° 41-42
1898

ACTE DE DECES HUCHÉ

 

Jean-Baptiste-Michel-Antoine Huché, ex-général de division, est décédé le 20 germinal an XIII (10 avril 1805) à l'âge de 56 ans, à Bernay (27).

A l'âge de 52 ans, il épouse le 26 brumaire an X (17 novembre 1801) , à Bernay,  Anne Savary, âgée de 26 ans, née le 25 janvier 1775 à Bernay.

 

Acte de mariage Huché

 

Une lettre de Huché :

lettre Huché première partie

lettre Huché deuxième partie

Lettre Huché troisième partie

Lettre Huché quatrième partie

Lettre Huché cinquième partie

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