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La Maraîchine Normande
3 avril 2014

LES ORIGINES DU CELLIER (44) D'APRES LES DÉMOLITIONS DE L'ÉGLISE DE SAINT-MARTIN, AU BOURG

LES ORIGINES DU CELLIER
d'après les démolitions de l'église de Saint-Martin, au bourg.

La paroisse du Cellier, que les textes du XIe siècle désignent sous le nom de locus sancte Marie de plebe que vocatur Cellarium, occupe une des situations les plus pittoresques de la rive droite de la Loire, entre la station d'Oudon et celle de Mauves. Son territoire, qui s'incline en pente douce vers le midi, est coupé de vallons heureusement disposés pour la culture de la vigne ; on ne pouvait donc appliquer le nom de "cellier" plus justement que dans ce pays où le soleil ne manquait jamais de faire mûrir d'abondantes récoltes. Le bourg principal n'est pas sur le point le plus élevé, cependant il domine encore le fleuve d'une hauteur de 65 mètres.


Son église, d'apparence très modeste, sans aucune architecture, s'étendait sur une petite place, entourée de maisons qui ne laissaient aucune liberté pour les agrandissements nécessaires. Une église neuve a donc été reconstruite au nord, sur un vaste emplacement, et la démolition de l'édifice ancien, de celui qui intéresse l'archéologie, a été mise en adjudication sans aucune réserve, à la condition de faire place nette et d'enlever tout ce qui dépasserait un certain nivellement.


Quand bien même la Société archéologique aurait été avertie de cette suppression, elle ne s'en serait pas émue. La maçonnerie apparente ne disait rien aux yeux, elle était voilée, comme toujours, par un crépissage blanc sous lequel disparaissaient les reprises, en sorte que personne ne pensait qu'il y eût intérêt à suivre les phases de la destruction. Les savants de la localité croyaient connaître toute son histoire en racontant qu'elle avait été allongée deux fois en notre siècle, en 1818 et en 1852 et qu'au siècle dernier un premier agrandissement avait été exécuté en 1736, aux frais des seigneurs et des principaux propriétaires. Quant au clocher et aux parties qui l'entouraient, personne n'avait jamais risqué la moindre appréciation, ni soupçonné que le point de départ de la construction fût autre chose qu'une chapelle ordinaire.


Le bas de l'église, c'est-à-dire la porte principale, la tour qui la surmontait, sa base et les murs qui allaient rejoindre l'agrandissement opéré en 1736, ne ressemblait en rien aux constructions banales qu'on rencontre à chaque pas dans les campagnes, le tout avait une couleur spéciale qui frappa l'entrepreneur dès que la pioche de ses ouvriers attaqua une partie de l'église. Il n'a pas parlé de peur, sans doute, d'être arrêté dans ses travaux par les curieux, pressé qu'il était d'en finir. Ses impressions sont assez vives pour qu'on le croie sur parole, quand il nous dit que tout le clocher, haut de 6 mètres, était établi de la même façon avec du mortier rouge d'une grande dureté et des moellons dont les assises étaient reliées par des chaînes de briques. Peu s'en est fallu que tout fut rasé avant qu'aucun archéologue fût appelé à prendre des notes.


Quand je suis arrivé au Cellier, les murs intéressants pour moi avaient encore un mètre et plus d'élévation ; j'ai donc pu me rendre compte de la physionomie de l'appareil et je n'ai pas eu de peine à croire les témoins en face des décombres entassés dans le chantier, au pied de la tour et aux environs ; ils concordent avec la relation de l'entrepreneur (M. Bougouin, architecte, de passage au Cellier, a eu la bonté de m'avertir).


Ce qui frappe tout d'abord dans ce chantier, c'est la quantité considérable de mortier rouge qui a été consommée pour l'édification du bas de l'Eglise ; depuis les fondations jusque dans les parties inférieures, on en voit jusque dans les fissures du rocher qui supportent les ruines. Ce mortier coûteux, fait avec de la brique pilée et de la chaux, a été semé partout, il empâte les gros blocs des fondations comme les pierres en moyen et en petit appareil, il apparaît dans tous les joints et demeure attaché à tous les décombres qui gisent à terre. Pour donner encore plus de cohésion aux matériaux, l'architecte a employé aussi des chaînes doubles de briques épaisses, et quand ces briques ont fait défaut, il a eu recours aux grandes tuiles de faîtage dont les rebords ont la propriété de retenir facilement les fuites de mortier. Les briques ne sont pas toujours de la même épaisseur, de même que les rangs ne sont pas toujours alignés correctement, et, cependant, le mortier est toujours le même, toujours aussi rouge et aussi bien fait que dans les parties où le parement ne laisse rien à désirer.


C'est une chose étrange que le contraste formé par la perfection du mortier et la négligence des metteurs en oeuvre ; l'ensemble produit sur l'oeil l'impression d'un travail de la décadence, et, pourtant, les procédés employés rappellent la science des architectes du Haut Empire. En examinant ces murs de près, on voit que certaines parties du Nord ont une plus grande résistance que celles du Sud, qu'elles portent le cachet des oeuvres du IIIe siècle, dans leurs chaînes de briques et dans leur appareil bien échantillonné et bien jointoyé, tandis qu'ailleurs, il y a dans la maçonnerie un mélange de matériaux réemployés qui accuse une réfection rapide. A côté de petits moellons cubiques en granit, on voit des moellons de schiste du pays et des morceaux de calcaires semblables à des retailles de colonne. J'en conclus que l'édifice du IIIe siècle a été rebâti, par des ouvriers inférieurs, avant la disparition de la civilisation romaine, puisqu'ils ont su faire le même mortier que leurs prédécesseurs.


Suivant l'habitude des chantiers de tous les âges, ils ont utilisé ce qu'ils avaient sous la main ; ils ont paré leurs murs, çà et là, de moellons de granit d'une belle taille et nous ont, de cette manière, transmis la certitude que la construction du IIIe siècle fut précédée par une autre, bâtie en mortier rose dont les débris ont servi de remplissage dans l'épaisseur des murs. C'est ainsi que les ruines et les réfections successives s'accusent dans la plupart de nos stations romaines. Le granit n'existe pas au Cellier (les carrières de granit les plus voisines sont celles de Nantes, à cinq lieues de distance), il existait un édifice bâti suivant la méthode romaine, dont les murs représentaient en plan un rectangle de 13 mètres 40 sur 12 mètres 65.

 

Eglises successives du Cellier

 


Aucune trace de divisions intérieures, si ce n'est deux bases sur lesquelles s'élevaient sans doute des piliers destinés à supporter la toiture et ses charpentes. Quant à la tour, elle reposait de deux côtés sur des bases larges de 1 mètre 06 et de 1 mètre 18, sur un pignon épais de 1 mètre 18, et du côté de l'intérieur sur un arc en plein cintre dont l'ouverture est incertaine. Il est possible que la base de la tour ait été beaucoup modifiée lorsque la grande porte fut percée. Les démolisseurs assurent qu'ils ont trouvé trace d'une porte dans le mur d'enceinte du sud. Les autres lignes du mur n'avaient qu'une largeur de 0 mètre 98, avec une base à retrait, en forme de talus, qui atteignait 1 mètre 18 à son pied de fondation.


En reportant toutes les mesures sur le papier, on est frappé de l'irrégularité de la figure présentée. D'un côté, je vois 7 mètres 12 ; de l'autre, 1 mètre 78 entre la tour et les murs d'enceinte. En cherchant des éclaircissements au dehors, je n'ai vu qu'un massif de blocage rougeâtre entamé et défiguré, en 1858, pour construire l'escalier qui conduisait à la porte principale. Il est évident par là que les constructeurs n'avaient pas placé leur entrée à l'ouest et que cette base solide, assise sur le rocher, était plutôt destinée à supporter un hémicycle en cul de four ou quelque addition analogue. On n'a jamais signalé de prolongement sous les immeubles qui entourent la place, ni rencontré aucun débris romain dans les jardins. Il n'y a aucune apparence que le sommet abrupt du bourg ait été occupé par une villa dont nous aurions seulement une portion. Partout où les anciens se sont établis largement, on trouve des poteries ou, tout au moins, des monnaies et des débris d'aliments ; or le Cellier n'a jamais rien envoyé à notre musée, ni enrichi aucune collection particulière. Les occasions de découvertes n'ont pas manqué pourtant ; l'église a été agrandie par trois fois, les terres du cimetière ont été enlevées et, pendant le cours des travaux, aucune monnaie n'est venue au jour. Dans les tranchées profondes que j'ai creusées, le résultat a été non moins négatif.


J'en conclus que nous sommes en présence d'une construction isolée, d'un genre spécial, dont la destination est à fixer, en tenant compte de la structure et de la nature des matériaux. Notez d'abord que les constructions romaines avec tour sont rares et que le mortier rouge n'est pas d'usage courant.


Dans le cours des fouilles que j'ai pratiquées depuis vingt ans au milieu des ruines de nos stations antiques, j'ai souvent constaté que le mortier de chaux simple servait pour les murs de clôture et de refend, et que l'apparition du mortier rouge concordait toujours avec la présence d'un bassin ou d'un calorifère.


Au Cellier, on ne voit pas dans quel but et pour qui on aurait emmagasiné de l'eau ; la voie de Nantes à Paris étant au moins à trois kilomètres au nord. Reste l'hypothèse d'un foyer qui semble plus rationnelle étant donnée la position avantageuse de son assiette. Le sommet du Cellier,  dominant la vallée de la Loire d'une hauteur de 60 mètres, était tout indiqué pour l'érection d'une tour à signaux en correspondance avec les stations romaines du haut et du bas du fleuve, avec le Loroux, avec Vertou et Chantoceaux. Un phare au profit des navigateurs embarrassés dans le dédale de nos îles, aurait été également bien placé en cet endroit, mais je n'insiste pas sur cette interprétation qui soulève des objections. On comprend des tours et des phares sur le bord de la mer où les dangers sont réels, tandis que sur la Loire les mêmes précautions paraissent un luxe inutile. Le système des feux à signaux transmettant les nouvelles ralliera plutôt l'opinion générale.


Dans tous les cas, il faut bien croire que le foyer de combustion dans la construction du Cellier a fonctionné activement, car les murailles portent en plus d'un endroit la trace d'une violente dilatation qui a produits des crevasses et des ruptures. Les réfections opérées avec des matériaux de toute grosseur sont encore en mortier rouge, cela prouve qu'elles sont de l'époque où les feux étaient en usage et qu'il ne s'agit pas de brèches fermées lors de la transformation de l'église. En recherchant les bases des piliers, j'ai rencontré les restes d'une aire en béton, faite de briques concassées et de chaux, qui indique que la tour à feux était précédée d'une salle habitable.


Le Cellier n'est pas la seule localité riveraine de la Loire qui nous pose une énigme de cette nature, Saint-Julien-de-Concelles a eu aussi sa tour mystérieuse près de sa station romaine, au bord d'un bras de Loire très fréquenté par les chalands de l'Antiquité. Les textes du XVe siècle la nomment la "tour de la chapelle Saint-Barthélémé". Cette tour était isolée, loin de la chapelle et des manoirs seigneuriaux, elle n'a donc pu jouer un rôle féodal.


Quelle que soit l'opinion qu'on adopte dans la tour du Cellier, il y aura un fait qui demeurera indiscutable, c'est qu'elle marque une nouvelle prise de possession par nos conquérants. Depuis Varades jusqu'à Saint-Nazaire j'avais avancé que chacun des bourgs riverains du fleuve reposait sur les ruines d'une station antique, mais ma liste était incomplète. La découverte du Cellier comble une lacune et achève ma démonstration.
Pour l'avancement d'un autre genre d'études, il convenait de relever le plan de ces ruines avant leur disparition. En supposant que l'église gallo-romaine du Cellier demeure inexpliqué, il n'en restera pas moins une leçon pour ceux qui cherchent l'origine de nos églises paroissiales, question qui se pose fréquemment dans l'ouest, depuis qu'un vent de destruction souffle sur nos édifices religieux.


L'installation modeste dont se contentaient les premiers apôtres était déjà connue par diverses observations faites à Anetz, à Saint-Julien-de-Concelles, à Rezé, à Saint-Donatien. Un autre exemple vient de nous être offert pendant la démolition de l'église de Saint-Mars-de-Coutais. Dans le carré du transept, j'ai relevé les fondations d'un rectangle ayant 4 mètres de côté, maçonné en mortier rougeâtre et absolument indépendant de l'édifice religieux. Parmi les décombres, j'ai ramassé du minerai de fer et des pierres brûlées. De plus, dans le croisillon Nord, se trouvait un massif de maçonnerie demi circulaire absolument inconnu de l'architecte.


J'ai été heureux de rencontrer au Cellier une nouvelle confirmation de ce que j'ai avancé, en disant que les premiers chrétiens ont utilisé "toute espèce de construction" pour la célébration des offices. Malgré sa superficie restreinte, l'église du Cellier a pu suffire aux besoins de la paroisse, jusqu'au XVIIIe siècle, pour plusieurs raisons : la population n'était pas considérable et ensuite les fondations religieuses y étaient nombreuses. Son grand village de Vendelle, aussi important que le bourg, avait son prieuré de Notre-Dame, Clermont possédait le prieuré de Saint-Philbert, il y avait donc en réalité trois églises sur ce petit territoire.
L'église du bourg, dédiée à Saint-Martin, était en faveur comme les autres, elle inspirait une vénération qui est attestée par la multitude de tombeaux mérovingiens qui l'entouraient jusqu'à ces derniers temps, tombeaux composés d'auges de calcaire tendre et plus souvent de six tables d'ardoise qui remplissaient tous les alentours jusque sur le versant du sud. Un cimetière du même âge a été constaté autour de la chapelle de Vendelle ; il est donc incontestable que les fondations religieuses du Cellier remontent au moins au VIe siècle, c'est-à-dire à l'époque où beaucoup de monuments romains étaient encore debout. Celui que nous signalons avec sa tour étant isolé de toute habitation somptueuse, n'a pas tenté la cupidité des Barbares qui, tant de fois, remontèrent la Loire. On doit sans doute sa préservation à cette circonstance.

Léon MAITRE
Bulletin de la Société archéologique
et historique de Nantes et de Loire-Atlantique

N° 42 - 1901

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