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La Maraîchine Normande
18 avril 2014

JACQUES-GUILLAUME BESSIN, CURÉ DE LA PAROISSE DE SAINT-MICHEL-DE-SOMMAIRE (61)

JACQUES-GUILLAUME BESSIN
Curé de la paroisse de Saint-Michel-de-Sommaire.

 

église st nicolas de sommaire



Ayant refusé de faire le serment schismatique de 1791, il avait été expulsé de sa paroisse à l'âge de soixante-deux ans, et remplacé par un prêtre constitutionnel. Le bon vieillard, tout en se résignant à cette humiliation pour l'amour de Jésus-Christ, ne put consentir à livrer aux mains sacrilèges de l'intrus les vases sacrés et les ornements de son église. Il les cacha, afin qu'ils ne fussent pas profanés, et se retira dans la ville de Rouen.


Lorsqu'on eut publié le décret de déportation contre les prêtres fidèles à l'Eglise catholique, il revint pour demander un passe-port au district de Laigle, et faire les préparatifs de son départ. Il arriva à Laigle, le dimanche 9 septembre 1792, sur les huit heures du matin. En ce moment plusieurs habitants de la campagne arrivaient également à la ville, où devaient se faire le recrutement des militaires, appelés à défendre le territoire national. M. Bessin eut le malheur d'être aperçu par quelques-uns de ses paroissiens, que l'intrus avait excités contre lui en l'accusant d'avoir enlevé les vases sacrés de son église. Ils l'attaquèrent aussitôt et vomirent contre lui mille injures. Quelques autres révolutionnaires étant venus se joindre à eux, ils arrêtèrent ce bon vieillard et le conduisirent devant le Directoire de Laigle.

 


Les membres de cette administration lui firent subir un interrogatoire sur les faits qu'on lui imputait. Il convint qu'il avait caché les ornements et les vases sacrés de son église pour les préserver de la profanation, suivant les anciennes lois de l'Eglise catholique. Comme on insistait, en accusant indignement ce bon pasteur d'avoir soustrait ces objets consacrés au culte, il crut devoir, pour l'honneur du clergé catholique, indiquer le lieu où il les avait cachés. Il y fut conduit sur-le-champ, et découvrit le dépôt sacré que l'Eglise avait confié à sa garde. Cette vue, loin d'apaiser les ennemis du saint prêtre, ne fit qu'enflammer leur colère. Ils se précipitèrent sur le vénérable vieillard, l'accablèrent de coups et le reconduisirent à Laigle en proférant contre lui des cris de mort.


Comme ils arrivaient à Laigle, plusieurs volontaires de la ville et des paroisses voisines se joignirent à eux pour insulter M. Bessin et le menacer de mort. Parmi eux, on remarquait surtout deux fougueux révolutionnaires, Nicolas Costard, de Laigle, et François Devey, de Beaufay. "Voyez ce prêtre réfractaire", disaient-ils au peuple", voyez cet aristocrate ; non content de refuser le serment prescrit par les lois, il a volé le calice et les ornements de son église qui appartiennent à la nation. Il a lui-même avoué son crime, il a montré les objets qu'il avait enlevés. Citoyens, il faut apprendre à ce prêtre réfractaire et à ses pareils comment la nation traite ses ennemis. Que ceux qui aiment la patrie se joignent à nous pour la venger."


Ces paroles adressées à une multitude égarée, que les émissaires des clubs excitaient depuis plusieurs semaines au massacre général des prêtres, furent comme une étincelle tombant sur un amas de poudre. Presque tous les volontaires y répondirent par des cris de mort, et coururent chercher des armes pour massacrer M. Bessin. Cependant plusieurs conseillers municipaux, ayant à leur tête M. Savary, maire de Laigle, se présentèrent pour prévenir les crimes auxquels on voulait se porter. Ils ordonnèrent à quelques gardes nationaux de conduire M. Bessin à la prison de l'Hôtel-de-Ville, et défendirent aux ennemis du saint prêtre d'attenter à ses jours. Mais leur fermeté ne put arrêter ces furieux qui accouraient de tous côtés, brandissant leurs armes.
M. Savary les conjura d'attendre au moins que le corps judiciaire, qui était assemblé, eût porté son jugement sur M. Bessin ; il alla même jusqu'à se jeter à leurs pieds, en les suppliant de ne pas déshonorer la ville par une action aussi criminelle. Ses prières ne purent attendrir ces misérables.

Conduits par François Devey et Nicolas Costard, ils courent à l'Hôtel-de-Ville, enfoncent les portes de la prison, et se jettent sur le vénérable prêtre, qui, prosterné devant Dieu, lui offrait le sacrifice de sa vie. Le maire et les conseillers municipaux essaient en vain de les arrêter ; les assassins arrachent de leurs bras le bon vieillard, l'entraînent sur la place et le percent de mille coups.


Ils se jettent ensuite comme une bande de tigre sur son cadavre palpitant, et lui coupent la tête à coups de sabre. Saisissant alors cette vénérable, ils la mettent au bout d'une pique, et vont la porter de maison en maison pour la faire voir au peuple. Ils la font même embrasser de force aux femmes connues dans la ville pour leur attachement à la religion catholique. D'autres brigands traînent le cadavre dans les rues et autour de l'arbre de la liberté, au bruit de la terrible chanson révolutionnaire : Ah ça ira, ça ira, ça ira, Les aristocrates à la lanterne ...

prêtre martyr


Il est certain que, dans cette marche infernale, on frappait le corps du martyr à coups de bâton, de sabre et de baïonnette, et qu'on forçait ceux qui passaient de frapper de même ses restes défigurés. (On lit sur les Registres du tribunal criminel de l'Orne : Ledit Marais a déclaré au directeur du juré qu'ayant été menacé d'un coup de sabre s'il ne frappait sur le cadavre dudit curé, il avait laissé tomber son bâton sur lui et s'était retiré")
Il est encore certain qu'on porta en guise de trophée les deux bras du martyr suspendus à la pointe d'un sabre. En passant près de la rivière, on les jeta dans l'eau, où ils purent retrouvés quelques jours après par une lavandière.
Las de cette orgie sacrilège, les bourreaux se dispersèrent le soir, emportant dans leur paroisse, les uns une oreille du martyr, attachée à leur chapeau en guise de cocarde, les autres un doigt, ou un autre lambeau de chair attaché à leur boutonnière.


Les restes du martyr furent inhumé le soir même de ce jour affreux par M. Gauthier, curé intrus de Saint-Jean-de-Laigle.


Ce meurtre parut si horrible aux yeux mêmes des juges du tribunal criminel de l'Orne, qu'au mois de mars 1793, ils lancèrent un mandat d'arrêt contre François Devey et Nicolas Costard, principaux assassins du martyr. Ils furent condamnés à mort par le tribunal criminel, le 18 mars 1793. Mais sur la demande du citoyen Lanoe, adjudant-major du bataillon de Saint-Hilaire-sur-Rille, qui se rendit à Paris pour obtenir de la Convention un sursis à l'exécution de cette sentence, les bourreaux du saint prêtre furent remis en liberté. Le conseil municipal de Laigle protesta, au nom de la justice, contre cette décision, qui ouvrait la porte à tous les crimes. Cette protestation courageuse contient trop de détails sur le martyre de M. Bessin pour que nous puissions la passer sous silence.


Voici le texte de ce précieux document qui fut reçu le 1er mai 1793 au Comité de Législation :

"Citoyens législateurs, dans votre séances du vendredi 19 de ce mois, vous avez ordonné qu'il serait sursis à un jugement rendu, par le tribunal criminel du département de l'Orne contre deux particuliers, François Devey et Nicolas Costard, convaincus de meurtre. L'humanité sans doute a dicté ce décret ; mais les motifs sur lesquels on s'est appuyé pour l'obtenir sont trop évidemment faux pour ne pas nous croire obligés de réclamer contre les assertions qui vous ont été faites. Quoi ! l'on a osé vous dire que c'était à leur corps défendant qu'ils avaient commis le crime qui les a fait condamner ? C'est à leur corps défendant qu'ils ont exercé sur le cadavre de leur victime des horreurs que la plume se refuse à retracer ? Et qui pourrait les y avoir contraints ? Les habitants de notre commune ? Ne le croyez pas, citoyens législateurs. Nos concitoyens détestent le crime ; ils ont, il est vrai, demandé à grands cris la punition du prêtre réfractaire accusé de vol ; mais ils voulaient qu'il fût jugé sans désemparer par les autorités compétentes. Ce sont des habitants des communes voisines ; ce sont des étrangers qui ont excité le trouble. Les condamnés étaient à leur tête. Ils ont arraché de nos bras l'accusé que nous voulions soustraire à leur fureur ; plusieurs de nous en ont été frappés. Toutes les lois ont été foulées aux pieds. Après avoir assouvi leur rage contre ce prêtre, ils ont colporté sa tête sanglante de maison en maison ; ils l'ont fait embrasser à plusieurs personnes, et voilà ceux en faveur desquels on a excité votre commisération ! Faites-vous faire le rapport de la procédure, et le glaive de la loi s'appesantira sur eux. Les habitants de Laigle, inviolablement attachés à la République, une et indivisible, font, de concert avec les autorités, tout ce qui dépend d'eux pour la maintenir. C'est les calomnier de dire qu'ils ont été excité au meurtre ces scélérats qui n'y étaient déjà que trop portés d'eux-mêmes. De véritables républicains sont véritablement soumis aux lois émanées des représentants qu'ils ont élus ; ils ne connaissent d'autres moyens de punir le crime que ceux que vous avez décrétés.
Les membres composant le conseil municipal de Laigle : Savary, maire ; Malitourne, aîné ; Richer, Mouchel, Lemarignier, Richer, Gautier, Rossignol-Gueuzet, Sailland, Malitourne, procureur de la commune.


La Convention, qui se plaisait à verser elle-même le sang des prêtres, étouffa ces cris de la justice et de l'honneur, et les assassins purent marcher la tête haute au milieu de leurs concitoyens épouvantés.

Mais la Justice divine, qui atteint à son heure les coupables, frappa d'une manière terrible les principaux auteurs du meurtre de Bessin. On cite entre autres comme frappé de la main de Dieu un misérable nommé L..., de Gloz-la-Ferrière, qui avait attaché à son chapeau une oreille de M. Bessin, et l'avait portée jusqu'à ce qu'elle tombât en putréfaction. Un jour qu'il travaillait à abattre un arbre, il fut écrasé sous sa chute, et sa tête fut littéralement broyée.


La mémoire de M. Bessin est restée en bénédiction dans la ville de Laigle. Plusieurs vieillards se rappellent encore avec émotion, avoir vu porter dans les rues la tête vénérable du martyr, dont les traits, quoique altérés par la mort, conservaient encore l'empreinte de l'innocence et de la sainteté. Ses yeux ouverts et levés vers le ciel semblaient dire (Ps.XVII) : Je vous aimerai, Seigneur, vous qui avez été ma force, mon soutien, mon refuge et mon libérateur. Les douleurs de la mort m'on saisi, le torrent de l'iniquité m'a entraîné. Mais je vous ai évoqué, Seigneur, j'ai crié vers mon Dieu, et il a entendu ma voix de son temple saint ..., il m'a tendu la main, et il m'a retiré du milieu de mes ennemis, parce qu'il m'a aimé. Vive le Seigneur, et béni soit mon Dieu !"

Extrait :
Les martyrs de la Révolution
dans le diocèse de Séez
Tome premier
par M. l'abbé J.-B.-N. BLIN
1876

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