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La Maraîchine Normande
9 avril 2014

PIERRE-JEAN MIGNIEN DU PLANIER - "LES TROIS MARIAGES DE PLANIER"

LES TROIS MARIAGES DE PLANIER

mariage poitevinSe marier trois fois en vingt ans constitue déjà un fait remarquable dans la vie d'un homme. Mais se marier trois fois avec la même femme est un exploit unique dans les annales de l'Etat-civil.
Cet exploit, il appartenait à Pierre-Jean Mignien fils, dit Planier, de le réaliser. Tout fut paradoxe, anomalie, contradiction chez ce personnage dont la curieuse figure et la psychologie tortueuse commencent seulement à sortir de l'ombre, et dont la présente étude se propose de mettre en lumière quelques aspects encore inconnus.


Son nom, d'abord, reste une énigme généalogique qu'un émule de Beauchet-Filleau résoudra peut-être quelque jour. Celui que porte l'acte de baptême, en date du 8 octobre 1746, est Mignien du Planier. Mais il se transformera plus tard, tantôt scindé en Mignien d'une part et Planier de l'autre, tantôt soudé par un rapprochement des deux noms. La première signature officielle qui figure sur les actes administratifs, en l'occurrence les registres paroissiaux et le Cahier de délibérations de la Municipalité de Lusignan, en 1792, est P.-J. Mignien. Peu après, en 1793 et 1794, c'est Planier, et Planier tout court, que l'on trouve sur les pièces émanant du Directoire et du Tribunal de la Vienne. En l'an IV, c'est Mignien Planier fils, lequel conserve cette dénomination, avec le mot fils en moins, sur l'ex-libris ornant les livres de sa bibliothèque. A la Restauration, en 1817, quelques années avant sa mort, réapparaît enfin le Planier de l'an II, sans additif.
De toutes ces appellations, laquelle est la bonne ? Leur pluralité peut créer une confusion, à telles enseignes que l'historien Mathiez lui-même s'y est trompé. Au temps où il explorait les Archives de la Vienne en vue de sa thèse, l'auteur de La Théophilantropie et le culte décadaire fit mention dans son livre de ce qu'il crut être deux personnages : Planier (page 340) et Mignien fils (page 344), lesquels, en réalité, n'en font qu'un. N'est-il donc pas un nom stable que nous puissions donner à cet homme qui, à plusieurs reprises, fit tant parler de lui et ne pouvait paraître sur la scène politique sans provoquer immédiatement une levée de boucliers ? Puisque l'intéressé, en tête des deux brochures justificatives qu'il publia sous le Directoire, s'appelle Pierre-Jean Mignien fils, dit Planier, nous le désignerons sous le vocable qu'il a pris comme étant le sien.

 

poitiers


Son père Pierre-Charles Mignien du Planier, habitait la paroisse Notre-Dame-la-Petite, à Poitiers. Il était marchand de draps et de soie. Etat fort lucratif en cette année 1746 où Planier vint au monde, et qui pouvait, bien géré, enrichir son homme. La preuve en est dans la situation financière laissée par Morillon du Bellay, honorablement connu pour exercer le même négoce sur la place de Poitiers et qui, outre sa fortune, avait su rassembler du bien au soleil dans les territoires de Bonnes et Vouneuil-sur-Vienne. Mais il y fallait un sens commercial dont le père Planier semble avoir été quelque peu dépourvu, puisque les années précédant la Révolution, loin de marquer chez lui une augmentation du chiffre d'affaires, témoignent hautement d'une décadence et d'un déclassement qui ne feront que s'accentuer.
En 1773, en effet, Planier le père, demeurant rue Notre-Dame-la-Petite, est toujours marchand, mais il ne s'occupe plus de soieries. Il raccommode maintenant les vieux miroirs, les remet à neuf, nettoie et passe en couleurs d'or toutes sorte d'ouvrages de cuivre, répare les tableaux, en rétablit l'éclat et la fraîcheur, imite le marbre à tromper la vue et le tact, et dore sur bois. C'est du moins ce que nous disent les Affiches du Poitou, journal de l'époque, où notre homme insère de temps à autre quelques lignes de publicité. Sans doute étend-il son trafic, dont on a peine à croire qu'il est fructueux, à d'autres objets, attendu qu'il vend aussi des chiens et s'entremet pour louer ou arrenter des immeubles. Il s'occupe, en outre, à l'occasion, de placer des tonneaux de vin blanc et gris. Il faut croire toutefois que les professions de placier et d'intermédiaire ne lui ont pas mieux réussi que celle de drapier, puisqu'en 1782, se qualifiant lui-même d'ancien marchand, le sieur Planier cherche à céder son fonds, offrant à l'acquérieur éventuel de le mettre au courant du métier. Quand ce fut chose faite, comme essaya-t-il de gagner son pain ? Quel nouvel échelon dut-il descendre dans la série des déclassés ?
Un de ses contemporains va nous l'apprendre par une voie inattendue. Le capitaine Jean-César de Marans, officier du Régiment de Normandie, qui passait son congé de semestre à Varennes près de Bonneuil-Matours, pendant l'hiver 1789-90, tenait son journal où il notait, de temps à autre, quelques faits de sa vie sociale. Il nous fait connaître certains détails qui ne manquent pas de pittoresque et permettent de se faire une idée assez précise des marchandises que débite maintenant l'ancien drapier :
"Le sieur Planier, écrit-il, marchand charlatan demeurant rue Notre-Dame-la-Petite, vend une quantité d'objets qui pourront être appréciés du public si leur efficacité est en rapport avec ses promesses. On trouve chez lui un ruban de santé qui a la propriété de chasser tout mauvais air dans les endroits où on le porte ; de plus, il délasse de toute fatigue et donne aux personnes épuisées une nouvelle vigueur. Il en vend pour ce que l'on veut, même pour deux sous. Il vend aussi la boule de Mercure pour détruire les vers des enfants, les poux et autres insectes désagréables. Il fait une bougie merveilleuse, sans aucune graisse et qui éclaire mieux que la naturelle, sans odeur ni fumée."
Le capitaine de Marans n'a pas inventorié toute la camelote du père Planier. Nous allons pouvoir jeter un coup d'oeil dans l'officine de la rue Notre-Dame-la-Petite. On y trouve encore des pastilles et tablettes très salutaires pour brûler dans les salles des hôpitaux et qui donnent beaucoup plus de fumée que le ruban. Elles sont aussi bonnes à brûler dans les écuries ou étables où il y a des bestiaux malades. On y trouve également une eau merveilleuse pour le mal des yeux, qui a déjà guéri plusieurs personnes. Sur simple demande, le maître de céans compose le vinaigre foillitique et le sirop de Calabre pour maintenir la santé jusqu'à l'âge décrépit. Au reste, ceux qui doutaient encore des vertus curatives de cette pharmacie en seront convaincus en lisant une lettre où la gratitude l'emportait sur la syntaxe, et qu'envoyait à Planier, en 1787, le sieur Desgranges demeurant à la Chaume, près Parthenay, au sujet du ruban et des pastilles :
"Je me suis servi, dit ce correspondant, de l'un  et de l'autre sur mes animaux, tant quadrupèdes que sur la volaille, et j'ai vu avec satisfaction que cette fumée paraît les fortifier et les réjouir, surtout la volaille qui était chargée de poux, que cela a détruit, ce qui m'a engagé à m'en servir. Etant très incommodé depuis quelques années par les punaises, je me suis avisé d'en faire brûler dans ma chambre et dans mon lit : depuis que je fais ceci, je repose tranquillement ; il y a à croire que la fumée et l'odeur les chassent ou les font mourir. Pour ce qui est de votre Boule de Mercure, depuis que je fais boire mes enfants dessus, je me suis aperçu qu'ils ayent rendu des vers, je conviendrai cependant qu'ils n'en sont pas indisposés comme ils étoient ; sans doute que cette eau les fait mourir, les engourdit, et qu'ils se consument dans le corps ; marquez-moi là dessus votre façon de penser".
En dépit des bienfaits que ses ingrédients répandaient autour de lui, l'apothicaire improvisé continuait son enrichissement à rebours. Au début de la Révolution, ses dettes se montaient à près de 4.000 livres. Un procès avait achevé de le ruiner. C'était maintenant un vieillard aux environs de 75 ans, entouré de créanciers, n'ayant devant lui qu'une fin de vie lamentable. Que seraient ses dernières années ? Il eût fallu une sorte de miracle pour le libérer de son passif, faire de lui un homme encore capable de participer aux affaires publiques, et c'est précisément ce qu'allait, par contre-coup, lui apporter la Révolution.
- Charlatan, écrivait le capitaine de Marans en parlant du père. Que dirons-nous lorsque nous connaîtrons le fils ?

Acte de naissance de Mignien du Planier



Pierre-Jean, que Mignien du Planier avait eu de son épouse Elisabeth David et baptisé le 8 octobre 1746, fut destiné à l'état ecclésiastique. Il avait déjà, dans sa famille, un oncle religieux. Un protecteur influent, dont l'identité reste inconnue, et qui avait sans doute remarqué la vive intelligence de l'enfant, sut apporter à celui-ci une aide précieuse à l'époque où d'âpres querelles théologiques divisaient le clergé poitevin. En 1768, le jeune Planier fut promu à un bénéfice simple, en 1770, ordonné prêtre "pour complaire à mes parents", dira-t-il, 25 ans plus tard en manière de justification.  En 1771, le 9 novembre, il était nommé professeur de cinquième au Collège Sainte-Marthe dont il devint le Sous-Principal.


Si les autorités municipales tenaient Planier pour "une personne de bonne vie et moeurs" l'Evêque de Poitiers n'était point du même avis. Beaupoil de Saint-Aulaire, petit vieillard froid et sec, s'y connaissait en hommes et ne badinait pas avec les questions de respectabilité. Malgré l'avancement rapide du jeune professeur et le brevet de moralité décerné par les édiles, il le frappa d'interdiction trois mois après sa nomination. Nous ignorons les motifs de cet interdit ; nous pouvons en supposer la nature d'après la suite des évènements.
La grave sanction épiscopale dont il avait été l'objet n'avait pas empêché Planier de continuer son enseignement au Collège Sainte-Marthe. Mais il s'écartait de plus en plus de la voie où le protecteur de ses années d'adolescence l'avait aidé à s'engager. Le fait décisif qui devait peser sur toute sa vie se produisit le 27 février 1775. Ce jour-là, Planier s'enfuit du collège, emmenant avec lui Marie-Françoise Oudin, une Poitevine de 23 ans, et passa en Angleterre, soulevant derrière lui le plus retentissant des scandales dont sa ville natale ait été secouée depuis longtemps.


Qu'était au juste cette Marie-Françoise Oudin ? Une femme légère, dit avec sévérité, M. de Roux. Plus simplement, peut-être, une fille séduite. Son père, Charles Oudin, était employé aux traites. A aucun moment de sa vie, elle n'apparaît comme une Manon Lescaut. Fait digne de remarque : jamais il ne fut question d'elle dans les innombrables libelles, dénonciations, mémoires manuscrits ou brochures imprimées qui pullulèrent après Thermidor. Le torrent de haine, qui déferla sur l'ex-président du Tribunal criminel quand il fut destitué, épargna sa compagne. Tandis que les épouses de Piorry et d'Ingrand, députés montagnards, de Bernazais, leur fondé de pouvoirs dans la Vienne, recevaient quelques éclaboussures, Marie-Françoise Oudin eut le rare privilège de rester à l'écart des polémiques. Pas une seule fois la femme de ce César provincial déchu ne fut soupçonnée.


Les deux fugitifs se marièrent à Londres, le 24 juin 1775, selon le rite anglican. Planier approchait de la trentaine. Il était actif, cultivé, et possédait un sens des affaires qu'il devait garder toute sa vie. Tandis que son père s'enlisait peu à peu dans une vie besogneuse, le fils poussait avec vigueur une entreprise lucrative. Mettant à profit l'expérience qu'il avait acquise à la sous-direction du collège Sainte-Marthe, il fut bientôt à la tête d'un important établissement de la ville de Bristol. A l'en croire, il aurait hébergé jusqu'à 60 pensionnaires et 100 externes. Il y avait gagné, dit-il, "une fortune au-dessus du médiocre". Au milieu de sa réussite et de la considération dont il jouissait sur la terre étrangère, pensait-il quelquefois au pays poitevin qu'il avait quitté de si peu honorable manière ? Y retourner, s'il y songeât jamais, eût été se livrer à la justice, car, la jeune fille qu'il avait enlevée étant mineure à l'époque de cette fugue, il était toujours, pour rapt, sous le coup des "plaintes, permissions d'informer, information et décret de prise de corps contre lui décernée par le sieur de Cressac, official du diocèse de Poitiers". Mais qu'il ait gardé la nostalgie de sa province natale, cela ressort avec évidence de la décision qu'il prit quand l'écroulement de l'Ancien Régime fut consommé. En 1790, le lieutenant-criminel de la Sénéchaussée de Poitiers devenu inoffensif, et l'évêque Beaupoil de Saint-Aulaire occupé d'autres sujets. Planier réalisa son avoir et quitta l'Angleterre pour la France qu'il n'avait pas revue depuis quinze ans.


Toutefois, contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce n'est pas à Poitiers qu'il vint tout d'abord. On est assez surpris de le trouver à Lyon en 1791. Il fait un voyage à Paris l'année suivante, et c'est là, le 10 juillet 1792, que ce prêtre français, marié en Angleterre par un ministre anglican, va épouser pour la deuxième fois sa femme devant le greffier de la municipalité de Paris.
Pourquoi s'adresser à ce scribe, alors que l'enregistrement des baptêmes, sépultures et mariages continue à se faire, jusqu'à la loi du 20 septembre 1792, sur les registres paroissiaux ? Comme pour tout ce qui vient de Planier, la réponse n'est pas simple. En revenant en France, l'émigré a repris l'état ecclésiastique. Il suit d'un oeil trop attentif l'évolution de la politique pour ne pas sentir que la question de l'Etat Civil n'est pas encore résolue. Elle ne commencera à l'être, en effet, que dans un mois de là. Ce sera une conséquence de la journée du 10 août. C'est pourquoi, désireux de régulariser une situation qui, admise en Angleterre, pourrait devenir gênante en France, il se décide à faire une déclaration devant la municipalité de Paris, "promettant de la renouveler lorsque le pouvoir législatif aurait établi pour tous les citoyens le mode par lequel les naissances, mariages et décès seront constatés."
On ne saurait être plus précis. Par cette déclaration, signifiée au citoyen Roger, greffier de la municipalité parisienne, avec réquisition d'en donner connaissance au corps municipal à sa première assemblée. Planier et Marie-Françoise Oudin promirent de se prendre mutuellement pour mari et pour femme. Sur les conclusions du premier substitut adjoint du procureur de la Commune, le dépôt de cette déclaration fut ordonné au secrétariat et il fut fait mention, dans le procès-verbal, de cet acte extra-judiciaire. On délivra aux intéressés un extrait du registre des délibérations. Quatre témoins signèrent cette étrange pièce de mariage : Antoine Cournaud, professeur, place Combray ; François Giraud, rue Vieille-du-Temple, et sa femme, née Brunet ; Michel Villeret, 6 rue de la Mortellerie.


Certes, il eût été moins compliqué de convoler, comme on le faisait à cette date du 10 juillet 1792, devant le curé de la paroisse, unique pouvoir légal en la matière. Le moyen détourné de Planier trahit-il des hésitations à se marier par les voies normales alors que les mariages de prêtres sont encore rares ? Un reste de pudeur a-t-il retenu l'ex-sous principal, tandis qu'aiguillonné du souci aigu de légitimer, aux yeux de la loi française, une union vieille de quinze ans, il savait l'Eglise seule habilitée à lui conférer cette légitimation ? De tels scrupules semblent cadrer assez mal avec ce que nous connaissons du caractère de ce renégat. A aucun moment nous ne trouverons sous la plume de Pierre-Jean Mignien, qui a beaucoup écrit et qui savait écrire, un seul mot exprimant le remords ou même le regret de ses reniements. Et nous allons voir, quelques mois plus tard, que c'est systématiquement, dans un dessein bien arrêté et en pleine connaissance de cause, qu'il n'a pas voulu d'un curé, même jureur, à son mariage. "Il n'était rien de plus déprêtrisé que ce prêtre, écrit de lui le regretté Maurice Pouliot, scandaleux dès l'ancien régime et le plus effrontément apostat de tous."


Au sortir de l'Hôtel de Ville, tant est grand son besoin de rentrer dans la norme, d'être enfin un homme comme tout le monde, il s'en va devant Germain Rathery, commissaire de police du quai de Grèves, réitérer la même déclaration. On ignore comment le policier accepta de sanctionner ces noces saugrenues qui ne rentraient guère dans ses attributions. Tout au moins savait-il, par profession, dresser procès-verbal. Il en rédigea un de cette affaire et Planier put joindre une nouvelle attestation à la précédente.
Ainsi, coup sur coup, par deux pièces officielles émanant de deux autorités différentes, Planier affirme l'authenticité de son deuxième mariage. Mais il n'estimera pas encore suffisants ces témoignages qu'il est allé demander à Londres et à Paris. Pour légitimer l'union illégitime, pour se faire admettre dans la société poitevine où il veut réapparaître, l'ancien professeur connaît des difficultés qu'ignore le plus humble journalier. Il va faire encore appel aux pouvoirs publics et tenter de légaliser, une fois de plus le lourd passé qu'il traînera longtemps comme un boulet.

Il est difficile de ne pas dévier quelques instants des méthodes rigoureuses de l'Histoire, tant les prolongements psychologiques de cette aventure offrent de tentations. Le retour de Planier à Poitiers, en l'année cruciale 1792, quel sujet riche d'images et haut en couleur ! Ne nous y attardons pas cependant, puisqu'aucun texte de nous apporte, là-dessus, la moindre précision. Le vieux Planier vit toujours au milieu de ses dettes, et vivent aussi les parents de Marie-Françoise Oudin, rue des Arènes. Le père, l'ancien employé aux traites, a maintenant 80 ans, la mère, 70. Quand nous retrouverons Planier fils, ce sera le 15 septembre, à Lusignan. De nouveau, le voici prêtre poitevin. Il n'a repris la soutane, dira-t-il plus tard, "que pour servir la patrie et soulager l'humanité souffrante". Celui que l'évêque de Sainte-Aulaire avait frappé d'interdit, et qui n'avait jamais été relevé de cette sanction, vient d'être choisi par l'abbé Joyeux, curé de Notre-Dame de Lusignan, pour l'y aider dans l'exercice de ses fonctions en qualité de vicaire de la paroisse.

 

LusignanCe jour-là, il se dispose à prêter serment. Il a l'intention de remplir cette formalité le lendemain, à l'issue de la grand'messe, devant le maire et les officiers municipaux en écharpe, à l'affluence du peuple. Cependant, l'opération ne put avoir lieu que le 22 suivant. Sous la signature Pierre-Jean Mignien, vicaire de Lusignan, il participera ensuite, en collaboration avec le curé Joyeux, à la tenue des registres paroissiaux, du 22 novembre au 1er novembre de cette même année. Et l'on arrive, en feuilletant les pages où se dessine son écriture, point dépourvue d'élégance, qu'il conservera inchangée jusqu'en 1816, à se demander pourquoi il ne mit pas à profit ses fonctions, et ne se maria pas enfin, légalement, à la suite des hommes et des femmes de Lusignan dont lui-même sanctionnait l'union. Puisqu'il tient tant à se marier au grand jour, l'occasion est belle de s'unir enfin publiquement à cette femme qui a partagé avec lui la réprobation et l'exil.
Or, les faits se présentent, avec leur enchaînement et leurs dates, comme si Planier avait attendu que l'autorité ecclésiastique se fût dessaisie du pouvoir qu'elle détenait depuis des siècles pour, immédiatement, utiliser l'autorité civile qui venait de s'emparer de ce même pouvoir dépouillé de son contenu spirituel. Le 20 novembre 1792, la loi enlève aux curés les actes d'Etat Civil. Le 5 novembre, conformément à l'article 1er de cette loi, la municipalité de Lusignan, sur les six heures du soir, se présente au domicile de l'abbé Joyeux pour prendre possession des registres qui lui sont remis. Et c'est le lendemain même, 6 novembre, que Pierre-Jean Mignien du Planier comparaît avec Marie-Françoise Oudin, dans la salle de la commune, devant Pierre Bouthet, officier public, pour réitérer la cérémonie du 10 juillet précédent. Avec cette différence qu'il s'appuie maintenant sur l'article 9, section IV de la loi du 20 septembre, et que c'est une déclaration de mariage en bonne et due forme qu'il vient présenter.


Le premier mariage civil de Lusignan aura donc été celui d'un prêtre. Y assistèrent des témoins de qualité : François-Annibal Thorin, juge du district ; Louis-François-Alexandre Dousset, receveur du district ; Pierre-Paul Deschamps, receveur des droits d'enregistrement. Ne nous hâtons pas trop vite d'en conclure que Planier avait conquis l'estime des sphères dirigeantes de la petite ville, mais bien plutôt que, là aussi, son intelligence et son activité le poussaient aux premiers rangs.


On put s'en convaincre lorsqu'il fut procédé à de nouvelles élections pour le renouvellement des corps administratifs de la commune. Le 7 décembre, le Conseil général de Lusignan, convoqué en session extraordinaire, proclame les résultats. En tête des notables élus figure P.-J. Mignien, qui, moins de trois mois après son installation comme vicaire, entre par la grande porte dans le sein de la municipalité.


Son activité d'édile n'y laissa point, les premiers temps, de traces profondes. Les notables qui formaient, avec les officiers municipaux, le Conseil général de la commune, n'étaient réunis que pour les affaires importantes, et c'est seulement le 7 avril que Planier marque un point dans les décisions de l'assemblée. A ce moment, les choses vont assez mal. La guerre de Vendée est commencée et le coutre-coup s'en fait sentir à Lusignan. Déjà la guillotine est entrée en action à Poitiers, et voici qu'apparaissent les prodromes de la Terreur. Le 4 avril, le Directoire du Département a pris des mesures à l'égard des nobles et des religieuses. C'est Planier en personne qui semble s'être occupé de l'affaire quant à l'application de ces mesures à Lusignan.
La transcription de l'arrêté municipal consécutif à l'arrêté départemental est, en effet, entièrement de sa main. Les jours où le notable n'avait que voix consultative sont maintenant révolus. La situation se modifie rapidement en ce second semestre de 1793 que l'on sent, partout, descendre en pente inclinée vers les évènements retentissants de l'an II. Dans le style du vicaire de Lusignan promu aux affaires publiques apparaît la méthode de coercition enveloppée d'arguments juridiques que va manier sous peu le Président du Tribunal criminel de Poitiers. Le 7 avril 1793, la municipalité arrête, à l'égard des religieuses de l'hôpital, que quatre commissaires se transporteront auprès d'elles pour "leur enjoindre d'être plus circonspectes à l'avenir et de se conduire de manière à ne pas se faire soupçonner d'incivisme." Quant aux ci-devant nobles, "ils seront consignés dans la municipalité de cette ville, de laquelle ils ne pourront sortir sans une permission du corps municipal". La même mesure s'étend à deux suspects, Bernard père et le teinturier Enard, chez lesquels on perquisitionnera. Une arrestation, enfin, est décidée : celle de Giard, domestique de Gourgaud. On mit la main au collet de ce lampiste pour le conduire dans la maison d'arrêt.


Mais ce n'étaient là que broutilles. Des affaires d'une autre complexité et d'une autre portée attendaient Planier sur un théâtre plus vaste. Son séjour à Lusignan prendra fin en juin 1793. Il aura été, en quelque sorte, l'introduction à sa vie politique des années suivantes. Quand il parlera plus tard de son stage dans la vieille cité mélusine, ce sera pour en faire une apologie rétrospective. "Et vous, s'écriera-t-il, républicains malheureux, que le royalisme avait jetés dans les fers, mes conseils, ma plume, mes talents et ma bourse, tout vous a été prodigué pendant les huit mois que j'ai été vicaire à Lusignan. Appelé auprès des malades indigents, je me faisais devancer par un officier de santé que je payais et dont j'ai la quittance." Il peut même en apporter la date. "Elle est du 6 décembre", précise cet homme ordonné.


Le seul fait qui confère, dans sa vie d'aventurier, une certaine importance à ces huit mois de vicariat, c'est qu'ils lui valurent d'être remarqué par Piorry, représentant en mission dans la Vienne de mars à mai 1793. Où alla-t-il en partant de Lusignan ? A Poitiers, sans nul doute. C'est précisément en juin, lorsqu'il s'en va - et nous ignorons les conditions de ce départ - que la question du fédéralisme, dont on sait les remous qu'elle provoquera tout au long de l'année suivante, est soulevée à Poitiers. Simple coïncidence ? Avec ce politicien consommé, il est peu de coïncidences. Jamais l'atmosphère poitevine n'avait été aussi tendue, ni les pêcheurs en eau trouble nantis de pareilles facilités. Quoi qu'il en soit, Lusignan n'est plus désormais, pour Planier, qu'une courte période déjà bien loin dans le passé. Les temps sont proches où il va brasser à pleines mains la pâte révolutionnaire. Le lieutenant criminel de la Sénéchaussée de Poitiers, qui le poursuivait pour rapt en 1775, n'a pas eu de pouvoirs comparables à ceux qui lui seront bientôt dévolus. Sa rapide ascension va commencer.

Bulletins de la Société des antiquaires de l'Ouest.
1946/07 (Ser3, T14) - 1946/12

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